Lors de la conquête d'Alger en 1830 divers objets appartenant au patrimoine de l'Algérie furent saisis par l'Armée française. Parmi ces objets figure une pièce d'artillerie du XIIe siècle, un canon en bronze . Un breton a lancé une campagne visant à la restitution de ce canon à l'Algérie.
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Ce n'est peut-être qu'un timide rayon de soleil dans les eaux souvent froides et agitées des relations franco-algériennes, mais pourquoi ne pas en accepter l'augure? Butin d'une guerre lointaine, mais toujours présente dans les esprits, un canon de bronze, saisi voilà près de deux siècles par l'armée française dans la rade d'Alger, pourrait bien, par sa restitution aujourd'hui envisagée, œuvrer de façon symbolique à renforcer les liens entre nos deux pays. L'épopée de cette lourde pièce d'artillerie, la Consulaire, trônant aujourd'hui dans la cour d'honneur de l'arsenal de Brest, commence durant cette période méconnue des passions franco-algériennes. Grande absente des manuels scolaires, occultée dans le débat public par la guerre, l'indépendance et leurs stigmates, la conquête de l'Algérie à partir de 1830 est pourtant le point de départ de l'Empire colonial français en Afrique. Aujourd'hui, cent-soixante quinze ans après les faits, la France conserve aussi jalousement quelques centaines d'objets patrimoniaux saisis lors de la prise d'Alger, butins de guerre symboliques de cette «équipée glorieuse».
En 1682, les Algériens sont devenus les maîtres de la Méditerranée
Ainsi les archives dites «antécoloniales», constituées de fonds turcs, arabes et espagnols, dont la restitution complète se heurte à la notion de patrimoine inaliénable et aux réticences des conservateurs de la BNF. A Alger, on se souvient que Jacques Chirac, lors de sa visite d'Etat en 2003, avait offert à Abdelaziz Bouteflika le sceau officiel du dey Hussein Pacha. Dernier maître turc de la Ville blanche, Hussein avait remis son pendentif en signe de soumission au maréchal de Bourmont, commandant du corps expéditionnaire du roi en cette année 1830. Cerise sur le gâteau d'une série d'accords essentiellement économiques et policiers, le retour du sceau préfigurait le futur traité d'amitié entre les deux pays, dont la signature controversée était prévue cet automne 2005 - avant d'être repoussée sine die. Ce geste médiatique a aussi fait réémerger la très longue durée de nos relations bilatérales, comme l'indique l'historien Gilles Manceron: «On a tendance à faire l'impasse sur l'épisode de la conquête et de la confrontation armée avec l'Etat d'Abd el-Kader. On pense surtout à l'Algérie à partir de 1848, lorsqu'elle devient département français et qu'elle est peuplée soit de malfrats, soit d'indésirables de la République.»
Encouragé par le précédent du sceau du dey Hussein Pacha, un homme d'affaires breton, passionné d'histoire, a initié une campagne en faveur du retour du canon algérois conservé à Brest. Domingo Friand souhaite que le monument soit transféré cette année aux autorités algériennes, à l'occasion de la signature du traité d'amitié. Si son projet aboutit, il promet d'organiser «une cérémonie œcuménique à Alger avec un évêque et un mufti, en mémoire des victimes de la colonisation et de la guerre, et en lieu et place du traité de paix qui n'a jamais été signé». Sympathisant de l'UMP, Friand a plaidé sa cause auprès de la députée du Finistère, Marcelle Ramonet, qui a d'abord évoqué l'affaire avec Alain Juppé en février 2004, avant de transmettre le dossier à la ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie, en mars 2005. Laquelle, bien sûr, a opposé un refus poli et argumenté quelques semaines plus tard: «Ce canon fait partie intégrante du patrimoine historique de la défense. […] De plus, le personnel de la marine manifeste un attachement particulier à ce monument qui commémore la participation des marins à un épisode glorieux de l'histoire de nos armées.» Mais, entre-temps, Domingo Friand avait déjà réussi à susciter l'intérêt de l'ambassade d'Algérie à Paris, ne serait-ce qu'en raison de la candeur apparente de son combat.
«On ne peut pas tout rapatrier, estime l'historien Benjamin Stora, mais il faut plutôt étudier chaque cas de manière spécifique! Il y a des millions d'objets éparpillés sur les deux rives, et l'imbrication est telle qu'on ne sait plus ce qui appartient à l'un ou à l'autre. Quoi qu'il en soit, tout intérêt porté à un objet ou à un sujet de mémoire est positif.» Si rien, jusqu'à présent, n'a été officiellement entrepris, l'ambassade dit avoir transmis le dossier au ministère algérien de la Culture, tandis que «l'Elysée ne se dit pas opposé à une restitution, sous la forme d'un prêt à long terme», selon des sources proches des milieux diplomatiques algériens.
Une nouvelle ère de prospérité
Pour comprendre cet engouement soudain, il faut revenir sur l'histoire particulièrement symbolique de la Consulaire. C'est-à-dire sur celle de la ville d'Alger à partir du début du XVIe siècle. En 1509, le roi Ferdinand d'Aragon fait occuper Oran, puis contraint, en 1511, Al-Djazaïr à signer un traité reconnaissant l'autonomie de la ville, à condition que les Barbaresques renoncent à leurs actes de piraterie sur les côtes espagnoles et à la mise en esclavage des chrétiens capturés en mer. Mais, à peine dix ans plus tard, les Barbaresques s'offusquent de cette domination et engagent le corsaire turc Aroudj - plus célèbre sous le nom de Barberousse - pour déloger les infidèles. Celui-ci échoue en raison de la faiblesse de ses canons. Mais son frère Khayr al-Din, surnommé lui aussi Barberousse, parvient à les chasser, en 1529, avant de prendre le pouvoir comme souverain d'Alger. Cette date marque une nouvelle ère de prospérité dans l'histoire d'Al- Djazaïr, capitale des corsaires turcs et province extrême-occidentale de l'Empire ottoman.
Khayr al-Din, puis son successeur Hassan fortifient la ville, la dotant de murailles exceptionnelles, de forts et d'une série de puissantes batteries de marine. C'est notamment grâce à ces travaux de génie qu'en 1540 la ville repousse l'armada de l'empereur Charles Quint, venu en personne récupérer ses possessions et venger la défaite. En 1542, pour célébrer la fin des travaux, Hassan fait fabriquer un énorme canon par un fondeur vénitien. Longue de 7 mètres, d'une portée de 4 872 mètres - exceptionnelle pour l'époque - cette arme est baptisée «Baba Merzoug» (Père fortuné) par les Turcs. Dirigé vers la pointe Pescade, servi par une équipe de quatre artilleurs, Baba Merzoug interdisait dorénavant à tout navire ennemi l'accès à la rade d'Alger.
Un siècle et demi plus tard, en 1682, les Algériens sont devenus les maîtres de la Méditerranée, après avoir dicté aux Hollandais et aux Anglais des pactes de non-agression. Cette année-là, ils capturent une frégate de la marine royale française et vendent son commandant comme esclave. Louis XIV, soucieux de rester en lumière, réagit en envoyant l'amiral Abraham Duquesne, à la tête d'une expédition punitive d'une centaine de navires, bombarder la Ville blanche en 1683. Cette fois-ci, les chrétiens sont équipés de bombes et de boulets incendiaires. La puissance de feu des Français fait plier le dey Baba Hassan, qui demande un armistice et l'ouverture de négociations. L'intermédiaire qui monte à bord du vaisseau amiral est le révérend père Le Vacher, consul du roi à Alger depuis 1671. Duquesne exige et obtient la libération de tous les captifs chrétiens. Ce qui fut fait, à quelques-uns près. Mais un certain Mezzo Morto, un riche Algérois, fomente alors un complot, assassine le dey et ligue la population contre l'ennemi. Trahi, l'amiral reprend les bombardements. Mezzo Morto, devenu le nouveau dey, inaugure alors une méthode de représailles restée célèbre: le consul Le Vacher, revenu à terre entre-temps, est accusé de traîtrise, puis ligoté et mené au port. Là, les artilleurs braquent l'énorme canon Baba Merzoug vers le vaisseau amiral de la flotte française. Ils placent le consul devant la bouche, puis font feu. Depuis ce jour, la marine française appelle ce canon «la Consulaire», en mémoire du diplomate martyr. Après lui, de nombreux autres malchanceux subirent le même sort, et la réputation du canon s'en trouva d'autant grandie. In fine, l'armada de Duquesne rentra en France sans avoir soumis les Algérois.
Au début du XIXe siècle, le rapport des forces a changé. La France, et en particulier Marseille, commerce avec la régence turque d'Alger depuis plusieurs décennies. Mais, en 1827, la célèbre «affaire de l'éventail» met le feu aux poudres entre les deux pays. L'histoire officielle rapporte, encore aujourd'hui, que le dey Hussein Pacha souffleta le consul de France avec son chasse-mouches, lors d'une discussion envenimée à propos d'une dette entre commerçants. Et que Charles X décida de conquérir Alger pour laver l'affront et sécuriser les mers. Il est plus probable que les notables de la Restauration eurent des arrière-pensées coloniales, voire l'envie de faire main basse sur l'or accumulé dans la Casbah. Déjà, à l'époque, des voix influentes s'élèvent contre ce projet, soit pour des raisons morales, soit par crainte du gouffre financier qu'une telle aventure allait sûrement provoquer.
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Ce n'est peut-être qu'un timide rayon de soleil dans les eaux souvent froides et agitées des relations franco-algériennes, mais pourquoi ne pas en accepter l'augure? Butin d'une guerre lointaine, mais toujours présente dans les esprits, un canon de bronze, saisi voilà près de deux siècles par l'armée française dans la rade d'Alger, pourrait bien, par sa restitution aujourd'hui envisagée, œuvrer de façon symbolique à renforcer les liens entre nos deux pays. L'épopée de cette lourde pièce d'artillerie, la Consulaire, trônant aujourd'hui dans la cour d'honneur de l'arsenal de Brest, commence durant cette période méconnue des passions franco-algériennes. Grande absente des manuels scolaires, occultée dans le débat public par la guerre, l'indépendance et leurs stigmates, la conquête de l'Algérie à partir de 1830 est pourtant le point de départ de l'Empire colonial français en Afrique. Aujourd'hui, cent-soixante quinze ans après les faits, la France conserve aussi jalousement quelques centaines d'objets patrimoniaux saisis lors de la prise d'Alger, butins de guerre symboliques de cette «équipée glorieuse».
En 1682, les Algériens sont devenus les maîtres de la Méditerranée
Ainsi les archives dites «antécoloniales», constituées de fonds turcs, arabes et espagnols, dont la restitution complète se heurte à la notion de patrimoine inaliénable et aux réticences des conservateurs de la BNF. A Alger, on se souvient que Jacques Chirac, lors de sa visite d'Etat en 2003, avait offert à Abdelaziz Bouteflika le sceau officiel du dey Hussein Pacha. Dernier maître turc de la Ville blanche, Hussein avait remis son pendentif en signe de soumission au maréchal de Bourmont, commandant du corps expéditionnaire du roi en cette année 1830. Cerise sur le gâteau d'une série d'accords essentiellement économiques et policiers, le retour du sceau préfigurait le futur traité d'amitié entre les deux pays, dont la signature controversée était prévue cet automne 2005 - avant d'être repoussée sine die. Ce geste médiatique a aussi fait réémerger la très longue durée de nos relations bilatérales, comme l'indique l'historien Gilles Manceron: «On a tendance à faire l'impasse sur l'épisode de la conquête et de la confrontation armée avec l'Etat d'Abd el-Kader. On pense surtout à l'Algérie à partir de 1848, lorsqu'elle devient département français et qu'elle est peuplée soit de malfrats, soit d'indésirables de la République.»
Encouragé par le précédent du sceau du dey Hussein Pacha, un homme d'affaires breton, passionné d'histoire, a initié une campagne en faveur du retour du canon algérois conservé à Brest. Domingo Friand souhaite que le monument soit transféré cette année aux autorités algériennes, à l'occasion de la signature du traité d'amitié. Si son projet aboutit, il promet d'organiser «une cérémonie œcuménique à Alger avec un évêque et un mufti, en mémoire des victimes de la colonisation et de la guerre, et en lieu et place du traité de paix qui n'a jamais été signé». Sympathisant de l'UMP, Friand a plaidé sa cause auprès de la députée du Finistère, Marcelle Ramonet, qui a d'abord évoqué l'affaire avec Alain Juppé en février 2004, avant de transmettre le dossier à la ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie, en mars 2005. Laquelle, bien sûr, a opposé un refus poli et argumenté quelques semaines plus tard: «Ce canon fait partie intégrante du patrimoine historique de la défense. […] De plus, le personnel de la marine manifeste un attachement particulier à ce monument qui commémore la participation des marins à un épisode glorieux de l'histoire de nos armées.» Mais, entre-temps, Domingo Friand avait déjà réussi à susciter l'intérêt de l'ambassade d'Algérie à Paris, ne serait-ce qu'en raison de la candeur apparente de son combat.
«On ne peut pas tout rapatrier, estime l'historien Benjamin Stora, mais il faut plutôt étudier chaque cas de manière spécifique! Il y a des millions d'objets éparpillés sur les deux rives, et l'imbrication est telle qu'on ne sait plus ce qui appartient à l'un ou à l'autre. Quoi qu'il en soit, tout intérêt porté à un objet ou à un sujet de mémoire est positif.» Si rien, jusqu'à présent, n'a été officiellement entrepris, l'ambassade dit avoir transmis le dossier au ministère algérien de la Culture, tandis que «l'Elysée ne se dit pas opposé à une restitution, sous la forme d'un prêt à long terme», selon des sources proches des milieux diplomatiques algériens.
Une nouvelle ère de prospérité
Pour comprendre cet engouement soudain, il faut revenir sur l'histoire particulièrement symbolique de la Consulaire. C'est-à-dire sur celle de la ville d'Alger à partir du début du XVIe siècle. En 1509, le roi Ferdinand d'Aragon fait occuper Oran, puis contraint, en 1511, Al-Djazaïr à signer un traité reconnaissant l'autonomie de la ville, à condition que les Barbaresques renoncent à leurs actes de piraterie sur les côtes espagnoles et à la mise en esclavage des chrétiens capturés en mer. Mais, à peine dix ans plus tard, les Barbaresques s'offusquent de cette domination et engagent le corsaire turc Aroudj - plus célèbre sous le nom de Barberousse - pour déloger les infidèles. Celui-ci échoue en raison de la faiblesse de ses canons. Mais son frère Khayr al-Din, surnommé lui aussi Barberousse, parvient à les chasser, en 1529, avant de prendre le pouvoir comme souverain d'Alger. Cette date marque une nouvelle ère de prospérité dans l'histoire d'Al- Djazaïr, capitale des corsaires turcs et province extrême-occidentale de l'Empire ottoman.
Khayr al-Din, puis son successeur Hassan fortifient la ville, la dotant de murailles exceptionnelles, de forts et d'une série de puissantes batteries de marine. C'est notamment grâce à ces travaux de génie qu'en 1540 la ville repousse l'armada de l'empereur Charles Quint, venu en personne récupérer ses possessions et venger la défaite. En 1542, pour célébrer la fin des travaux, Hassan fait fabriquer un énorme canon par un fondeur vénitien. Longue de 7 mètres, d'une portée de 4 872 mètres - exceptionnelle pour l'époque - cette arme est baptisée «Baba Merzoug» (Père fortuné) par les Turcs. Dirigé vers la pointe Pescade, servi par une équipe de quatre artilleurs, Baba Merzoug interdisait dorénavant à tout navire ennemi l'accès à la rade d'Alger.
Un siècle et demi plus tard, en 1682, les Algériens sont devenus les maîtres de la Méditerranée, après avoir dicté aux Hollandais et aux Anglais des pactes de non-agression. Cette année-là, ils capturent une frégate de la marine royale française et vendent son commandant comme esclave. Louis XIV, soucieux de rester en lumière, réagit en envoyant l'amiral Abraham Duquesne, à la tête d'une expédition punitive d'une centaine de navires, bombarder la Ville blanche en 1683. Cette fois-ci, les chrétiens sont équipés de bombes et de boulets incendiaires. La puissance de feu des Français fait plier le dey Baba Hassan, qui demande un armistice et l'ouverture de négociations. L'intermédiaire qui monte à bord du vaisseau amiral est le révérend père Le Vacher, consul du roi à Alger depuis 1671. Duquesne exige et obtient la libération de tous les captifs chrétiens. Ce qui fut fait, à quelques-uns près. Mais un certain Mezzo Morto, un riche Algérois, fomente alors un complot, assassine le dey et ligue la population contre l'ennemi. Trahi, l'amiral reprend les bombardements. Mezzo Morto, devenu le nouveau dey, inaugure alors une méthode de représailles restée célèbre: le consul Le Vacher, revenu à terre entre-temps, est accusé de traîtrise, puis ligoté et mené au port. Là, les artilleurs braquent l'énorme canon Baba Merzoug vers le vaisseau amiral de la flotte française. Ils placent le consul devant la bouche, puis font feu. Depuis ce jour, la marine française appelle ce canon «la Consulaire», en mémoire du diplomate martyr. Après lui, de nombreux autres malchanceux subirent le même sort, et la réputation du canon s'en trouva d'autant grandie. In fine, l'armada de Duquesne rentra en France sans avoir soumis les Algérois.
Au début du XIXe siècle, le rapport des forces a changé. La France, et en particulier Marseille, commerce avec la régence turque d'Alger depuis plusieurs décennies. Mais, en 1827, la célèbre «affaire de l'éventail» met le feu aux poudres entre les deux pays. L'histoire officielle rapporte, encore aujourd'hui, que le dey Hussein Pacha souffleta le consul de France avec son chasse-mouches, lors d'une discussion envenimée à propos d'une dette entre commerçants. Et que Charles X décida de conquérir Alger pour laver l'affront et sécuriser les mers. Il est plus probable que les notables de la Restauration eurent des arrière-pensées coloniales, voire l'envie de faire main basse sur l'or accumulé dans la Casbah. Déjà, à l'époque, des voix influentes s'élèvent contre ce projet, soit pour des raisons morales, soit par crainte du gouffre financier qu'une telle aventure allait sûrement provoquer.
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