Cinquante après sa mort, Albert Camus n’a pas fini de susciter la polémique à propos de sa relation tellement complexe avec l'Algérie sa terre natale.
Albert Camus a milité tôt pour la libre expression politique des populations musulmanes et a pris position contre l'oppression coloniale et une tutelle qui maintient dans la misère et l'asservissement les musulmans. Il a publié, dans les colonnes d' Alger Républicain, devenu Soir républicain, organe du Front populaire, plus de cent articles dont son enquête «Misère de la Kabylie» qui a eu un écho retentissant.
Dans son ouvrage L'Été (1954), publié l’année même du déclenchement de la guerre d’indépendance de l’Algérie, Camus proclamait : «En ce qui concerne l’Algérie, j’ai toujours peur d’appuyer sur cette corde intérieure qui lui correspond en moi et dont je connais le chant aveugle et grave. Mais je puis bien dire, au moins, qu’elle est ma vraie patrie et qu’en n’importe quel lieu du monde, je reconnais ses fils et mes frères à ce rire d’amitié qui me prend devant eux.» ( Petit guide pour des villes sans passé, in L’été).
En 1954, au lendemain de la «Toussaint sanglante», il écrit dans une lettre au poète et journaliste Jean Amrouche : «Tirer, ou justifier qu’on tire sur les Français d’Algérie en général, et pris comme tels, c’est tirer sur les miens, qui ont toujours été pauvres et sans haine et qui ne peuvent être confondus dans une injuste révolte.» (Alain- Gérard Slama, 10 décembre 2007). La même année, il déclare dans une lettre à son ami de toujours Aziz Kessous : «…j’ai mal à l’Algérie, en ce moment, comme d’autres ont mal aux poumons.» (Actuelles III, p. 127).
Certains critiques pensent, à tort ou à raison, que le Camus, intellectuel et journaliste émérite, pourfendeur de l’oppression, commença sa «mue» vis-à-vis de la question algérienne avec le début de la guerre. A la fin de 1957, une polémique naît et a une résonance considérable lorsque, Camus, interpellé par un jeune étudiant algérien sur sa position à l’égard du drame vécu par l’Algérie, déclara : «J’ai toujours condamné la terreur. Je dois condamner aussi un terrorisme qui s’exerce aveuglément, dans les rues d’Alger par exemple, et qui un jour peut frapper ma mère ou ma famille. Je crois en la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice. » La phrase «je défendrai ma mère avant la justice» fit scandale. Elle se prête, jusqu’à nos jours, à toutes les interprétations.
Albert Camus apparaissait comme un traître pour beaucoup d’intellectuels de gauche et de nationalistes algériens luttant pour l’indépendance de leur pays. Taleb Ibrahimi réagissait, en cette année 1957, dans une lettre ouverte à Albert Camus : «Pour la première fois, un écrivain algérien non musulman prend conscience que son pays, ce n’est pas seulement la lumière éclatante, la magie des couleurs, le mirage du désert, le mystère des casbah, la féerie des souks, bref, tout ce qui a donné naissance à cette littérature que nous exécrions, mais que l’Algérie, c’est aussi et avant tout une communauté d’hommes capables de sentir, de penser et d’agir.»
L’ex-ministre algérien de l’Information reniera à Camus son algérianité, lors d’une conférence de presse à Alger, quelques années après l’Indépendance. Dans une intervention, publiée dans Camus et la politique, Actes du colloque de Nanterre, juin 1985, Albert Memmi, romancier tunisien déclare : «… Je ne lui fais pas grief de n’avoir su parler que des siens propres. Chacun doit parler de ce qu’il connaît le mieux… mais lorsque les Algériens ont commencé à réclamer leur liberté politique, il n’a pas vu qu’il s’agissait d’une revendication nationale, il a mésestimé le fait national algérien.»
Albert Camus a une position tranchée vis-à-vis de l’indépendance de l’Algérie : «Autant sont légitimes la dénonciation du colonialisme, de l'attitude méprisante des Français, d'une répartition agraire injuste et d'une assimilation toujours proposée mais jamais réalisée, autant est illégitime le concept de nation algérienne» (Algérie 1958, Actuelles III).
Opposé jusqu’à sa mort, survenue le 4 janvier 1960 dans un accident de voiture, à l’idée d’indépendance de l’Algérie et voué à la haine des extrémistes européens. Depuis son appel pour une trêve civile en Algérie du 23 janvier 1956 et à l’arrêt des violences contre les civils des deux camps, «il s’est réfugié jusqu’à sa mort dans un silence presque total sur ce sujet.
Aurait-il suivi, s’il avait vécu, l’évolution d’amis comme l’écrivain Emmanuel Roblès ou le peintre Jean de Maisonseul en faveur de l’indépendance, ou bien une autre direction ? Rien ne permet de l’affirmer. » (article de la rubrique les deux rives de la Méditerranée > la période coloniale de l’Algérie 29 octobre 2007) L’auteur dira lui-même, voulant faire une mise au point à ce sujet : «Mon opinion d’ailleurs est qu’on attend trop d’un écrivain en ces matières. Même et, peut-être surtout, lorsque sa naissance et son cœur le vouent au destin d’une terre comme l’Algérie, il est vain de le croire détenteur d’une vérité révélée...». «Je ne veux pas, je me refuse de toutes mes forces à soutenir la cause de l’un des deux peuples d’Algérie, au détriment de la cause de l’autre.»
J’ai voulu, à l’occasion du cinquantième anniversaire de sa mort, revenir, très brièvement par rapport à la complexité du sujet, sur la relation de Camus avec l’Algérie, me contentant d’évoquer quelques faits et écrits, sans plus.
Je laisserai la conclusion au romancier et universitaire Nourredine Saâdi, parce qu’elle me paraît juste et appropriée : «Il faut se libérer du ressentiment vis-à-vis de Camus. Camus n'est pas un nationaliste algérien. Camus n'est pas Sénac. Il est fils de la colonie de peuplement, il faut s'y faire ! Il nous appartient parce qu'il dit des choses qu'on aime et qui nous éclairent sur ce pays qui est le nôtre.»
Par M. Benrebiai, Le Soir
Albert Camus a milité tôt pour la libre expression politique des populations musulmanes et a pris position contre l'oppression coloniale et une tutelle qui maintient dans la misère et l'asservissement les musulmans. Il a publié, dans les colonnes d' Alger Républicain, devenu Soir républicain, organe du Front populaire, plus de cent articles dont son enquête «Misère de la Kabylie» qui a eu un écho retentissant.
Dans son ouvrage L'Été (1954), publié l’année même du déclenchement de la guerre d’indépendance de l’Algérie, Camus proclamait : «En ce qui concerne l’Algérie, j’ai toujours peur d’appuyer sur cette corde intérieure qui lui correspond en moi et dont je connais le chant aveugle et grave. Mais je puis bien dire, au moins, qu’elle est ma vraie patrie et qu’en n’importe quel lieu du monde, je reconnais ses fils et mes frères à ce rire d’amitié qui me prend devant eux.» ( Petit guide pour des villes sans passé, in L’été).
En 1954, au lendemain de la «Toussaint sanglante», il écrit dans une lettre au poète et journaliste Jean Amrouche : «Tirer, ou justifier qu’on tire sur les Français d’Algérie en général, et pris comme tels, c’est tirer sur les miens, qui ont toujours été pauvres et sans haine et qui ne peuvent être confondus dans une injuste révolte.» (Alain- Gérard Slama, 10 décembre 2007). La même année, il déclare dans une lettre à son ami de toujours Aziz Kessous : «…j’ai mal à l’Algérie, en ce moment, comme d’autres ont mal aux poumons.» (Actuelles III, p. 127).
Certains critiques pensent, à tort ou à raison, que le Camus, intellectuel et journaliste émérite, pourfendeur de l’oppression, commença sa «mue» vis-à-vis de la question algérienne avec le début de la guerre. A la fin de 1957, une polémique naît et a une résonance considérable lorsque, Camus, interpellé par un jeune étudiant algérien sur sa position à l’égard du drame vécu par l’Algérie, déclara : «J’ai toujours condamné la terreur. Je dois condamner aussi un terrorisme qui s’exerce aveuglément, dans les rues d’Alger par exemple, et qui un jour peut frapper ma mère ou ma famille. Je crois en la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice. » La phrase «je défendrai ma mère avant la justice» fit scandale. Elle se prête, jusqu’à nos jours, à toutes les interprétations.
Albert Camus apparaissait comme un traître pour beaucoup d’intellectuels de gauche et de nationalistes algériens luttant pour l’indépendance de leur pays. Taleb Ibrahimi réagissait, en cette année 1957, dans une lettre ouverte à Albert Camus : «Pour la première fois, un écrivain algérien non musulman prend conscience que son pays, ce n’est pas seulement la lumière éclatante, la magie des couleurs, le mirage du désert, le mystère des casbah, la féerie des souks, bref, tout ce qui a donné naissance à cette littérature que nous exécrions, mais que l’Algérie, c’est aussi et avant tout une communauté d’hommes capables de sentir, de penser et d’agir.»
L’ex-ministre algérien de l’Information reniera à Camus son algérianité, lors d’une conférence de presse à Alger, quelques années après l’Indépendance. Dans une intervention, publiée dans Camus et la politique, Actes du colloque de Nanterre, juin 1985, Albert Memmi, romancier tunisien déclare : «… Je ne lui fais pas grief de n’avoir su parler que des siens propres. Chacun doit parler de ce qu’il connaît le mieux… mais lorsque les Algériens ont commencé à réclamer leur liberté politique, il n’a pas vu qu’il s’agissait d’une revendication nationale, il a mésestimé le fait national algérien.»
Albert Camus a une position tranchée vis-à-vis de l’indépendance de l’Algérie : «Autant sont légitimes la dénonciation du colonialisme, de l'attitude méprisante des Français, d'une répartition agraire injuste et d'une assimilation toujours proposée mais jamais réalisée, autant est illégitime le concept de nation algérienne» (Algérie 1958, Actuelles III).
Opposé jusqu’à sa mort, survenue le 4 janvier 1960 dans un accident de voiture, à l’idée d’indépendance de l’Algérie et voué à la haine des extrémistes européens. Depuis son appel pour une trêve civile en Algérie du 23 janvier 1956 et à l’arrêt des violences contre les civils des deux camps, «il s’est réfugié jusqu’à sa mort dans un silence presque total sur ce sujet.
Aurait-il suivi, s’il avait vécu, l’évolution d’amis comme l’écrivain Emmanuel Roblès ou le peintre Jean de Maisonseul en faveur de l’indépendance, ou bien une autre direction ? Rien ne permet de l’affirmer. » (article de la rubrique les deux rives de la Méditerranée > la période coloniale de l’Algérie 29 octobre 2007) L’auteur dira lui-même, voulant faire une mise au point à ce sujet : «Mon opinion d’ailleurs est qu’on attend trop d’un écrivain en ces matières. Même et, peut-être surtout, lorsque sa naissance et son cœur le vouent au destin d’une terre comme l’Algérie, il est vain de le croire détenteur d’une vérité révélée...». «Je ne veux pas, je me refuse de toutes mes forces à soutenir la cause de l’un des deux peuples d’Algérie, au détriment de la cause de l’autre.»
J’ai voulu, à l’occasion du cinquantième anniversaire de sa mort, revenir, très brièvement par rapport à la complexité du sujet, sur la relation de Camus avec l’Algérie, me contentant d’évoquer quelques faits et écrits, sans plus.
Je laisserai la conclusion au romancier et universitaire Nourredine Saâdi, parce qu’elle me paraît juste et appropriée : «Il faut se libérer du ressentiment vis-à-vis de Camus. Camus n'est pas un nationaliste algérien. Camus n'est pas Sénac. Il est fils de la colonie de peuplement, il faut s'y faire ! Il nous appartient parce qu'il dit des choses qu'on aime et qui nous éclairent sur ce pays qui est le nôtre.»
Par M. Benrebiai, Le Soir
Commentaire