J.Ch Servant - Le Monde Diplomatique - 28/12/09
Le Nord Mali victime d’une prophétie autoréalisatrice
Les errements de l’antiterrorisme en Afrique
dimanche 3 janvier 2010
Al-Qaida au Sahara est-il vraiment Al-Qaida ? « Jamais le Sahara n’a été aussi fréquenté » En 1995, le journaliste africain-américain du New York Times Howard French, alors en poste sur le continent, rapportait de Bamako : « Les diplomates parlent aussi de ce pays enclavé comme d’un rempart contre l’islam militant qui s’étend à partir de ses frontières du nord avec l’Algérie » (« African Democracies Worry Western Aid Will Evaporate », 19 mars 1995).
Quinze ans après, la situation régnant dans le Nord Mali est de plus en plus complexe et brouillée, comme l’illustre une série d’événements survenus en novembre 2009. Découverte sur les terres de la commune isolée de Tarkint, à 150 km au nord de Gao, de la carcasse brûlée d’un antique Boeing 727, vraisemblablement arrivé d’Amérique latine, et qui aurait pu transporter plusieurs tonnes de cocaïne et sans doute des armes ; enlèvement d’un ressortissant français, Pierre Camatte, dans un petit hôtel de Menaka – 1 500 km au nord-est de la capitale – dont il assurait la gestion tout en se livrant à Tinderman à l’étude des plantes sahéliennes susceptibles de contribuer au traitement du paludisme ; kidnapping, quatre jours plus tard, côté Mauritanie, de trois membres espagnols de l’ONG Barcelona Accio Solidaria… : l’année se termine comme elle a commencé. Le 31 mai, un mois après la libération de deux diplomates canadiens enlevés près de la frontière Mali/Niger, un autre otage, le Britannique Edwyn Dyer, était assassiné, vraisemblablement par l’Algérien Abdhelhamid Abou Zaïd, numéro 2 d’El-Para (lire plus loin), qui pourrait être derrière la dernière vague d’enlèvements.
La complexité et l’imbrication des facteurs géopolitiques, humains, économiques dans cette zone requièrent l’emploi du conditionnel et ne permettent que d’échafauder des hypothèses. Pour autant, cela n’empêche pas la majeure partie des médias occidentaux de privilégier une seule explication : la « menace globale » d’Al-Qaida, qui serait incarnée dans le Sahel par l’AQMI (Al-Qaida au Maghreb Islamique, ex-GSPC), semble s’être rapprochée du Mali en 2009 (« Le Mali touché par la “menace globale” d’Al-Qaida », par Philippe Bernard, Le Monde, 3 décembre 2009).
L’intensification de l’aide militaire au Mali par l’administration du président américain Barack Obama – actée tout autant par le Département d’Etat que par celui de la défense – conforte cette lecture. Comme le note Vijay Prakash, directeur des études internationales au Trinity College d’Hartford, Connecticut (« Que se passe-t-il au Mali ? », Pambazuka.org, 16 novembre 2009) : « Depuis quelques années, le soutien militaire [américain – ndlr] au Mali s’intensifie. Derrière la lutte contre le terrorisme et la stratégie de ‘‘containment’’ d’Al-Qaida au Maghreb, des millions de dollars d’aide et des financements divers sont accordés à Bamako. » Le 20 octobre 2009, le Mali recevait ainsi de l’administration Obama plus de 4 millions de dollars de matériel militaire, dont trente-sept pick-ups Land Cruiser, matériel de communication, pièces de rechanges et tenues militaires au titre du programme CTTE (Counter Terrorism Train and Equip’). Succédant à un programme américain d’entrainement militaire des troupes de trois bases maliennes (dont le 33e régiment de parachutistes) par des conseillers des forces spéciales américaines, cette aide est destinée à renforcer les capacités du pays en matière de communication et de transport des équipes chargées de mener des programmes de contre-insurrection sur le territoire et ses frontières.
L’enveloppe allouée au CTTE est tirée du budget dédié à la partie subsaharienne de l’Afrique du programme FMF (Foreign Military Financing), financement en spectaculaire augmentation pour 2010. Le budget 2010 du FMF alloué à l’Afrique subsaharienne pourrait en effet augmenter de 300%, pour passer de 8,2 à 25,5 millions de dollars. Pour le chercheur Daniel Volman, directeur de l’African Research Project à Washington (« Obama moves ahead with AFRICOM », Pambazuka.org, 10 décembre 2009), l’aide militaire accordée au Mali « est le dernier cas attestant l’implication militaire grandissante de l’Amérique dans la zone sahélienne ».
Entendu le 17 novembre 2009, lors des audiences du sous-comité sénatorial sur l’Afrique consacrées au « contre-terrorisme en Afrique », le sous-secrétaire américain aux affaires africaines, M. Johnny Carson, déclarait à propos du Sahel : « Le Mali est l’une des démocraties les plus stables d’Afrique, mais ses efforts pour conjurer l’insécurité dans le nord du pays sont sévèrement entravés par la pauvreté de ses infrastructures et son incapacité à fournir les services et les opportunités en matière d’éducation aux zones reculées. » Pour le Monsieur Afrique de la Maison Blanche, ces lacunes pourraient devenir problématiques dans le cas où l’AQMI, en fournissant nourriture et autres services, se serait « attaché la bonne volonté, ou au moins la tolérance, des populations vivant dans son voisinage (…) » (« Opening remarks for hearing on counterterrorism in Africa », 17 novembre 2009).
Le Nord Mali victime d’une prophétie autoréalisatrice
Les errements de l’antiterrorisme en Afrique
dimanche 3 janvier 2010
Al-Qaida au Sahara est-il vraiment Al-Qaida ? « Jamais le Sahara n’a été aussi fréquenté » En 1995, le journaliste africain-américain du New York Times Howard French, alors en poste sur le continent, rapportait de Bamako : « Les diplomates parlent aussi de ce pays enclavé comme d’un rempart contre l’islam militant qui s’étend à partir de ses frontières du nord avec l’Algérie » (« African Democracies Worry Western Aid Will Evaporate », 19 mars 1995).
Quinze ans après, la situation régnant dans le Nord Mali est de plus en plus complexe et brouillée, comme l’illustre une série d’événements survenus en novembre 2009. Découverte sur les terres de la commune isolée de Tarkint, à 150 km au nord de Gao, de la carcasse brûlée d’un antique Boeing 727, vraisemblablement arrivé d’Amérique latine, et qui aurait pu transporter plusieurs tonnes de cocaïne et sans doute des armes ; enlèvement d’un ressortissant français, Pierre Camatte, dans un petit hôtel de Menaka – 1 500 km au nord-est de la capitale – dont il assurait la gestion tout en se livrant à Tinderman à l’étude des plantes sahéliennes susceptibles de contribuer au traitement du paludisme ; kidnapping, quatre jours plus tard, côté Mauritanie, de trois membres espagnols de l’ONG Barcelona Accio Solidaria… : l’année se termine comme elle a commencé. Le 31 mai, un mois après la libération de deux diplomates canadiens enlevés près de la frontière Mali/Niger, un autre otage, le Britannique Edwyn Dyer, était assassiné, vraisemblablement par l’Algérien Abdhelhamid Abou Zaïd, numéro 2 d’El-Para (lire plus loin), qui pourrait être derrière la dernière vague d’enlèvements.
La complexité et l’imbrication des facteurs géopolitiques, humains, économiques dans cette zone requièrent l’emploi du conditionnel et ne permettent que d’échafauder des hypothèses. Pour autant, cela n’empêche pas la majeure partie des médias occidentaux de privilégier une seule explication : la « menace globale » d’Al-Qaida, qui serait incarnée dans le Sahel par l’AQMI (Al-Qaida au Maghreb Islamique, ex-GSPC), semble s’être rapprochée du Mali en 2009 (« Le Mali touché par la “menace globale” d’Al-Qaida », par Philippe Bernard, Le Monde, 3 décembre 2009).
L’intensification de l’aide militaire au Mali par l’administration du président américain Barack Obama – actée tout autant par le Département d’Etat que par celui de la défense – conforte cette lecture. Comme le note Vijay Prakash, directeur des études internationales au Trinity College d’Hartford, Connecticut (« Que se passe-t-il au Mali ? », Pambazuka.org, 16 novembre 2009) : « Depuis quelques années, le soutien militaire [américain – ndlr] au Mali s’intensifie. Derrière la lutte contre le terrorisme et la stratégie de ‘‘containment’’ d’Al-Qaida au Maghreb, des millions de dollars d’aide et des financements divers sont accordés à Bamako. » Le 20 octobre 2009, le Mali recevait ainsi de l’administration Obama plus de 4 millions de dollars de matériel militaire, dont trente-sept pick-ups Land Cruiser, matériel de communication, pièces de rechanges et tenues militaires au titre du programme CTTE (Counter Terrorism Train and Equip’). Succédant à un programme américain d’entrainement militaire des troupes de trois bases maliennes (dont le 33e régiment de parachutistes) par des conseillers des forces spéciales américaines, cette aide est destinée à renforcer les capacités du pays en matière de communication et de transport des équipes chargées de mener des programmes de contre-insurrection sur le territoire et ses frontières.
L’enveloppe allouée au CTTE est tirée du budget dédié à la partie subsaharienne de l’Afrique du programme FMF (Foreign Military Financing), financement en spectaculaire augmentation pour 2010. Le budget 2010 du FMF alloué à l’Afrique subsaharienne pourrait en effet augmenter de 300%, pour passer de 8,2 à 25,5 millions de dollars. Pour le chercheur Daniel Volman, directeur de l’African Research Project à Washington (« Obama moves ahead with AFRICOM », Pambazuka.org, 10 décembre 2009), l’aide militaire accordée au Mali « est le dernier cas attestant l’implication militaire grandissante de l’Amérique dans la zone sahélienne ».
Entendu le 17 novembre 2009, lors des audiences du sous-comité sénatorial sur l’Afrique consacrées au « contre-terrorisme en Afrique », le sous-secrétaire américain aux affaires africaines, M. Johnny Carson, déclarait à propos du Sahel : « Le Mali est l’une des démocraties les plus stables d’Afrique, mais ses efforts pour conjurer l’insécurité dans le nord du pays sont sévèrement entravés par la pauvreté de ses infrastructures et son incapacité à fournir les services et les opportunités en matière d’éducation aux zones reculées. » Pour le Monsieur Afrique de la Maison Blanche, ces lacunes pourraient devenir problématiques dans le cas où l’AQMI, en fournissant nourriture et autres services, se serait « attaché la bonne volonté, ou au moins la tolérance, des populations vivant dans son voisinage (…) » (« Opening remarks for hearing on counterterrorism in Africa », 17 novembre 2009).
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