Au départ était la mère, Keltoum Salhi, née pauvre en Algérie française en 1935. Aujourd'hui, elle est arrière-grand-mère d'un petit Breton aux yeux bleus. Comme 70 % des Français originaires du Maghreb, les générations suivantes ont abandonné la pratique de l'islam, mais sans oublier la culture du berceau de l'aïeule. Portrait d'une famille à quatre voix.
Keltoum, première génération. Keltoum Salhi est née en 1935, près de Chlef (Orléansville du temps des colonies) entre Oran et Alger, dans une famille très pauvre.
« Tout ce que je savais dire en français, c'était 'Cherchez-pas-bonne ?' pour trouver des ménages. » En 1954, un tremblement de terre ravage la région. Jeune mariée, avec Ahmed, elle part à Paris, pour nourrir Fatima qui vient de naître.
Après des logements d'urgence, la famille fait souche dans un T3 des Mureaux, dans l'ouest parisien. Keltoum y accouche de sept autres filles et de trois garçons. « J'étais comme une esclave. » Le jour où arrive une machine à laver, elle s'écrie : « Yallah, le fabricant va aller direct au paradis ! » La vie a été rude, et son mari, ouvrier, aussi. Il meurt en 1980, d'une congestion cérébrale.
À 75 ans, Keltoumn'envisage pas de retourner en Algérie. « Je suis très bien chez moi. » Elle n'a jamais porté le voile mais respecte les piliers de l'islam. Fait le bien tous les jours, à sa porte. Elle écoute Radio Orient - « il y a les bips pour la prière » - et regarde les émissions religieuses du dimanche sur France 2 : « Il y en a pour nous les musulmans. Après, c'est pour les Français ».
Keltoum veut être enterrée en Algérie. « En France, on doit payer le cimetière » et cela la « choque » (elle vit du minimum vieillesse). Elle sait que la question se posera pour les générations suivantes.
Fatima, deuxième génération. L'aînée des enfants Salhi est « la rebelle de la famille », celle « qui nous a ouvert la voie », disent ses soeurs. Elle a dû jouer les secondes mamans et a vite étouffé dans le T3. Quand elle réclame des sorties, on lui rétorque : « Tu vas déjà à l'école ! » Comme ses soeurs, Fatima ne parle pas l'arabe. « Les instituteurs ont dit à ma mère qu'il fallait parler français à la maison, sinon, on ne progresserait pas dans nos études. »
À l'adolescence, Fatima sent le poids de la communauté : « J'ai vécu dans le mythe du retour, avec la peur d'être mariée contre mon gré à un Algérien du bled. » Fatima doit son émancipation à une bonne âme des Mureaux, la femme du docteur Weiss. Elle l'emmène au Louvre, l'envoie en pension chez les soeurs catholiques de Montbareil, à Saint-Brieuc. Elle y rencontre des Bretonnes qui, elles aussi, veulent sortir de leur milieu.
En 1975, Fatima s'est mariée avec un Périgourdin, mais a divorcé pour s'épanouir au travail, dans une carrière dédiée au social, à Rennes.
Fatima loue parfois la chance de ne pas avoir eu de grands frères, trop protecteurs. De fait, les six filles aînées, qui toutes ont un bon métier, ont pris le pouvoir à la maison. Elles qui n'ont jamais appris une sourate du Coran s'interrogent sur la résurgence de la pratique religieuse. Elles l'attribuent à une génération d'hommes déboussolés, « élevés comme des dieux, moins assidus à l'école et discriminés à l'embauche. »
Une loi sur le port du voile intégral ne réglerait rien : « Pour éviter que les gens se coupent de la société, il faut réhumaniser les administrations. Quand nous étions petites, une assistante sociale passait. Elle connaissait nos difficultés. Aujourd'hui, notre mère doit attendre un mois pour un rendez-vous et doit se déplacer. »
À 54 ans, Fatima se sent rennaise, sans religion. Ce qu'elle garde de l'Algérie est culturel et familial : elle pratique l'hospitalité, mange peu de porc dans sa cuisine design, sait préparer le couscous. Mais « je ne fume pas et je ne bois pas d'alcool devant ma mère ».
Samia, troisième génération. La fille aînée de Fatima est une « pure Rennaise ». À l'âge des premières sorties entre amis, elle a pesté quand sa mère a craqué pour une vieille longère à la campagne. De son père, Samia, née en 1978, a gardé le nom: Boisseau. Poussée par sa mère « dans le social (rires) », elle le fait indirectement, en vendant « des médicaments génériques », après un master en action commerciale.
Lorsqu'elle est tombée amoureuse de Benoît, un Breton,il n'a même pas été question de ses origines algériennes. Elle ne voit aucun intérêt au débat sur l'identité nationale, « si ce n'est politique ». Samia se dit à l'aise avec son héritage. Pour elle, l'Algérie, qui l'a marquée par sa pauvreté lors d'un voyage vers 12-13 ans, s'est incarnée dans Keltoum (et ses tantes), avec qui elle a passé tous ses Noëls. Elle appelle sa grand-mère chaque semaine. « Je suis plus proche d'elle que ne l'est ma mère. » Et lui réclame des recettes de chorba, couscous, makrout(gâteaux de semoule).
Lunis, quatrième génération. Ses parents ont choisi ce prénom, dérivé de Lounès. Son quart de sang algérien fait friser ses beaux cheveux et ses grands yeux rieurs ont le bleu des Glénan. Comme tous les gamins de 5 ans, il aime les dessins animés japonais - « surtout Dinosaur King » -et ne mangerait que des frites. « Mamie Keltoum fait les meilleures », dans une bassine émaillée. Sa mère ne l'élève pas en garçon roi : « Il passe déjà l'aspirateur, il adore ! »
Christelle GUIBERT.
http://www.ouest-france.fr/actu/actu...43114_actu.Htm
Keltoum, première génération. Keltoum Salhi est née en 1935, près de Chlef (Orléansville du temps des colonies) entre Oran et Alger, dans une famille très pauvre.
« Tout ce que je savais dire en français, c'était 'Cherchez-pas-bonne ?' pour trouver des ménages. » En 1954, un tremblement de terre ravage la région. Jeune mariée, avec Ahmed, elle part à Paris, pour nourrir Fatima qui vient de naître.
Après des logements d'urgence, la famille fait souche dans un T3 des Mureaux, dans l'ouest parisien. Keltoum y accouche de sept autres filles et de trois garçons. « J'étais comme une esclave. » Le jour où arrive une machine à laver, elle s'écrie : « Yallah, le fabricant va aller direct au paradis ! » La vie a été rude, et son mari, ouvrier, aussi. Il meurt en 1980, d'une congestion cérébrale.
À 75 ans, Keltoumn'envisage pas de retourner en Algérie. « Je suis très bien chez moi. » Elle n'a jamais porté le voile mais respecte les piliers de l'islam. Fait le bien tous les jours, à sa porte. Elle écoute Radio Orient - « il y a les bips pour la prière » - et regarde les émissions religieuses du dimanche sur France 2 : « Il y en a pour nous les musulmans. Après, c'est pour les Français ».
Keltoum veut être enterrée en Algérie. « En France, on doit payer le cimetière » et cela la « choque » (elle vit du minimum vieillesse). Elle sait que la question se posera pour les générations suivantes.
Fatima, deuxième génération. L'aînée des enfants Salhi est « la rebelle de la famille », celle « qui nous a ouvert la voie », disent ses soeurs. Elle a dû jouer les secondes mamans et a vite étouffé dans le T3. Quand elle réclame des sorties, on lui rétorque : « Tu vas déjà à l'école ! » Comme ses soeurs, Fatima ne parle pas l'arabe. « Les instituteurs ont dit à ma mère qu'il fallait parler français à la maison, sinon, on ne progresserait pas dans nos études. »
À l'adolescence, Fatima sent le poids de la communauté : « J'ai vécu dans le mythe du retour, avec la peur d'être mariée contre mon gré à un Algérien du bled. » Fatima doit son émancipation à une bonne âme des Mureaux, la femme du docteur Weiss. Elle l'emmène au Louvre, l'envoie en pension chez les soeurs catholiques de Montbareil, à Saint-Brieuc. Elle y rencontre des Bretonnes qui, elles aussi, veulent sortir de leur milieu.
En 1975, Fatima s'est mariée avec un Périgourdin, mais a divorcé pour s'épanouir au travail, dans une carrière dédiée au social, à Rennes.
Fatima loue parfois la chance de ne pas avoir eu de grands frères, trop protecteurs. De fait, les six filles aînées, qui toutes ont un bon métier, ont pris le pouvoir à la maison. Elles qui n'ont jamais appris une sourate du Coran s'interrogent sur la résurgence de la pratique religieuse. Elles l'attribuent à une génération d'hommes déboussolés, « élevés comme des dieux, moins assidus à l'école et discriminés à l'embauche. »
Une loi sur le port du voile intégral ne réglerait rien : « Pour éviter que les gens se coupent de la société, il faut réhumaniser les administrations. Quand nous étions petites, une assistante sociale passait. Elle connaissait nos difficultés. Aujourd'hui, notre mère doit attendre un mois pour un rendez-vous et doit se déplacer. »
À 54 ans, Fatima se sent rennaise, sans religion. Ce qu'elle garde de l'Algérie est culturel et familial : elle pratique l'hospitalité, mange peu de porc dans sa cuisine design, sait préparer le couscous. Mais « je ne fume pas et je ne bois pas d'alcool devant ma mère ».
Samia, troisième génération. La fille aînée de Fatima est une « pure Rennaise ». À l'âge des premières sorties entre amis, elle a pesté quand sa mère a craqué pour une vieille longère à la campagne. De son père, Samia, née en 1978, a gardé le nom: Boisseau. Poussée par sa mère « dans le social (rires) », elle le fait indirectement, en vendant « des médicaments génériques », après un master en action commerciale.
Lorsqu'elle est tombée amoureuse de Benoît, un Breton,il n'a même pas été question de ses origines algériennes. Elle ne voit aucun intérêt au débat sur l'identité nationale, « si ce n'est politique ». Samia se dit à l'aise avec son héritage. Pour elle, l'Algérie, qui l'a marquée par sa pauvreté lors d'un voyage vers 12-13 ans, s'est incarnée dans Keltoum (et ses tantes), avec qui elle a passé tous ses Noëls. Elle appelle sa grand-mère chaque semaine. « Je suis plus proche d'elle que ne l'est ma mère. » Et lui réclame des recettes de chorba, couscous, makrout(gâteaux de semoule).
Lunis, quatrième génération. Ses parents ont choisi ce prénom, dérivé de Lounès. Son quart de sang algérien fait friser ses beaux cheveux et ses grands yeux rieurs ont le bleu des Glénan. Comme tous les gamins de 5 ans, il aime les dessins animés japonais - « surtout Dinosaur King » -et ne mangerait que des frites. « Mamie Keltoum fait les meilleures », dans une bassine émaillée. Sa mère ne l'élève pas en garçon roi : « Il passe déjà l'aspirateur, il adore ! »
Christelle GUIBERT.
http://www.ouest-france.fr/actu/actu...43114_actu.Htm
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