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    Takadoum, refuge de « transit » de tous les dangers : Le quartier clandestin de Rabat

    par Une Enquête A Rabat De Lamia Kaghat Le quotidien-D'oran

    Depuis quelques années, le Maroc est devenu ce que l’on appelle un pays de transit.

    Ce phénomène est frappant surtout dans le quartier populaire, Takadoum, en plein centre de la capitale. Ce quartier est ce lieu accessoirement dit de séjour par défaut, et ce, pour un nombre relativement important de migrants en situation administrative irrégulière en provenance essentiellement de pays d’Afrique subsaharienne. Pourquoi ont-ils choisi comme chef-lieu le quartier le plus dangereux de Rabat ? Comment font-ils pour y survivre malgré ses aléas de précarité ? A quel prix y arrivent-ils ? Et pour combien de temps encore ? Comment Etat(s) et clandestinité font-ils ménage ?

    Ce n’est un secret pour personne, le quartier le plus dangereux de la capitale est devenu le « quartier des Africains ». Tout le monde le sait, pourtant, les Subsahariens font tout pour éviter qu’on les remarque. Ils ont même des règles de discrétion et de prévention, surtout par rapport à la police : ils ne se promènent jamais en groupe, ne se réunissent pas dans des lieux publics et ne fréquentent pas les cafés.

    Même que pour rentrer chez eux, ils rasent les murs. Malgré toutes ces précautions, le « délit de faciès » les rattrape. Plusieurs le ressentent au travail ou dans leur quotidien. La plupart des Subsahariens ne comprennent d’abord pas ce comportement du peuple par rapport à leur couleur de peau, alors que les Marocains sont eux mêmes Africains. Et ils comprennent encore moins cette chasse à l’homme ouverte contre eux. En effet, depuis les derniers événements de Ceuta / Mélilia en 2005, ce quartier de Rabat est devenu, en quelques années, le refuge de milliers de Subsahariens. Face aux forteresses de ces deux enclaves espagnoles, ils préfèrent attendre le moment venu, et se réfugier en attendant dans ce quartier, telle une escale obligée de transit.

    Exploités, maltraités, ces Subsahariens sont parfois la cible facile de certains employeurs qui n’hésitent pas à profiter de leur situation pour les exploiter. Ils sont pour la plupart payés 50 % de moins qu’un Marocain, si ce n’est encore moins. On peut l’observer comme c’est le cas dans les Hammams, où l’on y trouve aujourd’hui plus d’Africains que de Marocains. Aujourd’hui, ces clandestins sont victimes aussi bien du peuple que de l’Etat. En effet, depuis ce phénomène, cette zone franche de brigands ouvre encore plus les portes à toutes sortes de vices, sans aucun scrupule. Pour le rêve européen, par esprit de survie ou encore pour payer les dettes en suspens de leur traversée périlleuse, ils sont nombreux à travailler dur à travers des petits boulots : cordonniers, maçons ou encore ouvriers du bâtiment. Mendicité parfois. Et tout cela, au « noir » , à un prix forfaitaire journalier. Par exemple, pour des chantiers de construction, un camion vient dans le quartier transporter ces ouvriers clandestins et les ramener à point nommé. Avenir incertain, pain incertain.

    Cette précarité à l’encontre de la dignité humaine, dénigre toutes les valeurs de l’Homme. La solidarité les sauve mais parfois elle ne suffit pas. Devant la peur et l’incompréhension face à cette traque : la plupart travaillent dans le quartier et évitent d’en sortir par mesure de sécurité. Certains, quant à eux, travaillent à l’extérieur sur le marché de Douar Lhajja : c’est le cas, par exemple, de ce cordonnier qui suit le même rituel depuis trois ans. Mais rares sont ceux qui prennent ce risque. Tout ceci parce qu’ils ont conscience qu’« au Maroc on n’est pas des clandestins mais des sans-papiers », comme l’a si bien souligné Hicham Rachidi, membre du réseau Migre Europe pour les droits des migrants. En effet, il n’y a pas de mystère, et ce, même pour ceux qui détiennent des papiers de demandeurs d’asile : ceux-là savent d’avance qu’ils n’obtiendront jamais leur statut officiel ni même officieux. Le facteur temps est à oublier.

    Après les employeurs, il y a ces marchands de sommeil, qui leur louent des chambres à des prix abusifs et exorbitants : dans des rues étroites, dans certains sous-sols de maisons délabrées, vivent plusieurs Subsahariens entassés dans une seule et même chambre. Ils leur arrivent même de dormir à trente dans la même pièce.

    Leurs conditions de vie sont abominables : ils vivent dans des taudis sombres mal aérés, sans aucune intimité. D’ailleurs, ce n’est pas étonnant de voir que dans ce quartier, il existe un grand nombre de personnes touchées par la gale. En 2009, il est vraiment choquant de constater que cette maladie existe toujours. Mais pour eux, ce toit n’as pas de prix, « on préfère cela plutôt que d’être dans la rue parce qu’on ne sait jamais ce qui peut y arriver. Ici, c’est plus sûr », avance l’un des locataires des lieux.

    Face à cette insécurité permanente, à Takadoum, il existe désormais une réelle organisation du quartier. Il y a pour commencer deux clans, d’un côté les Africains anglophones et de l’autre les francophones. Et pour éviter qu’ils ne se croisent, chacun a son propre secteur. Le quartier est ainsi divisé en deux. Il vaut mieux, sinon cela pourrait dégénérer. Les affrontements, s’il y a lieu, se font sur un terrain, créé pour l’occasion. Fréquents, ces combats sont très violents, et même que certains y ont parfois même laissé leur vie. Les Nigériens et les anglophones sont en général plus sanguinaires. Et c’est ceux qui se prêtent le plus souvent aux activités criminelles à travers des réseaux de crime organisé. Dans les rues de ce quartier, l’on rencontre aussi, régulièrement un ou plusieurs « chairman » qui sillonnent les rues accompagnés de deux gardes du corps.

    Un chairmain est attribué pour chacune des nationalités de la communauté (malienne, sénégalaise, etc..). Son rôle est de raquetter régulièrement et de ramasser le pactole au sein de sa communauté. C’est un véritable réseau qui s’est créé et les Nigériens sont les plus montrés du doigt : vente de stupéfiants, falsification de billets, et tout cela à leur compte sous la supervision de Marocains. Entre bons et méchants, ces clandestins ne savent plus où donner la tête et de qui se méfier dans leur propre communauté.

    En outre, dans ce quartier où les règles sont établies, l’atmosphère fait même fuir la police, qui ne s’y rend qu’avec une brigade et des renforts pour des rafles surprises et ponctuelles. Comment alors entre malfrats et policiers, les « bons » clandestins peuvent-ils survivre dans cet enfer ? Certains se sont créés leur bulle à travers leurs origines, et s’y sont accommodés. D’autres souffrent malheureusement de dépression profonde. Et pour le reste, ils s’accrochent à leur foi religieuse, même qu’une chorale 100 % africaine a été créée au sein de l’église évangélique de Rabat. Ils ont, en quelque sorte, redonné à cette église une âme oubliée. De plus, l’action des associations joue un rôle prépondérant dans leur vie quotidienne : ses membres actifs leur apportent par exemple des couvertures, prennent de leur nouvelles, les sensibilisent sur certaines maladies transmissibles, et bien d’autres choses encore. Omar est de ceux qui militent pour cela : tous les jours, il se montre disponible et à leur écoute.

    Il consacre quotidiennement tout son temps aux Subsahariens de Takadoum. Il connaît toutes les rues et ses recoins, toutes les histoires, toutes les joies, tous les rêves de ses habitants clandestins. Cette accessibilité, il la doit à son biculturalisme africain (anglophone et francophone), à son expérience, et surtout à ses actions spontanées au nom de l’humanité tout simplement. Bon ou mauvais, c’est vrai que l’on ne peut pas savoir qui sont exactement ces clandestins qui envahissent les rues de ce quartier, ou encore qui d’entre eux mérite de réaliser le rêve européen. Mais les laisser vivre de cette façon sans dignité aucune, sans valeur, sans intimité, sans vie, c’est être à l’opposé de ce que dicte la convention de Genève sur les droits de l’Homme. C’est tout simplement un crime que de se taire ou ne rien faire. Comment l’opinion internationale peut-elle être si amnésique et ne se concentrer que sur le rôle qu’elle a assigné au Maroc, celui de « gendarme » de l’Europe ? Le Maroc ne peut y arriver seul ? Il faut traiter les dossiers au cas par cas pour comprendre leur histoires, imposer des règles et des mesures bien établies dans le respect de la dignité humaine.

    Pressé d’obéir et de montrer leur efficacité, les gendarmes marocains prennent vite fonction pour organiser des rafles et envoyer ces clandestins du quartier de l’autre côté de la frontière en catimini. Explications : le Maroc n’a désormais plus de pouvoir quant à la décision d’octroyer le statut de réfugié aux migrants subsahariens, demandeurs de droit d’asile. D’après l’analyse juste de M. Mehdi Lahlou, rédacteur de plusieurs rapports sur la migration subsaharienne : « On assiste actuellement à une politique d’externalisation du flux migratoire. Le Maroc s’occupe de recevoir uniquement les demandeurs d’asile ».

    Par conséquent, « le problème est ailleurs. Le Haut-Commissariat aux réfugiés ne doit pas satisfaire les exigences européennes en interdisant aux personnes persécutées d’atteindre leur destination, c’est-à-dire l’Europe », nuance M. Khalid Jemmah, président de l’Afvic. Sans réponse aucune, le Maroc se contente depuis d’appliquer un seul et unique principe consistant à expulser les immigrés clandestins, vers le pays - généralement l’Algérie - qu’ils ont traversé pour entrer dans le royaume. Mais tout cela secrètement, puisque les frontières terrestres sont officiellement fermées. A l’insu des autorités algériennes, l’on risque d’assister bientôt à ce que l’on appellerait une expulsion massive vers l’Algérie.

    Le quotidien-D'oran
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