Peter Franssen Au milieu des années 1990, la Chine n’aurait pu continuer à faire croître son économie de façon explosive sans ouvrir les portes et gagner l’étranger. La République populaire enclenchait alors un processus qui, à peine quinze ans plus tard, montre qui sont les gagnants et qui sont les perdants. Les gagnants : la Chine et l’Afrique, l’Amérique latine et l’Asie. Le grand perdant : les États-Unis. En 1991, quand le mur de Berlin tombe et que l’URSS se désintègre, les USA affirme que le 21e siècle sera « le nouveau siècle américain ». Mais il s’est mué en désillusion. Aujourd’hui, sur tous les continents, leur influence régresse.Cet article est la première des quatre parties du dossier "Comment la Chine change le monde".
Depuis le début des années 1990, la Chine n’a pu accomplir sa croissance économique explosive sans l’aide de l’étranger. L’extension rapide de son économie requérait un afflux permanent de matières premières que la Chine ne pouvait tirer à 100 pour cent de son propre sol et de la mer.
À l’époque, le pays était déjà bien en route pour devenir le plus grand consommateur au monde de : cuivre, aluminium, plomb, nickel, étain, zinc, minerai de fer, huile de palme, coton, caoutchouc, acier… Ces vingt dernières années, la consommation de métaux en Chine a augmenté en moyenne de 17 pour cent par an. Pour pouvoir en assurer l’afflux constant, la Chine devait se tourner vers l’Asie, l’Afrique et l’Amérique latine.
Cette faim de matières premières ne sera pas apaisée de sitôt. Au cours des vingt prochaines années, la Chine entend maintenir une croissance économique de 8 pour cent par an en moyenne. À elle seule, la transhumance massive des habitants des campagnes vers les villes requiert déjà une économie tournant à plein régime. Aujourd’hui, près d’un Chinois sur deux est citadin. Les citadins sont actuellement 200 millions de plus qu’il y a dix ans. Au cours des quinze années à venir, 310 autres millions de campagnards migreront vers les villes. C’est plus que toute la population des États-Unis. En 2025, la Chine comptera 15 villes de plus de 25 millions d’habitants, 22 de plus de 10 millions et 23 autres encore de plus de 5 millions. Deux tiers de la population, soit au moins un milliard de personnes, vivra alors dans les villes. Pour les centaines de millions de nouveaux citadins, il va falloir construire des rues, des places publiques, des lignes de métro, des chemins de fer, des réseaux de distribution d’eau et d’électricité, des écoles, des hôpitaux, des magasins à grande surface, des centaines de milliers de blocs d’appartements et 50.000 gratte-ciel d’au moins de 30 étages. Même une nation aussi vaste que la Chine ne sera pas en mesure de fournir à elle seule tout le matériel indispensable pour accomplir cette révolution. Elle devra pour ce faire conclure des contrats de longue durée sur tous les continents.
Au début des années 1990 – et aujourd’hui encore – la Chine avait non seulement besoin de matières premières, mais aussi de capitaux, afin de créer des entreprises et aider des millions de gens à trouver du travail.
Elle avait besoin de techniques de management car, jusqu’alors, elle était encore en grande partie un pays agricole. Où fallait-il aller puiser les connaissances nécessaires pour diriger une industrie moderne ?
Le pays avait également besoin de technologies modernes parce qu’il ne voulait pas d’une productivité du travail qui, en gros, aurait eu un siècle de retard sur les pays industrialisés modernes.
Il avait en outre besoin de marchés à l’extérieur afin d’y vendre sa production de masse et, de la sorte, rentrer des capitaux afin de donner de l’oxygène à son économie.
Bref, la Chine devait sortir de chez elle et ouvrir ses portes.
Le sage conseil de Deng
À l’époque, Deng Xiaoping avait 90 ans. Apparemment, il n’était pas encore trop âgé pour présenter un code de bonne conduite dans les rapports avec l’étranger. Le code comprend 28 caractères de l’écriture chinoise et propose sept conseils : 1) lengjing guancha : analysez les développements avec calme ; 2) chenzhuo yingfu : abordez les changements avec confiance et patience ; 3) whenzu zhenjiao : assurez notre propre position ; 4) taoguang yanghui : ne vous vantez pas de ce que nous pouvons faire et ne vous placez pas sous les projecteurs ; 5) shanyu shouzhuo : gardez un profil bas ; 6) juebu dangtou : ne réclamez jamais le commandement ; 7) yosuo zuowei : cherchez les réalisations.
Ces conceptions sont surtout d’application dans les relations avec les États-Unis. La Chine était convaincue que les relations avec les États-Unis seraient les plus importantes. Ce pays a la plus grande économie, le pouvoir politique le plus étendu et l’armée la plus puissante au monde. Les Américains pèsent également comme un poids mort sur les pays en développement. Au début des années 1990, l’influence américaine était si grande que très peu de pays seulement osaient ne pas tenir compte des desiderata américains. Une fois que la Chine, où vit à peu près un cinquième de la population mondiale, est allée de l’avant, les rapports dans le monde ne pouvaient que se modifier.
Au moment où la Chine a ouvert la porte à l’étranger et qu’elle est sortie de ses frontières, le mur de Berlin était déjà tombé et l’Union soviétique, sous la direction de Gorbatchev, avait déjà éclaté. Dès lors, les États-Unis se crurent seigneurs et maîtres. Ils proclamèrent l’unipolarité et affirmèrent que la multipolarité – la démocratie dans les relations entre États – n’était pas une bonne chose. La multipolarité est exécrable, déclara la secrétaire Condoleezza Rice. Inefficace et nocive, surenchérit la marionnette britannique Tony Blair. Aux États-Unis, il y eut même des gens et des groupes pour dire que le 21e siècle ne pourrait être que le siècle de l’Amérique. C’est parmi ces gens que, dès 2000, on allait retrouver les ténors du gouvernement Bush.
La Chine devait donc se montrer extrêmement prudente et faire montre de beaucoup de tact pour ne pas provoquer l’Amérique, il lui fallait garder un profil bas et nager sans faire de vagues.
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