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Le clan et l’argent de Sonatrach

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  • Le clan et l’argent de Sonatrach

    Dans la compromettante formule de Chakib Khellil, y avait-il simplement un lapsus révélateur ou bien était-ce clairement un appel au secours ? Lorsqu’on est ministre d’une République et que l’on s’exprime officiellement, le moindre propos engage votre sincérité jusqu’à être débité sur vos «non-dits».
    «Je ne me suis jamais senti visé dans cette affaire, ni moi ni le clan présidentiel»(1), disait-il aux journalistes qui l’interrogeaient.
    Une assertion dans laquelle le mot «clan» fait froncer les sourcils en haut lieu. De par sa connotation péjorative, il est peu recommandable à l’usage, notamment quand il s’agit de défendre la chose publique et de se prévaloir des servitudes de l’Etat.

    De même que le terme «coterie», avec son odeur de souffre, est interdit dans le lexique des hommes de pouvoir, celui-là est franchement banni de leur vocabulaire par la traditionnelle hypocrisie de la politique.

    Or le contexte dans lequel ce ministre a eu recours à ce vocable constitue un impair significatif.

    L’opinion, qui n’est pas aussi assoupie qu’il se dit, a tout de suite noté cet écart de langage. Elle, qui sait parfaitement ce que le tribalisme peut valoir d’avantages à ceux qui le cultivent, a désormais sous les yeux une illustration vivante et agissant.

    Car au-delà de l’interprétation sémantique des paroles de ce ministre, n’y aurait-il pas quelques allusions de sa part ?

    Le clan, cette loge quasi maçonnique édifiée sur une certaine idée du bouteflikisme, est, cette fois, cité en tant que tel. Sans euphémisme, sans paraphrase ni jargon d’appareils. Le vocable est bref dans son orthographe mais lourd de signification de la part de celui qui l’a usité sciemment par une sorte de transgression d’une omerta.

    Pris dans la tempête d’un scandale national, ce membre influent du régime exige implicitement la rescousse de l’ensemble des prétoriens. Comme s’il désirait à la fois bénéficier de leur solidarité et dans le même temps les convaincre que les révélations sur l’affaire Sonatrach ne causeront pas seulement sa propre perte.

    Bien plus qu’un plaidoyer pro-domo, il adresse un message crypté au premier cercle qui serait tenté de le sacrifier pour la grande cause collective. Ne se contentant pas de mettre en garde la «famille», il se fait également procureur de la presse et des experts qui se sont exprimés.

    Tous complices, selon lui, par leurs «interférences» (sic) dans la sérénité de la justice. Un délire de plus, évidemment. Comme si le devoir du journaliste n’est plus de poser des questions et surtout d’exiger des réponses mais d’escamoter les turpitudes des puissants.

    Quant aux spécialistes dont il fustige l’opportunisme, comment peut-il oublier qu’ils eurent trop de fois raison contre sa politique énergétique mais, hélas, furent écoutés bien tard.

    En effet, lorsqu’en la circonstance, il met de l’ironie à brocarder l’analyse d’un ancien vice-président de Sonatrach («tout le monde connaît Chakib Khellil mais qui parmi vous connaît Hocine Malti ?», dit-il), peut-il en dire autant de Ghozali lorsqu’en octobre 2002, celui-ci instruisit le procès d’un certain… Chakib Khellil qui s’apprêtait à brader la souveraineté énergétique de l’Algérie ? L’homme qui l’avait violemment critiqué à cette époque n’était pas un illustre inconnu.

    Aussi lorsqu’il est parti en croisade contre ce qui allait se commettre à travers la loi que préparait l’actuel ministre, il se retrouva presque seul.

    Aussi avait-il fallu attendre l’été 2006 pour que le chef de l’Etat admette l’immense erreur et abroge un texte dont ce ministre en a été l’inspirateur, l’architecte et le promoteur. Etonnamment, le désaveu du président de la République ne lui fut pas préjudiciable dans sa carrière. Il garda son poste et la confiance de celui qui l’a désigné et pour qui il a pourtant été d’un mauvais conseil !

    C’est dire que le ciment du «clan», qu’il nomme désormais, est en béton.

    D’ailleurs, l’aplomb qu’il met à claironner son refus de démissionner témoigne de la protection politique dont il bénéficie. Alors que le faisceau des accusations converge sur son nom, il se refuse de s’expliquer sur le fond, faisant valoir son statut de ministre bien au-dessus des actes d’intendance. Un louvoiement avec la vérité du terrain qui ressemble à une maladroite dérobade quand la réalité est tout autre.

    Car il n’est un secret pour personne, aussi bien dans la sphère politique que dans le milieu des affaires, qu’il exerçait un contrôle étroit sur cet empire. L’affaire de Sonatrach n’est pas une banale question de corruption mais une atteinte au nerf vital du pays. Par ses nombreuses ramifications, il y en a une qui touche à la crédibilité extérieure de l’Etat, affaiblissant ainsi ses capacités de négociations et d’échange.

    Face à ce désastre majeur, le président de la République, a-t- il encore le droit et la latitude d’observer une pareille réserve ? La question est solennellement posée car dans la solitude de son magistère, on peut s’imaginer qu’il est, ces derniers temps, un peu plus seul à juger, jauger et trancher. Or cette silencieuse attitude qui dure exaspère aussi le pays.
    Il enrage que le plus officiel des officiels ne s’adresse pas à la nation.

    A force de nier certaines évidences en se réfugiant dans le mutisme, il pousse le pays à la dépression. Certes tout pouvoir se conçoit initialement dans les coteries, mais il ne se légitime par la suite que dans le suffrage. Or, l’on ne gouverne bien et dans la durée qu’en mettant à l’épreuve les hommes et les femmes à qui furent délégués des charges et des missions. Parlez donc Monsieur le Président, l’Etat est littéralement en danger ! Etant au-dessus de tout soupçon, votre «clan» à vous n’est-il pas la communauté nationale ?

    (1) El Watan du 3 février (p. 3)

    Par Boubakeur Hamidechi, Le Soir
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