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Sadek Aissat réédité en Algérie

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  • Sadek Aissat réédité en Algérie

    Sid-Ali Semiane, préfacier de la réédition chez Barzakh et en un seul volume, des trois romans de Sadek Aïssat, a sans doute écrit son plus beau texte.

    Avec une écriture trempée de sensibilité, sans jamais sombrer dans la sensiblerie, il a trouvé les mots et surtout le ton pour dire à la fois l’homme qui fut son ami et l’écrivain qui l’a touché.

    Dans cet « istikhbar » sur « Sadek l’indien », SAS raconte comment il l’a connu et ce qui les rattachait à travers la ligne discontinue du chaâbi. « Le chaâbi jusqu’à l’obsession. Des nuits entières à écouter des vieux enregistrements, pourris le plus souvent, et dans sa cuisine, toujours dans la cuisine, lieu de fraternité. L’un, face à l’autre, jusqu’au petit matin ». Ce partage n’était sans doute pas le fruit d’un goût musical commun car, comme tous les genres authentiques, nés directement du creuset de l’existence, le chaâbi est une cosmogonie sociale, un univers poétique et même un mode de vie non limitable à ses expressions sonores.

    Plus loin, le préfacier ajoute : « Il voulait un jour pouvoir consacrer, ce qu’il appelait l’œuvre de sa vie, un livre à El Anka. Le livre que ce dernier mérite réellement. Un vrai livre à la dimension de l’art du cheikh. Pas un de ces fascicules laids et sans intérêt. Sadek est parti trop tôt. Mais en relisant ses livres, je me dis que non. Sadek, sans le savoir, a fait ce livre. Toute son œuvre s’inscrit dans et autour d’El Anka. El Anka en est la trame, l’âme, la colonne vertébrale. Même l’écriture est empreinte de l’esprit ankaoui. » On peut l’affirmer, en effet, en parcourant les trois romans de Sadek Aïssat : L’Année des chiens, La Cité du précipice et Je fais comme fait dans la mer le nageur, titre à la référence chaâbie évidente.

    Emporté par une crise cardiaque le 6 janvier 2005, à Paris, Sadek Aïssat avait parlé à plusieurs de ses proches du projet du livre sur El Anka. Et Sid-Ali Semiane a bien raison d’affirmer que toute son œuvre interrompue, mais riche de trois romans à l’écriture particulièrement forte et originale, était tout entièrement conçue comme un hommage à El Anka, non pas tant en parlant du maître qu’en s’appropriant sa vision, ses valeurs et ses codes. Ainsi, Sadek Aïssat est sans doute l’un des rares écrivains au monde et, en tout cas le seul en Algérie, qui ait arrimé son écriture à un « genre musical » et, à ce titre, il n’est pas superfétatoire d’avancer qu’il a été en quelque sorte le créateur de la littérature chaâbie algérienne et, pour l’instant, son seul disciple.

    On y trouve, ça et là, des citations de textes chaâbis, la plupart interprétés par El Anka, intégrées dans le corps du texte ou mises en paragraphe, telle celle-ci : « Si les montagnes avaient été habillées d’amour, elles se seraient effondrées. »

    Mais l’ensemble de l’écriture de Sadek Aïssat respire le chaâbi dans ses expressions, ses modes, ses procédés allusifs, sa verve poétique et un esprit de chevalerie urbaine qui arbore des valeurs de dignité, d’humilité, de justice et de dédain des bassesses.

    Le rythme même de l’écriture semble calqué sur ceux du chaâbi, percussions permanentes et voix qui affrontent les graves et les aiguës pour subitement emprunter le phrasé ordinaire. Et Sadek Aïssat va parfois jusqu’à structurer le roman en subdivisions chaâbies comme dans L’Année des chiens qui se termine par un khlass (clôture en chaâbi, emprunté à la musique andalouse dont le genre est issu) ou La Cité du précipice qui commence par une touchya (ouverture). Cette démarche littéraire (mais s’agit-il d’une démarche, au sens volontariste de la chose ?) ne provoque pourtant jamais l’impression d’un forcing, d’une valorisation empruntée du patrimoine ni surtout la lassitude.

    Car Sadek Aïssat ne plaque pas des éléments du chaâbi dans son écriture, mais les intègre naturellement. Avec un style apuré, fluide, agréable, même sur le registre de l’horreur et de l’indignation, sa matière première chaâbie, coulant de source, est présente dans l’ensemble des moments de ses romans. Elle affleure parfois de la ligne de flottaison, mais même invisible, se laisse sentir dans les constructions des phrases, les métaphores, le lexique.

    Comme s’il avait chanté en pensée tout en écrivant de la main !

    Et cette faculté prend davantage de force et d’invisibilité du premier au troisième roman, révélant la maîtrise grandissante de l’auteur. Pour autant, ce référent subliminal au chaâbi, et à d’autres éléments du patrimoine algérien, n’est pas conçu ni senti comme un quelconque recours passéiste. Nous avons affaire à une écriture résolument moderne, s’inscrivant dans les meilleurs standards de la littérature contemporaine, qui ne sacrifie pas aux idoles de l’autofiction ni aux complications stylistiques néo-quelque chose.

    Il s’agit d’histoires qui se lisent, se suivent, se comprennent et se sentent. Et si El Anka est si présent, il est aussi ouvert que l’était le maître dans la vie (lui qui aimait tant le jazz en privé) et, dès lors, il n’est pas étonnant de croiser, au détour d’une phrase, John Lennon ou Gilmamesh ou El Moutannabi…

    Surfant sur les fantasmes des jeunes et moins jeunes algériens, ses romans composent une fresque sensible de l’histoire récente du pays : des années de plomb, mais surtout des événements d’octobre 1988, de la montée de l’islamisme, de l’apparition du terrorisme, de l’exil surtout, entamé pour Sadek Aïssat en 1991. Dans cette thématique, des personnages vivants, attachants, viennent se mettre en écriture, comme on se met en scène, le plus souvent par l’entremise du narrateur. On y retrouve, inscrits en creux et parfois discrètement mis en relief, les éléments autobiographiques de l’auteur et les lieux et univers des différentes étapes de sa vie.

    Le quartier, El Harrach où il grandit après que ses parents furent expropriés de Réghaïa où il est né en 1953. Le monde du savoir avec ses études de sociologie à l’université d’Alger. Le monde de la politique avec ses engagements estudiantins et partisans, dont son adhésion au PAGS (Parti d’avant-garde socialiste) qu’il quitta lors de son premier congrès de 1990. Le monde du journalisme avec un passage de trois ans à Algérie Actualités (1989-1991). Le monde intime, parents, grands-parents et son épouse Akila et leurs deux filles. Enfin, le monde de l’exil avec ses ouvertures, mais sa terrible mélancolie et dont ses romans, tous écrits en France, sont imbibés.

    Sadek Aïssat n’est plus là, mais son œuvre trace des chemins qui pourraient éclairer de nouveaux auteurs, comme lui-même relaya d’autres et notamment Kateb Yacine dont l’écriture le fascinait, ayant hérité de sa « nervosité », cette sorte de rythme saccadé qui sait ménager des coulées plus longues et plus enveloppées. En publiant en un seul volume ses trois romans, les éditions Barzakh ont réalisé là une véritable œuvre d’utilité culturelle car, Sadek Aïssat a très peu été diffusé en Algérie, à l’exception de son dernier roman, déjà publié chez le même éditeur.

    La formule des trilogies, déjà pratiquée par Barzakh avec celle de Mohammed Dib, est non seulement économique mais intéressante par ses possibilités de parcours littéraire. Celle-ci est copieuse avec la préface précitée, mais également la postface de François Maspero (lire interview ci-contre), un cahier de photos et plusieurs annexes qui éclairent sur l’homme et l’écrivain, dont ce texte subtil de Sofiane Hadjadj sur la thématique du nageur dans la littérature. De nombreux Algériens pourront découvrir une œuvre qui mérite une place de choix dans notre littérature par ses effets novateurs et sa sincérité. Ils pourront faire comme fait dans la littérature le lecteur. Soit se noyer d’émotions, de pensées, de vérités et de rêves.

    Sadek Aïssat. L’Année des Chiens. La Cité du précipice. Je fais comme fait dans la mer le nageur. Ed. Barzakh, Alger, 2010. 450 pages. Publié avec le soutien du ministère de la Culture.

    Par El Watan

  • #2
    «Arracher le mot du ventre» comme écrivait Charles Peguy, ou «écrire de ses tripes» comme le désignait François Maspero. En évoquant la littérature de Sadek Aïssat, c’est cela exactement ce que l’on ressent en effet.

    Dans ses romans réunis sous un triptyque grâce aux éditions Barzakh, les mots de cet ancien chroniqueur de la presse et de survie surtout devenu par la force des choses, un écrivain, outre-mer, sentent la souffrance de la peine ressentie et de la tâche accomplie.

    Son ami Maspero le compare aussi à Kateb Yacine, ce qui n’est pas rien. Cet ancien militant du Parti communiste qu’était Sadek Aïssat, s’était réfugié en France à partir de 1991, mais ce qu’il croyait être qu’une «migration touristique» avec sa femme et ses deux filles, s’est transformée comme une évidence imposée par le destin.

    L’Algérie sombrait alors dans la folie. Une folie qu’il voulait conjurer par l’écriture.


    Et il y resta.

    L’Algérie au coeur, sa littérature, par dignité ou par pudeur, se tournait vers ces gens éloignés, dans la marge, désarçonnés et sans horizon fixe. Aussi, nous retrouvons dans ce livre faramineux de plus de 400 pages L’Année des chiens (1996), La cité du précipice (1998) et Je fais comme fait dans la mer le nageur (2002), autrement dit résister, prendre son souffle et foncer en tentant de braver les obstacles, clin d’oeil à un titre d’une chanson d’El Anka. Il y a de la tragédie, dans tous ces romans, mais un semblant de vie quand même. Une déchéance béante entachée d’une échancrure de lumière de.. Mais la désillusion hélas! est au bout du canon comme un rappel à l’ordre fatidique.

    Il y a peut-être ceux qui se plaisent à peindre le beau et ceux-là qui lui préfèrent l’enfer ici-bas.

    Sadek Aïssat fait partie de cette race dont la plume est gorgée comme dirait Sofiane Hadjadj dans ce livre, d’ une forme «de consciencieuse mélancolie». Sadek Aïssat avait pour arme l’écriture comme exutoire afin d’épancher la solitude oppressante des damnés de la terre condamnés à errer sans but précis. Lui, écrivain des profondeurs vraisemblablement, avait entrouvert son champ de vision, comme un nageur, sa barque, un but qu’il s’est fixé immanquablement et s’est juré de ne pas lâcher, se fondre dans cet eau brumeuse de l’encre et sonder les méandres de l’âme tortueuse et torturée de l’être humain.

    De l’exil intérieur

    Ses livres sont accompagnés de post-it. Ses romans, il les a écrits effectivement comme cela, le premier dans le métro, la tête plongée parterre pour ne voir personne juste lui-même et sa mémoire. Outre l’écriture, Sadek Aïssat cultivait une autre passion-on se demande laquelle est la première?- la musique chaâbi. Celle-ci traverse ses trois romans en long et en large. Nuit et jour, matin et soir. Dans les rares moments de bonheur ou les plus sordides. Le chaâbi est là comme seul remède aux nuits blanches du poète Sadek. L’Année des chiens se décline sur plusieurs parties. Ce roman se présente comme une mémoire d’outre-tombe de diverses loques humaines se racontant à la première personne. Il eut l’année du tremblement de terre, des sauterelles, ainsi celle des soldats sillonnant les rues avec des chiens ou «l’autorité annonça la guerre». Et puis, la folie et la mort...Il y a ici un peu de cette agonie suicidaire que l ’on retrouve dans le recueil de nouvelles L’Homme qui n’existait pas de Habib Ayyoub. L’écriture de Sadek Aïssat est d’une beauté ravageuse. Intensément poétique. Il écrit à la page 163: «L’attente corrompt la fixité du temps et la perspective immobile des yeux plante l’oriflamme de sa forfaiture triomphante dans le corps défait des anciennes certitudes. On y puise certainement, un peu de ces lâches justifications qui nous permettent de survivre.»

    Des mots (aux) d’El Anka

    La Cité du précipice est encore plus horrible, rongée de douleurs et de personnages presque monstrueux, dont «Boualem Pas de Chance». Son quotidien terne est fait de monotonie et de chagrin. Il pisse dans son lit en dormant. Il est question aussi de frères dont un meurt dans un attentat. Référence aussi à octobre 1988. Tout n’est que lassitude et mortification dans cette cité qui pue la charogne et la misère. Même après le passage ensoleillé de cette jolie cousine émigrée dont une visite dans la Casbah s’est imposée par elle-meme. L’écriture poétique de cet «Indien apache» Sadek Aïssat se confirme avec un je-ne-sais-quoi de relent, de nostalgique comme ces refrains moult fois chantés par le Cardinal, Hadj Mhamed El Anka. Et puis du sang partout. Il y a Mohamed qui rêve de faire des films. Exilé à Paris, il finit par s’immoler. On y lit aussi les turpitudes de Boualem qui s’est fait emprisonner. Son frère Hamid a été enrôlé par les islamistes, puis tué. Boualam est assassiné à la sortie de la mosquée par des soldats, la chaussure dans la main. Une mort absurde. L’ouvrage est ponctué à ce moment-là d’images en noir et blanc de Sadek Aïssat. Des photos cédées par sa femme Akila Aïssat, où l’on découvre son mari, notamment avec l’écrivain égyptien, Albert Cossy, en décembre 1995, Sadek Aïssat lors d’une réunion de l’Unija ou encore dans un Centre de formation de jeunes filles à Sidi Fredj, le 25 mai 1981 aux côtés de Lucette et Bachir Hadj Ali en 1981. De la mélancolie, résigné encore dans le troisième et dernier roman, hélas de Sadek Aïssat. De la lucidité enfin? Dans je fais comme fait dans la mer le nageur, l’artiste-écrivain raconte, nous plonge dans l’enfer du foyer Sonacotra de Saint-Genièvre-des-Bois, ce «pays étranger, une zone franche qui n’appartient à aucune terre», là ou résident ces laissés-pour-compte «qui ne veulent plus rentrer chez eux, car cela fait si longtemps qu’ils n’ont plus de chez eux». Il y a aussi cet amour arraché à la vie entre ce personnage Dz qui a jeté ses papiers dans le canal et Sien, cette prostituée, de père algérien et de mère française ou vice versa-peu importe- qui nouent une passion commune pour la littérature, elle qui aime écrire mais sans y mettre une virgule comme retenant son souffle. Deux «entre-largués» dans une petite chambre humide, narguant le plafond et conversant sur Le Clézio, notamment avec le chant du Cardinal en arrière-fond. Vision d’une tendresse accablée.

    Et puis il y a tous ces fantômes, du passé, du présent et cette araignée comme fidèle compagne...Mais aussi la bouteille et El Anka pour toujours. Des personnages aussi sortis de l’imaginaire, d’autres bien réels qui viennent se confondre avec le réel tel Sas qui fait irruption forcément dans ces écrits.

    Sas, l’autre ami et compagnon de Sadek Aïssat, que ce soit en exil, en France ou au journal Le Matin. Sas signe d’ailleurs ici une belle et pathétique préface en hommage à celui qui a disparu trop tôt, juste la cinquantaine en 2005.

    Ce livre qui rassemble ainsi ses trois romans est aussi accompagné de tendres témoignages émouvants de ses amis et des articles à la mémoire de Abderrahmane dit Saddek Aïssat.

    Par O. HIND, l'Expression

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