Je ne suis pas une spécialiste de la «mobayaâ», thème précis de ce colloque, j’ai beaucoup appris en écoutant tous les intervenants sur ce sujet, notamment le fait qu’il existe différentes «mobayaâ». La plus élevée étant la grande allégeance faite à Dieu, différents versets du Coran venant à l’appui de cette démonstration. La «mobayaâ» trouvant ses racines dans les textes religieux d’autres types de «mobayaâ» peuvent se décliner de la principale.
Dans les déclinaisons, je connais personnellement une forme d’allégeance dans le soufisme entre le maître et le cheminant- disciple. Je voudrais préalablement à mon intervention sur l’Emir Abdelkader faire un commentaire sur le terme «mobayaâ». Il s’agit d’un problème de sémantique, voire de traduction. Le terme «mobayaâ» qui est ici vu à travers le titre même du colloque «La symbolique de la mobayaâ chez l’Emir Abdelkader» est traduit par tous les intervenants par le mot allégeance. J’ai un désaccord sur cette traduction. Le terme allégeance implique une soumission quasiment à sens unique. Dans ce cas précis, il s’agit davantage d’un pacte que d’une allégeance. Pourquoi ? L’Emir avait une vraie vision de ce que pouvait être une nation, il savait qu’il ne pouvait construire une nation algérienne sans unifier les tribus et que le talisman de la victoire se trouvait dans l’unité. Il a donc proposé un projet politique dont la réussite dépendait largement du soutien et de l’unification des tribus. Ces dernières ont adhéré. De part et d’autre, ils étaient les acteurs de leur propre vie, de leur propre avenir. C’est pourquoi, je préfère à allégeance qui est un terme passif le mot pacte qui est actif et cela par considération pour les deux parties en présence.
L’Emir Abdelkader : un modèle positif
J’en viens maintenant à évoquer la grande figure de l’Emir Abdelkader en vous expliquant pourquoi la vie de ce héros positif m’a toujours questionné. Au- delà d’une très modeste proximité spirituelle, je suis une femme politique et l’Emir Abdelkader, homme aux multiples talents, était aussi un homme politique, visionnaire dans sa conception d’un Etat, d’une part, et d’une probité intellectuelle rare, d’autre part. Comme le disait Levinas : l’exigence éthique s’impose à chaque être humain. Elle est l’impérieuse responsabilité qui incombe avec un peu plus de gravité à l’homme politique qui est « de prendre sur soi le destin d’autrui». Pour l’Emir Abdelkader, cette fraternité au sens le plus fort est l’un des fondements du sentiment d’humanité. Le message de l’Emir d’une grande valeur éthique est à revisiter dans un monde où prédominent le compassionnel et l’émotionnel sur un plateau télé au détriment du fond et des valeurs. Un monde dominé par les médias où tout s’efface pour survaloriser et amplifier l’égo. Les hommes et les femmes politiques qui se réclament du message de l’Emir Abdelkader doivent briser le miroir et faire valoir dans leur comportement leurs paroles, leurs actes, ce pourquoi ils exercent un magistère : l’intérêt général et la justice sociale. C’est en cela aussi que l’Emir Abdelkader reste un exemple et qu’il le restera pour les générations futures. Il est pour moi un modèle positif d’identification. Vous l’aurez compris, il est très important de trouver un référent de ce niveau dans sa propre culture. L’Emir Abdelkader : le soufi L’Emir Abdelkader a su être homme d’Etat et stratège, résistant et guerrier, humaniste et mystique, poète et administrateur, financier et logisticien, négociateur et fin diplomate, et surtout précurseur des droits humains, concept préfigurant celui des «droits de l’homme». Il s’est distingué par une rare unité entre l’action et la pensée poursuivant aux frontières du possible la mise en œuvre de ses principes et valeurs.
On ne peut comprendre la personnalité de cet homme qu’en se référant à l’enseignement reçu de Mahieddine, son père, membre éminent de la Qadiria qui représentait à cette époque la fibre active du soufisme. Qu’est-ce que le soufisme : il existe plusieurs définitions du soufisme. Je vais vous donner la mienne – celle de mon vécu. Le soufisme est le cœur de l’islam. C’est la voie de l’unité dont la réalité se trouve au fond des êtres. C’est une imprégnation dans la face ésotérique du Livre sacré, dans la poésie, la musique, voire la danse qu’il inspire grâce à une lecture ou une écoute activée. C’est cet art poussé à l’extrême qui permet d’aller chercher en nousmêmes l’état primordial, l’état d’origine. Ce n’est pas seulement le dogme, c’est l’essence des choses qui amène à prendre conscience de son âme. C’est le sens de la spiritualité telle qu’elle est vécue par ceux qui cheminent sur la Voie. Le soufisme, c’est se perdre en soi pour mieux se retrouver. Et si l’Emir Abdelkader se perdait en lui-même c’est pour mieux trouver une unité dans l’action qui sera la sienne tout au long de sa vie. Les soufis appelés les «fils de l’instant» sont paradoxalement aussi les «gens du souvenir» parce qu’ils se remémorent dans le dikr toute la chaîne des prophètes dont chacun manifeste l’un des aspects de la sagesse divine. Ils sont à l’image du socle abrahamique dans le vrai sens latin du mot religion «ce qui relie». Le soufisme a fourni à l’Emir Abdelkader une source intarissable de lumière et d’inspiration en ce qu’il place l’homme en position centrale. L’Emir Abdelkader est ce fils de l’instant, également le fils du souvenir mais aussi fils d’aujourd’hui et surtout fils de l’avenir, donc fils de toujours. Ses écrits, son expérience sont des témoignages vivants de la fidélité et de la continuité de cette voie soufie mohammadienne. Cette voie où le temporel et le spirituel se fondent l’un dans l’autre. C’est dans l’œuvre d’Ibn Arabi, pourtant distant de plusieurs siècles, qu’il va puiser non pas son inspiration mais un langage et un style pour témoigner de l’indicible. Poètes tous deux dans la pure tradition arabe, ils n’en seront pas moins capables d’une écriture analytique qui domine dans leurs œuvres respectives.
Parmi tous ses écrits, l’Emir Abdelkader laisse à la postérité le «livre des haltes» Kitab el mawakif, texte majeur qui nous rappelle la dimension intérieure et profonde de l’Islam qui, malheureusement, nous fait tant défaut aujourd’hui. Il nous dit : «Il y a peu d’hommes religieux qui sont les détenteurs et des champions de la vérité ; quand on voit des personnes sans lumière s’imaginer que le principe de l’islam est dureté, rigueur, extravagance et barbarie, c’est la cas de répéter ces mots : la patience est une belle chose et c’est en Dieu qu’il faut se réfugier.» C’est la vision de l’unicité de l’existence qui inspirera l’Emir : pensée et action. C’est cela qui le conduit, loin de se réfugier dans les délices de la conversation avec Dieu, à prendre part aux mouvements de son siècle. Cette pensée novatrice est le ferment de la prise de conscience par l’élite du monde arabe de son arabité et de son islamité comme creuset culturel et politique. Cette pensée inspirera, après lui, la nahda, mouvement de l’éveil de «renaissance» de la nation arabe. Son influence dépassera le cadre du monde arabe. Le renouveau spirituel initié par René Guénon en Occident est issu de l’action bienfaitrice de l’Emir.
Dans les déclinaisons, je connais personnellement une forme d’allégeance dans le soufisme entre le maître et le cheminant- disciple. Je voudrais préalablement à mon intervention sur l’Emir Abdelkader faire un commentaire sur le terme «mobayaâ». Il s’agit d’un problème de sémantique, voire de traduction. Le terme «mobayaâ» qui est ici vu à travers le titre même du colloque «La symbolique de la mobayaâ chez l’Emir Abdelkader» est traduit par tous les intervenants par le mot allégeance. J’ai un désaccord sur cette traduction. Le terme allégeance implique une soumission quasiment à sens unique. Dans ce cas précis, il s’agit davantage d’un pacte que d’une allégeance. Pourquoi ? L’Emir avait une vraie vision de ce que pouvait être une nation, il savait qu’il ne pouvait construire une nation algérienne sans unifier les tribus et que le talisman de la victoire se trouvait dans l’unité. Il a donc proposé un projet politique dont la réussite dépendait largement du soutien et de l’unification des tribus. Ces dernières ont adhéré. De part et d’autre, ils étaient les acteurs de leur propre vie, de leur propre avenir. C’est pourquoi, je préfère à allégeance qui est un terme passif le mot pacte qui est actif et cela par considération pour les deux parties en présence.
L’Emir Abdelkader : un modèle positif
J’en viens maintenant à évoquer la grande figure de l’Emir Abdelkader en vous expliquant pourquoi la vie de ce héros positif m’a toujours questionné. Au- delà d’une très modeste proximité spirituelle, je suis une femme politique et l’Emir Abdelkader, homme aux multiples talents, était aussi un homme politique, visionnaire dans sa conception d’un Etat, d’une part, et d’une probité intellectuelle rare, d’autre part. Comme le disait Levinas : l’exigence éthique s’impose à chaque être humain. Elle est l’impérieuse responsabilité qui incombe avec un peu plus de gravité à l’homme politique qui est « de prendre sur soi le destin d’autrui». Pour l’Emir Abdelkader, cette fraternité au sens le plus fort est l’un des fondements du sentiment d’humanité. Le message de l’Emir d’une grande valeur éthique est à revisiter dans un monde où prédominent le compassionnel et l’émotionnel sur un plateau télé au détriment du fond et des valeurs. Un monde dominé par les médias où tout s’efface pour survaloriser et amplifier l’égo. Les hommes et les femmes politiques qui se réclament du message de l’Emir Abdelkader doivent briser le miroir et faire valoir dans leur comportement leurs paroles, leurs actes, ce pourquoi ils exercent un magistère : l’intérêt général et la justice sociale. C’est en cela aussi que l’Emir Abdelkader reste un exemple et qu’il le restera pour les générations futures. Il est pour moi un modèle positif d’identification. Vous l’aurez compris, il est très important de trouver un référent de ce niveau dans sa propre culture. L’Emir Abdelkader : le soufi L’Emir Abdelkader a su être homme d’Etat et stratège, résistant et guerrier, humaniste et mystique, poète et administrateur, financier et logisticien, négociateur et fin diplomate, et surtout précurseur des droits humains, concept préfigurant celui des «droits de l’homme». Il s’est distingué par une rare unité entre l’action et la pensée poursuivant aux frontières du possible la mise en œuvre de ses principes et valeurs.
On ne peut comprendre la personnalité de cet homme qu’en se référant à l’enseignement reçu de Mahieddine, son père, membre éminent de la Qadiria qui représentait à cette époque la fibre active du soufisme. Qu’est-ce que le soufisme : il existe plusieurs définitions du soufisme. Je vais vous donner la mienne – celle de mon vécu. Le soufisme est le cœur de l’islam. C’est la voie de l’unité dont la réalité se trouve au fond des êtres. C’est une imprégnation dans la face ésotérique du Livre sacré, dans la poésie, la musique, voire la danse qu’il inspire grâce à une lecture ou une écoute activée. C’est cet art poussé à l’extrême qui permet d’aller chercher en nousmêmes l’état primordial, l’état d’origine. Ce n’est pas seulement le dogme, c’est l’essence des choses qui amène à prendre conscience de son âme. C’est le sens de la spiritualité telle qu’elle est vécue par ceux qui cheminent sur la Voie. Le soufisme, c’est se perdre en soi pour mieux se retrouver. Et si l’Emir Abdelkader se perdait en lui-même c’est pour mieux trouver une unité dans l’action qui sera la sienne tout au long de sa vie. Les soufis appelés les «fils de l’instant» sont paradoxalement aussi les «gens du souvenir» parce qu’ils se remémorent dans le dikr toute la chaîne des prophètes dont chacun manifeste l’un des aspects de la sagesse divine. Ils sont à l’image du socle abrahamique dans le vrai sens latin du mot religion «ce qui relie». Le soufisme a fourni à l’Emir Abdelkader une source intarissable de lumière et d’inspiration en ce qu’il place l’homme en position centrale. L’Emir Abdelkader est ce fils de l’instant, également le fils du souvenir mais aussi fils d’aujourd’hui et surtout fils de l’avenir, donc fils de toujours. Ses écrits, son expérience sont des témoignages vivants de la fidélité et de la continuité de cette voie soufie mohammadienne. Cette voie où le temporel et le spirituel se fondent l’un dans l’autre. C’est dans l’œuvre d’Ibn Arabi, pourtant distant de plusieurs siècles, qu’il va puiser non pas son inspiration mais un langage et un style pour témoigner de l’indicible. Poètes tous deux dans la pure tradition arabe, ils n’en seront pas moins capables d’une écriture analytique qui domine dans leurs œuvres respectives.
Parmi tous ses écrits, l’Emir Abdelkader laisse à la postérité le «livre des haltes» Kitab el mawakif, texte majeur qui nous rappelle la dimension intérieure et profonde de l’Islam qui, malheureusement, nous fait tant défaut aujourd’hui. Il nous dit : «Il y a peu d’hommes religieux qui sont les détenteurs et des champions de la vérité ; quand on voit des personnes sans lumière s’imaginer que le principe de l’islam est dureté, rigueur, extravagance et barbarie, c’est la cas de répéter ces mots : la patience est une belle chose et c’est en Dieu qu’il faut se réfugier.» C’est la vision de l’unicité de l’existence qui inspirera l’Emir : pensée et action. C’est cela qui le conduit, loin de se réfugier dans les délices de la conversation avec Dieu, à prendre part aux mouvements de son siècle. Cette pensée novatrice est le ferment de la prise de conscience par l’élite du monde arabe de son arabité et de son islamité comme creuset culturel et politique. Cette pensée inspirera, après lui, la nahda, mouvement de l’éveil de «renaissance» de la nation arabe. Son influence dépassera le cadre du monde arabe. Le renouveau spirituel initié par René Guénon en Occident est issu de l’action bienfaitrice de l’Emir.
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