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La France n'accepte pas le miroir que l'Algérie lui tend

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  • La France n'accepte pas le miroir que l'Algérie lui tend

    Des parlementaires algériens ont déposé une proposition de loi visant à juger les responsables de crimes coloniaux. La philosophe et politologue, Seloua Luste Boulbina, analyse la polémique qu'elle suscite en France.

    Pourquoi la proposition de loi du 13 janvier parle-t-elle précisément de "criminalisation" de la colonisation?

    Ce terme "criminalisation" est très important. Il signifie que les crimes commis pendant la guerre et la colonisation sont appelés à être reconnus juridiquement. Ce n'est pas de la "repentance" qui est demandée à la France. La guerre a fait proportionnellement plus de morts en Algérie que celle de 1914-18 en France. Sans compter les déportations, qu'on pratiquait aux débuts de la colonisation. On parlait même d'extermination, sans qu'il soit question, il faut le souligner, de génocide. De manière générale, il y a eu beaucoup de massacres.


    Pourquoi cette loi fait-elle si peur en France?


    La France a oublié ses guerres coloniales et leur impact sur ses adversaires. Elle préfère parler du rôle positif de la colonisation plutôt que d'ouvrir la boîte de Pandore. La France se situe, officiellement, dans une espèce de déni. L'Algérie, dans son passé français, fait partie des sujets auxquels on ne veut pas accorder trop d'importance. La mémoire du conflit aurait probablement été traitée différemment s'il s'était agi de non Européens. Comme en France, pour les sujets qui concernent la colonisation -pensons à la reconnaissance de la guerre d'Algérie, en 1999, par les parlementaires-, c'est la voie législative qui a été privilégiée en Algérie. La France n'accepte pas le miroir que l'Algérie lui tend, comme une caricature d'elle-même.

    Eric Besson, le ministre de l'Immigration et de l'Identité nationale, a d'ailleurs qualifié ce texte de trop "sensible". Pour Thierry Mariani, il serait méprisante envers les harkis. Que pensez-vous de ces réactions?

    Parce que le sujet est encore sensible, il faut absolument en parler. Rappelez-vous les cicatrices monumentales qu'a laissé la guerre de 1939-45 entre la France et l'Allemagne. Elles n'ont pas empêché le dialogue de se créer. Mais il a fallu une volonté politique extraordinaire pour l'entamer. Ensuite, peut-être faut-il s'interroger sur l'origine et la trajectoire des différentes personnalités politiques qui ont réagi à cette proposition de loi. Qui en France, n'est pas lié d'une manière ou d'une autre, aux anciennes colonies françaises? L'Algérie n'est pas neutre pour les Français, ni politiquement, ni socialement. Qui, chez les politiques, est en position de se remettre en question, d'admettre la réalité passée et les méfaits commis pendant la colonisation, puis la guerre?

    Par ailleurs, je trouve déplacé que Thierry Mariani parle de mépris envers les harkis, lorsqu'on regarde de quelle manière la France les a parqués dans des camps à leur arrivée en 1962.

    Depuis 1962 justement, la France n'a vraiment jamais reconnu ses torts?

    Les rares initiatives ne sont jamais parties du sommet de l'Etat et ont toujours coûté beaucoup d'efforts aux Français. En février 2005, l'ambassadeur de France en Algérie, Hubert Colin de Verdière, a reconnu l'existence du massacre de Sétif en Algérie du 8 mai 1945. Mais il l'a imputé aux dissensions entre communautés, au lieu d'admettre la responsabilité de la France. De même, le 8 février 1962, la police française a réprimé dans le sang, à Paris, une manifestation rue de Charonne, contre l'Organisation Armée Secrète (OAS) et pour la paix. Les responsables, dont Maurice Papon, n'ont jamais été inquiétés.

    En 1966, la France a tiré un trait en amnistiant tous les événements liés à la guerre d'Algérie

    Il a fallu attendre 2007 pour qu'une plaque commémorative soit apposée sur les lieux des affrontements. Et ce n'est pas l'Etat, mais la Mairie de Paris, qui l'a renommé "place du 8 février 1962".

    Pourquoi la France tarde-t-elle tant à reconnaître sa responsabilité?

    Après chaque conflit dans lequel la France a été impliquée, elle opte pour une politique de réconciliation nationale, afin d'éviter les conflits internes entre partisans de "causes" opposées. Ainsi, la France ne s'est pas débarrassée de tous ceux qui ont collaboré au régime de Vichy et leur a même permis, pour certains, de conserver leur poste après-guerre. Idem pour l'Algérie.

    La France a connu sur son territoire une organisation terroriste: l'OAS. Aujourd'hui, elle cherche encore à ménager les susceptibilités. Pour le chef de l'Etat, admettre la responsabilité de la France serait la dénigrer. Il l'a dit lors de l'un de ses déplacements en Algérie.

    Selon vous, quel est le message sous-jacent de cette proposition?

    Les 125 députés qui ont déposé cette proposition de loi appartiennent à la majorité parlementaire (FLN, RND, MSP, El Islah) et soutiennent le gouvernement. N'oublions pas que le FLN est l'ancien parti unique dont les racines historiques remontente à la guerre. Comme les Français, les Algériens se réfèrent à leur passé pour se définir et, nécessairement, aux 132 ans de domination française. Le sujet est récurrent. La fondation du 8 mai 1945 avait déjà eu pour mot d'ordre: non à l'oubli, non à l'impunité.

    Pourquoi cette loi maintenant?

    La proposition n'est pas sans objet, mais l'effet d'annonce, sur le plan international, est évident, surtout au moment où des discussions bilatérales sont en cours. Le message s'adresse au gouvernement français. En même temps, la diversion arrive à point nommé en Algérie, puisque la corruption est au centre des débats. Les députés du Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD) ne se sont pas associés à la proposition. Les autres partis politiques non plus (FFS et PT). Il n'y a donc pas de consensus. Nous sommes donc bien en présence d'un sujet "écran". La population, de son côté, est plus concernée par son présent et son avenir.

    Seloua Luste Boulbina en quelques mots

    Chercheuse associée à l'Université de Paris VII (France), elle s'intéresse aux questions postcoloniales dans leurs dimensions politiques et culturelles. Responsable de séminaire (colonie/postcolonie) au CIPH (2005-2008), elle a notamment publié Grands Travaux à Paris - 1981-1995 (La Dispute, 2007), Le Singe de Kafka et autres propos sur la colonie (Parangon, 2008) et a édité les textes de Tocqueville Sur l'esclavage (Actes Sud, 2008) et Sur l'Algérie (Garnier Flammarion, 2003). Elle a dirigé le numéro 58 de la revue Rue Descartes (PUF, 2007): "Réflexions sur la postcolonie" et le numéro 10 de la revue Sens public, Les Cahiers, (Juin 2009): "Un monde en noir et blanc - Amitiés postcoloniales".

    Par l'Express
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