La première guerre du Golfe a pris fin huit mois plus tôt. L’invasion du Koweït, qui sera à l’origine de la seconde interviendra seize mois plus tard. Le 28 avril 1989, jour de l’anniversaire du président irakien Saddam Hussein, s’ouvre à Bagdad le premier salon irakien de l’armement.
Conçu sur le modèle d’expositions comme Satory, en France, ce salon a attiré la participation de deux cents firmes internationales et arabes venues y exposer, cinq jours durant, leurs équipements militaires les plus récents. Des armes fabriquées dans des pays arabes sont exposées à la vue du public en général et d’éventuels acquéreurs en particulier.
Naturellement, ce salon de Bagdad met en valeur les productions irakiennes développées durant les huit années de guerre avec l’Iran, mais il accueille aussi les produits égyptiens : l’Égypte, qui dispose d’une certaine avance dans le domaine de la fabrication d’armements, peut à bon droit revendiquer son titre de pionnier : c’est au Caire, en 1975, qu’a été instituée l’Organisation arabe pour l’industrialisation (OAI).
Ce sigle anodin recouvre en fait une joint venture associant l’Égypte, l’Arabie Saoudite, le Qatar et les Émirats arabes unis dont l’objectif est de mettre sur pied le noyau d’une industrie arabe d’armement afin de limiter la dépendance des États arabes envers leurs fournisseurs occidentaux. Après tout, n’était-il pas logique que la région du monde la plus gourmande en engins de mort se mette à les assembler elle-même ?
L’aventure de l’OAI
La production d’armes en Égypte est une histoire ancienne puisqu’à l’époque de Mohammed Ali, dans les années 1820, l’Égypte produisait des munitions, des navires de guerre et des canons, avant que les puissances européennes ne la forcent, quelque vingt ans plus tard, à fermer ses ateliers. Un siècle plus tard, les Égyptiens instituent le Supreme Military Industries Group ; les années cinquante et soixante voient l’éclosion de nombreux projets, largement stimulés par ‘embargo dont l’Égypte a été victime dans les premières années du nassérisme.
En 1962, le HA-200 devient le premier avion à réaction construit dans le tiers-monde. Dans la Fabrique Sakr d’industries développées, fondée en 1953, l’Égypte met au point, avec l’assistance d’ingénieurs ouest-allemands, des missiles guidés. Les traits dominants de cette industrie d’armement égyptienne sont le refus de la spécialisation : tous les types d’armes sont en chantier ; une dépendance presque totale à l’égard de la technologie occidentale, mais s’accompagnant de transferts de technologie à travers la livraison d’usines clés-en-main.
Cependant, la production égyptienne, virtuellement boycottée par les pays occidentaux, souffre d’un manque de financement et d’une productivité discutable. L’Organisation arabe pour l’industrialisation va naître de cet échec et d’un contexte entièrement renouvelé au début des années soixante-dix.
Lorsque Sadate succède à Nasser à la mort de ce dernier, le nouveau président ne tarde pas à se brouiller avec l’URSS et à expulser d’Égypte les conseillers militaires soviétiques. Il se rapproche simultanément des États arabes pro-occidentaux. Parmi ces derniers, Arabie Saoudite en tête, la guerre d’octobre 1973 renforce la volonté de mettre fin à la suprématie militaire israélienne. Il s’y ajoute le désir du roi Fayçal de détacher pour de bon Le Caire de Moscou.
Par ailleurs, le quadruplement des prix du pétrole brut en 1974 place les monarchies du Golfe à la tête d’un capital qui ne demande qu’à s’investir. C’est de la rencontre entre des volontés politiques communes, d’un savoir-faire égyptien et du capital des pays arabes du Golfe que naît en 1975 l’Organisation arabe pour l’industrialisation.
Au départ, en 1972, dix-huit pays arabes s’étaient engagés à consacrer à la fondation d’une industrie arabe de l’armement 2 % de leur PNB chaque année avec pour objectif de surpasser Israël en cinq ans. À l’arrivée, ils ne sont plus que quatre : l’Égypte, l’Arabie Saoudite, le Qatar et les Émirats arabes unis versent chacun 260 millions de dollars au capital de cette joint venture. L’Égypte met en outre au service de l’OAI ses quatre usines : ses fabriques d’avions et de moteurs d’avion d’Helouan, les usines Sakr, (missiles et propulseurs) et Kader (blindés légers, électronique et pièces détachées d’avion) ainsi qu’une main d’œuvre de 15 000 ouvriers.
Afin de faciliter les transferts de technologie, l’OAI ouvre sept filiales en joint venture avec des partenaires étrangers. Les quatre premières sont basées en Égypte et la cinquième en Arabie Saoudite : Arab American Vehicles, avec une participation américaine de 49 % qui produit des Jeeps ; Arab British Dynamics qui fabrique des missiles antichars (participation britannique de 30 % au capital) ; Arab British Helicopters et Arab British Engines (moteurs d’hélicoptères) avec également une participation britannique de 30 % ; Arab French Aircraft C° (détenue à 36 % par Dassault-Bréguet) et Arab French Engines C° (participation de la SNECMA : 15 %) pour la fabrication d’Alpha-Jets et de moteurs d’avion.
Enfin, basée en Arabie Saoudite, Arab Electronic C°, dont 30 % du capital est détenu par la firme française Thomson, spécialisée dans l’électronique militaire.
L’Égypte après Camp David
Mais ce bel essor est brisé net en 1979 par les accords de Camp David et le traité de paix israélo-égyptien. L’OAI n’est pas encore adolescente que les partenaires de l’Égypte se retirent de l’entreprise et cessent de financer le projet. En mai 1979, Le Caire décide d’assumer seule la poursuite de l’aventure, d’autant que la France et les États-Unis manifestent rapidement leur volonté de suppléer au financement défaillant de ses partenaires arabes.
Sous licence Thomson CSF, TRT ou Matra, de l’avionique sophistiquée est fabriquée en Égypte. Outre l’Alpha-Jet et l’hélicoptère Gazelle, assemblés sur place, des parties importantes du Mirage 2000 sont désormais confectionnées en Égypte, ainsi que l’avion d’entraînement Tucano, de conception brésilienne.
Les ingénieurs égyptiens se sont fait la main en adaptant sous le nom d’Ain el Saqr (œil de faucon) le célèbre missile sol-air soviétique SA-7 et son homologue américain Hawkeye. L’Égypte collabore avec la Corée du Nord pour perfectionner le missile sol-sol soviétique Scud-B.
Des canons étrangers (soviétiques, américains et britanniques) ont été modifiés et le char soviétique T-54 a été rebaptisé, dans sa version égyptienne, le Ramsès II. En mars 1988, un accord-cadre est signé à Washington entre le ministre de la Défense égyptien, le maréchal Abou Ghazala et son homologue américain Frank Carlucci : aux termes de cet accord, l’Égypte et les États-Unis devraient coproduire en Égypte des chars de combat M-1A1 conçus par General Dynamics.
En bonne logique, l’Égypte a commencé à exporter ses produits. Une exposition internationale a été organisée en 1984 sur la base d’Almaza, dans la banlieue nord du Caire. Devant le succès, l’expérience est renouvelée en 1987. La fabrication d’armements n’est plus seulement un objectif politique lié à l’indépendance nationale, elle a désormais aussi des raisons économiques.
Un document rédigé par les autorités égyptiennes afin de lever les objections du Congrès, lors de la visite à Washington du maréchal Abou Ghazala, précise que " l’amélioration des capacités de production de l’industrie militaire est la seule solution qui permettra à l’Égypte de faire face à ses besoins d’assistance à long terme et d’éliminer pour l’avenir des problèmes liés à la dette militaire ".
Mais une chose est de fabriquer sur place des équipements destinés à satisfaire les besoins nationaux, allégeant ainsi la balance des paiements, une autre est d’exporter ces mêmes matériels face à la concurrence bien établie des grands de l’armement que sont les États-Unis, l’URSS, la France et la Grande-Bretagne. L’armée égyptienne, qui du temps de Sadate a reçu l’autorisation d’utiliser comme elle l’entend les revenus de cette industrie, est incitée à aller de l’avant. Il s’agit, en quelque sorte, d’un autofinancement de l’armée, ce qui allège d’autant le budget de l’État.
Depuis 1978, l’armée égyptienne a créé un certain nombre d’entreprises produisant des biens d’usage militaire ou civil. La place de ces sociétés dans l’économie est telle que certains milieux d’affaires se plaignent que l’armée fait de la concurrence déloyale au secteur privé.
La suite...
Conçu sur le modèle d’expositions comme Satory, en France, ce salon a attiré la participation de deux cents firmes internationales et arabes venues y exposer, cinq jours durant, leurs équipements militaires les plus récents. Des armes fabriquées dans des pays arabes sont exposées à la vue du public en général et d’éventuels acquéreurs en particulier.
Naturellement, ce salon de Bagdad met en valeur les productions irakiennes développées durant les huit années de guerre avec l’Iran, mais il accueille aussi les produits égyptiens : l’Égypte, qui dispose d’une certaine avance dans le domaine de la fabrication d’armements, peut à bon droit revendiquer son titre de pionnier : c’est au Caire, en 1975, qu’a été instituée l’Organisation arabe pour l’industrialisation (OAI).
Ce sigle anodin recouvre en fait une joint venture associant l’Égypte, l’Arabie Saoudite, le Qatar et les Émirats arabes unis dont l’objectif est de mettre sur pied le noyau d’une industrie arabe d’armement afin de limiter la dépendance des États arabes envers leurs fournisseurs occidentaux. Après tout, n’était-il pas logique que la région du monde la plus gourmande en engins de mort se mette à les assembler elle-même ?
L’aventure de l’OAI
La production d’armes en Égypte est une histoire ancienne puisqu’à l’époque de Mohammed Ali, dans les années 1820, l’Égypte produisait des munitions, des navires de guerre et des canons, avant que les puissances européennes ne la forcent, quelque vingt ans plus tard, à fermer ses ateliers. Un siècle plus tard, les Égyptiens instituent le Supreme Military Industries Group ; les années cinquante et soixante voient l’éclosion de nombreux projets, largement stimulés par ‘embargo dont l’Égypte a été victime dans les premières années du nassérisme.
En 1962, le HA-200 devient le premier avion à réaction construit dans le tiers-monde. Dans la Fabrique Sakr d’industries développées, fondée en 1953, l’Égypte met au point, avec l’assistance d’ingénieurs ouest-allemands, des missiles guidés. Les traits dominants de cette industrie d’armement égyptienne sont le refus de la spécialisation : tous les types d’armes sont en chantier ; une dépendance presque totale à l’égard de la technologie occidentale, mais s’accompagnant de transferts de technologie à travers la livraison d’usines clés-en-main.
Cependant, la production égyptienne, virtuellement boycottée par les pays occidentaux, souffre d’un manque de financement et d’une productivité discutable. L’Organisation arabe pour l’industrialisation va naître de cet échec et d’un contexte entièrement renouvelé au début des années soixante-dix.
Lorsque Sadate succède à Nasser à la mort de ce dernier, le nouveau président ne tarde pas à se brouiller avec l’URSS et à expulser d’Égypte les conseillers militaires soviétiques. Il se rapproche simultanément des États arabes pro-occidentaux. Parmi ces derniers, Arabie Saoudite en tête, la guerre d’octobre 1973 renforce la volonté de mettre fin à la suprématie militaire israélienne. Il s’y ajoute le désir du roi Fayçal de détacher pour de bon Le Caire de Moscou.
Par ailleurs, le quadruplement des prix du pétrole brut en 1974 place les monarchies du Golfe à la tête d’un capital qui ne demande qu’à s’investir. C’est de la rencontre entre des volontés politiques communes, d’un savoir-faire égyptien et du capital des pays arabes du Golfe que naît en 1975 l’Organisation arabe pour l’industrialisation.
Au départ, en 1972, dix-huit pays arabes s’étaient engagés à consacrer à la fondation d’une industrie arabe de l’armement 2 % de leur PNB chaque année avec pour objectif de surpasser Israël en cinq ans. À l’arrivée, ils ne sont plus que quatre : l’Égypte, l’Arabie Saoudite, le Qatar et les Émirats arabes unis versent chacun 260 millions de dollars au capital de cette joint venture. L’Égypte met en outre au service de l’OAI ses quatre usines : ses fabriques d’avions et de moteurs d’avion d’Helouan, les usines Sakr, (missiles et propulseurs) et Kader (blindés légers, électronique et pièces détachées d’avion) ainsi qu’une main d’œuvre de 15 000 ouvriers.
Afin de faciliter les transferts de technologie, l’OAI ouvre sept filiales en joint venture avec des partenaires étrangers. Les quatre premières sont basées en Égypte et la cinquième en Arabie Saoudite : Arab American Vehicles, avec une participation américaine de 49 % qui produit des Jeeps ; Arab British Dynamics qui fabrique des missiles antichars (participation britannique de 30 % au capital) ; Arab British Helicopters et Arab British Engines (moteurs d’hélicoptères) avec également une participation britannique de 30 % ; Arab French Aircraft C° (détenue à 36 % par Dassault-Bréguet) et Arab French Engines C° (participation de la SNECMA : 15 %) pour la fabrication d’Alpha-Jets et de moteurs d’avion.
Enfin, basée en Arabie Saoudite, Arab Electronic C°, dont 30 % du capital est détenu par la firme française Thomson, spécialisée dans l’électronique militaire.
L’Égypte après Camp David
Mais ce bel essor est brisé net en 1979 par les accords de Camp David et le traité de paix israélo-égyptien. L’OAI n’est pas encore adolescente que les partenaires de l’Égypte se retirent de l’entreprise et cessent de financer le projet. En mai 1979, Le Caire décide d’assumer seule la poursuite de l’aventure, d’autant que la France et les États-Unis manifestent rapidement leur volonté de suppléer au financement défaillant de ses partenaires arabes.
Sous licence Thomson CSF, TRT ou Matra, de l’avionique sophistiquée est fabriquée en Égypte. Outre l’Alpha-Jet et l’hélicoptère Gazelle, assemblés sur place, des parties importantes du Mirage 2000 sont désormais confectionnées en Égypte, ainsi que l’avion d’entraînement Tucano, de conception brésilienne.
Les ingénieurs égyptiens se sont fait la main en adaptant sous le nom d’Ain el Saqr (œil de faucon) le célèbre missile sol-air soviétique SA-7 et son homologue américain Hawkeye. L’Égypte collabore avec la Corée du Nord pour perfectionner le missile sol-sol soviétique Scud-B.
Des canons étrangers (soviétiques, américains et britanniques) ont été modifiés et le char soviétique T-54 a été rebaptisé, dans sa version égyptienne, le Ramsès II. En mars 1988, un accord-cadre est signé à Washington entre le ministre de la Défense égyptien, le maréchal Abou Ghazala et son homologue américain Frank Carlucci : aux termes de cet accord, l’Égypte et les États-Unis devraient coproduire en Égypte des chars de combat M-1A1 conçus par General Dynamics.
En bonne logique, l’Égypte a commencé à exporter ses produits. Une exposition internationale a été organisée en 1984 sur la base d’Almaza, dans la banlieue nord du Caire. Devant le succès, l’expérience est renouvelée en 1987. La fabrication d’armements n’est plus seulement un objectif politique lié à l’indépendance nationale, elle a désormais aussi des raisons économiques.
Un document rédigé par les autorités égyptiennes afin de lever les objections du Congrès, lors de la visite à Washington du maréchal Abou Ghazala, précise que " l’amélioration des capacités de production de l’industrie militaire est la seule solution qui permettra à l’Égypte de faire face à ses besoins d’assistance à long terme et d’éliminer pour l’avenir des problèmes liés à la dette militaire ".
Mais une chose est de fabriquer sur place des équipements destinés à satisfaire les besoins nationaux, allégeant ainsi la balance des paiements, une autre est d’exporter ces mêmes matériels face à la concurrence bien établie des grands de l’armement que sont les États-Unis, l’URSS, la France et la Grande-Bretagne. L’armée égyptienne, qui du temps de Sadate a reçu l’autorisation d’utiliser comme elle l’entend les revenus de cette industrie, est incitée à aller de l’avant. Il s’agit, en quelque sorte, d’un autofinancement de l’armée, ce qui allège d’autant le budget de l’État.
Depuis 1978, l’armée égyptienne a créé un certain nombre d’entreprises produisant des biens d’usage militaire ou civil. La place de ces sociétés dans l’économie est telle que certains milieux d’affaires se plaignent que l’armée fait de la concurrence déloyale au secteur privé.
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