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Pourquoi les pauvres votent à droite ?

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  • Pourquoi les pauvres votent à droite ?

    Livre de Thomas Frank, titre original : What’s the matter with Kansas

    Un peu partout en Occident, la gauche est saisie de perplexité. Je suis l’héritière du mouvement ouvrier, j’incarne le combat pour l’émancipation sociale, et pourtant le peuple m’abandonne, se lamente la gauche. Cette angoisse, elle la formule avec ses mots à elle, sous la forme d’un âpre questionnement : pourquoi diable les pauvres gens soutiennent-ils la droite, autrement dit le parti des dominants ? Comment expliquer que les damnés de la terre apportent leurs suffrages à ceux qui roulent “objectivement” pour les maîtres du monde ?

    La question ne date pas d’hier. Ces temps-ci, elle trouve néanmoins une actualité renouvelée. Afin d’y répondre, on peut opter pour la voie théorique : décortiquer les bons auteurs et reprendre l’étude de ce qu’on nommait, autrefois, “servitude volontaire” ou “aliénation”. Thomas Frank a choisi un autre chemin : celui du reportage politique, entre recherche de terrain et flânerie narquoise. Son domaine d’enquête était tout trouvé : le journaliste a grandi dans l’Etat du Kansas, où naquirent jadis bien des révoltes, et où George W. Bush est aujourd’hui l’idole des plus démunis.

    Ici, les masses déshéritées réclament la fin des droits de succession et la privatisation des hôpitaux. Ici, la colère vise non pas les élites économiques, mais la gauche “libérale”, forcément “cosmopolite” et “arrogante” : voyez ces “démocrates” qui haïssent l’Amérique profonde ; voyez ces syndicalistes parasitaires, qui ne manquent pas une occasion de trahir le pays ; voyez ces “je-sais-tout” d’universitaires, incapables de manier une arme ou d’installer l’électricité chez eux, mais experts en féminisme chic et en fromage frenchie…

    Thomas Frank se promène seul sur les terres de son enfance. Son regard est celui d’un ingénu gauchiste, et son livre, Pourquoi les pauvres votent à droite, ne prétend à aucune scientificité. Ecrit d’une plume alerte, le texte se dévore avec passion, sourire aux lèvres, un peu comme on regarde un documentaire de Michael Moore, à cette différence près que Frank ne cède jamais, lui, à la démagogie narcissique.

    Donc, Frank va écouter le jeune prédicateur Phill Kline, qui électrise les salles en se présentant à la fois comme un guerrier de Dieu et comme le candidat “des barbecues et des packs de bière républicains”. Il va à la rencontre de l’ancien soldat Mark Gietzen, chef de file d’un groupe de célibataires chrétiens, qui a passé des années à faire du porte-à-porte jusqu’à ce que sa ville bascule à droite.

    Frank se prend encore d’affection pour un certain Tim Golba. Travailleur à la chaîne dans une usine de mise en bouteilles, cet enthousiaste prend sur son temps libre pour animer des comités hostiles à la “décadence morale”, aux partisans de Darwin et autres “mondains” : “Il travaille jour et nuit pour que les autres jouissent de leur capital sans avoir jamais à travailler”, note Frank.

    Lequel tombe enfin sous le charme d’une mamie nommée Kay O’Connor, sénatrice au parlement de l’Etat, qui considère le vote des femmes comme le symptôme du déclin américain. Elle est loin d’être aisée, elle a même dû hypothéquer sa maison, mais “sa pensée semble pourtant tout droit tirée du credo politique des milliardaires du XIXe siècle”, remarque l’auteur.

    Pour un homme de gauche, c’est à n’y rien comprendre.

    En guise d’explication, Frank insiste sur le coup de génie des conservateurs : d’un côté, ils se sont réapproprié un thème largement abandonné par les démocrates, celui de la juste fureur des “masses” contre les élites ; de l’autre, ils ont substitué la “guerre culturelle” à la lutte de classes.

    Les valeurs d’abord ! “Ce qui divise les Américains, ce serait l’authenticité, et non quelque chose d’aussi complexe et dégoûtant que l’économie”, précise le journaliste. D’où la marginalisation des thèmes propres à la gauche (salaires, protections sociales…) et le triomphe d’enjeux touchant à l’avortement, à la religion, bref aux “modes de vie”. D’où aussi la posture victimaire adoptée par ces idéologues républicains, riches à millions et diplômés d’Harvard, qui prennent “des accents ruraux, racontant à qui veut l’entendre leur jeunesse passée dans les cabanes et hurlant après les élites suréduquées”…

    Une fois au pouvoir, les mêmes se garderont bien de tenir leurs promesses “morales”, insiste Thomas Frank. L’essentiel de leur action consistera à appliquer le programme néolibéral : “Votez pour interdire l’avortement et vous aurez une bonne réduction de l’impôt sur le capital (...). Votez pour faire la nique à ces universitaires politiquement corrects et vous aurez la déréglementation de l’électricité (...). Votez pour résister au terrorisme et vous aurez la privatisation de la sécurité sociale”

    Devant tant de paradoxes, Frank fustige l’évolution d’un Parti démocrate honteux de lui-même, incapable de capter la colère d’une population qui devrait, en bonne logique marxiste, se tourner vers lui…

    [...]
    Le Monde des livres, 1/02/2008

  • #2
    C'est un comportement électoral qui est constaté dans plusieurs Etats.
    Et ce n'est pas toujours à cause d'un déficit de la gauche que "les pauvres" votent à droite. Le vote s'avère parfois contraire à une certaine logique basée sur les variables sociologiques lourdes, exemple: quand on est d'origine immigrée, issu d'un quartier pauvre et qu'on est femme et jeune on vote quasi-automatiquement à gauche.

    La représentation que se font certaines catégories socioprofessionnelles serait parfois contradictoire avec leur statut. C'est ce que certains qualifient de misérabilisme; alors qu'une certaine perception fait du pauvre tout une fierté (populaire, simple, solidaire et généreux...) par opposition à une droite ("coincée", démodée, individualiste et égoïste). Un autre type de perception s'auto-exclut et le fait de voter à gauche lui donne l'impression qu'elle s'éternise dans son statut de défavorisée. Voter à droite serait pour elle un pas pour passer à l'autre rive.
    "Tout ce que je sais, c'est que je ne sais rien."
    Socrate.

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