De jeunes chefs d'entreprise se sont vu éconduire par une banque.
par Pierre DAUM
LIBERATION, QUOTIDIEN : jeudi 02 février 2006
Lyon envoyé spécial
Combien de jeunes avec une tête d'Arabe se font chaque jour refuser l'ouverture d'un compte en banque ? Difficile de le savoir, vu qu'on imagine mal les établissements bancaires faire de la publicité sur ce genre de statistiques * la loi n'impose aucune obligation aux banques lors de l'ouverture de compte. Farid Amiour, Salim Berbar, Nadir Habrih et Hakim Labiod sont quatre amis nés à Caluire, dans la banlieue lyonnaise. Ils ont 28 ans, les trois premiers ont fait une école de commerce et le dernier un DESS de droit du commerce international à la Sorbonne. Début 2002, ils créent une entreprise de fabrication de brumisateurs pour terrasses de café. Quelques mois plus tard, les ventes de leurs machines à refroidir l'air ambiant explosent à l'occasion de la canicule. Leur success story fait la première page des journaux locaux, ils sont interviewés sur TF1, de nouvelles commandes affluent...
«Rasés de frais». En décembre dernier, les quatre associés trouvent un investisseur qui leur achète une partie de leur entreprise, pour plusieurs centaines de milliers d'euros. «Pour nous, se souvient Salim, c'était la consécration du rêve de fils d'immigré qui franchit toutes les étapes de l'intégration.» Les voilà chacun avec en main un premier chèque de 10 000 euros, qu'ils veulent déposer sur un compte commun. Ils choisissent HSBC (Hongkong and Shanghai Banking Corporation, qui a racheté le Crédit commercial de France en 2000) «pour son image de grande banque ouverte sur l'international». Un rendez-vous est pris pour le 20 décembre, à l'agence Duquesne, au centre de Lyon. «Rasés de frais, chemises neuves» * dixit Nadir *, les quatre compères se présentent au rendez-vous avec l'attachée commerciale et sous-directrice de l'agence. On les fait attendre une bonne minute à l'intérieur du sas, puis l'entretien se déroule à peu près normalement. Sauf que l'attachée commerciale leur réclame non seulement une copie de l'acte de cession des parts, ce qui est d'usage afin de vérifier l'origine des chèques, mais exige un bilan complet de leur société.
Les clients refusent courtoisement, estimant que de telles informations ne sont pas nécessaires à l'ouverture d'un compte, certes commun, mais privé. A peine sortis de l'agence dans laquelle ils décident de ne pas ouvrir de compte, la sous-directrice envoie à sa direction régionale un mail mettant en garde contre un groupe de quatre hommes. Dans ce texte, dont Libération a eu connaissance, elle rapporte que les jeunes gens ont affirmé, «peut-être en plaisantant», appartenir à une «secte». Et précise qu'elle n'a «pas trouvé leur société dans le registre de la Banque de France». Pourtant, Christophe Lelait, directeur régional de HSBC Lyon, avouera un mois plus tard que la société est bien référencée et qu'il n'a eu besoin «que de quelques secondes» pour la trouver. Eric Mussa, directeur régional adjoint, envoie alors un warning à toutes les agences lyonnaises, exigeant de «ne pas donner suite à une éventuelle demande» d'ouverture de compte de ces quatre individus. Ces derniers n'en savent alors rien et, persistant dans leur choix de HSBC, réclament un second rendez-vous, mais à une autre agence, celle de la place Bellecour. Le 30 décembre, ils s'y présentent, «à nouveau bien rasés», selon Farid. Ils sont reçus dans le hall par Jean-Louis Devaux, responsable administratif de l'agence, qui leur annonce qu'il a «instruction de [sa] direction» de leur refuser l'ouverture d'un compte. «C'était l'humiliation suprême, explique Salim. On pensait avoir atteint le sommet et, au moment de toucher le but, on nous renvoyait à notre case départ de sale Arabe.»
Excuses. Pourquoi la sous-directrice de l'agence Duquesne n'a-t-elle pas pris le temps de trouver la société dans le registre de la Banque de France ? Pourquoi Eric Mussa a-t-il immédiatement placé les quatre clients potentiels sur une «liste noire», sans aucun complément d'enquête ? Pourquoi Jean-Louis Devaux a-t-il mis publiquement à la porte les quatre hommes, alors que sa direction reconnaît aujourd'hui qu'«une attachée commerciale aurait dû les recevoir dans une salle séparée, leur faire part des interrogations que HSBC se pose à leur égard et leur demander courtoisement des éclaircissements» ? Réponse de Christophe Lelait : «Il s'agit d'une succession de très importantes erreurs de procédure, et je m'en excuse. Mes collaborateurs ont agi en administratifs et non en commerciaux. Mais en aucun cas il ne peut s'agir de racisme.» Les quatre entrepreneurs, eux, ne voient d'autre explication que le «délit de faciès».
par Pierre DAUM
LIBERATION, QUOTIDIEN : jeudi 02 février 2006
Lyon envoyé spécial
Combien de jeunes avec une tête d'Arabe se font chaque jour refuser l'ouverture d'un compte en banque ? Difficile de le savoir, vu qu'on imagine mal les établissements bancaires faire de la publicité sur ce genre de statistiques * la loi n'impose aucune obligation aux banques lors de l'ouverture de compte. Farid Amiour, Salim Berbar, Nadir Habrih et Hakim Labiod sont quatre amis nés à Caluire, dans la banlieue lyonnaise. Ils ont 28 ans, les trois premiers ont fait une école de commerce et le dernier un DESS de droit du commerce international à la Sorbonne. Début 2002, ils créent une entreprise de fabrication de brumisateurs pour terrasses de café. Quelques mois plus tard, les ventes de leurs machines à refroidir l'air ambiant explosent à l'occasion de la canicule. Leur success story fait la première page des journaux locaux, ils sont interviewés sur TF1, de nouvelles commandes affluent...
«Rasés de frais». En décembre dernier, les quatre associés trouvent un investisseur qui leur achète une partie de leur entreprise, pour plusieurs centaines de milliers d'euros. «Pour nous, se souvient Salim, c'était la consécration du rêve de fils d'immigré qui franchit toutes les étapes de l'intégration.» Les voilà chacun avec en main un premier chèque de 10 000 euros, qu'ils veulent déposer sur un compte commun. Ils choisissent HSBC (Hongkong and Shanghai Banking Corporation, qui a racheté le Crédit commercial de France en 2000) «pour son image de grande banque ouverte sur l'international». Un rendez-vous est pris pour le 20 décembre, à l'agence Duquesne, au centre de Lyon. «Rasés de frais, chemises neuves» * dixit Nadir *, les quatre compères se présentent au rendez-vous avec l'attachée commerciale et sous-directrice de l'agence. On les fait attendre une bonne minute à l'intérieur du sas, puis l'entretien se déroule à peu près normalement. Sauf que l'attachée commerciale leur réclame non seulement une copie de l'acte de cession des parts, ce qui est d'usage afin de vérifier l'origine des chèques, mais exige un bilan complet de leur société.
Les clients refusent courtoisement, estimant que de telles informations ne sont pas nécessaires à l'ouverture d'un compte, certes commun, mais privé. A peine sortis de l'agence dans laquelle ils décident de ne pas ouvrir de compte, la sous-directrice envoie à sa direction régionale un mail mettant en garde contre un groupe de quatre hommes. Dans ce texte, dont Libération a eu connaissance, elle rapporte que les jeunes gens ont affirmé, «peut-être en plaisantant», appartenir à une «secte». Et précise qu'elle n'a «pas trouvé leur société dans le registre de la Banque de France». Pourtant, Christophe Lelait, directeur régional de HSBC Lyon, avouera un mois plus tard que la société est bien référencée et qu'il n'a eu besoin «que de quelques secondes» pour la trouver. Eric Mussa, directeur régional adjoint, envoie alors un warning à toutes les agences lyonnaises, exigeant de «ne pas donner suite à une éventuelle demande» d'ouverture de compte de ces quatre individus. Ces derniers n'en savent alors rien et, persistant dans leur choix de HSBC, réclament un second rendez-vous, mais à une autre agence, celle de la place Bellecour. Le 30 décembre, ils s'y présentent, «à nouveau bien rasés», selon Farid. Ils sont reçus dans le hall par Jean-Louis Devaux, responsable administratif de l'agence, qui leur annonce qu'il a «instruction de [sa] direction» de leur refuser l'ouverture d'un compte. «C'était l'humiliation suprême, explique Salim. On pensait avoir atteint le sommet et, au moment de toucher le but, on nous renvoyait à notre case départ de sale Arabe.»
Excuses. Pourquoi la sous-directrice de l'agence Duquesne n'a-t-elle pas pris le temps de trouver la société dans le registre de la Banque de France ? Pourquoi Eric Mussa a-t-il immédiatement placé les quatre clients potentiels sur une «liste noire», sans aucun complément d'enquête ? Pourquoi Jean-Louis Devaux a-t-il mis publiquement à la porte les quatre hommes, alors que sa direction reconnaît aujourd'hui qu'«une attachée commerciale aurait dû les recevoir dans une salle séparée, leur faire part des interrogations que HSBC se pose à leur égard et leur demander courtoisement des éclaircissements» ? Réponse de Christophe Lelait : «Il s'agit d'une succession de très importantes erreurs de procédure, et je m'en excuse. Mes collaborateurs ont agi en administratifs et non en commerciaux. Mais en aucun cas il ne peut s'agir de racisme.» Les quatre entrepreneurs, eux, ne voient d'autre explication que le «délit de faciès».
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