Azzeddine Akesbi,Secrétaire Général adjoint de Transparency Maroc :
« Il y a un écart flagrant entre le discours et la pratique »
Azzeddine Akesbi revient sur les principaux indicateurs révélés par le baromètre 2009 de la corruption au Maroc. Il va plus loin et parle de la réalité de la lutte contre la corruption au niveau national. Il lance aussi quelques pistes de réflexions pour l’avenir.
A la lecture du dernier baromètre de la corruption que vient de publier Transparency International, on a le sentiment que la corruption est tellement répandue partout au Maroc qu’il semble impossible d’en venir à bout. Est-ce aussi votre sentiment ?
C’est vrai que selon plusieurs enquêtes et sondages qui ont été menés, le Maroc apparait malheureusement comme étant un pays gravement touché par le phénomène de la corruption. Quand on compare les résultats du baromètre de la corruption réalisé en 2006 avec ceux révélés par le baromètre 2009, il en ressort globalement que le Maroc n’avance pas et on peut même dire qu’il recule en matière de lutte contre la corruption.
D’après les derniers constats du baromètre 2009, le secteur de la justice, la police, les services médicaux et les services des enregistrements sont les plus touchés par le phénomène et ce, à une échelle très élevée de corruption. Par ailleurs, l’action du gouvernement en matière de lutte contre le fléau de la corruption a été jugée inefficace par 64% des ménages interrogés. Ce taux était de 62% au cours de l’enquête menée au titre de l’année 2006. Il faut signaler qu’en termes de lutte contre la corruption, plusieurs pays dans le monde attestaient d’un degré très alarmant de corruption, aussi grave que celui enregistré dans notre pays. Citons notamment le cas de Hong-Kong, de Singapour, etc. Mais, grâce, à une volonté politique ferme en matière de lutte contre ce phénomène et grâce aussi à leur croyance en l’intérêt social, économique et de stabilité politique que revêt le processus anti-corruption, ces pays ont pu améliorer la situation et être classés par la suite à une échelle très respectable de transparence. Ces pays, signalons-le, qui ont manifesté leur forte détermination à extirper le phénomène de la corruption se sont donnés les outils et les moyens pour y parvenir. En quoi consistent ces outils ? Il s’agit en fait de la mise en place d’agences spécialisées efficaces dans la lutte contre la corruption. Ces agences sont munies de tous les moyens techniques et juridiques pour mener à bon escient des investigations en matière de lutte contre la corruption. Elles jouissent en outre d’une indépendance et d’une législation bien adaptée à leurs champs de compétence respectifs. Force est de constater donc, suivant cet exemple, que la lutte contre la corruption est possible. Sauf que dans notre pays, malheureusement, ces conditions ne sont pas encore réunies. Au Maroc, quand on écoute les discours au niveau de l’Etat, comme, à titre indicatif, la réforme de la justice et même la lutte anti-corruption, on se dit que la volonté politique existe. Mais, le problème c’est qu’il y a un écart flagrant entre le discours et la pratique. Les partis politiques, eux aussi, affichent au niveau de leurs programmes politiques la volonté de combattre la corruption (y compris dans la campagne des élections locales actuelles). Là encore, demeure une différence surprenante entre les discours et la traduction en actes de la volonté exprimée. Il ne suffit point d’avoir la volonté, encore faut-il se donner les moyens de la traduire sur le terrain. C’est à ce moment là que l’on pourrait faire avancer le processus tous azimuts de lutte contre la corruption.
. Est-ce que vous n’avez pas l’impression que des rapports comme ceux de Transparency, donnant l’air de se répéter chaque année, ne sont pas en définitive décourageants face à la corruption ?
Pas du tout. D’abord, il faut noter que le baromètre de la corruption ne se répète pas chaque année. Malheureusement, on ne disposait pas des moyens pour réaliser le baromètre en 2007. Si la réalité est dure, faut-il casser le miroir ? Non il faut regarder la réalité en face et essayer d’agir pour la changer.
Le baromètre 2009 de la corruption décèle des éléments nouveaux et qui méritent vraiment d’être médités par les responsables en vue de trouver des solutions urgentes et efficaces. Par exemple, pour la première fois apparait le secteur du foncier comme étant un fief de la corruption par excellence. Les questions sur le foncier sont explorées pour la première fois. Ce qui n’était pas le cas selon les résultats révélés par le baromètre de la corruption réalisé au cours de l’année 2006. C’est vrai que nous avions des pressentiments et des indices qui attestent d’une recrudescence potentielle du phénomène de la corruption dans ce secteur. Mais là,90 % des ménages considèrent que le paiement des pots-de vin aux autorités chargées du foncier pour obtenir des faveurs est problème sérieux à très sérieux.
Autre secteur qui pâtit du phénomène de la corruption, c’est celui des institutions et acteurs politiques. Voilà donc un problème majeur qui fait son apparition dans cette nouvelle configuration du fléau de la corruption. Maintenant, c’est aux responsables de notre pays qu’incombe la responsabilité de prendre des décisions pour changer les choses. Il convient de souligner un autre problème qui n’est pas des moindres, à savoir que 67 % des ménages marocains interrogés estiment qu’il est inutile de se plaindre. Parce qu’il leur semble que cela ne servira à rien, sinon à leur créer des ennuis voir à les exposer à des actes de répression (18%). Il va falloir donc changer ce sentiment et cette réalité.
Et cela est vrai, il y eu effectivement des actes de répression notamment à l’encontre des avocats de Tétouan qui ont dénoncé la corruption. C’est pour cette raison qu’il va falloir traiter d’abord les mécanismes de plainte et de protection des témoins d’actes de corruption. On est là face à un sérieux problème qu’il va falloir résoudre.
Paradoxalement, les ménages interrogés (64%) qui estiment que l’action du gouvernement est inefficace en matière de lutte contre le fléau de la corruption, estiment à 55 % que ceux versent des pots-de-vin sont plus ou moins certains de « résoudre » leurs problèmes. Ils le pensent parce que, selon eux, c’est l’unique moyen susceptible de les aider à régler leur problème.
. D’après-vous, par quoi -ou par qui- exactement devrait-on commencer pour une lutte dont les résultats seraient à la fois palpables et visibles contre ce phénomène dans le pays ?
A mon sens, il faut commencer par l’essentiel, à savoir le respect de la loi et tout ce qui s’y rapproche (dépassement des situations d’impunité par exemple). Il faut donner l’exemple au plus haut niveau. Il ne suffit pas par exemple de dire : on poursuit tel individu ou tel autre. Il faut aussi, au niveau des cessions des marchés publics, qu’il y ait une transparence totale en matière d’accès à l’information, notamment celle relative aux transactions financières. Dans ce contexte, les institutions concernées doivent assumer leur entière responsabilité. Le problème essentiel est lié étroitement à notre système judiciaire. Si la justice ne jouit pas d’une indépendance et manque de crédibilité, on ne pourra pas avancer beaucoup. Ceci étant dit, l’action de lutte contre la corruption est un processus transversal qui touche à plusieurs aspects, notamment la gouvernance, la gestion des affaires publiques…
Pour que des résultats palpables soient réalisés, il va falloir redonner confiance aux Marocains en leur prouvant par des actes concrets qu’on est sérieux face à la lutte contre le phénomène de la corruption. Ensuite, il faut agir dans le sens de donner l’exemple au plus haut niveau, en faisant par exemple, respecter la loi par tous et en traitant tous les citoyens sur un pied d’égalité.
. Dans le baromètre de la corruption concernant le Maroc, la police, la justice et plus généralement l’Administration sont pointées du doigt. Seulement, comme à chaque fois, c’est un constat global qui est livré. Pourrait-on espérer voir un jour Transparency International pointer du doigt des personnes, avec leurs nom, prénom, fonction et les faits précis qui leur sont reprochés, au lieu que vos enquêteurs se limitent à dénoncer des institutions ou des corps de métier où, selon le cas, tout le monde pourrait se sentir insulté par vos conclusions, comme il se pourrait que personne ne se sente concerné.
La politique de Transparency Maroc avant qu’elle ne soit celle de Transparency Internationale ne consiste pas à pointer du doigt des personnes précises. Ceci dit, les problèmes liés à la corruption concernent les politiques et le système en entier. Dans une institution par exemple où sévit la corruption, on ne peut pas inculper une personne déterminée. Il faut voir le système global de l’institution. Si l’on garde des procédures opaques, on ne pourra pas aboutir à des résultats concrets. Quand on parle des policiers par exemple, il ne faut pas mettre tout le monde dans le même panier. Il y a des fonctionnaires honnêtes, des policiers honnêtes (dont il faut s’occuper sérieusement de leurs salaires et conditions déplorables de travail), des juges honnêtes, etc. En fait, c’est en termes de système qu’il faut aborder la problématique de la corruption. Même à une échelle internationale, l’on peut relever cette politique de ne pas désigner nommément des individus, hormis le cas où l’on est face à des dossiers clairs et nets. Il faut, comme je l’ai signalé, raisonner en termes de système car il ne s’agit pas pour nous de limiter le problème à des individus.
source le reporter
« Il y a un écart flagrant entre le discours et la pratique »
Azzeddine Akesbi revient sur les principaux indicateurs révélés par le baromètre 2009 de la corruption au Maroc. Il va plus loin et parle de la réalité de la lutte contre la corruption au niveau national. Il lance aussi quelques pistes de réflexions pour l’avenir.
A la lecture du dernier baromètre de la corruption que vient de publier Transparency International, on a le sentiment que la corruption est tellement répandue partout au Maroc qu’il semble impossible d’en venir à bout. Est-ce aussi votre sentiment ?
C’est vrai que selon plusieurs enquêtes et sondages qui ont été menés, le Maroc apparait malheureusement comme étant un pays gravement touché par le phénomène de la corruption. Quand on compare les résultats du baromètre de la corruption réalisé en 2006 avec ceux révélés par le baromètre 2009, il en ressort globalement que le Maroc n’avance pas et on peut même dire qu’il recule en matière de lutte contre la corruption.
D’après les derniers constats du baromètre 2009, le secteur de la justice, la police, les services médicaux et les services des enregistrements sont les plus touchés par le phénomène et ce, à une échelle très élevée de corruption. Par ailleurs, l’action du gouvernement en matière de lutte contre le fléau de la corruption a été jugée inefficace par 64% des ménages interrogés. Ce taux était de 62% au cours de l’enquête menée au titre de l’année 2006. Il faut signaler qu’en termes de lutte contre la corruption, plusieurs pays dans le monde attestaient d’un degré très alarmant de corruption, aussi grave que celui enregistré dans notre pays. Citons notamment le cas de Hong-Kong, de Singapour, etc. Mais, grâce, à une volonté politique ferme en matière de lutte contre ce phénomène et grâce aussi à leur croyance en l’intérêt social, économique et de stabilité politique que revêt le processus anti-corruption, ces pays ont pu améliorer la situation et être classés par la suite à une échelle très respectable de transparence. Ces pays, signalons-le, qui ont manifesté leur forte détermination à extirper le phénomène de la corruption se sont donnés les outils et les moyens pour y parvenir. En quoi consistent ces outils ? Il s’agit en fait de la mise en place d’agences spécialisées efficaces dans la lutte contre la corruption. Ces agences sont munies de tous les moyens techniques et juridiques pour mener à bon escient des investigations en matière de lutte contre la corruption. Elles jouissent en outre d’une indépendance et d’une législation bien adaptée à leurs champs de compétence respectifs. Force est de constater donc, suivant cet exemple, que la lutte contre la corruption est possible. Sauf que dans notre pays, malheureusement, ces conditions ne sont pas encore réunies. Au Maroc, quand on écoute les discours au niveau de l’Etat, comme, à titre indicatif, la réforme de la justice et même la lutte anti-corruption, on se dit que la volonté politique existe. Mais, le problème c’est qu’il y a un écart flagrant entre le discours et la pratique. Les partis politiques, eux aussi, affichent au niveau de leurs programmes politiques la volonté de combattre la corruption (y compris dans la campagne des élections locales actuelles). Là encore, demeure une différence surprenante entre les discours et la traduction en actes de la volonté exprimée. Il ne suffit point d’avoir la volonté, encore faut-il se donner les moyens de la traduire sur le terrain. C’est à ce moment là que l’on pourrait faire avancer le processus tous azimuts de lutte contre la corruption.
. Est-ce que vous n’avez pas l’impression que des rapports comme ceux de Transparency, donnant l’air de se répéter chaque année, ne sont pas en définitive décourageants face à la corruption ?
Pas du tout. D’abord, il faut noter que le baromètre de la corruption ne se répète pas chaque année. Malheureusement, on ne disposait pas des moyens pour réaliser le baromètre en 2007. Si la réalité est dure, faut-il casser le miroir ? Non il faut regarder la réalité en face et essayer d’agir pour la changer.
Le baromètre 2009 de la corruption décèle des éléments nouveaux et qui méritent vraiment d’être médités par les responsables en vue de trouver des solutions urgentes et efficaces. Par exemple, pour la première fois apparait le secteur du foncier comme étant un fief de la corruption par excellence. Les questions sur le foncier sont explorées pour la première fois. Ce qui n’était pas le cas selon les résultats révélés par le baromètre de la corruption réalisé au cours de l’année 2006. C’est vrai que nous avions des pressentiments et des indices qui attestent d’une recrudescence potentielle du phénomène de la corruption dans ce secteur. Mais là,90 % des ménages considèrent que le paiement des pots-de vin aux autorités chargées du foncier pour obtenir des faveurs est problème sérieux à très sérieux.
Autre secteur qui pâtit du phénomène de la corruption, c’est celui des institutions et acteurs politiques. Voilà donc un problème majeur qui fait son apparition dans cette nouvelle configuration du fléau de la corruption. Maintenant, c’est aux responsables de notre pays qu’incombe la responsabilité de prendre des décisions pour changer les choses. Il convient de souligner un autre problème qui n’est pas des moindres, à savoir que 67 % des ménages marocains interrogés estiment qu’il est inutile de se plaindre. Parce qu’il leur semble que cela ne servira à rien, sinon à leur créer des ennuis voir à les exposer à des actes de répression (18%). Il va falloir donc changer ce sentiment et cette réalité.
Et cela est vrai, il y eu effectivement des actes de répression notamment à l’encontre des avocats de Tétouan qui ont dénoncé la corruption. C’est pour cette raison qu’il va falloir traiter d’abord les mécanismes de plainte et de protection des témoins d’actes de corruption. On est là face à un sérieux problème qu’il va falloir résoudre.
Paradoxalement, les ménages interrogés (64%) qui estiment que l’action du gouvernement est inefficace en matière de lutte contre le fléau de la corruption, estiment à 55 % que ceux versent des pots-de-vin sont plus ou moins certains de « résoudre » leurs problèmes. Ils le pensent parce que, selon eux, c’est l’unique moyen susceptible de les aider à régler leur problème.
. D’après-vous, par quoi -ou par qui- exactement devrait-on commencer pour une lutte dont les résultats seraient à la fois palpables et visibles contre ce phénomène dans le pays ?
A mon sens, il faut commencer par l’essentiel, à savoir le respect de la loi et tout ce qui s’y rapproche (dépassement des situations d’impunité par exemple). Il faut donner l’exemple au plus haut niveau. Il ne suffit pas par exemple de dire : on poursuit tel individu ou tel autre. Il faut aussi, au niveau des cessions des marchés publics, qu’il y ait une transparence totale en matière d’accès à l’information, notamment celle relative aux transactions financières. Dans ce contexte, les institutions concernées doivent assumer leur entière responsabilité. Le problème essentiel est lié étroitement à notre système judiciaire. Si la justice ne jouit pas d’une indépendance et manque de crédibilité, on ne pourra pas avancer beaucoup. Ceci étant dit, l’action de lutte contre la corruption est un processus transversal qui touche à plusieurs aspects, notamment la gouvernance, la gestion des affaires publiques…
Pour que des résultats palpables soient réalisés, il va falloir redonner confiance aux Marocains en leur prouvant par des actes concrets qu’on est sérieux face à la lutte contre le phénomène de la corruption. Ensuite, il faut agir dans le sens de donner l’exemple au plus haut niveau, en faisant par exemple, respecter la loi par tous et en traitant tous les citoyens sur un pied d’égalité.
. Dans le baromètre de la corruption concernant le Maroc, la police, la justice et plus généralement l’Administration sont pointées du doigt. Seulement, comme à chaque fois, c’est un constat global qui est livré. Pourrait-on espérer voir un jour Transparency International pointer du doigt des personnes, avec leurs nom, prénom, fonction et les faits précis qui leur sont reprochés, au lieu que vos enquêteurs se limitent à dénoncer des institutions ou des corps de métier où, selon le cas, tout le monde pourrait se sentir insulté par vos conclusions, comme il se pourrait que personne ne se sente concerné.
La politique de Transparency Maroc avant qu’elle ne soit celle de Transparency Internationale ne consiste pas à pointer du doigt des personnes précises. Ceci dit, les problèmes liés à la corruption concernent les politiques et le système en entier. Dans une institution par exemple où sévit la corruption, on ne peut pas inculper une personne déterminée. Il faut voir le système global de l’institution. Si l’on garde des procédures opaques, on ne pourra pas aboutir à des résultats concrets. Quand on parle des policiers par exemple, il ne faut pas mettre tout le monde dans le même panier. Il y a des fonctionnaires honnêtes, des policiers honnêtes (dont il faut s’occuper sérieusement de leurs salaires et conditions déplorables de travail), des juges honnêtes, etc. En fait, c’est en termes de système qu’il faut aborder la problématique de la corruption. Même à une échelle internationale, l’on peut relever cette politique de ne pas désigner nommément des individus, hormis le cas où l’on est face à des dossiers clairs et nets. Il faut, comme je l’ai signalé, raisonner en termes de système car il ne s’agit pas pour nous de limiter le problème à des individus.
source le reporter
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