Mourad Preure. Expert pétrolier international, directeur du Cabinet MP Strategy Consulting
Vous avez déclaré récemment que l’Algérie ne doit pas produire plus que ce qui est nécessaire à son développement et qu’elle doit impérativement moduler sa production. Selon vous, quel est le juste plafond de production pour l’Algérie ?
Mes opinions sont en effet connues sur le sujet. Je prône une politique conservatrice des réserves. En tenant compte des engagements contractuels en amont ainsi que des contraintes opérationnelles de Sonatrach, je pense qu’il faut revoir à la baisse le niveau de 1,4 Mb/j. Cette opinion part d’abord du constat qu’il s’agit là de ressources épuisables et dont il faut user avec modération, car l’Algérie continuera d’exister après nous, et nos enfants et petits enfants auront besoin de cette ressource qui restera la clé du mix énergétique mondial au-delà de la mi-siècle, du fait essentiellement de certains usages encore « insubstituables », notamment dans le transport.
Pour vous dire, si le pétrole continuera à représenter un peu moins du tiers des besoins énergétiques en 2030, il est peu probable que sa part dans le bilan énergétique mondial tombe au-dessous du quart en 2050. Or, les ressources ne seront plus là pour faire face aux besoins dont la croissance exponentielle sera représentée à 80% par les pays émergents, dont la Chine. La boulimie énergétique de ces pays est difficilement compressible car ils partent de très bas. 13 Chinois sur mille ont une voiture contre 580 Américains ! Nous approchons du peak oil, le point à partir duquel les réserves déclineront. La crise économique que nous vivons a constitué un répit dans la croissance des besoins, mais en même temps elle a provoqué un affaissement de l’investissement qui a baissé de 16% pour les hydrocarbures et de 38% pour les énergies renouvelables.
Cette discontinuité dans la courbe des ressources se traduira par un accroissement de l’incertitude à moyen et long termes. Si l’on estime, toutes choses égales par ailleurs, que la demande sera aux environs des 110 Mb/j en 2030, contre une moyenne de 85 Mb/j aujourd’hui, auxquels il faut ajouter quelque 6 à 7 Mb/j de capacités inutilisées de l’OPEC, il faudra mettre en production 64 Mb/j (6 fois la production de l’Arabie Saoudite) dont 30 Mb/j avant 2015 (18 à 19 Mb/j pour la croissance de la demande et le reste pour compenser le déclin des gisements). L’enjeu apparaît extrême alors que pour de nombreux experts, dont le président de la compagnie Total, le niveau de 100 Mb/j semble une limite technique. Pour cette raison déjà, il faut préserver nos ressources, car elles pourraient devenir difficilement accessibles pour notre pays qui pourrait connaître des incertitudes fortes quant à son approvisionnement pétrolier dès 2020.
Si la durée de vie de nos réserves estimée à 16,7 ans n’est pas corrigée à la hausse par, d’une part de nouvelles découvertes, et d’autre part, par la mise sous contrainte de la demande, cela veut dire qu’en 2030, nous pourrions vivre une situation critique alors que les prix devraient se placer à cette échéance structurellement au-dessus d’un niveau de 150 dollars le baril. D’un autre côté, le niveau de production présent peut être jugé excessif considérant l’usage que l’on fait des revenus qui en sont tirés. Ces ressources ne génèrent pas des capacités productives nouvelles. Elles semblent donc inutilement monétisées. Sur le plan interne par ailleurs, le contenu en énergie, en général, et en pétrole, en particulier, de la croissance économique est trop fort. Il nous faut gagner en efficacité énergétique.
Nous avons comme l’impression que l’Algérie a fait de l’exportation, de plus en plus importante, des hydrocarbures un choix. Or, vous êtes parmi ceux qui croient que les réserves algériennes sont limitées. L’on parle d’une durée de vie de 16 ans, de 18 ans et d’une cinquantaine d’années. Visiblement, les avis des experts divergent. Quelles sont donc les véritables limites de nos gisements ?
L’Annual Statistical Bulletin de l’OPEC et le BP Statistical Review, deux publications qui font référence, créditent l’Algérie de 12.2 Gbls de réserves pour le pétrole (1% des réserves et 16.7 ans durée de réserves) et 4.5 Tcm pour gaz et (2.4% des réserves et 52 ans durée de réserves). Le lieu est ici de préciser la notion de réserves et de durée de vie de celles-ci. La notion de réserves renvoie toujours à la quantité d’huile récupérable aux conditions technologiques et économiques du moment. Il existe trois catégories de réserves, classifiées selon leur probabilité de récupération : les réserves prouvées, ou 1P, sont les quantités de pétrole que l’on est sûr de récupérer avec une probabilité de 90%.
Les réserves probables ou 2P prennent en compte les premières ainsi que des quantités plus difficiles à récupérer avec une probabilité de 50%. Les réserves possibles ou 3P sont celles encore plus difficiles et dont la probabilité de récupération est de l’ordre de 10%. Le fameux rapport R/P, soit la durée de vie des réserves et qui s’exprime en années, prend en compte les réserves prouvées, soit les 1P qui sont divisées par la production de l’année. Selon l’US Geological Survey, Les probabilités de découvertes en Algérie sont de : 95% : 1.7 Gbls, 50% : 6.9 Gbls, 5% : 16.3 Gbls. Bien entendu, nous espérons tous de bonnes surprises de l’exploration et j’insiste encore pour dire qu’il faut éviter tout catastrophisme. Notre domaine minier est largement sous-exploré. Il y aura encore de bonnes découvertes qui seront faites en Algérie, même si dans le monde, la probabilité de découverte de gisements géants (plus de 500 Gbls) est très faible.
Il reste que l’effort d’exploration doit être relancé impérativement, notamment pour soutenir le développement gazier national. Des formules partenariales originales devront être trouvées qui prendront la forme de véritables alliances stratégiques avec des leaders. Le développement des gisements et l’amélioration du taux de récupération doivent être un axe important de travail, car il s’agit de structures connues et ayant déjà bénéficié d’études de géophysique et de réservoir engineering. Le risque peut être mieux maîtrisé avec un meilleur optimum coût -délais. Nos gisements ont encore du potentiel et le progrès technique tant dans l’imagerie du sous-sol que dans le forage et les techniques de production peut leur donner un nouvel élan. Mais là encore, se pose le rôle de Sonatrach qui ne doit pas être un sleeping partner.
C’est-à-dire…
(à suivre)
Vous avez déclaré récemment que l’Algérie ne doit pas produire plus que ce qui est nécessaire à son développement et qu’elle doit impérativement moduler sa production. Selon vous, quel est le juste plafond de production pour l’Algérie ?
Mes opinions sont en effet connues sur le sujet. Je prône une politique conservatrice des réserves. En tenant compte des engagements contractuels en amont ainsi que des contraintes opérationnelles de Sonatrach, je pense qu’il faut revoir à la baisse le niveau de 1,4 Mb/j. Cette opinion part d’abord du constat qu’il s’agit là de ressources épuisables et dont il faut user avec modération, car l’Algérie continuera d’exister après nous, et nos enfants et petits enfants auront besoin de cette ressource qui restera la clé du mix énergétique mondial au-delà de la mi-siècle, du fait essentiellement de certains usages encore « insubstituables », notamment dans le transport.
Pour vous dire, si le pétrole continuera à représenter un peu moins du tiers des besoins énergétiques en 2030, il est peu probable que sa part dans le bilan énergétique mondial tombe au-dessous du quart en 2050. Or, les ressources ne seront plus là pour faire face aux besoins dont la croissance exponentielle sera représentée à 80% par les pays émergents, dont la Chine. La boulimie énergétique de ces pays est difficilement compressible car ils partent de très bas. 13 Chinois sur mille ont une voiture contre 580 Américains ! Nous approchons du peak oil, le point à partir duquel les réserves déclineront. La crise économique que nous vivons a constitué un répit dans la croissance des besoins, mais en même temps elle a provoqué un affaissement de l’investissement qui a baissé de 16% pour les hydrocarbures et de 38% pour les énergies renouvelables.
Cette discontinuité dans la courbe des ressources se traduira par un accroissement de l’incertitude à moyen et long termes. Si l’on estime, toutes choses égales par ailleurs, que la demande sera aux environs des 110 Mb/j en 2030, contre une moyenne de 85 Mb/j aujourd’hui, auxquels il faut ajouter quelque 6 à 7 Mb/j de capacités inutilisées de l’OPEC, il faudra mettre en production 64 Mb/j (6 fois la production de l’Arabie Saoudite) dont 30 Mb/j avant 2015 (18 à 19 Mb/j pour la croissance de la demande et le reste pour compenser le déclin des gisements). L’enjeu apparaît extrême alors que pour de nombreux experts, dont le président de la compagnie Total, le niveau de 100 Mb/j semble une limite technique. Pour cette raison déjà, il faut préserver nos ressources, car elles pourraient devenir difficilement accessibles pour notre pays qui pourrait connaître des incertitudes fortes quant à son approvisionnement pétrolier dès 2020.
Si la durée de vie de nos réserves estimée à 16,7 ans n’est pas corrigée à la hausse par, d’une part de nouvelles découvertes, et d’autre part, par la mise sous contrainte de la demande, cela veut dire qu’en 2030, nous pourrions vivre une situation critique alors que les prix devraient se placer à cette échéance structurellement au-dessus d’un niveau de 150 dollars le baril. D’un autre côté, le niveau de production présent peut être jugé excessif considérant l’usage que l’on fait des revenus qui en sont tirés. Ces ressources ne génèrent pas des capacités productives nouvelles. Elles semblent donc inutilement monétisées. Sur le plan interne par ailleurs, le contenu en énergie, en général, et en pétrole, en particulier, de la croissance économique est trop fort. Il nous faut gagner en efficacité énergétique.
Nous avons comme l’impression que l’Algérie a fait de l’exportation, de plus en plus importante, des hydrocarbures un choix. Or, vous êtes parmi ceux qui croient que les réserves algériennes sont limitées. L’on parle d’une durée de vie de 16 ans, de 18 ans et d’une cinquantaine d’années. Visiblement, les avis des experts divergent. Quelles sont donc les véritables limites de nos gisements ?
L’Annual Statistical Bulletin de l’OPEC et le BP Statistical Review, deux publications qui font référence, créditent l’Algérie de 12.2 Gbls de réserves pour le pétrole (1% des réserves et 16.7 ans durée de réserves) et 4.5 Tcm pour gaz et (2.4% des réserves et 52 ans durée de réserves). Le lieu est ici de préciser la notion de réserves et de durée de vie de celles-ci. La notion de réserves renvoie toujours à la quantité d’huile récupérable aux conditions technologiques et économiques du moment. Il existe trois catégories de réserves, classifiées selon leur probabilité de récupération : les réserves prouvées, ou 1P, sont les quantités de pétrole que l’on est sûr de récupérer avec une probabilité de 90%.
Les réserves probables ou 2P prennent en compte les premières ainsi que des quantités plus difficiles à récupérer avec une probabilité de 50%. Les réserves possibles ou 3P sont celles encore plus difficiles et dont la probabilité de récupération est de l’ordre de 10%. Le fameux rapport R/P, soit la durée de vie des réserves et qui s’exprime en années, prend en compte les réserves prouvées, soit les 1P qui sont divisées par la production de l’année. Selon l’US Geological Survey, Les probabilités de découvertes en Algérie sont de : 95% : 1.7 Gbls, 50% : 6.9 Gbls, 5% : 16.3 Gbls. Bien entendu, nous espérons tous de bonnes surprises de l’exploration et j’insiste encore pour dire qu’il faut éviter tout catastrophisme. Notre domaine minier est largement sous-exploré. Il y aura encore de bonnes découvertes qui seront faites en Algérie, même si dans le monde, la probabilité de découverte de gisements géants (plus de 500 Gbls) est très faible.
Il reste que l’effort d’exploration doit être relancé impérativement, notamment pour soutenir le développement gazier national. Des formules partenariales originales devront être trouvées qui prendront la forme de véritables alliances stratégiques avec des leaders. Le développement des gisements et l’amélioration du taux de récupération doivent être un axe important de travail, car il s’agit de structures connues et ayant déjà bénéficié d’études de géophysique et de réservoir engineering. Le risque peut être mieux maîtrisé avec un meilleur optimum coût -délais. Nos gisements ont encore du potentiel et le progrès technique tant dans l’imagerie du sous-sol que dans le forage et les techniques de production peut leur donner un nouvel élan. Mais là encore, se pose le rôle de Sonatrach qui ne doit pas être un sleeping partner.
C’est-à-dire…
(à suivre)
Commentaire