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Morne journée nationale de La Casbah d'Alger

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  • Morne journée nationale de La Casbah d'Alger

    Mardi 23 février, Journée nationale de La Casbah, une journée ordinaire pour ses habitants. Dans ce quartier mythique qui raconte l’histoire de la ville d’Alger, rien ne laisse transparaître la célébration et la joie. Hier, la vie tentait, comme à son habitude, de se frayer un chemin entre les ruelles qui ont résisté au temps mais qui cèdent devant l’indifférence des hommes.

    62, rue Sidi-Driss Hamidouche, l’immeuble tout en blanc a été repeint récemment pour faire croire, surtout aux touristes étrangers que les agences de voyages font passer par cet endroit, que El Mahroussa se porte bien. Mais ce n’est qu’une façade car derrière ces murs, la mort guette.

    A l’entrée de la bâtisse, de grosses planches recouvrent des fosses qui dévorent le sol, elles servent de passerelles. Ici, 19 familles survivent dans la promiscuité, l’humidité et le danger. Murs, escaliers et plafonds sont lézardés et menacent de s’écrouler à tout moment.

    Les habitants s’étonnent de nous voir y accéder, beaucoup de représentants de l’administration locale sont découragés en regardant l’état des lieux. «Ils ont peur de venir voir alors que nous qui vivons ici, on se dit que chaque jour est le dernier. Nous avons peur, mais où partir ? Nous avons frappé à toutes les portes, mais en vain !» soupire Fatima Bouzidi, une femme qui a dépassé la cinquantaine. Elle nous fait visiter sa petite maison qui compte une cuisinette et une autre pièce qui sert de salle à manger, de salon et de chambre à coucher. «Nous avons de la chance car certaines familles vivent à 10 dans une seule pièce ! Imaginez le drame !» Subitement, Fatima s’emporte.

    Assise sur un canapé, elle se lève, gesticule, tente de se calmer, la colère l’emporte, elle préfère quitter la pièce. Toute sa vie a été consumée ici, dans ce «trou à rats», ses rêves et sa jeunesse avec. «Chaque jour, l’on se dit que les murs vont tomber sur nos têtes ! Nous vivons dans le danger. Les services de la wilaya ont classés la bâtisse dans la catégorie rouge, mais rien n’a été fait !», affirme sa fille, une adolescente. Il y a deux ans, les familles ont été sollicitées par les services de la wilaya pour déposer un dossier pour leur relogement, une lueur d’espoir, mais il n’y a jamais eu de suite. «Tant de promesses et toujours aucune action concrète», soupire la voisine, Kheïra Zouzai. Dans la courette de la bâtisse, des fils émergent des balcons et vont dans tous les sens, ils servent à tendre le linge, des vêtements bigarrés y sont accrochés. Ici, le soleil ne se lève jamais.

    «Tant de représentants des autorités locales sont venus nous voir, les pompiers, les flics, la wilaya, la mairie et même les journalistes ont écrit. Sans aucun résultat!», confie Kheira, en s’asseyant sur le canapé. Dans la petite pièce, huit personnes s’entassent tous les soirs, tous les jours. En été, c’est une tombe. En hiver, le froid est insupportable. Sur deux armoires sont posés les couvertures et les matelas. Les toilettes sont toutes proches de la cuisine. Il n’y a pas de douches. «On va au bain, comment se doucher ici ? Où mettre la bassine ? Nous n’avons pas d’espace ! Ma fille handicapée n’a pas pris de douche depuis deux mois, il n’y a aucun moyen !» Hamida a 31 ans, toute la journée, elle est affalée sur une chaise. Sans bouger. «J’ai donné son fauteuil roulant car point d’espace où le mettre.»

    Comment peut-on vivre dans de telles conditions dans un pays libre et indépendant depuis plus d’un demi-siècle ?

    La vie semble mourir dans cette cité autrefois grouillante de monde et d’activité commerciale et artisanale. La plupart des boutiques, qui exhibaient aux Algérois les richesses artisanales et traditionnelles, sont fermées. Quelques-unes tentent de résister, un défi difficile à relever.

    A 67 ans, El Hachemi est toujours dinandier, il habite au boulevard Mohammed V mais sa vie, c’est La Casbah qui l’a vu grandir. Sa petite boutique et son travail sont ce qu’il a de plus précieux. Notre visite ne l’enchante guère, il le sait, ça ne changera rien, il a l’habitude. Des attestations de gratification, signées par la ministre de la Culture, délivrées par différentes institutions étatiques, décorent les murs de sa boutique qui lui sert d’atelier, elles attestent de son talent.

    «Tout est mort depuis longtemps. Nous étions dix ouvriers à travailler jour et nuit, maintenant, il n’y a plus que moi. Ce métier ne fait plus vivre», dit-il. Il a du mal à parler, à raconter sa douleur, il s’en fou, il l’a fait tant de fois, cru que cela allait bousculer les choses. Il est convaincu désormais que ça ne servira à rien. Des théières, des assiettes, des vers et des plateaux en cuivre, poussiéreux et finement ciselés, sont présentés. «Nous étions 20 dinandiers dans La Casbah, il n’en reste que deux ou trois ! Où sont passés les tisserands, les fabricants de chaussures arabes ? C’était ce qui faisait la grandeur de La Casbah», ajoute-t-il, attristé.

    L’artisan explique qu’il a des pièces de valeur qui devraient orner nos musées mais que souvent il est obligé de vendre aux touristes. «Il faut vivre ! Je n’ai pas le choix ! J’aurais aimé bénéficier d’une pension mensuelle, en guise de reconnaissance pour mon talent. Cela me permettrait également de me consacrer entièrement à ma passion.»

    Plus loin, des espaces vides, les traces de bâtisses qui se sont écroulées, des gens sont morts, dans l’indifférence. Des stades ou des murs en béton, érigés sans aucune esthétique, viennent remplir ce vide et défigurer la vue.

    Un gâchis.

    Par le Soir
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