Jamais les sujets d’incompréhension entre les deux pays n’ont été si nombreux et les tensions si profondes. Enquête sur des amants terribles.
Les projets de loi déposés par les députés à l’Assemblée populaire nationale durant l’actuelle législature se comptent sur les doigts d’une seule main. Celui proposé, le 13 janvier 2010, par Moussa Abdi, élu du Front de libération nationale (FLN), fera date. Le texte demande la criminalisation du colonialisme. Viendrait-il à être adopté qu’il entraînerait la création de juridictions spéciales chargées de juger les responsables politiques et militaires français pour les crimes de guerre perpétrés entre 1954 et 1962, et pour les crimes contre l’humanité qui auraient eu lieu durant la longue période coloniale (cent trente-deux ans de présence française en Algérie). Soutenue par 125 députés (sur 389), l’initiative est une réponse tardive à la loi française du 23 février 2005 qui reconnaissait les côtés positifs de la colonisation (texte finalement abrogé un an plus tard). Nouveauté : l’exigence de repentance, terme qu’abhorre le président Nicolas Sarkozy, ne suffit plus. En plus des excuses demandées à *l’ancienne métropole et de la reconnaissance du « génocide », il lui serait désormais exigé des compensations financières, à *l’image des accords entre l’Italie et la Libye qui prévoient des dédommagements à hauteur de 5 milliards de dollars sous forme d’investissements.
Les poussées de fièvre entre Alger et Paris sont cycliques, mais celle que provoque la démarche du représentant du FLN est sans aucun doute la plus grave car elle menace durablement l’équilibre des relations entre les deux pays. D’autant qu’elle survient dans un climat déjà lourd. Les canaux de dialogue entre les deux capitales sont quasi nuls, les divergences sur des questions géostratégiques s’accumulent (Proche-Orient, Sahara occidental, problèmes de sécurité au Sahel, etc.) tandis que les contentieux juridiques et politiques se multiplient.
Rendez-vous manqués
Les contacts à un haut niveau entre les deux pays deviennent rarissimes. Le dernier responsable français reçu par le président Abdelaziz Bouteflika fut le Premier ministre François Fillon. Cela remonte à juin 2008. Il séjournait à Alger pour préparer la visite d’État que devait effectuer Bouteflika en 2009 et qui n’a jamais eu lieu. À ce jour, « elle n’est pas inscrite dans le calendrier du président de la République », précise Mourad Medelci, ministre algérien des Affaires étrangères.
Même les chefs de la diplomatie n’arrivent pas à caler un rendez-*vous malgré les dossiers de coopération bilatérale qui encombrent leurs bureaux. Après avoir raté celui prévu à New York en septembre 2009, en marge des travaux de l’Assemblée générale des Nations unies (la rencontre n’a duré que *quelques minutes à cause des divergences à propos de son contenu et du refus de *Bouteflika de rencontrer Sarkozy), Bernard *Kouchner et Mourad Medelci ont, d’un commun accord, reporté le voyage que devait effectuer à la mi-janvier 2010 le *ministre français des *Affaires *étrangères à Alger.
Un passé qui ne veut pas passer
Près d’un demi-siècle après l’indépendance, les démons du passé polluent le présent et obèrent l’avenir des relations entre l’Algérie et l’ancienne puissance coloniale. Toutefois, les questions de mémoire n’expliquent pas à elles seules les convulsions cycliques qui caracté*risent le dialogue franco-algérien.
De puissants lobbies hostiles à toute normalisation existent de part et d’autre : nostalgiques de l’Algérie française dans l’Hexagone, rentiers de la légitimité révolutionnaire dans l’ex-colonie. Ces groupes de pression, adversaires hier, alliés objectifs aujourd’hui, empêchent toute approche *pragmatique dans les relations entre les deux pays. En France, ils se recrutent dans les associations de rapatriés d’Afrique du Nord, tel le Recours. En Algérie, on les trouve au sein de Machaal Echahid (« Le Flambeau du martyr ») ou encore de la Fondation du 8-Mai-1945. Ils para*lysent toute initiative de rapprochement, fût-elle l’émanation de la plus haute autorité du pays.
Trois anecdotes illustrent le blocage de toute démarche visant à assainir le lourd passif.
En juin 2000, Abdelaziz Bouteflika effectue une visite d’État à Paris. L’ambiance est plutôt cordiale avec son homologue Jacques Chirac. En signe de bonne volonté, il invite les rapatriés d’Algérie à « investir » dans leur « pays natal ». Et adresse une invitation personnelle au plus connu des pieds-noirs : le chanteur Enrico Macias. Tollé en Algérie et mobilisation sans précédent de la « famille révolutionnaire », terme générique désignant les associations et partis algériens se réclamant du nationalisme pur et dur. Un comité « anti-Macias » est même créé. À sa tête : Abdelaziz Belkhadem, alors *ministre d’État, représentant permanent de Bouteflika. La mobilisation est si forte que la visite du plus illustre rapatrié est annulée. Enrico Macias ne reverra pas sa ville natale, Constantine.
Oran, mars 2003. Près de 1 *million d’Algériens réservent un accueil triomphal à Jacques Chirac, ce « héros arabe ». Pour la première fois depuis l’indépendance, des dizaines de milliers de drapeaux français ornent les balcons d’Oran. Oubliées les accusations de torture de l’armée coloniale et les « corvées de bois » des paras de Bigeard. Chirac évoque un traité d’amitié et en esquisse les contours avec son hôte. Mais *quelques mois plus tard, des députés proches du président français torpillent son projet en proposant la fameuse loi qui sera adoptée en février 2005.
En décembre 2007, Nicols Sarkozy effectue sa première visite en Algérie en qualité de président de la *République. À la veille de son arrivée, Mohamed Cherif Abbas, ministre algérien des Moudjahidine (Anciens Combattants), déclare que « Sarkozy ne doit son élection qu’au soutien du lobby juif en France ». Ces propos antisémites embarrassent Bouteflika, qui ne prend pas pour autant de sanctions contre le gaffeur…
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Les projets de loi déposés par les députés à l’Assemblée populaire nationale durant l’actuelle législature se comptent sur les doigts d’une seule main. Celui proposé, le 13 janvier 2010, par Moussa Abdi, élu du Front de libération nationale (FLN), fera date. Le texte demande la criminalisation du colonialisme. Viendrait-il à être adopté qu’il entraînerait la création de juridictions spéciales chargées de juger les responsables politiques et militaires français pour les crimes de guerre perpétrés entre 1954 et 1962, et pour les crimes contre l’humanité qui auraient eu lieu durant la longue période coloniale (cent trente-deux ans de présence française en Algérie). Soutenue par 125 députés (sur 389), l’initiative est une réponse tardive à la loi française du 23 février 2005 qui reconnaissait les côtés positifs de la colonisation (texte finalement abrogé un an plus tard). Nouveauté : l’exigence de repentance, terme qu’abhorre le président Nicolas Sarkozy, ne suffit plus. En plus des excuses demandées à *l’ancienne métropole et de la reconnaissance du « génocide », il lui serait désormais exigé des compensations financières, à *l’image des accords entre l’Italie et la Libye qui prévoient des dédommagements à hauteur de 5 milliards de dollars sous forme d’investissements.
Les poussées de fièvre entre Alger et Paris sont cycliques, mais celle que provoque la démarche du représentant du FLN est sans aucun doute la plus grave car elle menace durablement l’équilibre des relations entre les deux pays. D’autant qu’elle survient dans un climat déjà lourd. Les canaux de dialogue entre les deux capitales sont quasi nuls, les divergences sur des questions géostratégiques s’accumulent (Proche-Orient, Sahara occidental, problèmes de sécurité au Sahel, etc.) tandis que les contentieux juridiques et politiques se multiplient.
Rendez-vous manqués
Les contacts à un haut niveau entre les deux pays deviennent rarissimes. Le dernier responsable français reçu par le président Abdelaziz Bouteflika fut le Premier ministre François Fillon. Cela remonte à juin 2008. Il séjournait à Alger pour préparer la visite d’État que devait effectuer Bouteflika en 2009 et qui n’a jamais eu lieu. À ce jour, « elle n’est pas inscrite dans le calendrier du président de la République », précise Mourad Medelci, ministre algérien des Affaires étrangères.
Même les chefs de la diplomatie n’arrivent pas à caler un rendez-*vous malgré les dossiers de coopération bilatérale qui encombrent leurs bureaux. Après avoir raté celui prévu à New York en septembre 2009, en marge des travaux de l’Assemblée générale des Nations unies (la rencontre n’a duré que *quelques minutes à cause des divergences à propos de son contenu et du refus de *Bouteflika de rencontrer Sarkozy), Bernard *Kouchner et Mourad Medelci ont, d’un commun accord, reporté le voyage que devait effectuer à la mi-janvier 2010 le *ministre français des *Affaires *étrangères à Alger.
Un passé qui ne veut pas passer
Près d’un demi-siècle après l’indépendance, les démons du passé polluent le présent et obèrent l’avenir des relations entre l’Algérie et l’ancienne puissance coloniale. Toutefois, les questions de mémoire n’expliquent pas à elles seules les convulsions cycliques qui caracté*risent le dialogue franco-algérien.
De puissants lobbies hostiles à toute normalisation existent de part et d’autre : nostalgiques de l’Algérie française dans l’Hexagone, rentiers de la légitimité révolutionnaire dans l’ex-colonie. Ces groupes de pression, adversaires hier, alliés objectifs aujourd’hui, empêchent toute approche *pragmatique dans les relations entre les deux pays. En France, ils se recrutent dans les associations de rapatriés d’Afrique du Nord, tel le Recours. En Algérie, on les trouve au sein de Machaal Echahid (« Le Flambeau du martyr ») ou encore de la Fondation du 8-Mai-1945. Ils para*lysent toute initiative de rapprochement, fût-elle l’émanation de la plus haute autorité du pays.
Trois anecdotes illustrent le blocage de toute démarche visant à assainir le lourd passif.
En juin 2000, Abdelaziz Bouteflika effectue une visite d’État à Paris. L’ambiance est plutôt cordiale avec son homologue Jacques Chirac. En signe de bonne volonté, il invite les rapatriés d’Algérie à « investir » dans leur « pays natal ». Et adresse une invitation personnelle au plus connu des pieds-noirs : le chanteur Enrico Macias. Tollé en Algérie et mobilisation sans précédent de la « famille révolutionnaire », terme générique désignant les associations et partis algériens se réclamant du nationalisme pur et dur. Un comité « anti-Macias » est même créé. À sa tête : Abdelaziz Belkhadem, alors *ministre d’État, représentant permanent de Bouteflika. La mobilisation est si forte que la visite du plus illustre rapatrié est annulée. Enrico Macias ne reverra pas sa ville natale, Constantine.
Oran, mars 2003. Près de 1 *million d’Algériens réservent un accueil triomphal à Jacques Chirac, ce « héros arabe ». Pour la première fois depuis l’indépendance, des dizaines de milliers de drapeaux français ornent les balcons d’Oran. Oubliées les accusations de torture de l’armée coloniale et les « corvées de bois » des paras de Bigeard. Chirac évoque un traité d’amitié et en esquisse les contours avec son hôte. Mais *quelques mois plus tard, des députés proches du président français torpillent son projet en proposant la fameuse loi qui sera adoptée en février 2005.
En décembre 2007, Nicols Sarkozy effectue sa première visite en Algérie en qualité de président de la *République. À la veille de son arrivée, Mohamed Cherif Abbas, ministre algérien des Moudjahidine (Anciens Combattants), déclare que « Sarkozy ne doit son élection qu’au soutien du lobby juif en France ». Ces propos antisémites embarrassent Bouteflika, qui ne prend pas pour autant de sanctions contre le gaffeur…
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