BÉJAÏA-ALGER PAR AUTORAIL
Voyage aux couleurs du souvenir
Dès 6 heures du matin, je découvris la gare de Béjaïa. C’est un établissement propre aux peintures vives, le tout agrémenté d’un parterre de marbre.
Sur fond de musique, voyageurs et personnel respectaient cet espace. Nous eûmes rapidement nos billets, car il n’y avait pas affluence. Toutefois, le prix du billet est cher (700 DA pour un aller simple) et puis l’information n’avait pas circulé.
Après quelque cinq minutes de retard, trois coups de sifflet retentissent et le train s’ébranle délicatement et silencieusement, comme pour ne pas réveiller les Béjaouis qui dormaient encore en cette matinée printanière.
Au premier et au deuxième passages à niveau, les voitures stoppèrent; conducteurs et passagers nous jetaient un regard d’admiration. L’autorail ne pouvait passer inaperçu. A partir de Bir Slam, la route est parallèle à la voie ferrée. Alors, nous dépassions les voitures et surtout les bus à destination d’Alger, comme nous. Nous arrivions même à rattraper ceux qui étaient partis avant nous.
Un paysage printanier m’attire. Tout est en fleurs. Toutes ces crêtes, ces plaines et toute cette vallée me rappellent des souvenirs.
Cette euphorie qui m’emporte loin dans l’histoire est vite dissipée par l’état malheureux de la voie, cette voie qui est devenue un dépotoir pour les riverains et même pour les hameaux ou les villages construits en bordure: eaux usées, plastique et toutes sortes d’ordures jonchent les abords de la voie. Parfois, nous trouvions carrément des décharges tout près des rails! Et à chaque traversée d’agglomération, nous trouvions des nappes d’eaux usées, de couleur noirâtre, ce qui dénote le degré de pollution.
Mais le train continue à avancer silencieusement et même furtivement, en accélérant par endroits. Des gens de passage ou occupés à des travaux champêtres s’arrêtent et lèvent la tête pour admirer le train, en nous faisant même des signes de la main. Personne ne pouvait rester indifférent devant la beauté de ce train, un bijou que nous n’avions l’habitude de voir qu’à la télévision ou ailleurs pour ceux qui ont la chance de voyager. Jamais ils n’auraient pensé qu’un tel bijou passerait juste devant chez eux, sous leurs balcons même et qui leur apportera, pour quelques-uns, la nostalgie des voyages en TGV!
Ils poussèrent parfois des exclamations. En gare de Sidi Aïch, beaucoup de voyageurs montaient dans le train, malgré la cherté du billet.
Le panorama des Aït Oughlis nous attire avec son chapelet de villages, les uns collés aux autres, depuis Tala Ouzrou, jusqu’à Semaoune (Chemini).
Tout le long de la voie, on découvre le «côté cour», un jardin secret des maisons que seuls les voyageurs peuvent admirer, comme s’ils violaient leur intimité. La façade des édifications sur la voie ferrée reste cachée pour les autres.
Quelques bêtes qui paissent le long de la voie sont effarouchées par le passage du train. Elles se mettent à fuir et même à gambader, comme pour une exhibition!
J’appréhendais beaucoup les jets de pierres. Avant de le prendre, j’ai remarqué qu’il portait déjà des traces sur sa tôle. Quel crime! Un si beau train déjà caillassé par endroits! Ces garnements sévissent en toute impunité contre les trains de passage. Mais pour le moment, ils ne se sont pas encore manifestés.
Nous arrivons maintenant à Ouzellaguen, avec au loin, les rochers des Aïth Zikki. Un peu vers la gauche, c’est Ifri avec bien sûr des tas de souvenirs, comme le Congrès de la Soummam. A Ighram, c’est le col de Chellata qui domine, avec en contrebas, le mausolée de Sidi Slimane avec au-dessus quelques taches blanches de la neige non encore fondue puisqu’elle continue à résister à la chaleur de l’été précoce qui arrive. Les villages défilent les uns après les autres: Tighilt Makhlouf, Aït Sellam, Tizi, Maâli, Aït Kerrou, Ighram, Ighil Nacer, etc.
L’atmosphère dans le train est très bonne: pas de bruit, pas de voyous ni resquilleurs, pas de gamins qui chahutent ou qui se disputent dans les couloirs pendant qu’ils vendaient, autrefois, des sandwichs de mauvaise qualité. Chacun des voyageurs respecte la tranquillité du voisin: pas de cigarettes, pas de bruit, le tout pour avoir une atmosphère presque solennelle!
A Tazmalt, un groupe d’écoliers vient admirer le train en caressant même le métal, comme pour s’assurer que ce n’était pas de la fiction. Un si beau train dans leur gare! Et tout près d’eux!
Au loin, c’est Beni Mansour. Mais avant, je reconnais Aït Hamdoun, Ivehlal, et bien sûr, Takerbouzt.
Plus au nord, c’est le début du Djurdjura, avec en premier lieu Iwakouren que je connais bien. C’était mon secteur à l’époque du maquis!
En gare de Beni Mansour, l’animation est fébrile; des fumeurs profitent de l’arrêt pour griller une cigarette à la hâte avant le départ. Ils se mettent à tirer des bouffées saccadées, tout en épiant le chef de gare pour le coup de sifflet annonçant le départ. Il est 8h15 et le train s’ébranle alors que des voyageurs interpellent ceux restés sur le quai, comme pour se lancer des plaisanteries.
L’atmosphère est toujours étrangement silencieuse dans le compartiment. A Ahnif, les fenaisons ont démarré, contrairement à la vallée.
Tous les villages traversés sont dominés par les minarets des mosquées qui rivalisent avec les crêtes environnantes et les antennes des opérateurs de téléphonie mobile. Le relief nous montre la proximité des Hauts-Plateaux, si ce n’est des oliviers chétifs, une terre blanche ou schisteuse. La végétation est éparse et laisse entrevoir les Hauts-Plateaux d’abord et plus loin la steppe. Au loin, c’est Tamelaht que j’ai connue en 1957, c’est-à-dire 52 ans auparavant!
Des petites gares sont traversées à vive allure, dans l’ignorance, comme si elles avaient perdu de leur importance. Des sapins dominent sur les crêtes qui défilent devant nous: le contraste est à notre portée, puisque face à nous, le massif du Djurdjura, toujours majestueux!
Toujours, pas de jets de pierres! Les gamins respectent ce beau train venu d’ailleurs. Ils n’osent pas lui taper dessus, comme par respect à sa beauté, à son originalité.
De la fenêtre, j’aperçois Iwakourène, Imesdourère et la forêt de cèdres, les cîmes du Djurdjura. C’est dire qu’au loin, de part et d’autre de notre passage, tout me rappelle les combats, les ratissages, des traversées, des embuscades. Un flot de souvenirs se précipitent dans ma mémoire depuis les années 1957 jusqu’en 1962.
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Voyage aux couleurs du souvenir
Dès 6 heures du matin, je découvris la gare de Béjaïa. C’est un établissement propre aux peintures vives, le tout agrémenté d’un parterre de marbre.
Sur fond de musique, voyageurs et personnel respectaient cet espace. Nous eûmes rapidement nos billets, car il n’y avait pas affluence. Toutefois, le prix du billet est cher (700 DA pour un aller simple) et puis l’information n’avait pas circulé.
Après quelque cinq minutes de retard, trois coups de sifflet retentissent et le train s’ébranle délicatement et silencieusement, comme pour ne pas réveiller les Béjaouis qui dormaient encore en cette matinée printanière.
Au premier et au deuxième passages à niveau, les voitures stoppèrent; conducteurs et passagers nous jetaient un regard d’admiration. L’autorail ne pouvait passer inaperçu. A partir de Bir Slam, la route est parallèle à la voie ferrée. Alors, nous dépassions les voitures et surtout les bus à destination d’Alger, comme nous. Nous arrivions même à rattraper ceux qui étaient partis avant nous.
Un paysage printanier m’attire. Tout est en fleurs. Toutes ces crêtes, ces plaines et toute cette vallée me rappellent des souvenirs.
Cette euphorie qui m’emporte loin dans l’histoire est vite dissipée par l’état malheureux de la voie, cette voie qui est devenue un dépotoir pour les riverains et même pour les hameaux ou les villages construits en bordure: eaux usées, plastique et toutes sortes d’ordures jonchent les abords de la voie. Parfois, nous trouvions carrément des décharges tout près des rails! Et à chaque traversée d’agglomération, nous trouvions des nappes d’eaux usées, de couleur noirâtre, ce qui dénote le degré de pollution.
Mais le train continue à avancer silencieusement et même furtivement, en accélérant par endroits. Des gens de passage ou occupés à des travaux champêtres s’arrêtent et lèvent la tête pour admirer le train, en nous faisant même des signes de la main. Personne ne pouvait rester indifférent devant la beauté de ce train, un bijou que nous n’avions l’habitude de voir qu’à la télévision ou ailleurs pour ceux qui ont la chance de voyager. Jamais ils n’auraient pensé qu’un tel bijou passerait juste devant chez eux, sous leurs balcons même et qui leur apportera, pour quelques-uns, la nostalgie des voyages en TGV!
Ils poussèrent parfois des exclamations. En gare de Sidi Aïch, beaucoup de voyageurs montaient dans le train, malgré la cherté du billet.
Le panorama des Aït Oughlis nous attire avec son chapelet de villages, les uns collés aux autres, depuis Tala Ouzrou, jusqu’à Semaoune (Chemini).
Tout le long de la voie, on découvre le «côté cour», un jardin secret des maisons que seuls les voyageurs peuvent admirer, comme s’ils violaient leur intimité. La façade des édifications sur la voie ferrée reste cachée pour les autres.
Quelques bêtes qui paissent le long de la voie sont effarouchées par le passage du train. Elles se mettent à fuir et même à gambader, comme pour une exhibition!
J’appréhendais beaucoup les jets de pierres. Avant de le prendre, j’ai remarqué qu’il portait déjà des traces sur sa tôle. Quel crime! Un si beau train déjà caillassé par endroits! Ces garnements sévissent en toute impunité contre les trains de passage. Mais pour le moment, ils ne se sont pas encore manifestés.
Nous arrivons maintenant à Ouzellaguen, avec au loin, les rochers des Aïth Zikki. Un peu vers la gauche, c’est Ifri avec bien sûr des tas de souvenirs, comme le Congrès de la Soummam. A Ighram, c’est le col de Chellata qui domine, avec en contrebas, le mausolée de Sidi Slimane avec au-dessus quelques taches blanches de la neige non encore fondue puisqu’elle continue à résister à la chaleur de l’été précoce qui arrive. Les villages défilent les uns après les autres: Tighilt Makhlouf, Aït Sellam, Tizi, Maâli, Aït Kerrou, Ighram, Ighil Nacer, etc.
L’atmosphère dans le train est très bonne: pas de bruit, pas de voyous ni resquilleurs, pas de gamins qui chahutent ou qui se disputent dans les couloirs pendant qu’ils vendaient, autrefois, des sandwichs de mauvaise qualité. Chacun des voyageurs respecte la tranquillité du voisin: pas de cigarettes, pas de bruit, le tout pour avoir une atmosphère presque solennelle!
A Tazmalt, un groupe d’écoliers vient admirer le train en caressant même le métal, comme pour s’assurer que ce n’était pas de la fiction. Un si beau train dans leur gare! Et tout près d’eux!
Au loin, c’est Beni Mansour. Mais avant, je reconnais Aït Hamdoun, Ivehlal, et bien sûr, Takerbouzt.
Plus au nord, c’est le début du Djurdjura, avec en premier lieu Iwakouren que je connais bien. C’était mon secteur à l’époque du maquis!
En gare de Beni Mansour, l’animation est fébrile; des fumeurs profitent de l’arrêt pour griller une cigarette à la hâte avant le départ. Ils se mettent à tirer des bouffées saccadées, tout en épiant le chef de gare pour le coup de sifflet annonçant le départ. Il est 8h15 et le train s’ébranle alors que des voyageurs interpellent ceux restés sur le quai, comme pour se lancer des plaisanteries.
L’atmosphère est toujours étrangement silencieuse dans le compartiment. A Ahnif, les fenaisons ont démarré, contrairement à la vallée.
Tous les villages traversés sont dominés par les minarets des mosquées qui rivalisent avec les crêtes environnantes et les antennes des opérateurs de téléphonie mobile. Le relief nous montre la proximité des Hauts-Plateaux, si ce n’est des oliviers chétifs, une terre blanche ou schisteuse. La végétation est éparse et laisse entrevoir les Hauts-Plateaux d’abord et plus loin la steppe. Au loin, c’est Tamelaht que j’ai connue en 1957, c’est-à-dire 52 ans auparavant!
Des petites gares sont traversées à vive allure, dans l’ignorance, comme si elles avaient perdu de leur importance. Des sapins dominent sur les crêtes qui défilent devant nous: le contraste est à notre portée, puisque face à nous, le massif du Djurdjura, toujours majestueux!
Toujours, pas de jets de pierres! Les gamins respectent ce beau train venu d’ailleurs. Ils n’osent pas lui taper dessus, comme par respect à sa beauté, à son originalité.
De la fenêtre, j’aperçois Iwakourène, Imesdourère et la forêt de cèdres, les cîmes du Djurdjura. C’est dire qu’au loin, de part et d’autre de notre passage, tout me rappelle les combats, les ratissages, des traversées, des embuscades. Un flot de souvenirs se précipitent dans ma mémoire depuis les années 1957 jusqu’en 1962.
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