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Amflora, la pomme de terre transgénique de la discorde

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  • Amflora, la pomme de terre transgénique de la discorde

    Amflora, la pomme de terre transgénique de BASF, autorisée à la culture en Europe par la Commission de Bruxelles, mardi 2 mars, continue de susciter la polémique.

    Chantal Jouanno, la secrétaire d'Etat à l'Ecologie, a mis en cause l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) qui a émis l'avis favorable sur lequel Bruxelles s'est appuyé pour donner son feu vert. "La France et l'ensemble des pays européens, à l'unanimité, avaient demandé, en décembre 2008, à la Commission, de changer de procédure. Elle ne l'a pas fait. Sur le fond, on ne reconnaît pas cette expertise", a déclaré Mme Jouanno, mercredi 3 mars. Elle ajoute sa voix à celles des socialistes et des Verts, qui dénoncent "un fait accompli" de Bruxelles. L'Amflora s'invite ainsi dans la campagne des élections régionales.

    Pour autant, Chantal Jouanno omet d'indiquer qu'en 2005, l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) avait rendu un avis favorable sur cette pomme de terre, y compris pour l'alimentation. La saisine par les ministères de l'agriculture et du développement durable français du Haut Conseil des biotechnologies (HCB), collège d'experts créé en 2008, changera-t-elle la donne ?

    BASF rappelle qu'Amflora n'entrera pas dans l'alimentation humaine. Le chimiste allemand précise qu'elle ne sera pas cultivée en France dans l'immédiat, mais en Suède, aux Pays-Bas, en République Tchèque et en Allemagne.

    Pourquoi cette levée de bouclier en France ?

    Cette pomme de terre, conçue il y a plus de quinze ans, est le premier OGM autorisé en Europe depuis 1998. Mais d'autres autorisations devraient suivre rapidement, José Manuel Barroso, président de la Commission européenne, étant très favorable aux biotechnologies. La question des liens entre certains experts de l'EFSA et l'industrie semencière, dénoncés par les ONG, reste posée, même si l'autorité prétend faire la chasse aux conflits d'intérêt. Le cas le plus emblématique est celui de Suzy Renckens, ex-coordinatrice du groupe OGM de l'EFSA, embauchée par Syngenta en 2008.

    Amflora ravive aussi des débats scientifiques anciens : l'opposition à ce tubercule tient notamment à l'insertion dans son génome d'un gène de résistance à des antibiotiques, la kanamycine et la néomycine.

    Tour d'horizon des questions scientifiques posées.

    Pourquoi avoir recours à de tels gènes de résistance ?

    Ces marqueurs génétiques sont des outils de sélection. Associés au gène introduit dans la plante modifiée, ils permettent de s'assurer que le transfert a bien eu lieu : l'antibiotique tue les cellules végétales où ce gène d'intérêt n'est pas exprimé.

    Ces gènes peuvent-ils passer de la plante à des bactéries, leur conférant des capacités de résistance aux antibiotiques ?


    Les études indiquent que les risques de transferts sont infimes, mais qu'ils ne peuvent être exclus. C'est pourquoi la directive 2001-18 recommandait "d'éliminer progressivement des OGM les marqueurs de résistance aux antibiotiques" susceptibles d'avoir des effets préjudiciables sur la santé humaine et l'environnement, avant le 31 décembre 2004 dans le cas des OGM déjà mis sur le marché, et d'ici au 31 décembre 2008 dans le cas d'essais en champ. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) s'est exprimée dans ce sens, pour préserver l'efficacité d'antibiotiques qualifiés de "hautement importants".

    L'EFSA a donc proposé de distinguer trois groupes de gènes de résistance : ceux dont l'utilisation doit être proscrite, ceux qui peuvent être utilisés de façon expérimentale, et ceux utilisés sans restriction, comme le nptII, présent dans Amflora, mais aussi dans le maïs MON 863, autorisé à l'importation (mais pas à la culture) en Europe. Mais ce classement ne concorde pas intégralement avec celui préconisé par l'OMS. En juin 2009, l'EFSA a produit un nouvel avis où elle estimait "improbable qu'il y ait des effets nocifs sur la santé humaine et sur l'environnement résultant du transfert" de ce gène. Deux de ses experts avaient émis des "opinions minoritaires". "On s'interdit d'introduire dans l'agroalimentaire des bactéries porteuses d'éléments génétiques transférables susceptibles d'engendrer des résistances", rappelle Christophe Nguyen-Thé, de l'INRA à Avignon.

    Dans un souci de cohérence, il souhaitait que la même précaution s'applique aux plantes transgéniques. Ivar Vagsholm, de l'Institut vétérinaire national d'Uppsala en Suède, soulignait que l'utilisation massive de tels OGM dans l'alimentation pourrait faire passer ce transfert d'"invraisemblable à hautement probable".

    La majorité des experts souligne cependant que ce gène, tiré de bactéries, est déjà naturellement omniprésent dans notre environnement, où les transferts entre bactéries sont innombrables.

    Pourrait-on se passer de ces outils de sélection ?


    Des alternatives sont disponibles, mais elles sont moins performantes, ou nécessitent des étapes supplémentaires - synonymes de coûts additionnels. "Si BASF éliminait le gène en question, il lui faudrait déposer un nouveau dossier. Entre le développement du produit et l'instruction de l'autorisation, il faudrait compter au moins cinq ans", estime Marc Fellous, président de l'Association française de biotechnologie végétale, favorable à l'usage des OGM.

    Comme d'autres généticiens, M. Fellous, qui a eu à examiner le dossier d'Amflora en 2000, lorsqu'il présidait la Commission du génie biomoléculaire, ne cache pas son embarras. Il regrette que ce soit précisément cet OGM, de conception ancienne, qui soit mis en avant par la Commission européenne - même s'il estime que les risques pour la santé humaine sont négligeables.

    Les variétés actuelles permettent-elles d'obtenir les résultats d'Amflora ?

    Une pomme de terre est faite avant tout d'amidon, lui-même composé d'amylose et d'amylopectine. Ce dernier composant est le plus recherché par les industriels, la substance étant utilisée dans la fabrication de colles, d'adhésifs et d'emballages, y compris alimentaires. Or aucune des quelque 25 variétés féculières de pommes de terre ne possède une teneur à 100 % en amylopectine équivalente à Amflora, assure Jean-Eric Chauvin, de l'INRA à Rennes.

    Alors que la période des semis se profile, pas question pour les 1 300 agriculteurs français spécialisés dans la production de fécules, sur un total de 20 000 producteurs de tubercules, de se lancer dans la pomme de terre OGM. Bien que les professionnels du secteur regrettent la tendance française à "rester autiste à l'évolution et à la recherche", selon l'expression de Patrick Trillon, président de l'Union nationale des producteurs de pommes de terre, les producteurs ne semblent pas pressés de l'adopter sur le terrain.

    Pour au moins trois raisons. D'abord parce que la demande d'amidon est plutôt en baisse. La faute à "la crise et en particulier la récession sévère qui touche l'industrie papetière", explique-t-on chez Roquette, numéro un français de la production d'amidon. Du fait aussi des recompositions du secteur : les producteurs auraient tendance à quitter une activité peu rémunératrice. Enfin, il existe des cultures concurrentes qui ont une meilleure teneur en amidon. C'est le cas notamment du maïs.

    Yves Chupeau, de l'INRA à Versailles, estime que l'autorisation donnée à BASF a une vocation expérimentale : elle va lui permettre de valider à plus grande échelle l'intérêt de sa pomme de terre, et les "process" industriels associés, avant d'en proposer d'autres versions. BASF a ainsi indiqué vouloir déposer un dossier d'autorisation pour une Amflora de nouvelle génération et pour une pomme de terre résistante au mildiou, destinée cette fois à l'alimentation humaine, en 2010 ou 2011.

    Une culture mondiale en hausse de 7 %

    Surface. Dans son rapport annuel 2009, publié en février 2010, l'International Service for the Acquisition of Agri-biotech Applications (ISAAA), un institut américain proche de l'industrie agrochimique, estime que 134 millions d'hectares de terre dans le monde sont couverts par des OGM, soit 7 % de plus qu'en 2008. 69,2 millions d'hectares servent à la culture du soja, suivi par le maïs (41,7 millions), le coton (16,1 millions) et le colza (6,4 millions).

    Europe. En 2009, 94 750 hectares de cultures OGM ont été exploités en Europe, contre 107 719 hectares en 2008. Cette baisse s'explique par la décision de l'Allemagne de ne plus autoriser la culture d'OGM. Seuls six pays européens (l'Espagne, le Portugal, la Pologne, la Roumanie, la Slovaquie et la République tchèque) autorisent cette culture.

    Pays émergents. 46 % des surfaces plantées en 2009 l'ont été dans des pays en développement. Sur les 14 millions d'agriculteurs concernés par la culture des OGM, seuls 10 % vivent dans des pays industrialisés.



    Hervé Morin et Brigitte Perucca
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