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Désillusions des anciens chefs talibans au chômage en Afghanistan

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  • Désillusions des anciens chefs talibans au chômage en Afghanistan

    Séduits par les offres du gouvernement, plusieurs combattants ont déposé les armes. Mais les promesses d’emplois restent pour l’instant sans suite, ce qui pourrait compromettre les efforts de réconciliation.

    En tant que commandant des talibans du district de Pusht-e-Zargon, dans l’ouest de l’Afghanistan, Abdul Wahab se considérait comme l’incarnation de la loi. Quelqu’un avait volé un mouton ? Il choisissait lui-même son châtiment : généralement une balle dans l’avant-bras ou le mollet. Il faisait bien attention à ne pas toucher l’os.

    Quand les salaires arrivaient du quartier général des talibans, situé au Pakistan (100 dollars par mois et par homme), c’était lui qui les distribuait. Il avait trente combattants sous ses ordres. “Si je leur avais demandé de sauter dans la rivière, ils l’auraient fait”, explique-t-il.

    Pouvoir et respect, voilà ce que les talibans avaient apporté à Abdul Wahab. Mais, en novembre 2009, il a préféré déposer les armes et échanger ces privilèges contre un travail et une vie plus paisible, à l’abri des raids américains. Les Etats-Unis, avec la coopération de l’OTAN et de leurs alliés afghans, s’efforcent en effet de réinsérer les combattants tels que lui en leur offrant des emplois.

    Les responsables politiques américains semblent avoir visé juste. Une rencontre avec Abdul Wahab et d’autres combattants ayant récemment quitté les rangs des talibans suffit pour s’en persuader. Plusieurs anciens talibans avouent avoir rejoint les rangs des extrémistes non par conviction religieuse, mais pour des raisons plus terre à terre : manque d’argent, conflits contre le gouvernement à Kaboul…

    A Herat, ville stratégique de l’ouest de l’Afghanistan, chacun fait preuve de pragmatisme quand il s’agit de choisir son camp. “Ici, les talibans n’obéissent pas à une idéologie”, explique Delawar Shah Delawar, le chef adjoint de la police de la ville. “Ce sont des gens qui ont souffert. Ils se sentent humiliés parce qu’ils n’ont pas de voiture, pas de garde du corps. Comment garder la tête haute en public ?”

    L’aide se limite à des couvertures et du charbon

    L’exemple de Gualam Yahya Akbari est tout à fait révélateur. Maire de Herat au début des années 1990, après le retrait des Soviétiques, c’était à l’époque un farouche adversaire des talibans. A leur arrivée au pouvoir, il a dû fuir en Iran. De retour en Afghanistan après l’invasion américaine, il a participé au développement de Herat, devenue l’une des villes les plus modernes d’Afghanistan. Mais, après un conflit avec le précédent gouverneur, il a été renvoyé en 2006. Il s’est alors retiré dans les vergers de son village natal de Siyawooshan et a recruté une armée.

    Malgré ses origines tadjikes, il s’est mis à soutenir les talibans, en majorité pachtounes, qui lui ont offert de l’argent, des armes et des experts en explosifs venus du Pakistan et d’Iran pour former ses partisans. Ses combattants se sont mis à faire régner la terreur à Herat. Ils attaquaient régulièrement au lance-roquettes l’aéroport de la ville, l’enceinte des Nations unies et la base militaire américaine. “Il s’était entouré de criminels, d’assassins, de kidnappeurs. Tout le monde se plaçait sous sa protection”, raconte le commandant Mohammed Rahim Panjchiri, responsable du contre-terrorisme à Herat. “Il a commencé avec cinq ou six personnes et a fini par avoir 300 à 400 hommes sous ses ordres.” Le 8 octobre, une frappe aérienne américaine a eu raison de lui et de vingt-deux de ses hommes alors qu’ils bivouaquaient sous une tente à Siyawooshan. Plusieurs milliers de personnes ont défilé en procession pour lui rendre hommage. A Herat, la mort d’Akbari “a été le plus grand événement de ces dernières années dans le domaine de la sécurité”, affirme un responsable américain.

    Sharif, un cultivateur du village d’Adraskan, était un des lieutenants d’Akbari. Il a commencé à considérer le gouvernement comme son ennemi quand son puits s’est asséché. Ailleurs, les autorités avaient contribué à l’entretien du système d’irrigation, explique-t-il, mais pas dans son village. “Les cultures ont périclité. Alors, j’ai décidé de rejoindre les talibans.” Suleiman Amiri, un autre chef de milice, avait perdu son emploi de chef de bataillon dans l’armée afghane. Il est parti dans les montagnes et il a rassemblé une milice. “Je voulais que les gens me respectent”, concède-t-il. Après la mort d’Akbari, l’insurrection a vacillé. Quelque 300 combattants se sont rendus aux autorités de la province. Tous les anciens talibans interrogés disent qu’on leur avait promis des emplois s’ils déposaient les armes, mais que, quatre mois plus tard, le gouvernement n’a toujours pas tenu ses engagements. L’aide dont ils disposent se limite à quelques rations alimentaires et à des “kits d’hivernage” de l’USAID [agence du gouvernement américain chargée de fournir l’assistance économique et humanitaire], qui contiennent des couvertures et du charbon. Beaucoup d’entre eux se sont installés dans le centre-ville de Herat. Ils redoutent tellement les représailles des talibans qu’ils n’osent pas rentrer chez eux. Amiri, l’ancien commandant de milice, s’est vu proposer un poste de chef de la police du district, mais Kaboul n’a pas encore approuvé sa nomination. Il loge dans une maison avec plusieurs dizaines de ses hommes. Sans emploi, ils sont de plus en plus inquiets. “Je paie de ma poche pour 80 personnes”, commente-t-il.

    Pour Abdul Wahab, l’ancien chef taliban, les perspectives ne sont guère plus radieuses. Il loue une masure dans un bidonville en périphérie de la ville. Les jours de pluie, le sol de terre se transforme en boue, qui gèle quand il fait froid.

    Pendant les semaines qui ont suivi sa défection, le “gouverneur” taliban de Herat l’a appelé sur son portable. Abdul Wahab était un traître, un infidèle, il ne valait pas mieux qu’un soldat américain. On l’a menacé : “On les tue, on va te tuer aussi.”

    N’ayant connu qu’une vie de combattant, il n’est pas intéressé par un emploi civil, mais les forces de sécurité afghanes ne lui proposent rien d’autre. Il refuse de revenir travailler la terre à Salimi [le village d’où il vient] car ses voisins se moqueraient de lui en le voyant tombé si bas. Il envisage de quitter le pays. Dans l’équation complexe de la politique afghane, il est de ceux, si nombreux, qui se sont battus successivement contre les talibans puis dans leurs rangs. Au moins, quand il était chef parmi eux, il était respecté. Aujourd’hui, conclut-il, “nous n’avons plus rien”

    Par Joshua Partlow, The Washington Post- Courrier International
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