Avant de commencer cette analyse du mouvement féministe en Algérie, je voudrais saluer la mémoire de Nabila et Katia, assassinées il y a quinze ans. Katia Bengana, lycéenne de 17 ans, assassinée le 28 octobre 1994 à Meftah, près d’Alger, pour avoir refusé de porter le hidjab et Nabila, architecte de 29 ans, assassinée le 15 février 1995 à Tizi Ouzou, parce qu’elle était la présidente de l’association féminine Tighri N’tmettouth, (le cri de la femme).
La présence des femmes dans l’Armée de Libération nationale, si minoritaire fut-elle, n’en a pas moins constitué une référence essentielle tout au long du combat des femmes algériennes pour leur émancipation. Alors que toutes les composantes du mouvement national exigeaient le respect du statut personnel traditionnel, cette présence a valorisé une symbolique de l’égalité des sexes et fourni aux mouvements des femmes depuis l’indépendance, un contingent de militantes aussi prestigieuses qu’intraitables sur le droit des femmes. C’est parmi les moudjahidate que naquit la revendication d’une organisation propre aux femmes que le pouvoir a concédée, d’autant mieux qu’elle servait son image de pays progressiste à l’extérieur du pays. L’UNFA est créée, mais elle sera rapidement mise au pas. Elles ont été, malgré leurs limites, à l’origine d’un travail d’alphabétisation, de sensibilisation sur la contraception... C’est autour de quelques-unes d’entre elles que s’organisaient les premières batailles, comme celle qui permit, en 1966, le rejet du premier projet de code de statut personnel inspiré de la charîa traditionnelle.
Elles seront aussi partie prenante de toutes les mobilisations, du printemps 1973 aux rassemblements de 1981, des coordinations de 90 aux actions les plus récentes.
La scolarisation massive des filles bouleverse la routine traditionnelle. Les familles traditionnelles encouragent l’instruction des filles. Des centaines de milliers de lycéennes et d’étudiantes circulent dans un espace public où leur présence contrevient aux règles non écrites de la société patriarcale rigoriste. Elles se heurtent à l’agressivité des passants, mais elles protestent contre le harcèlement sexuel dans les transports, elles imposent leur présence dans certains cafés, elles développent des solidarités autour de détresses personnelles. La mixité était réelle dans la majorité des écoles, collèges, lycées et dans les universités. Des enseignantes universitaires se révoltent contre leur exclusion des attributions de logement de fonction et leur maintien dans des chambres d’étudiantes.
Au printemps 1973, un collectif étudiant rassemble une centaine de femmes à l’Université d’Alger contre un projet de code de la famille. En janvier 1981, un rassemblement de 900 femmes dans un amphithéâtre de l’Université d’Alger obtient le retrait de l’autorisation de sortie du territoire, par un père ou un mari. D’autres rassemblements et coordinations se succédèrent jusqu’en décembre de cette année-là. Parmi les scolarisées, l’heure était à la révolte, au rejet de l’enfermement, des traditions... Le même phénomène est observé dans l’émigration, les jeunes femmes rejetant les mariages arrangés ou forcés et craignant une codification juridique qui aurait consacré l’oppression traditionnelle.
Une dizaine de cercles clandestins se constituent dans les principales villes en 1977, puis les activistes investissent des cadres officiels pour pouvoir agir publiquement. Le GTE (groupe de travail étudiant) de psychologie initie un ciné- club féminin à Alger, la section syndicale de sciences politiques organise un séminaire sur les droits des femmes, d’autres infiltrent une section de l’UNFA officielle... Des collectifs unitaires se constituent dans l’effervescence démocratique de 80 puis ce sont les rassemblements devant l’Assemblée nationale à l’automne 81, pour exiger le retrait du nouveau projet de code de la famille.
Les animatrices de ces protestations appartiennent à l’organisation communiste tolérée, le PAGS (Parti de l’avant-garde socialiste) et aux organisations clandestines de l’extrême-gauche trotskyste, principalement le GCR (Groupe communiste révolutionnaire) et l’OST (Organisation socialiste des travailleurs). Le soutien continu et déterminé des moudjahidate (anciennes de la guerre de libération), malgré leurs attaches politiques et parfois familiales avec les dirigeants du pays, a offert au mouvement un surcroît de légitimité et une protection précieuse.
Les divers noyaux constituaient un tissu commun, malgré les divergences politiques. Les revendications juridiques avancées par les moudjahidate (refus du tuteur, droit au travail, droit au divorce, mariage sans dot...) faisaient consensus.
Les lignes de partage étaient fluctuantes. Les trois tendances pouvaient s’opposer ou faire front selon :
- la position par rapport au code de la famille, amendements pour la mouvance du PAGS, abrogation pour la mouvance des trotskystes ;
- l’idée qu’au-delà des droits juridiques, il faut œuvrer à transformer les pratiques sociales et les mentalités, alors que l’OST se limitait à l’abrogation du code de la famille ; (Ils mobilisaient dans la perspective de la constituante souveraine sous le slogan : « le peuple doit décider ».)
- le type d’action, travail de terrain, de proximité pour changer les pratiques sociales (mixité, pratique du sport, représentations des femmes dans les manuels scolaires, inégalité des salaires, discriminations professionnelles...) que partageaient les mouvances du PAGS et du GCR.
Après 82, le champ politique se ferme, c’est le reflux. Les collectifs féminins s’affaiblissent. Le code de la famille est adopté, l’été 84 sans réaction notable. Les noyaux militants survivent modestement. L’expérience du groupe Ahlam, qui organise des ciné-clubs féminins massifs et maintient un fonctionnement régulier, servira de modèle dans les années qui suivent. L’atelier ARFA, qui animera la revue Présence de femmes, est installé la même année. Une année plus tard, l’Association pour l’égalité devant la loi entre les femmes et les hommes est proclamée. Ces différents noyaux maintiennent la célébration du 8 mars qui rassemble encore des centaines de femmes. Dans cette phase de reflux, deux phénomènes vont contribuer à former une nouvelle génération de militantes féministes : les ciné-clubs féminins et le mouvement syndical étudiant autonome.
La présence des femmes dans l’Armée de Libération nationale, si minoritaire fut-elle, n’en a pas moins constitué une référence essentielle tout au long du combat des femmes algériennes pour leur émancipation. Alors que toutes les composantes du mouvement national exigeaient le respect du statut personnel traditionnel, cette présence a valorisé une symbolique de l’égalité des sexes et fourni aux mouvements des femmes depuis l’indépendance, un contingent de militantes aussi prestigieuses qu’intraitables sur le droit des femmes. C’est parmi les moudjahidate que naquit la revendication d’une organisation propre aux femmes que le pouvoir a concédée, d’autant mieux qu’elle servait son image de pays progressiste à l’extérieur du pays. L’UNFA est créée, mais elle sera rapidement mise au pas. Elles ont été, malgré leurs limites, à l’origine d’un travail d’alphabétisation, de sensibilisation sur la contraception... C’est autour de quelques-unes d’entre elles que s’organisaient les premières batailles, comme celle qui permit, en 1966, le rejet du premier projet de code de statut personnel inspiré de la charîa traditionnelle.
Elles seront aussi partie prenante de toutes les mobilisations, du printemps 1973 aux rassemblements de 1981, des coordinations de 90 aux actions les plus récentes.
La révolte des femmes scolarisées
La scolarisation massive des filles bouleverse la routine traditionnelle. Les familles traditionnelles encouragent l’instruction des filles. Des centaines de milliers de lycéennes et d’étudiantes circulent dans un espace public où leur présence contrevient aux règles non écrites de la société patriarcale rigoriste. Elles se heurtent à l’agressivité des passants, mais elles protestent contre le harcèlement sexuel dans les transports, elles imposent leur présence dans certains cafés, elles développent des solidarités autour de détresses personnelles. La mixité était réelle dans la majorité des écoles, collèges, lycées et dans les universités. Des enseignantes universitaires se révoltent contre leur exclusion des attributions de logement de fonction et leur maintien dans des chambres d’étudiantes.
Au printemps 1973, un collectif étudiant rassemble une centaine de femmes à l’Université d’Alger contre un projet de code de la famille. En janvier 1981, un rassemblement de 900 femmes dans un amphithéâtre de l’Université d’Alger obtient le retrait de l’autorisation de sortie du territoire, par un père ou un mari. D’autres rassemblements et coordinations se succédèrent jusqu’en décembre de cette année-là. Parmi les scolarisées, l’heure était à la révolte, au rejet de l’enfermement, des traditions... Le même phénomène est observé dans l’émigration, les jeunes femmes rejetant les mariages arrangés ou forcés et craignant une codification juridique qui aurait consacré l’oppression traditionnelle.
Des cercles aux collectifs
Une dizaine de cercles clandestins se constituent dans les principales villes en 1977, puis les activistes investissent des cadres officiels pour pouvoir agir publiquement. Le GTE (groupe de travail étudiant) de psychologie initie un ciné- club féminin à Alger, la section syndicale de sciences politiques organise un séminaire sur les droits des femmes, d’autres infiltrent une section de l’UNFA officielle... Des collectifs unitaires se constituent dans l’effervescence démocratique de 80 puis ce sont les rassemblements devant l’Assemblée nationale à l’automne 81, pour exiger le retrait du nouveau projet de code de la famille.
Les animatrices de ces protestations appartiennent à l’organisation communiste tolérée, le PAGS (Parti de l’avant-garde socialiste) et aux organisations clandestines de l’extrême-gauche trotskyste, principalement le GCR (Groupe communiste révolutionnaire) et l’OST (Organisation socialiste des travailleurs). Le soutien continu et déterminé des moudjahidate (anciennes de la guerre de libération), malgré leurs attaches politiques et parfois familiales avec les dirigeants du pays, a offert au mouvement un surcroît de légitimité et une protection précieuse.
Les divers noyaux constituaient un tissu commun, malgré les divergences politiques. Les revendications juridiques avancées par les moudjahidate (refus du tuteur, droit au travail, droit au divorce, mariage sans dot...) faisaient consensus.
Les lignes de partage étaient fluctuantes. Les trois tendances pouvaient s’opposer ou faire front selon :
- la position par rapport au code de la famille, amendements pour la mouvance du PAGS, abrogation pour la mouvance des trotskystes ;
- l’idée qu’au-delà des droits juridiques, il faut œuvrer à transformer les pratiques sociales et les mentalités, alors que l’OST se limitait à l’abrogation du code de la famille ; (Ils mobilisaient dans la perspective de la constituante souveraine sous le slogan : « le peuple doit décider ».)
- le type d’action, travail de terrain, de proximité pour changer les pratiques sociales (mixité, pratique du sport, représentations des femmes dans les manuels scolaires, inégalité des salaires, discriminations professionnelles...) que partageaient les mouvances du PAGS et du GCR.
Le reflux
Après 82, le champ politique se ferme, c’est le reflux. Les collectifs féminins s’affaiblissent. Le code de la famille est adopté, l’été 84 sans réaction notable. Les noyaux militants survivent modestement. L’expérience du groupe Ahlam, qui organise des ciné-clubs féminins massifs et maintient un fonctionnement régulier, servira de modèle dans les années qui suivent. L’atelier ARFA, qui animera la revue Présence de femmes, est installé la même année. Une année plus tard, l’Association pour l’égalité devant la loi entre les femmes et les hommes est proclamée. Ces différents noyaux maintiennent la célébration du 8 mars qui rassemble encore des centaines de femmes. Dans cette phase de reflux, deux phénomènes vont contribuer à former une nouvelle génération de militantes féministes : les ciné-clubs féminins et le mouvement syndical étudiant autonome.
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