09/03/2010 18:00
Atmosphère de fin de règne à Alger
Les affaires de corruption qui touchent le clan présidentiel font craindre des bouleversements politiques
Alger vit au rythme des informations sur la lutte de clans au sein du pouvoir. Mercredi dernier, Zinedine Zidane a dénoué à son insu une rumeur qui courait en Algérie : « Le président est mort. Les autorités attendent la fin du match amical Algérie-Serbie ce soir pour l’annoncer. » L’ancien footballeur français était arrivé avec l’équipe championne du monde 1998 pour un tournoi. Sa présence en famille a offert l’occasion à Abdelaziz Bouteflika, 73 ans, de se montrer, lui aussi, en famille. Le président de la République, qui a entamé il y a près d’un an son troisième mandat, avait disparu depuis plus d’un mois des écrans.
Un point d’information exceptionnellement avancé à 17 heures a diffusé des images. À peine audible mais souriant, l’œil malicieux, Abdelaziz Bouteflika en a profité pour envoyer un message fort à tous ceux qui tablaient sur le déclin de son clan. Il était flanqué de son frère médecin, Mustapha, malade depuis plusieurs mois d’un cancer, dont la « nouvelle » de la mort se confondait parfois avec celle du président.
Blouson et cravate bariolée, Saïd, le « frère héritier » était aussi présent. Homme fort de la présidence de la République, il a été contraint de prendre du recul depuis deux mois en raison d’un amoncellement de dossiers de corruption le visant, disent les uns ; pour aller au chevet de Mustapha en Suisse disent les autres.
«C’est la crise en haut lieu»
L’absence, le 26 février, du président de la République aux funérailles d’État d’Ali Tounsi, directeur général de la sûreté nationale (DGSN), avait alimenté la rumeur sur sa rechute. En poste depuis 1995, Ali Tounsi, 73 ans, a été assassiné par son plus proche collaborateur, le colonel Chouheib Oultach.
Un fait divers « sans témoins », comme tente de le vendre le ministre de l’intérieur, Nourredine Zerhouni, fidèle du président, connu pour son hostilité au défunt. Ce dernier était pour sa part un protégé du général Mediène Toufik, patron de la sécurité militaire (DRS), homme fort du régime. Le colonel Oultach allait être suspendu pour des accusations de malversations. La fuite de cette information dans le quotidien Ennahar l’avait mis hors de lui.
Pour Mohamed Chaicha, politologue, « le règlement de compte à coups de Smith & Wesson a choqué, car il dit la vérité du régime: les militaires veulent reprendre la main. Ils ne sont pas loin de considérer Abdelaziz Bouteflika et son clan comme un risque politique. Le président est immobile face à un pays qui bouillonne. Pendant ce temps, ses proches –pas seulement eux– rackettent les marchés publics. Le trafic d’influence est devenu de loin supérieur au service politique rendu. C’est la crise en haut lieu. »
Le clan présidentiel est mis sous pression
Les « affaires » ont rendu le climat délétère. Il y a eu d’abord le gargantuesque pot-de-vin – au moins 200 millions d’euros – des Chinois pour l’obtention de deux tronçons de l’autoroute est-ouest. Tout le staff du ministre des travaux publics est en détention préventive. Puis, au début de l’année, le méga-scandale de malversations dans la passation de marché de la société pétrolifère d’État, la Sonatrach. Le PDG, Mohamed Meziane, est sous contrôle judiciaire, ses deux fils en prison, ainsi que deux vice-présidents de la Sonatrach. Un séisme.
Trait commun entre les deux affaires : la DRS qui a mené l’enquête. Dans les deux cas, les fils conduisent à l’entourage présidentiel. De manière quasi évidente dans le cas de la Sonatrach : rien ne s’y décide sans l’avis de Chakib Khelil, ministre omnipotent de l’énergie, autre fidèle du président.
« Le président subit plus qu’il ne contrôle. Des médias proches de lui ont suggéré qu’il est à la tête de cette opération mains propres contre le fléau de la corruption. Il a laissé les enquêtes se poursuivre, parce que, politiquement, c’est devenu plus dangereux de les stopper », estime un ancien PDG de la Sonatrach. L’Algérie a passé pour plus de 100 milliards de contrats avec l’étranger ces quatre dernières années. Cela a fait bouger les lignes du pouvoir. Le clan présidentiel est mis sous pression. Simple réajustement ou accélération de la fin de règne?
Amine KADID (à Alger)
La Croix
Atmosphère de fin de règne à Alger
Les affaires de corruption qui touchent le clan présidentiel font craindre des bouleversements politiques
Alger vit au rythme des informations sur la lutte de clans au sein du pouvoir. Mercredi dernier, Zinedine Zidane a dénoué à son insu une rumeur qui courait en Algérie : « Le président est mort. Les autorités attendent la fin du match amical Algérie-Serbie ce soir pour l’annoncer. » L’ancien footballeur français était arrivé avec l’équipe championne du monde 1998 pour un tournoi. Sa présence en famille a offert l’occasion à Abdelaziz Bouteflika, 73 ans, de se montrer, lui aussi, en famille. Le président de la République, qui a entamé il y a près d’un an son troisième mandat, avait disparu depuis plus d’un mois des écrans.
Un point d’information exceptionnellement avancé à 17 heures a diffusé des images. À peine audible mais souriant, l’œil malicieux, Abdelaziz Bouteflika en a profité pour envoyer un message fort à tous ceux qui tablaient sur le déclin de son clan. Il était flanqué de son frère médecin, Mustapha, malade depuis plusieurs mois d’un cancer, dont la « nouvelle » de la mort se confondait parfois avec celle du président.
Blouson et cravate bariolée, Saïd, le « frère héritier » était aussi présent. Homme fort de la présidence de la République, il a été contraint de prendre du recul depuis deux mois en raison d’un amoncellement de dossiers de corruption le visant, disent les uns ; pour aller au chevet de Mustapha en Suisse disent les autres.
«C’est la crise en haut lieu»
L’absence, le 26 février, du président de la République aux funérailles d’État d’Ali Tounsi, directeur général de la sûreté nationale (DGSN), avait alimenté la rumeur sur sa rechute. En poste depuis 1995, Ali Tounsi, 73 ans, a été assassiné par son plus proche collaborateur, le colonel Chouheib Oultach.
Un fait divers « sans témoins », comme tente de le vendre le ministre de l’intérieur, Nourredine Zerhouni, fidèle du président, connu pour son hostilité au défunt. Ce dernier était pour sa part un protégé du général Mediène Toufik, patron de la sécurité militaire (DRS), homme fort du régime. Le colonel Oultach allait être suspendu pour des accusations de malversations. La fuite de cette information dans le quotidien Ennahar l’avait mis hors de lui.
Pour Mohamed Chaicha, politologue, « le règlement de compte à coups de Smith & Wesson a choqué, car il dit la vérité du régime: les militaires veulent reprendre la main. Ils ne sont pas loin de considérer Abdelaziz Bouteflika et son clan comme un risque politique. Le président est immobile face à un pays qui bouillonne. Pendant ce temps, ses proches –pas seulement eux– rackettent les marchés publics. Le trafic d’influence est devenu de loin supérieur au service politique rendu. C’est la crise en haut lieu. »
Le clan présidentiel est mis sous pression
Les « affaires » ont rendu le climat délétère. Il y a eu d’abord le gargantuesque pot-de-vin – au moins 200 millions d’euros – des Chinois pour l’obtention de deux tronçons de l’autoroute est-ouest. Tout le staff du ministre des travaux publics est en détention préventive. Puis, au début de l’année, le méga-scandale de malversations dans la passation de marché de la société pétrolifère d’État, la Sonatrach. Le PDG, Mohamed Meziane, est sous contrôle judiciaire, ses deux fils en prison, ainsi que deux vice-présidents de la Sonatrach. Un séisme.
Trait commun entre les deux affaires : la DRS qui a mené l’enquête. Dans les deux cas, les fils conduisent à l’entourage présidentiel. De manière quasi évidente dans le cas de la Sonatrach : rien ne s’y décide sans l’avis de Chakib Khelil, ministre omnipotent de l’énergie, autre fidèle du président.
« Le président subit plus qu’il ne contrôle. Des médias proches de lui ont suggéré qu’il est à la tête de cette opération mains propres contre le fléau de la corruption. Il a laissé les enquêtes se poursuivre, parce que, politiquement, c’est devenu plus dangereux de les stopper », estime un ancien PDG de la Sonatrach. L’Algérie a passé pour plus de 100 milliards de contrats avec l’étranger ces quatre dernières années. Cela a fait bouger les lignes du pouvoir. Le clan présidentiel est mis sous pression. Simple réajustement ou accélération de la fin de règne?
Amine KADID (à Alger)
La Croix
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