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Le fléau de la silicose à T’kout

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  • Le fléau de la silicose à T’kout

    A T’kout, la population se sent entièrement concernée par ce fléau qui dicte ses propres règles. A titre d’illustration, les pères de famille refoulent systématiquement les prétendants tailleurs de pierres de métier qui viennent demander la main de leurs filles, raconte un employé du bureau de poste local.

    Face à ce mal, la région a peu de ressources.

    Située dans un *** de sac érigé sur un relief difficile à plus de 90 km du chef-lieu de wilaya de Batna, T’kout est victime de sa géographie et ce n’est pas le moindre des inconvénients, ajouté à cela ce sentiment répandu parmi la population que la localité subit des « représailles » pour sa mobilisation dans le mouvement des archs au début des années 2000.

    Le drame est insoutenable : imaginez un pays où ni l’agriculture ni le commerce ou l’industrie ne font recette. Imaginez des milliers de jeunes livrés à eux-mêmes sans débouchés dans les secteurs pourvoyeurs d’emplois, d’un métier et qui, grâce à la géologie locale, viendrait offrir des solutions aux hommes, et qui connaît un boom avec l’augmentation exponentielle d’une demande directement liée à l’enrichissement d’une certaine classe sociale et l’émergence de milliers de villas.

    Naquit alors la corporation des tailleurs de pierres de T’kout, mais la saga ne fera pas long feu avant d’être rattrapée par l’ennemi mortel : la silicose. En 4 ans, les statistiques officielles parlent de 58 morts dans la région, dont 50 rien que dans le village de T’kout. Depuis que la sonnette d’alarme a été tirée par des médecins de la région, les propositions se sont succédé avec maintes hésitations, contrairement à la maladie qui progresse.

    La solution, selon les médecins, est radicale : il faut arrêter la pratique de ce métier. Mais l’effort le plus important est orienté sur les jeunes scolarisés : aujourd’hui, et grâce aux campagnes de sensibilisation de proximité, on peut se réjouir de l’idée que sur les bancs de classes, les enfants ne rêvent plus de devenir tailleurs de pierres, affirme Dr Bachir Rahmani. Une victoire peut-être contre la fatalité de la maladie mais pas contre la misère et l’incertitude de l’avenir…

    Résister à la fatalité

    Beaucoup ont suivi les conseils des médecins et ont tourné le dos à la pierre. Parmi eux, certains se sont inscrits au chômage et touchent 3000 DA par mois, et se font rembourser leurs médicaments par la sécurité sociale. Il y a ceux aussi qui ont défié la maladie et sont partis à la recherche de la guérison. Mahmoud Bezzala, 30 ans, fait partie de ceux qui ont fini par trouver refuge à Tunis, dans un cabinet de pneumo-phtisiologie. Au bout de nombreuses consultations, de radios et d’analyses multiples, Mahmoud a été soumis à un traitement qui, selon lui, a donné les résultats espérés. Les taches noires sur ses poumons sont parties, affirme-t-il, confiant.

    Il ne regrette pas d’avoir dépensé 200 000 Da. La santé lui est revenue et il s’estime heureux d’avoir pu se convertir dans de nouveaux métiers : électricien-auto et coffreur, entre autres. Cette apparente réussite semble créer de l’émulation à T’kout, où une ordonnance portant nom et adresse du médecin tunisois est placardée sur plusieurs vitrines, alors que le bruit court qu’un mécène finance les candidats à cette option. Comme Mahmoud, Abdelouahab Mohamedi a quitté, lui aussi, ce métier en 2005, après 9 années passées à inhaler la poussière de silice. Pour se soigner, il a sillonné plusieurs villes algériennes à la recherche du médecin « compétent » et a fini par en trouver un à Constantine, qui le suit actuellement en attendant la guérison.

    En revanche, Abdelouahab n’a pas pu encore rebondir sur le marché de l’emploi et se trouve toujours au chômage, lui qui, du haut de ses 29 ans, doit nourrir trois bouches. La quête éperdue d’une guérison hypothétique semble devenir l’unique espoir de ces hommes qui vont sur les traces de ces médecins miraculeux, quitte à dépenser des fortunes à l’étranger, à l’instar de cette adresse tunisoise qui risque de devenir une véritable filière pour les malades. A l’opposé de cette résistance face au mal, à T’kout, on déplore les discours fatalistes développés par les officiels de Batna.

    Le 1er mars, le passage du nouveau DSP, accompagné par un professeur spécialiste en la matière, a eu un effet négatif sur le moral de la population. Face aux malades, les deux responsables ont tenu à dire qu’il n’existe pas de possibilités de guérison de cette maladie, raconte Abdelouahab, jugeant ces propos « irresponsables ». Abdelouahab ne comprend pas l’attitude du médecin qui, selon lui, a jeté le discrédit sur les diagnostics et les ordonnances délivrés par les confrères par qui sont passés les malades. Ce dernier a, par contre, promis d’organiser prochainement un séminaire international à Batna pour faire avancer les connaissances locales sur la pathologie en question, et voir si, éventuellement, il existe des remèdes ailleurs.

    Un drame à la dimension sociale

    Fin février, deux nouvelles victimes sont venues alourdir le bilan macabre. Les deux hommes ont succombé à une journée d’intervalle, chez eux à T’kout. Beaucoup sont morts ainsi, loin des murs d’hôpital après l’incapacité de la structure médicale de les prendre en charge. Au CHU de Batna comme à la clinique locale, on déclare forfait face à cette maladie. Le centre de santé de T’kout ferme à 16h. Au-delà, même les deux ambulances dont il dispose ne servent plus. Il faut savoir que la population revendique depuis des années la dotation de cette structure de moyens pour soigner ou du moins soulager les victimes de la silicose. La population a demandé aussi à ce que les ambulances soient opérationnelles de nuit. A côté de ces vœux demeurés lettre morte, une âme charitable, native de T’kout, a doté une association locale, baptisée Zalatou, d’une ambulance et de moyens mis à la disposition des malades.

    D’ailleurs, toutes les boutiques affichent le numéro de téléphone de l’association à appeler en cas d’urgence. Une autre âme charitable a acheté des appareils de respiration artificielle pour les malades alités. Cette sollicitude citoyenne contraste avec le déficit en matière de prises en charge par les structures de l’Etat. D’ailleurs, qu’a fait ce dernier pour venir au chevet des malades agonisants et répondre à la détresse de ceux qui se battent seuls contre la silicose ? Le Dr Rahmani, exerçant à T’kout, exprime la situation à sa manière : « Je reste reconnaissant à l’Etat dans ses entreprises face à cette calamité, mais est-ce suffisant ? En l’absence d’un débat collégial sur les solutions, la silicose, ce serial killer, restera dépourvue de toute forme de clémence sur les trois futures décennies. » Faut-il attendre les solutions médicales pour voir un jour le ciel s’éclaircir à T’kout ? Nombreux sont ceux qui croient que la clé de la problématique réside en amont, c’est-à-dire dans la dimension sociale du problème.

    Maladie professionnelle par excellence, la silicose pose, en effet, un problème social à T’kout. La faucheuse est en train de tuer la sève de la région, notamment ses hommes qui, pour la plupart, ont des familles à nourrir. Etant donné que la quasi-totalité des tailleurs de pierres ne dispose pas de couverture sociale, à chaque fois qu’il y a un décès, la victime laisse derrière elle une famille dépourvue de tout revenu. La liste des veuves et orphelins s’allonge elle aussi et constitue désormais une lourde charge pour la communauté dont les réseaux traditionnels de solidarité se déclarent impuissants. C’est là où l’Etat doit jouer son rôle et trouver l’alternative, pense Selim Yezza, un animateur du mouvement citoyen local qui tient à préciser, d’ailleurs, que son organisation n’est pas derrière les récentes manifestations des citoyens. La population attend des signaux forts de la part de l’Etat pour garantir aux tailleurs de pierres une reconversion professionnelle, faute de quoi, le mal aura encore de beaux jours devant lui.

    Dada, la trentaine pas encore entamée, fait partie de ceux qui font de la résistance et refusent d’abandonner la taille de pierres. Sans nourrir la moindre passion pour son art, Dada a une seule idée en tête : quitter ce métier est synonyme de chômage et de rêves brisés et pour lui, il n’est pas question de revenir à l’état de dépendance. « Comment pourrai-je payer mon café ? », nous dit-il humblement. Comme beaucoup de jeunes ici, il rêve de se marier et fonder un foyer pour vivre dignement des jours meilleurs dans son village natal. Un jour peut-être, T’kout pourra mettre ce fléau dans les mauvais souvenirs et pourquoi pas, voir ses enfants de la diaspora rentrer au bercail et prospérer loin des contraintes de santé.

    Par Nouri Nesrouche, El Watan
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