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Mouloud Feraoun, la vérité sans fard

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  • Mouloud Feraoun, la vérité sans fard

    Il est un fait étrange et mystérieux, à la limite du surnaturel: chaque fois que le pays se trouve confronté à une crise menaçant d’emporter ce qui subsiste de sa culture, il se trouve deux de ses enfants, deux hommes d’une égale valeur, deux exceptions, pour protéger et défendre ce qui nous dépeint le mieux, la langue, la tradition, nos comportements, nos façons d’être.

    Bref, deux hommes pour guider un peuple vers sa survie. Ces deux hommes ont le même prénom et des tempéraments presque à l’opposé, l’un est plus attiré par la sédentarité tandis que les déambulations de l’autre en font un nomade.

    Quand l’un se fait timide, l’autre nargue.

    Comme dans les grandes tragédies, les rôles sont distribués avec authenticité à des acteurs justes.

    Ainsi, les deux Mohand, les deux Mouloud, les deux Lounis ou Lounas.

    C’est de l’un de ses titans, puisque alliés de la montagne comme nous l’apprend Ovide, que nous parlerons: Mouloud Feraoun. Un maître qui a fait le serment d’écrire pour barder la pérennité d’une façon d’être en tenant à témoigner pour les siens et pour soi-même.

    Le témoignage est là, disponible, dans des rééditions couramment vagues et approximatives, mais qui ont le mérite d’offrir aux improbables lecteurs les récits d’une vie. Le Fils du pauvre est, aujourd’hui, un classique, on parle de chef-d’oeuvre de la littérature, on le conseille aux enfants en vouant sa «simplicité». On oublie qu’il a été publié à compte d’auteur et lorsqu’on mesure ce que coûtait ce procédé en ces temps de disette pour le jeune instituteur, unique pourvoyeur d’une famille nombreuse, nous aurons une estimation de l’effort et une appréciation du sacrifice.

    La vérité sans fard

    On ne peut pas être simple devant l’abysse de la misère humaine. Cette grande âme consciente et reconnaissante, n’oubliera pas le dévouement des siens, pas une page sans évoquer la générosité du père, l’inconditionnel amour de la soeur, l’auspice de l’oncle ou la protection de la grand-mère, sans négliger l’hommage aux maîtres, véritables éveilleurs.

    Le Fils du pauvre ou la vérité sans fard sur une existence rude, nous replonge dans cette époque d’entre-deux-guerres qui n’était pas la paix. Une oeuvre humaine qui, par sa mesure et sa décence même, se hisse vers l’universel, une oeuvre qu’il faut relire pour rattraper quelques humilités et faire découvrir à la jeune génération en insistant sur notre commune filiation.

    Feraoun parle de nous avec un tel accent de vérité que, tous, nous nous reconnaissons. Sur un ton pédagogique, il laisse continuellement fuser un humour malicieux, spirituel et toujours bienveillant.

    Ainsi, ce qu’il dit de la djemaâ, avec Baba Ahmed, se dit encore de nos jours et les meules rustiques de grès rouge servent encore. Ce qu’il nous décrit du marché ou du dépotoir (l’Agudu), est d’une actualité déconcertante.

    Ses bergères à la touchante naïveté, ont presque disparu (que Dieu garde les dernières) mais leur souvenir et l’amour de leurs chèvres qu’elles vénéraient tant, resteront pouf l’éternité, consignés dans des pages d’une poésie incomparable.

    «Chaque école a un dieu, nous le sentons qui veille avec nous, qui nous encourage, nous épie et se fâche quelquefois». Imaginons un instant que cette vérité soit dans le coeur de tout un chacun, de tous nos enseignants! Et si chaque école a un dieu, la sienne, qu’il a presque bâtie, peut s’enorgueillir de son divin concepteur.

    II partage avec Louis XIV, le Roi Soleil, la passion des figues, qu’il décrit avec une gourmandise contagieuse, il nous explique la meilleure façon de les manger. Surtout ne pas l’éplucher, la découper en deux serait un peu trop maniéré, il ne faut jeter que le petit pédoncule et avaler la friandise de préférence d’une seule bouchée!

    La variété de ses sujets n’est comparable qu’à la modernité insoupçonnable des thèmes qu’il a traités.

    Il pourrait même surprendre beaucoup de contemporains pudibonds. Habiter en haut de la colline où hurlent les vents, la colline antique (ighil n zman) se mérite, l’eau, paresseuse, préfère descendre et, la quérir, devient un labeur éreintant, réservé aux femmes qui en feront une source de liberté.

    L’existence serait inconcevable chez nous, s’il n’y avait pas les fontaines et pas seulement pour l’eau. Cet espace exclusivement féminin avait pour vocation de réunir les jeunes filles et de leur offrir le prétexte, journalier, de découvrir et de se montrer au soleil.

  • #2
    Ses observations, justes, du caractère et de la société kabyles peuvent aider à sonder la stabilité de nos usages et servir de repères à nos régressions.

    Même s’il faut descendre, encore et encore pour aller à Tighezrane, le petit sentier, qui y mène réclamera beaucoup de déterminations au retour: il va falloir remonter.

    La nature du pays exige de l’effort, sa géographie comme son histoire. Tighezrane comme tous nos champs, demande une perpétuelle reconquête, face au tempérament des voisins, des cousins et des convoitises sournoises des rivaux. II existe une attache qui nous lie à Feraoun, comme une amarre elle nous garde de l’égarement et de l’oubli.

    Ce fil tient de la ressemblance de son parcours avec celui de nos premiers «lettrés» qui ont si intensément travaillé qu’ils ont gardé de leurs années de collège le surnom de bûcheurs. Personne au monde ne mériterait mieux qu’eux l’hommage que leur rend l’instituteur du bled en narrant leurs peurs, leurs souhaits, leurs peines et leurs rêves et la légendaire envie des parents de les voir s’élever toujours plus haut.

    L’ennui avec le passé est qu’on entonnait le futur. Dans la progression inéluctable des Lettres à ses amis, 1962 avançait inexorablement. L’année fatidique qui arme méchamment une correspondance de plus en plus intéressante. II disait à son ami Emmanuel Roblès: «Si tu revois Camus, explique-lui tout ça et aussi qu’il me suffit d’avoir des amis comme vous pour ne plus avoir peur.» Tout ça, c’était les lettres de menace. Ici, en haut, nous savons qu’il n’a pas eu peur.

    Une tâche bien remplie

    II faudra le dire et le répéter. Comment avoir peur un début de printemps? Notre calendrier annonce la belle saison pour la journée du 27 février, immédiatement suivie par un faux été de cinq jours puis une période maléfique de dix nuits qui emportent les vieilles (timgharine). Une légende dit qu’il existe un moment durant cet intervalle où il suffit de toucher un arbre pour le voir périr.

    La date est gardée secrète par nos vieux connaisseurs, pour ne pas mettre entre les mains des indignes une arme nuisible. II tomba en mars, à trois jours du cessez-le-feu qui lui aurait permis de cheminer, encore quelques pas, sur cette terre. Des pas qui auront permis de parfaire l’anniversaire et de créer d’autres oeuvres. Achever l’anniversaire et consentir à nous dévoiler le sens de ce titre qui sonne, à jamais, comme une exhortation aux survivants pour le célébrer.

    Livrons-nous donc, avec recueillement à cette commémoration et souvenons-nous du maure qui a bien rempli sa tâche, celui qui a formé les meilleurs élèves, planté le plus d’arbres, s’est imposé par la droiture et la fermeté.

    Par Djamel LACEB Enseignant, l'Expression

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