Trafic d’Etres humains au Nord du Mali
Le voyage de la peur
Depuis plusieurs mois, TTU tente de comprendre l’évolution dans la bande du Sahel et dans la région Touarègue. A Gao, capitale de la 7e Région du Mali (au nord du pays), le quartier Château abrite depuis plusieurs années une antenne de transit d’immigrants clandestins qui viennent en général de nombreux pays d’Afrique francophone ou anglophone mais également du Sri-Lanka (le plus souvent des Tamouls), du Pakistan, etc à destination de l'Europe via les pays les pays méditerranéens. Les listes des « passagers » sont établies par ordre d’arrivée. Les passeurs, bien connus des services, sont également inscrits dans cet ordre. Comme on dit dans le milieu, « chacun attend son tour ».
Mais il ne suffit pas d’être premier sur la liste pour trouver son strapontin dans la première caravane pour la Méditerranée. Des négociations sont d’abord menées entre les passeurs, les chefs des groupes d’immigrants et les chefs d’antennes sur « les frais de transport et les risques ». Selon nos informations locales, les discussions peuvent souvent durer plusieurs jours avant d’aboutir à une entente entre les parties (immigrants et chefs des groupes d’immigrants, passeurs et chefs des groupes d’immigrants, et enfin entre les passeurs et les chefs d’antenne…). Les chefs des groupes d’immigrants rendent compte à leurs camarades et ensuite procèdent à la collecte de l’argent qui constitue, comme dans tout groupe mafieux, le butin. Les chefs des groupes des immigrants (ceux qui sont adoubés par les immigrants pour les représenter dans les négociations) prélèvent un pourcentage avant la remise de l’argent aux responsables de l’antenne de transit. Les chefs d’antenne prélèvent aussi leur pourcentage avant la remise de l’argent aux passeurs. Quant aux passeurs, ils remettent un autre pourcentage aux chefs d’antenne pour garantir le prochain voyage. L’argent généré est ensuite blanchi selon différents circuits encore mal connus.
Le voyage démarre sous l’œil bienveillant des agents des services de sécurité maliens qui touchent au passage, de la part des passeurs et de l’antenne, « le prix d’un thé… ». La caravane des immigrants traverse le Sahara touareg malien pour entrer en Algérie, Libye, Maroc… Ils sont des milliers à tenter chaque année la « traversée » du Sahara. Cette rotation d’immigrants est permanente et selon une interminable chaîne où chacun, ou presque, trouve son compte sur le dos des immigrants.
Pour rejoindre, depuis Gao, la ville de Tamanrasset (Sud Algérien), le voyage harassant dure de 5 à 7 jours. Les clandestins (hommes et femmes) sont entassés dans les véhicules comme du bétail. Ils font en général partie d’une caravane de plusieurs véhicules (2 à 6 véhicules). Ils traversent le territoire des Touaregs de l’Adrar des Iforas dans le Nord du Mali (région de Kidal) pour atteindre l’Algérie. Des droits de passage sont possibles. Quand ils réussissent à rejoindre Tamanrasset, le plus grand nombre des immigrants est raflé par la police des frontières algérienne (PAF). Ils sont regroupés dans l’enceinte de la PAF, dans des conditions plus que difficiles. Après plusieurs jours de détention, ils sont mis dans des camions algériens qui les déposent à Tinzawaten, village frontière algérien, situé à quelques kilomètres de la frontière avec le Mali. Dans le cadre de Frontex, le dispositif surveillance de ses frontières extérieures de l’Union Européenne, l’Algérie touche des subventions pour toute reconduite de clandestins à ses frontières ; elle a donc tout intérêt à ce que cette situation perdure ; c’est donc devenu un cycle sans fin dans lequel l’Europe et les Etats Africains sont devenus les principaux piliers du système inhumain qui a cours dans le désert (et en mer).
Survivre et ne pas craindre l’échec
De Tinzawaten, certains immigrants tentent de revenir à Tamanrasset, d’autres cherchent des petits boulots sur place pour trouver l’argent pour rentrer au Mali. Les passeurs qui les suivent dans tous leurs déplacements leur font miroiter un avenir meilleur et leur promettent de réussir là où le premier voyage a échoué. Ceux qui réussissent à échapper à la police algérienne de Tinzawaten ou de Tamanrasset traversent le sud algérien en direction du Nord de l’Algérie, grâce à d’autres passeurs qui, à Tamanrasset, prennent le relais.
Un nombre important d’immigrants (ceux qui ne sont pas arrêtés en chemin) réussit à joindre les grandes Wilayas du Nord de l’Algérie et poursuivent leur route vers la frontière algéro-marocaine. Où ils seront pris en mains par d’autres passeurs, vers le Nord du Maroc, où d’autres passeurs tenteront de leur faire traverser la mer pour entrer en Europe. Le Maroc fera son maximum pour les arrêter, et toujours dans le cadre du dispositif Frontex, touchera des subsides pour les refouler vers l’Algérie.
Les immigrants qui tentent depuis l’Algérie d’aller vers la Libye seront accueillis par des passeurs libyens qui les attendent aux premiers postes frontaliers algéro-libyens (Ghat et Elbarkate). Les passeurs libyens entassent les immigrants les uns sur les autres dans des Peugeot 504 bâchées ou des Mazda et les couvrent d’une bâche pour les dissimuler aux contrôles de police libyens. Ces passeurs partent de Ghat et Elbarkate en passant par Oubari, Sabha (deux grandes régions du sud libyen (dont la majorité de la population est touareg) et arrivent avec leurs immigrants à Tripoli sans difficultés majeures. Sur la route qui mène à la capitale libyenne, chaque fois qu’ils tombent sur un contrôle de police, les passeurs disent « transporter des légumes et des fruits » et glissent quelques billets aux policiers, et cela marche toujours. Dès leur arrivée à Tripoli, certains immigrants cherchent et trouvent un travail journalier. D’autres campent près de la mer en attendant d’entrer en contact avec d’autres passeurs pour traverser la Méditerranée vers l’Europe. La police libyenne organise régulièrement des rafles et garde les immigrants en détention pendant souvent plusieurs mois dans des conditions inhumaines. Périodiquement, des immigrants d’originaire malienne sont expulsés par dizaines et mis dans un avion pour Bamako, capitale du Mali (où ils ne recevront aucun accueil et aucune aide de l’Etat malien pour leur réinsertion au pays et seront donc tentés de repartir à nouveau). D’autres sont rapatriés vers leur pays d’origine en fonction d’accords passés avec ces pays. D’autres immigrants sont relâchés, et tentent leur chance pour quitter la Libye et rejoindre l’Europe par la mer.
A Suivre...
Le voyage de la peur
Depuis plusieurs mois, TTU tente de comprendre l’évolution dans la bande du Sahel et dans la région Touarègue. A Gao, capitale de la 7e Région du Mali (au nord du pays), le quartier Château abrite depuis plusieurs années une antenne de transit d’immigrants clandestins qui viennent en général de nombreux pays d’Afrique francophone ou anglophone mais également du Sri-Lanka (le plus souvent des Tamouls), du Pakistan, etc à destination de l'Europe via les pays les pays méditerranéens. Les listes des « passagers » sont établies par ordre d’arrivée. Les passeurs, bien connus des services, sont également inscrits dans cet ordre. Comme on dit dans le milieu, « chacun attend son tour ».
Mais il ne suffit pas d’être premier sur la liste pour trouver son strapontin dans la première caravane pour la Méditerranée. Des négociations sont d’abord menées entre les passeurs, les chefs des groupes d’immigrants et les chefs d’antennes sur « les frais de transport et les risques ». Selon nos informations locales, les discussions peuvent souvent durer plusieurs jours avant d’aboutir à une entente entre les parties (immigrants et chefs des groupes d’immigrants, passeurs et chefs des groupes d’immigrants, et enfin entre les passeurs et les chefs d’antenne…). Les chefs des groupes d’immigrants rendent compte à leurs camarades et ensuite procèdent à la collecte de l’argent qui constitue, comme dans tout groupe mafieux, le butin. Les chefs des groupes des immigrants (ceux qui sont adoubés par les immigrants pour les représenter dans les négociations) prélèvent un pourcentage avant la remise de l’argent aux responsables de l’antenne de transit. Les chefs d’antenne prélèvent aussi leur pourcentage avant la remise de l’argent aux passeurs. Quant aux passeurs, ils remettent un autre pourcentage aux chefs d’antenne pour garantir le prochain voyage. L’argent généré est ensuite blanchi selon différents circuits encore mal connus.
Le voyage démarre sous l’œil bienveillant des agents des services de sécurité maliens qui touchent au passage, de la part des passeurs et de l’antenne, « le prix d’un thé… ». La caravane des immigrants traverse le Sahara touareg malien pour entrer en Algérie, Libye, Maroc… Ils sont des milliers à tenter chaque année la « traversée » du Sahara. Cette rotation d’immigrants est permanente et selon une interminable chaîne où chacun, ou presque, trouve son compte sur le dos des immigrants.
Pour rejoindre, depuis Gao, la ville de Tamanrasset (Sud Algérien), le voyage harassant dure de 5 à 7 jours. Les clandestins (hommes et femmes) sont entassés dans les véhicules comme du bétail. Ils font en général partie d’une caravane de plusieurs véhicules (2 à 6 véhicules). Ils traversent le territoire des Touaregs de l’Adrar des Iforas dans le Nord du Mali (région de Kidal) pour atteindre l’Algérie. Des droits de passage sont possibles. Quand ils réussissent à rejoindre Tamanrasset, le plus grand nombre des immigrants est raflé par la police des frontières algérienne (PAF). Ils sont regroupés dans l’enceinte de la PAF, dans des conditions plus que difficiles. Après plusieurs jours de détention, ils sont mis dans des camions algériens qui les déposent à Tinzawaten, village frontière algérien, situé à quelques kilomètres de la frontière avec le Mali. Dans le cadre de Frontex, le dispositif surveillance de ses frontières extérieures de l’Union Européenne, l’Algérie touche des subventions pour toute reconduite de clandestins à ses frontières ; elle a donc tout intérêt à ce que cette situation perdure ; c’est donc devenu un cycle sans fin dans lequel l’Europe et les Etats Africains sont devenus les principaux piliers du système inhumain qui a cours dans le désert (et en mer).
Survivre et ne pas craindre l’échec
De Tinzawaten, certains immigrants tentent de revenir à Tamanrasset, d’autres cherchent des petits boulots sur place pour trouver l’argent pour rentrer au Mali. Les passeurs qui les suivent dans tous leurs déplacements leur font miroiter un avenir meilleur et leur promettent de réussir là où le premier voyage a échoué. Ceux qui réussissent à échapper à la police algérienne de Tinzawaten ou de Tamanrasset traversent le sud algérien en direction du Nord de l’Algérie, grâce à d’autres passeurs qui, à Tamanrasset, prennent le relais.
Un nombre important d’immigrants (ceux qui ne sont pas arrêtés en chemin) réussit à joindre les grandes Wilayas du Nord de l’Algérie et poursuivent leur route vers la frontière algéro-marocaine. Où ils seront pris en mains par d’autres passeurs, vers le Nord du Maroc, où d’autres passeurs tenteront de leur faire traverser la mer pour entrer en Europe. Le Maroc fera son maximum pour les arrêter, et toujours dans le cadre du dispositif Frontex, touchera des subsides pour les refouler vers l’Algérie.
Les immigrants qui tentent depuis l’Algérie d’aller vers la Libye seront accueillis par des passeurs libyens qui les attendent aux premiers postes frontaliers algéro-libyens (Ghat et Elbarkate). Les passeurs libyens entassent les immigrants les uns sur les autres dans des Peugeot 504 bâchées ou des Mazda et les couvrent d’une bâche pour les dissimuler aux contrôles de police libyens. Ces passeurs partent de Ghat et Elbarkate en passant par Oubari, Sabha (deux grandes régions du sud libyen (dont la majorité de la population est touareg) et arrivent avec leurs immigrants à Tripoli sans difficultés majeures. Sur la route qui mène à la capitale libyenne, chaque fois qu’ils tombent sur un contrôle de police, les passeurs disent « transporter des légumes et des fruits » et glissent quelques billets aux policiers, et cela marche toujours. Dès leur arrivée à Tripoli, certains immigrants cherchent et trouvent un travail journalier. D’autres campent près de la mer en attendant d’entrer en contact avec d’autres passeurs pour traverser la Méditerranée vers l’Europe. La police libyenne organise régulièrement des rafles et garde les immigrants en détention pendant souvent plusieurs mois dans des conditions inhumaines. Périodiquement, des immigrants d’originaire malienne sont expulsés par dizaines et mis dans un avion pour Bamako, capitale du Mali (où ils ne recevront aucun accueil et aucune aide de l’Etat malien pour leur réinsertion au pays et seront donc tentés de repartir à nouveau). D’autres sont rapatriés vers leur pays d’origine en fonction d’accords passés avec ces pays. D’autres immigrants sont relâchés, et tentent leur chance pour quitter la Libye et rejoindre l’Europe par la mer.
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