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La politique extérieure des Etats-Unis après l'élection d'Obama

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  • La politique extérieure des Etats-Unis après l'élection d'Obama

    La politique extérieure des Etats-Unis après l'élection d'Obama


    Il me paraît évident que, par son itinéraire, son intelligence, son intuition, par les circonstances qui l’ont amené à vivre hors des États-Unis - ce qui est un point important - Barack Obama incarne une sorte de rupture avec le dogmatisme de Bush. Mais il est trop intelligent pour opposer un dogmatisme à un autre. Il ne faut donc pas s’attendre à ce qu’il annonce, d’emblée, une politique étrangère « préfabriquée », déjà élaborée. Quand bien même l’aurait-il conçue qu’il ne l’annoncerait pas, pour des raisons de prudence, compte tenu des forces hostiles qu’il va rencontrer.

    Au point de départ il y a la rupture avec la pensée que Bush a rappelée dans son dernier discours : « Il y a dans le monde un combat entre le bien et le mal et, avec le mal, il n’y a pas de compromis possible ». Cette phrase résume le contraire de tout ce qui a été fait depuis la nuit des temps en matière de politique étrangère et de diplomatie. La régression intellectuelle qu’a représentée l’époque Bush n’a pas été suffisamment analysée, notamment parce que la mobilisation d’une partie des opinions européennes contre la guerre en Irak a servi d’abcès de fixation. Il est pourtant intéressant, même maintenant, de revenir à la genèse du cocktail particulier qui avait fondé la politique étrangère de Bush pour se demander ce qui subsiste de ces courants dans la société américaine. Leur éventuelle résurgence serait-elle de nature à peser sur Obama, à le bloquer ? Il ne faut pas considérer la politique de Bush comme un cauchemar passé. Cette alliance particulière entre les nationalistes classiques, façon Rumsfeld (« Il faut que l’Amérique soit capable de mener trois grands combats simultanés »), les évangélistes, qui sont globalement pis, à propos du Moyen Orient, que ce qu’il y a de pire dans le lobby israélien aux États-Unis, ce fameux lobby dont une composante importante est passée sous le contrôle du Likhoud au cours des vingt dernières années (quand Richard Perle disait : « Je suis le premier Likhoudnik de Washington »), les néoconservateurs (tous les anciens gauchistes américains passés à la droite du Parti républicain) constitue ce cocktail particulier entre Taft et Wilson. La vulnérabilité d’une partie de la gauche américaine ou de la gauche européenne à certains thèmes de Bush venait de ce qu’ils reprenaient l’idée wilsonienne du rôle particulier de l’Occident - ou des États-Unis - pour s’ingérer et pour démocratiser le monde.

    Tout ces groupes n’ont pas disparu, simplement l’alliance est disloquée, et ils ont été battus. Mais des éléments variés de ces courants de pensée circulent encore dans la politique étrangère américaine. Pourront-ils, à un moment donné – c’est une des questions que je pose et qu’il faudrait que nous approfondissions – se mettre en travers de l’action d’Obama ?

    Selon moi, Obama, par le simple fait de son existence et de son élection marque une rupture avec ce que je viens de décrire par une vision du monde très différente. Sa conscience qu’il existe autre chose que l’Amérique, son itinéraire, son métissage culturel, intellectuel, font qu’il ne pourrait pas penser ( même s’il était idiot, ce qui n’est pas le cas) comme 99% des politiciens américains qui ont une sorte d’incapacité radicale à comprendre le monde extérieur [incapacité partagée par les politiciens un peu partout, mais plus gênante quand ceux-ci ont une influence sur le monde entier].

    Ce qui a frappé les gens, c’est évidemment l’annonce d’un comportement différent. Les Européens émerveillés ont parlé de « multilatéralisme », avec une extraordinaire naïveté, comme si le chef des États-Unis pouvait se soumettre à une délibération collective pour fixer la ligne politique de son pays. C’est évidemment imaginaire. Le simple fait qu’il écoute poliment les gens, qu’il s’intéresse à leur avis suffit, avec, certes, son charisme personnel phénoménal, à susciter chez les Européens une « obamania » à la fois justifiée, émouvante, légitime et ridicule.

    Je pense qu’Obama est absolument déterminé à s’y prendre autrement pour « restaurer le leadership américain », préoccupation impérieuse et urgente qu’il exprime souvent. Il est trop astucieux pour penser qu’on peut restaurer le leadership américain à l’identique dans un monde devenu multipolaire, ce que démontre le G20 pour ceux qui n’avaient pas encore compris.

    Grâce à l’impact de sa personnalité, au changement de style, il compte, après un an ou deux de négociations bien conduites - et sans difficultés insurmontables - trouver avec les Russes une relation plus intelligente que celle qu’entretenait l’administration Bush.

    Je ne crois pas à la possibilité d’une coalition efficace des fameux groupes hostiles à sa nouvelle politique. Certes, quelques personnes à Washington, notamment les relais des Européens de l’est, dans le souci de poursuivre une politique dure par rapport à la Russie, continuent à affirmer que la Russie est le problème numéro un. Parmi eux, Brzezinski, un proche qu’Obama a beaucoup consulté avant même sa candidature, est un peu sur cette ligne (peut-être son côté polonais ?). Mais, lors d’une conversation que j’ai eue en janvier avec lui, Brzezinski lui-même m’a paru assez souple, même s’il considère que la Russie reste un problème.

    Le pan russe de la politique d’Obama ne me semble donc pas très compliqué à décrire. Il faut se souvenir que, durant l’époque Bush, les Américains parlaient moins aux Russes qu’ils ne le faisaient pendant les guerres froides : extravagant ! Un an ou deux de discussions et de sommets normaux devraient permettre d’arriver à un accord dans lequel les Russes seront écoutés, leurs intérêts légitimes entendus et les lignes rouges indiquées. Le bouclier sera indéfiniment reporté sous des prétextes divers : nécessité de faire des études supplémentaires, de s’assurer que c’est vraiment le moment... Je pense qu’Obama ne mettra pas la pression sur l’élargissement de l’OTAN. Il me semble donc qu’il arrivera sans trop de difficultés à une sorte de détente qui, si elle n’est pas idyllique, sera pragmatique.

    Les difficultés se concentrent sur le paquet « arc de crise » : Proche Orient, Moyen Orient, Asie centrale. Je sais qu’un débat a agité les conseillers d’Obama, avant l’arrivée à la Maison Blanche : Convient-il de parler du monde musulman en général ? N’est-ce pas s’enfermer dans une approche culturaliste ? Il a opté pour traiter la question de manière globale même s’il n’ignore pas que la mauvaise relation Occident-Islam, Etats-Unis-Islam se décompose en de multiples problèmes particuliers. D’où le ton qu’il a adopté, à plusieurs reprises, dans des interviews, dans des discours, comme en Turquie. L’endroit où il adressera son grand discours au monde musulman n’est toujours pas fixé. L’Indonésie, où il a vécu, avait été envisagée, il a livré quelques éléments en Turquie. On parle de l’Egypte mais il lui est impossible de prononcer un discours sur ce thème en Egypte s’il ne prend pas à bras le corps la question du Proche Orient. Un grand discours sur le mode « Nous ne sommes pas les ennemis du monde musulman » paraîtra creux s’il ne se concrétise pas sur des points précis. Je pense donc, à ce stade, que si Obama a une idée assez précise de ce qu’il ne veut pas, il n’a pas encore décidé des détails de la manœuvre.

    L’administration Obama veut sortir d’Irak. Mais comment être sûrs que les conditions dans lesquelles les Américains veulent sortir ne vont pas livrer ce pays aux affrontements internes ? Comment être sûrs de laisser une situation consolidée ? L’issue dépendra un peu d’eux, un peu des Irakiens, un peu du jeu des pays voisins, mais aussi de l’Iran.

    On voit bien que l’Iran veut sortir de l’impasse précédente. Mais les Américains ont-ils sur ce sujet une vision suffisamment kissingerienne ? Sauront-ils, tels des joueurs d’échecs et de poker, avancer des pions, faire des ouvertures, utiliser les désaccords suscités chez les Iraniens pour en faire un levier, pour aller plus loin ? Sauront-ils ne pas se laisser dévier de leur chemin par les provocations de ceux des Iraniens qui n’ont pas du tout intérêt à une amélioration de la relation ? Anticipent-ils une vraie grande politique ? Je ne pense pas qu’Hillary Clinton ait cela en tête. Peut-être cette stratégie viendra-t-elle d’Obama, ou de Jones ? Si je me pose des questions, je ne trouve pas les membres de l’équipe Obama naïfs à ce stade. Il faut en effet commencer par une ouverture qui sème la perturbation dans le système iranien, pour pouvoir retrouver des leviers. Mais je ne discerne pas encore la manière dont ils envisagent les étapes suivantes. L’objectif serait de faire progresser les forces nationalistes en Iran, au détriment des autres, pour permettre l’ouverture d’une négociation qui porterait sur divers sujets, en particulier sur le nucléaire, et une sorte de deal à la japonaise : les Iraniens renonceraient à aller au bout du processus en échange de compensations qui seraient données à l’Iran sans pour autant déstabiliser les Arabes ni les Israéliens. Car tout est lié. Je ne sais pas si, au départ, Obama voulait approcher le sujet de façon globale, mais il y sera inévitablement amené. Une politique de sortie de l’impasse, de la régression bushienne est nécessaire, elle demandera un, deux ou trois ans, avec des risques énormes. L’opinion américaine, à un moment donné, risque d’avoir le sentiment qu’Obama n’est pas assez exigeant en matière de sécurité, qu’il les met en danger par telle ou telle manœuvre, qu’il se montre un peu trop ouvert. Sur le G20 lui-même, la presse américaine n’est pas enthousiaste, elle trouve Obama très aimable, gentil avec tout le monde mais n’est pas convaincue que c’est la bonne manière de défendre le leadership américain.

    Globalement, si je trouve la manœuvre plutôt bien orientée, je m’interroge sur la façon dont ils conçoivent la conduite de cette opération. La dimension kissingerienne de la sortie de la crétinerie antérieure ne va pas de soi avec un peuple américain dont la vision manichéenne, binaire, a été renforcée. Il est fascinant d’observer l’état de cette opinion : la plus grande puissance de tous les temps a peur de tout !

    Le Proche Orient reste la question clé, en dépit des discours tenus depuis vingt ans par les droites américaine et israélienne. Je n’ai pas d’indications claires sur ce sujet. En Turquie, après les déclarations attendues des membres du gouvernement Netanyahu, Obama a de nouveau préconisé la solution des deux Etats. Mais quelle action envisage-t-il ? S’il reprend la logorrhée sur les « feuilles de route » et autres « quartettes », c’est perdu d’avance. A l’évidence, tout cela a été inventé pour ne pas bouger. La seule solution serait un président américain qui s’adresserait fermement au premier ministre israélien (quel qu’il soit) : « Nous vous donnerons toutes les garanties de sécurité, mais cessez de nous empêcher de régler le problème.

  • #2
    Nous allons le régler ensemble, tout le monde connaît la solution, nous vous accompagnons, nous vous sécurisons et, dans dix-huit mois, ce sera fait ». Obama peut-il être cet homme là ? Il ne le sera que s’il pense que sa grande politique, pour que l’Amérique cesse d’être perçue comme l’ennemi principal par l’ensemble des musulmans, passe par là. Mais un président américain normalement constitué, confronté aux contraintes électorales en vue de sa réélection, aux sondages, aux lobbies ne fait pas ça ! Et s’il ne fait pas ça, tout le reste ne servira qu’à amuser la galerie et il ne se passera rien. Les Israéliens sont incapables de sortir par eux-mêmes du piège dans lequel ils s’enfoncent de plus en plus (avec un système électoral qui aggrave la situation). Les Palestiniens sont dans l’état où on voulait qu’ils soient, c’est-à-dire détruits. La solution ne peut donc venir que d’une intervention extérieure, couplée, pour commencer, avec un système israélien.

    Quels éléments peuvent laisser penser que Barack Obama a cette volonté ?
    J’observe qu’il n’a pas nommé Dennis Ross comme envoyé spécial mais George Mitchell, quelqu’un qui, équidistant, sans a priori en faveur de l’un ou l’autre camp, doit prendre l’ensemble des protagonistes pour des fous furieux : c’est un bon point de départ ! Il me donne l’impression de prendre son temps. Peut-être a-t-il une idée de manœuvre précise : consolider sa politique irakienne, préciser sa politique en Afghanistan et, le moment venu, se saisir de la question Proche Orient ? Il y a forcément des gens, autour d’Obama, qui le pressent de remettre au deuxième mandat cette importante question. L’illusion du deuxième mandat avait tellement joué sur Clinton qu’il ne s’en était occupé que dans les quatre derniers mois de son deuxième mandat. S’il avait traité ce problème dès le lendemain de sa réélection, il serait peut-être réglé.

    Je me pose donc des questions sur Obama : je ne vois, dans ses déclarations, rien d’autre que la confirmation des deux Etats. Mais rappelez-vous que Bush lui-même parlait - plaisanterie ou escroquerie ? - d’un Etat palestinien alors que toute son action, chaque jour, visait le but inverse ! Le fait qu’Obama affirme qu’il faut deux Etats ne donne donc pas d’indication.

    Je ne sais pas pourquoi Obama, pendant la campagne électorale, a tellement mis l’accent sur l’Afghanistan. Je soupçonne qu’il l’a fait pour montrer que son retrait d’Irak n’était pas une preuve de faiblesse. C’est d’ailleurs à ce moment-là qu’il a dit : « Je ne suis pas contre les guerres en général, je suis contre les guerres idiotes ». Je ne suis pas sûr que l’administration américaine ait tout à fait perçu la complexité de la question mais elle va être prise dans un engrenage de complexité. Une fois qu’on a dit que l’affaire se joue aussi au Pakistan, que faire ? Ils ne peuvent pas occuper le Pakistan. Quel dirigeant choisir qui serait meilleur qu’un autre ? La situation ne pourrait évoluer que s’ils arrivaient à obtenir des Indiens une concession significative, soit dans la relation militaire Inde/Pakistan soit au Cachemire (c’est encore plus compliqué), qui détournerait les Pakistanais, notamment les services, de leur obsession indienne et les amènerait à considérer la question afghane d’une autre façon. Holbrooke en est-il à ce point de compréhension ? Le président, Hillary Clinton, sont-ils prêts à s’impliquer dans une telle politique ? Je n’en sais rien. Le fait qu’Obama ait dit qu’en Afghanistan, la solution ne pourrait pas être seulement militaire mais aussi politique est une bonne indication. La question afghane doit être approchée d’une façon régionale, ce qui justifie de remettre l’Iran dans le jeu. Tout cela est intelligent. La demande de renforts peut paraître incohérente avec l’affirmation que c’est une question politique et non pas militaire mais on peut comprendre qu’il souhaite renforcer sa main pour négocier dans de meilleures conditions. Rien ne contredit une approche intelligente, jusqu’à maintenant. Mais elle n’est pas encore tout à fait nette.

    Il me semble que cette équipe est convaincue que le dialogue sino-américain est la relation bilatérale stratégique principale : On entend parler de G2, expression reprise par la presse chinoise. Ils ont démarré de façon réaliste : Chinois et Américains ont besoin les uns des autres pour sortir de la crise ; le choix de la Chine pour le premier voyage d’Hillary Clinton, les propos qu’elle a tenus, vont en ce sens. Mais c’est et ça restera un bras de fer. Il ne faut pas s’attendre à un gentil partenariat sino-américain. Les Chinois ont posé la question du dollar [ce qui, faisant écho à sa conférence de 1964, aurait fait plaisir au Général De Gaulle !], ils ne la retireront plus.

    Je crois donc que les années qui viennent seront marquées par cette question récurrente: Pourquoi pas un panier de monnaies à la place du dollar ? Même si les techniciens expliquent que les paniers de monnaie ne marchent jamais, en termes politiques, on voit s’organiser les éléments d’un gigantesque bras de fer sino-américain. L’équipe Obama a tous les éléments pour l’aborder intelligemment, pour ne pas tomber dans les pièges du manichéisme, de l’inculture, de l’incompréhension du monde extérieur, mais ce sera très compliqué parce qu’il faudra gérer une sorte de déclin, une relativisation du leadership occidental : les Occidentaux n’ont plus la maîtrise complète du jeu. Le monde « multipolaire » longtemps présenté en France comme idyllique, est très compliqué à gérer. Son instabilité donne des marges de manœuvre mais comporte des risques. Je pense qu’Obama en est conscient. Y parviendra-t-il ? Je ne sais pas. Je n’exclus pas une coalition hostile qui, partant de la question Occident-Monde arabe-Israël, s’organiserait pour essayer de faire déraper cette administration. Je serais sidéré qu’un pays qui a élu Bush (par la fraude, mais qui l’a réélu largement) et qui est tout à fait capable de réélire un Bush dans dix ans, laisse se réorganiser une politique intelligente, nuancée, stratégique, tactique, non manichéenne sans gros remous internes.

    Dans ce contexte, l’Europe me paraît légitimement secondaire. Aucune menace ne pèse sur l’Europe, l’Europe n’est pas une solution à leurs problèmes, il n’y a donc aucune raison pour que les Américains s’intéressent spécialement à l’Europe, sinon de façon utilitaire : la demande concernant l’Afghanistan est une très classique demande de partage de fardeau. Il ne s’agit nullement de partager la décision stratégique ; la nouvelle politique afghane - qui ne me paraît ni très nouvelle ni très claire - a d’ailleurs été annoncée à Washington cinq jours avant le voyage d’Obama en Europe. Chacun en est conscient ici : il n’est pas question de discussion entre membres de l’Alliance… sauf à propos du nouveau Secrétaire général.

    Il n’y a donc aucune raison d’attendre quoi que ce soit d’Obama du point de vue européen et ceci n’est en rien gênant. Les sottes inquiétudes de journalistes français : « Obama va-t-il nous oublier ? » sont pathétiques ! Nous devrions nous réjouir d’avoir un président américain très intelligent, prêt à entretenir des rapports normaux avec ses alliés. Certes, il décidera tout seul au bout du compte mais il montre quand même une disponibilité que les autres n’avaient pas. Qu’attendons-nous de lui ? Qu’approuvons-nous ? Que désapprouvons-nous ? Que souhaitons-nous lui dire ? Le comportement des dirigeants européens lors des réunions « OTAN » et « Europe » (G20 mis à part) révèle qu’aucun d’entre eux n’a cette mentalité de partenaire. De toute façon, la question européenne n’existe pas pour Obama. Comme l’ont toujours souhaité les Américains, il veut faire coïncider l’OTAN et l’Union européenne (ils voient tous l’Union européenne comme une sorte de succursale économique de l’OTAN). Je répondis un jour à Madeleine Albright – qui, elle-même, tentait de me convaincre de cette nécessaire coïncidence - : « Compte tenu de leur intégration dans l’Alena, le Canada et le Mexique n’ont plus aucune autonomie politique, il serait plus franc de les faire rentrer dans les États-Unis. Calculons ensemble à combien de sénateurs ils ont droit dans le système américain… ». Ce joke montre que la pression sur le sujet de la Turquie est ancienne.

    Pour moi, la politique étrangère américaine va se concentrer sur ce qu’on appelle « l’arc de crise ».

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    • #3
      Dernier point, ce qu’a dit Obama à propos du nucléaire est assez conforme à l’appel lancé l’an dernier ou il y a deux ans par Schulz, animateur principal d’un groupe d’anciens de premier plan qui militent pour un monde sans armes nucléaires. Kissinger, étonnamment, s’y était rallié. Il m’avait demandé de me rendre à une deuxième réunion de ce groupe, me disant : « J’ai signé ça par amitié pour Schulz mais je me demande si ce n’est pas une erreur ». Je lui avais dit ce que j’en pensais : autant il est très important de relancer la réduction des armements stratégiques (dans la suite des accords Start) - et les États-Unis et la Russie ont une énorme marge de manœuvre pour le faire puisqu’il ne se passe plus rien depuis des années - autant je ne croyais pas à un monde dénucléarisé. Je n’arrive pas à imaginer un président américain suffisamment confiant dans la sécurité du monde dans les cinquante ans à venir pour décider de noyer le dernier sous-marin nucléaire. Il est possible que certains stratèges américains se disent que, dans un monde dénucléarisé, la fin du pouvoir égalisateur de l’atome les rendrait beaucoup plus puissants. En termes de supériorité conventionnelle et de technologies avancées, dans un monde où la guerre redeviendrait possible par disparition de l’arme nucléaire, ils domineraient le jeu. Il peut donc y avoir quelques « Folamour ». En dépit des inquiétudes un peu tardives de Kissinger, si ce concept de monde dénucléarisé peut avoir - comme il le pensait - un impact gigantesque sur le monde occidental et notamment européen, il n’aurait aucun effet précis sur la politique nucléaire de la Chine, de la Russie, de l’Inde, du Pakistan, d’Israël ou des autres. S’ils sont quelques uns à se poser la question, l’opinion n’est pas prête, et Obama se trouve amené à s’inscrire dans la continuité de Reagan. En mars 1983, Reagan avait vendu la Guerre des étoiles dans un grand discours d’annonce, totalement prématuré et erroné sur le plan scientifique, mais très fort sur le plan politique : « Les armes nucléaires sont immorales et dépassées » (montrant, soit dit en passant, que l’Amérique n’a jamais compris ce qu’est la dissuasion par rapport à l’emploi). Elles étaient, selon lui, dépassées à cause du fameux bouclier dont on débat depuis vingt-cinq ans, sans véritable avancée scientifique. Mais ce discours est tellement puissant qu’il n’y a rien d’étonnant à ce que quelqu’un comme Obama s’y glisse. Il a d’ailleurs ajouté qu’il n’en verrait pas l’aboutissement de son vivant ! C’est peut-être la seule façon de relancer la réduction des armements stratégiques. Si mon interprétation est la bonne, cette position n’est pas gênante et peut même être intelligente. Peut-être pourrait-on, en relançant la réduction des armements stratégiques, sauver le TNP.

      Voilà mes réflexions du moment. Il faudra encore six mois à un an pour avoir une vision d’ensemble de cette politique qui, je l’ai dit, n’est pas dogmatique. En rupture avec un dogme figé, l’intelligence en mouvement va dépendre du jeu des autres. Si les Européens (je ne parle pas des institutions européennes mais des grands pays européens, la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne…) avaient une pensée articulée, synthétique, sur la politique à mener avec la Russie, la Chine, le Proche-Orient ... ce serait un moment très opportun parce qu’il y a, en ce début de mandat, une certaine disponibilité de l’administration Obama. Mais dans six mois ou un an, ce sera terminé, ils auront arbitré sur chaque sujet. Obama aura fait des grands discours sur tous les thèmes. Nous avons donc un moment devant nous. Ca n’a pas trop mal marché au G20, même si la gigantesque bataille de la régulation reste devant nous, elle n’est pas dépassée. Mais ça ne marche pas sur les autres terrains.

      C’est dire à quel point je partage l’avis de Jean-Pierre Chevènement : je trouve absurde, anachronique, complètement à contretemps d’avoir réintégré la machinerie OTAN - dont personne n’a oublié qu’il ne s’agit pas de l’Alliance mais du commandement intégré, mis en place après la guerre de Corée quand on pensait que les chars de Staline pouvaient débarquer le lendemain matin -. Il est complètement absurde qu’en 2009 on soit obligé de raisonner avec ce type d’instrument qui ne correspond, à mon avis, à rien de rien des problèmes d’aujourd’hui. Dans une émission récente, j’ai dit : « Le G20, c’est l’avenir, l’OTAN c’est le passé ! ».

      En résumé, je trouve les premiers éléments de la nouvelle politique extérieure des Etats-Unis très prometteurs, très intéressants et certainement observés de très près par toutes sortes de forces qui auront envie, à un moment ou à un autre, de faire capoter la politique d’Obama, sur l’Iran, ou sur le Proche Orient ou sur d’autres sujets.

      Hubert Védrine au Séminaire de la Fondation Res Publica tenu le mardi 7 avril 2009 à la Maison de la Chimie

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