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Camus et l’Algérie – Tensions et fraternités, Christiane Achour

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  • Camus et l’Algérie – Tensions et fraternités, Christiane Achour

    Le sous-titre de l’ouvrage publié par Christiane Chaulet AchourCamus et l’Algérie – Tensions et fraternités aux éditions Barzakh à Alger donne l’objectif même qu’elle se fixe : cerner la dimension algérienne de l’écriture camusienne et comprendre l’ambivalence de sa réception faite de séduction et de rejet.

    Tout au long de l’ouvrage – et particulièrement pour L’Etranger(sur lequel l’auteur a fait déjà paraître deux autres études) –, l’Algérie n’est pas projetée mécaniquement sur l’œuvre comme reflet simple mais cernée comme force sourde qui permet son accomplissement.

    L’ouvrage s’ouvre sur des repères biographiques qui privilégient l’Algérie et se clôt sur la biographie-album de photos d’Alain Vircondelet.

    La première partie est consacrée à un parcours de l’œuvre dont les sous-titres sont éloquents : Noces, au fronton d’une œuvre, l’affirmation d’une autochtonie
    / L’Etranger, mort, indifférence et altérité - Espaces algériens de Camus, l’impossibilité d’un lieu /
    La rivalité «mortelle» des frères : Le Premier homme et la guerre d’indépendance.

    Dans une seconde partie consacrée à «Camus et les autres», l’analyse se focalise sur les autres écrivains d’Algérie, les contemporains et les postérieurs, sous le titre Fraternités, rivalités, postérités. On peut suivre ainsi une trentaine d’écrivains et leurs «dialogues» musclés ou déférents avec l’écrivain de la colonie qui a capté l’intérêt du public.

    Christiane Chaulet Achour poursuit ses études sur Camus : en particulier, elle a cerné la place de Camus chez les journalistes algériens (1985-2005), le rapport de Camus à l’Espagne et à la République espagnole, études qu’on peut lire sur son site.

    Christiane Albert Camus et l’Agérie- Tensions et fraternités, Barzakh.

    Camus revient. Quelles en sont les raisons ?

    Christiane Achour : Je ne sais si l’expression est appropriée. Je dirais plutôt «on le fait revenir» dans la conjoncture particulière du cinquantenaire de sa mort, préparé depuis longtemps, car Camus est un écrivain consensuel. Se greffent donc sur ce fait d’actualité commémorative d’autres intérêts : scientifiques et surtout éditoriaux, pour remettre en vente pas seulement les œuvres de l’écrivain célébré mais aussi des études critiques diverses.

    Cette commémoration est particulièrement visible puisqu’avec une belle unanimité – à interroger –, les éditions Laffont- Bouquins sortent un dictionnaire de Camus et Le Monde, Lire, Le Magazine littéraire, Le Figaro, Téléramalui ont consacré un numéro spécial ou un hors-série et on attend deux nouvelles biographies... Il est rare et étonnant de voir une telle pléthore de publications sans aucune dissonance. Je dirai donc que le champ institutionnel littéraire a décidé que Camus revenait comme il le fait pour tous les écrivains qui comptent d’une façon ou d’une autre. Par ailleurs, dans la lecture «populaire», plus encore dans le monde qu’en France, Camus n’a pas besoin de revenir car il n’est jamais parti ! On aimerait avoir de vraies enquêtes de lectures (en dehors de L’Etranger) et le nombre d’universités où l’œuvre de Camus est étudiée, le nombre de mémoires et thèses qui lui sont consacrés. En France, en tout cas, on serait étonné de la modestie de la présence de l’écrivain, à ce niveau-là. Le fait qu’on cite une phrase de Camus à tout instant ne signifie pas qu’on le lit. Cette œuvre est un réservoir de citations… Le travail a été fait : Camus est un des contemporains le plus cité pour ses formules et belles pensées dans le dictionnaire… Séisme à Haïti ? … Une phrase de Camus. Souhaits de bonne année ? Et une petite citation de Camus se glisse… Oui Camus est présent éditorialement, télévisuellement aussi — et même si le télé-film récent n’est pas des meilleurs, il permet de familiariser chacun avec son nom —, radiophoniquement. Ce cinquantenaire est un phénomène médiatique à analyser.

    N’est-il pas, paradoxalement, cet écrivain parmi les plus commentés au monde et parmi les plus incompris ?

    Dans la mesure où il est l’un des écrivains les plus commentés, on ne peut pas dire qu’il soit un des plus incompris. Il y a certes une grande dominante dans les analyses de sa création et de ses interventions qui est choisie et répétée un peu partout. On a affaire à ce que j’appellerai un écrivain «lissé» : tout ce qui fâche ou fâcherait est passé sous silence. Le débat est évité comme s’il allait entamer son image. Quand on lit attentivement les différents commentaires sur l’œuvre de Camus, on peut trouver, je crois, des positions critiques et argumentées diversifiées qui en proposent une perception plus complexe. Mais il est vrai que certaines voix sont plus «autorisées» que d’autres à se faire entendre.

    Le nœud, c’est bien entendu l’Algérie. Quelle est la place de celle-ci dans son œuvre et même quelle Algérie l’a marquée ?

    Bien entendu que le nœud reste l’Algérie ! Mais encore une fois, ce n’est pas propre à Camus : tout ce qui touche à l’Algérie et à ses luttes anticoloniales (résistance, libération, indépendance) est immédiatement mis en suspicion dès l’instant qu’on ne montre pas d’abord patte blanche en encensant l’écrivain sur la perspicacité de sa pensée et de ses intuitions, sur son sens de la justice, etc. La place de l’Algérie dans son œuvre ? Vaste question à laquelle d’autres et moi-même avons déjà répondu. Elle est immense à la mesure du territoire premier, celui de l’enfance et de la formation, celui des impressions initiales et durables. La terre algérienne et ses hommes (avec une hiérarchie humaine sensible) pétrissent l’écriture. On pourra, au fur et à mesure qu’on s’éloignera de l’histoire algérienne telle que l’a vécue Camus, entre ses premiers engagements dans les années 30 et ce 4 janvier 1960 où il meurt trop jeune…, ne plus repérer les allusions, les imbrications mais l’Algérie est très présente. Quand je dis «Algérie», j’entends tout ce qui la fait dans cette période historique et dans son «éternité», les paysages, les villes, les ruines, les êtres humains qui la peuplent. L’Algérie de Camus, c’est d’abord celle des années 1930-1950 ; puis, différemment, celle des années 1950-1960 mais c’est aussi l’Algérie romaine par rapport à laquelle il se positionne différemment qu’un de ses célèbres prédécesseurs sur la terre algérienne, Louis Bertrand.

  • #2
    Les différents Camus (écrivain, journaliste, philosophe) sont-ils différents les uns des autres dans leur attitude politique vis-à-vis de l’Algérie ?

    Je vous répondrai pour Camus écrivain et journaliste car je n’ai pas de compétence pour parler de Camus philosophe. Je ne pense pas qu’ils soient différents mais leurs moyens d’intervention et de prises de parole le sont. Le journaliste doit intervenir vite et bien, de préférence, sur l’actualité. Il n’y a qu’à relire Chroniques algériennes 3 pour savoir que Camus s’est bien exprimé sur l’avenir de l’Algérie et que cet avenir n’était pas pour lui dans l’indépendance du pays telle qu’elle était alors revendiquée et pour laquelle les Algériens luttaient ; ce qui n’en fait pas un colonialiste, loin de là, mais un homme de gauche déchiré entre son ancrage dans une terre et le cours définitif que prend l’Histoire. L’on sait, par ailleurs, qu’en tant que journaliste, Camus après la Trêve civile (1956), choisit de se taire. L’écrivain, lui, continue à écrire. Et même si, comme le rappelle justement et fortement André Abbou, il ne faut pas prendre Le Premier homme, comme une œuvre puisque c’est un manuscrit inachevé et que la manière d’aboutir de Camus était très liée à l’actualité qu’il vivait (que serait devenu ce «roman» si Camus avait continué à l’écrire entre 1960 et 1962 ? Sûrement pas celui que nous lisons), on peut trouver dans ce manuscrit inachevé la force de ce retour à l’Algérie, l’Algérie des pauvres, ceux de sa communauté, et les «Arabes» comme il disait, de la lucidité sur les rapports de tension intime et meurtrière entre les deux communautés dans les faubourgs d’Alger. Il revenait là sur une histoire des «pionniers» du côté des plus démunis qui se sont ancrés et ont été «désancrés» par des choix politiques autres. Je me permets de renvoyer à mon livre aux éditions Barzakh, Camus et l’Algérie aux pages 80 à 103.

    Parlons de l’écrivain. Sa filiation première serait-elle l’école d’Alger ou Louis Bertrand ?

    L’école d’Alger et Louis Bertrand sont deux choses tout à fait différentes, deux réponses qu’on ne peut assimiler l’une à l’autre, de la position de l’intellectuel, issu du groupe français ou européen, en colonie. Le second a été le chantre d’un retour à une Algérie latine. Par contre «l’école d’Alger» réunissait, plus tard, des écrivains venus de divers horizons et qui avait un rapport moins étroit et exclusivement franco-latin à l’Algérie. Relisons l’article que Jean Sénac écrit dans Oran-Républicain, le 26 janvier 1947, «Non, il n’y a pas d’école nord-africaine », et ce passage, entre autres : «Albert Camus qui, le premier, commit la maladresse de parler d’école, écrivait récemment : “Une terre, un ciel, un homme façonné par cette terre et ce ciel”. Voilà le fin mot de l’histoire ». Et plus loin : «Au latinisme de Louis Bertrand, Robert Randau opposait son algérianisme […] N’empêche que toutes ces expériences, toutes ces recherches sincères et passionnées ont permis au groupe actuel de s’affirmer. Camus, Roblès, de Fréminville, Amrouche n’ignorent pas ce qu’ils doivent à leurs illustres prédécesseurs. Ne serait-ce que l’ardente communion avec une Afrique méditerranéenne.» Vous voyez, il y a encore de quoi faire, en allant à la redécouverte des textes pour les lire dans leurs contextes et mieux les comprendre et mettre la création camusienne en stéréophonie…

    Quelle explication proposeriez-vous du fait que L’Etranger est un des romans les plus vendus dans le monde encore aujourd’hui ?

    Je répondrai brièvement car j’ai assez écrit à ce propos : 1- par la simplicité apparente de la langue qui en a fait le roman français inscrit dans la plupart des programmes de français langue étrangère à travers le monde. 2 – par la mise en scène, à la fois ancrée et déconnectée de l’Algérie, d’un conflit d’altérité que chaque lecteur rencontre peu ou prou dans sa vie : «Tu es là, tu me prends l’air que je respire et je souhaite que tu dégages !»

    Pensez-vous qu’il faut cesser de parler de ses positions ambiguës pendant la guerre pour ne retenir de lui que l’écrivain lumineux ?


    Non, je ne le pense pas. Et je parle ici du point de vue de la critique littéraire. Car, bien évidemment, chaque lecteur peut prendre une œuvre spontanément sans s’interroger sur son contexte d’écriture et sans rechercher en quoi il rejaillit sur le choix des thèmes et le traitement du réel. Peut-être faut-il se dire que la «luminosité» explique l’ambiguïté et réciproquement. Un grand écrivain – ce qu’est Camus – ne peut être «lissé». Il est grand parce qu’il est complexe et contradictoire. A mon sens, ce n’est pas inutile alors de relire certaines pages d’A. Memmi dans Le Portrait du colonisé.

    Vous avez consacré à Camus un certain nombre d’écrits. Dans l’un d’entre eux, vous releviez les attaques contre sa modération en faveur de la liberté des Algériens provenant d’écrivains algériens eux-mêmes. N’observe-t-on pas un inversement depuis les années 1990 et l’exil d’une grande partie de l’intelligentsia algérienne qui découvre que Camus, fustigé à partir de l’Algérie, est un modèle de lucidité politique vu de France ?

    Je pense que les écrivains algériens subissent les effets, eux aussi, d’un discours dominant et de l’ambiance consensuelle dont je parlais précédemment. Et ils cherchent à avoir vis-à-vis de Camus, surtout ces dernières années, un discours qu’on ne puisse pas qualifier d’idéologique, donc qui «n’attaque plus Camus»… Quand j’ai écrit, en 1979, Un étranger si familier, il n’y avait pas beaucoup de camusiens en Algérie… ou alors ils se taisaient ! Mais aujourd’hui, qui n’est pas camusien ? Je trouve cela amusant. Il faut laisser passer du temps pour apprécier ce qu’il restera vraiment d’influence, de résonance, de confraternité. Par ailleurs, quand on vit une situation bloquée, on a tendance à se retourner vers le passé pour trouver des voix qui ont dit «vrai». Et on n’arrête pas de nous dire que Camus le juste a dit vrai sur l’Algérie… «Voyez, ce qu’est devenu le pays…» Lucidité politique vis-à-vis de qui et de quoi ? On ne peut ainsi mettre en lot, tout en un, des prises de position dont certaines ont été admirables et courageuses, d’autres plus mesurées et d’autres encore discutables. Camus pensait qu’il fallait éviter l’indépendance – car c’est de cela qu’il est question –, et trouver une autre solution. Et ce ne sont pas seulement les écrits journalistiques : L’Etranger est aussi une sorte de conte d’avertissement ; si nous continuons à nous opposer, tout finira dans la violence des revolvers et des couteaux. Est-ce politiquement incorrect de rappeler cela ? Toute une part de la lecture de Camus est lestée de la difficile construction des mémoires, algérienne et française, autour de la colonisation.

    par Bachir Agour, Le Soir

    Biobibliographie de Christiane Chaulet-Achour

    Née à Alger en 1946, a été universitaire à Alger de 1967 à 1994 et est actuellement professeur de littérature comparée et francophone à l'Université de Cergy-Pontoise.

    Spécialiste de la langue française —place et la fonction du français dans la période coloniale et post-coloniale et écritures littéraires nées dans ces contextes —, elle a publié de nombreuses études sur les littératures du Maghreb et des Caraïbes.

    A la jonction de ces deux espaces, l’œuvre de Frantz Fanon, cet Algérien antillais, l’accompagne comme référence indispensable sur les effets multiples des dominations. Dans la même perspective, il ne lui était pas possible de laisser dans l’ombre la figure, si fascinante dans ses contradictions mêmes, d’Albert Camus. Elle est aussi directrice d’une collection aux éditions Le Manuscrit, Paris, «Féminin/Masculin».

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