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Cri de détresse d’une handicapée qui a refusé de faire exploser le stade Zabana

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  • Cri de détresse d’une handicapée qui a refusé de faire exploser le stade Zabana

    La date du 15 juillet fait partie de l’archive de la décennie noire vécue par toute l’Algérie. Ce jour-là relate l’histoire d’une femme handicapée que les groupes terroristes, en 1996, avaient chargé de provoquer deux attentats. L’un visait le stade Zabana, lors d’un match entre le MC Oran et le MO Constantine, et l’autre ciblait le siège de la commune d’Oran.

    Bien évidemment, cette femme qui a été kidnappée et violée a catégoriquement refusé d’exécuter ces attentats. Elle vit aujourd’hui dans la cave d’un immeuble, au quartier Es-Seddikia, et espère toujours un geste des autorités. A l’occasion de la Journée nationale des handicapés, Mokhtaria a choisi de sortir de son mutisme pour crier la souffrance dont elle est victime, en dénonçant la démagogie qui entoure l’appel aux droits de la femme.
    Mokhtaria revient sur les détails de son enlèvement, perpétré par une bande d’extrémistes, en racontant les sévices et les tortures qu’elle a endurés.
    Elle dira: «Je suis au bord de la démence à cause des conditions de vie épouvantables auxquelles je suis confrontée, surtout après ce que j’ai vécu suite à mon enlèvement et ma séquestration par un groupe de terroriste qui voyaient en moi le moyen idéal pour perpétrer les deux attentats qu’ils tramaient. L’un visait le stade Zabana et l’autre le siège de la commune d’Oran; des attentats qui auraient fait des milliers de victimes s’ils avaient été exécutés».
    Entre la crise du logement qu’elle endure et les conditions misérables dans lesquelles elle vit et qui rongent ce qui lui reste d’humilité, Mokhtaria nous relate les péripéties de son rapt et de son viol.
    Des événements considérés comme un tournant dans sa vie, un virage qui l’a menée directement à cette vie actuelle où elle partage un corridor, de 8 mètres de long sur un mètre de large, avec son fils âgé aujourd’hui de 20 ans. En fait, ce corridor était utilisé auparavant comme petit commerce multiservices mais, après avoir quitté le foyer familial, elle a été contrainte de le transformer en un abri pour elle et son fils.
    Sur ce sujet, elle déclarera : «Il est très difficile de vivre avec ses frères pour une femme qui vient d’être violée… même si mes frères me traitaient bien… il n’empêche que le regard de la société vous crucifie.. ». Malgré cela, Mokhtaria se rend de temps à autre à la maison familiale, et ce, selon les circonstances.
    Par bon sens, cette femme a cru que l’été 1981 serait le dernier drame dans sa misérable vie après l’accident qu’elle a eu et qui l’a rendu infirme. Un accident qui a préparé le chemin aux raisons et aux conditions qui feront d’elle, 15 ans plus tard, la personne qui remplissait tous les critères pour l’exécution de deux attentats qui allaient faire un véritable carnage.
    Une semaine de surveillance et des heures de détention

    Selon le procès-verbal de l’enquête préliminaire menée par les services de la gendarmerie nationale dont une copie nous a été remise, il est indiqué que le 15 juillet 1996 à 20h30, la brigade de gendarmerie de la daïra d’Es-Sénia a reçu une dépêche du secteur sanitaire de ladite commune qui indiquait la présence d’une femme handicapée qui a fait l’objet d’un enlèvement et qui souffrait de graves contusions au niveau des cuisses et de blessures au visage.
    C’est alors que les gendarmes se sont rendus sur les lieux pour recueillir le témoignage de la victime, laquelle a déclaré avoir été embarquée de force dans un fourgon J5 qui l’a conduite vers la voie rapide en direction d’El Kerma où deux des assaillants l’ont fait descendre et lui ont ordonné de déposer deux bombes, l’une au stade Zabana et l’autre au siège de l’APC d’Oran.
    La victime a déclaré qu’elle a refusé de s’exécuter, c’est ce qui lui a valu d’être agressée, battue et violée puis laissée sur le bord de cette voie rapide jusqu’à ce que les secours arrivent. C’est ce qui a été établi sur le procès-verbal de l’enquête préliminaire.
    Mais Mokhtaria veut nous raconter les faits de ce jour tragique dans tous les détails. «Ce jour-là, je suis sortie pour aller à la poste d’Eckmühl. J’ai posté ma lettre et, là, j’ai remarqué que deux individus à bord d’une fourgonnette de type J5 me surveillaient. Au début, ils m’ont fait croire qu’ils me draguaient. Chose qui m’a très contrariée. J’ai vite démarré ma motocyclette pour m’éloigner.
    Au cours du trajet, j’ai remarqué que le fourgon me suivait toujours. J’ai voulu les semer, mais sans y parvenir. J’ai décidé alors de me rendre au commissariat central mais le chauffeur de la fourgonnette l’a compris et s’est éloigné. J’ai cru alors m’être enfin débarrassée d’eux et j’ai continué à rouler vers Es-Sénia quand la fourgonnette est réapparue.
    Je me suis mise en colère et j’ai décidé de m’arrêter pour dire deux mots à ces importuns. J’étais loin de me douter qu’il s’agissait de terroristes. La fourgonnette s’est arrêtée et un individu en est descendu. Il s’est approché de moi en me menaçant «si tu bouge tu meurs !».
    J’ai cru qu’il plaisantait mais, dès qu’il m’a montré son arme, j’ai deviné qu’il s’agissait de terroristes. Mon assaillant m’a ordonné de le suivre car il avait quelque chose de très important à me demander. Il m’a menacée au cas où je tenterais de m’enfuir ou d’attirer l’attention des militaires du barrage établi à la sortie d’Es-Sénia.
    10 millions pour commettre un attentat

    Mokhtaria poursuit son histoire en disant: «Le fourgon a ensuite démarré, et je l’ai poursuivi, alors que j’étais sur ma motocyclette. J’étais traumatisée et je ne savais plus quoi faire. J’ai donc continué à suivre le véhicule, jusqu’à atteindre l’autoroute reliant Es Sénia à la commune d’El Kerma.
    C’est là que le fourgon s’arrête et que deux individus en descendent. Ces derniers prennent alors ma moto et la mettent à l’intérieur du fourgon, un J5, alors que trois autres m’entourent et tentent de me bander les yeux. L’un d’entre eux intervient et essaie de les empêcher. Ce dernier m’apprend que cela fait plus d’une semaine qu’ils me poursuivent et m’informe sur tous mes derniers déplacements.
    Les malfrats saisissent alors mon sac à main et retirent toutes les photos qui s’y trouvaient. Elles portaient sur les activités culturelles et sportives que je pratiquais. A ce moment-là, les terroristes m’apprennent que j’ai été choisie, vu que j’étais en contact permanent avec les autorités. Aussitôt, l’un d’entre eux me montre une somme d’argent qu’il s’empresse de compter devant mes yeux. Il s’agissait de 10 millions de centimes et j’ignorais si c’était de vrais ou faux billets.
    Cet argent m’a été proposé pour une opération que j’étais supposée faire, celle de mettre une bombe au niveau du stade Ahmed Zabana, lors d’un match, opposant le Mouloudia d’Oran au club de la jeunesse de Constantine.
    Quant au deuxième attentat, il me fallait poser une bombe devant le siège de la commune, chose que j’ai fermement refusée, avançant que je ne pouvais pas nuire à des personnes innocentes. Les bandits ont tout fait pour me convaincre, mais j’ai refusé de céder à leur requête.
    «Ils ont tenté de mutiler mon sein»

    Lorsqu’ils constatent mon refus d’obéir et que je n’étais pas prête à accomplir ce qu’ils me demandaient de faire, ils décident alors de me torturer. Ils me font d’abord avaler un liquide étrange et tentent ensuite de me mutiler le sein.
    Finalement, mes assaillants renoncent à cette idée, vu que l’un d’eux a refusé. Mais ce que j’ai trouvé vraiment étrange, c’est que ce dernier a été le premier à me violer et les autres n’ont pas du tout hésité à le suivre. Ensuite, l’un d’eux a pris un couteau et me l’a enfoncé dans la joue, puis l’a retiré avec force, j’ai vu alors mon sang couler.
    Après cela, les terroristes décident de brûler ma moto et fort heureusement, le briquet ne fonctionnait pas. Et c’est ainsi qu’ils quittent les lieux, m’abandonnant au milieu d’une mare de sang. J’ai perdu ensuite conscience et je ne me suis réveillée qu’après avoir entendue la voix de l’infirmière qui demandait aux agents de la gendarmerie de reporter mon interrogatoire.»
    La vie de Mokhtaria était, avant cet incident, pleine d’activités culturelles et sportives qui lui permettaient de refouler et d’oublier son handicap. Elle pratiquait du basket-ball et vénérait le foot.
    Elle se rendait tellement souvent aux stades pour assister aux matchs de football qu’elle a pu ainsi tisser des relations avec les agents de sécurité qui, avec le temps, la laissaient entrer au stade sans la fouiller et c’est justement ce qui a fait que le choix des terroristes est tombé sur elle, pensant ainsi lui confier des opérations d’envergure terroriste.
    «J’ai pensé à une harga, même dans un couffin»

    Douze ans après l’incident, Mokhtaria se trouve toujours sous traitement et se dit dépendante des calmants, sans quoi, elle ne peut retrouver le sommeil.
    L’incident a aussi laissé des séquelles physiques sur la victime qui a subi deux interventions chirurgicales après son agression sexuelle, alors que les autorités locales avaient complètement oublié de la prendre en charge et de lui octroyer un logement, d’autant plus que son fils unique était obligé, à la fois, de travailler et de rester chez lui, pour veiller sur sa maman, vu son handicap.
    Devant ces circonstances, Mokhtaria indiquera: «J’ai réellement pensé à une tentative de harga, j’ai d’ailleurs reçu une offre intéressante, de la part d’un réseau, spécialisé dans l’organisation des tentatives de harga, et sans contrepartie, vu mon état de santé, mais on m’avait demandé de payer pour mon fils, la somme de 8 millions de centimes et d’abandonner ma motocyclette, vu qu’il était vraiment difficile de la transporter.
    J’ai donc pensé à utiliser un couffin que mon fils pourrait porter avec l’aide, bien sûr, d’une tierce personne, à mon arrivée sur l’autre rive. C’est très drôle, mais c’était pour moi l’unique moyen d’aspirer à une vie décente.»

    Ouest-Tribune.
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