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La langue berbère

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  • La langue berbère

    La comparaison avec les autres dialectes peut aider, dans certains cas, à retrouver la base de dérivation. Ainsi, en kabyle, wlelles " s’obscurcir " et qlelles " être brûlé par le soleil, avoir le teint foncé " peuvent être rattachés, une fois le redoublement reconnu et les préfixes (expressifs ?) w et q retirés, à une racine LS ou WLS " être obscur ", attestée en chleuh, avec iles " être obscur " et tillas " obscurité " et dans les parlers du Maroc central, tallast, pl. tillas " obscurité ".

    Les différences entre les dialectes berbères, si elles sont réelles, ne dissimulent pas moins une unité de fonds qui s’expriment par des structures et notamment un vocabulaire commun très important.





    Si beaucoup d’auteurs insistent aujourd’hui sur la diversité de la langue berbère –en fait quelle langue ne l’est pas, à des degrés divers ?- ils omettent souvent de signaler son unité profonde.

    Des différences d’ordre phonétique et lexical peuvent empêcher la compréhension entre les locuteurs de dialectes, notamment quand les distances qui les séparent, sont grandes. Mais en fait, il suffit d’un temps d’adaptation plus ou moins long, toujours selon les dialectes, pour que les échanges et donc l’intercompréhension s’instaurent.

    A Alger, les commerçants mozabites et les clients kabyles ou chaouis se comprennent, en utilisant chacun son dialecte, et les auditeurs de la chaîne 2, d’expression amazighe, suivent les émissions dans différents dialectes.

    C’est que l’ensemble des dialectes présente des structures et surtout un vocabulaire communs qui constituent des sortes de passerelles entre eux. Nous tenterons, dans cet article et les suivants, de montrer ce fonds commun, qui pourrait servir un jour de base à la constitution d’une sorte de berbère standard, qu’on pourrait notamment utiliser à l’école.

    La racine

    Il est facile , en consultant n’importe quel dictionnaire de berbère, de reconnaître, dans une série de mots, des éléments radicaux communs. Ces éléments forment, selon la terminologie des linguistes sémitisants , la racine.

    Celle-ci, définie comme un ensemble de consonnes, reçoit, par l’ajout de voyelles et, accessoirement d’affixes, sa coloration phonique . En fait, c’est cet élément ajouté, appelé schème , qui permet de donner une existence réelle au mot, la racine, elle, étant virtuelle. (Sur la racine et le schème, voir J. CANTINEAU, 1950.)

    Pour la racine berbère commune GHN " lier , attacher ", on a les développements suivants dans trois dialectes :

    -kabyle :eqqen " lier, attacher, atteler, par extension : fermer les yeux, porter des bijoux, promettre, rendre impuissant, etc.,tuqqna " fait de lier, imposition du henné (mariés), promesse, nouement de l’aiguillette’’, ameqqun, " gerbe, brassée, fagot ", tameqqunt, tamuqqint, pl. timuqqinin " bouquet, botte ", aseghwen, pl. iseghwan, aseqqun, " corde d’alfa " etc.

    -touareg : eqqen " lier, garrotter ", ughun, " fait de lier, de garrotter ", amûghen, pl. " homme qui lie (pèges, puits, livres), homme qui rend les autres incapables de comprendre, homme dont l’esprit est paralysé " , asaghun " lien ", aghan, pl. ighannân " corde ", taghant, " rêne ", asaghun, " lien de genou (du chameau ) ", ognen, " bijoux’’, tameqqunt, pl. timeqqân " cercle d’arrêt passé au feu rouge , posé sur une morsure ou une plaie pour éviter qu’elle s’infecte ", teweghne, " paquet de forme allongée " etc.

    -tamazight (dialecte du Moyen Atlas, Maroc) : eqqen " lier, attacher, ligoter, appliquer un produit sur (henné), porter, fermer, boucher, être fermé, interdire à la femme adultère répudiée d’épouser son amant’’, taghuni, " fait de lier, d’attacher etc. ", taghuni, " chaussures’’, asqqen, asghun, " corde ", tamaqqant, " tamis à mailles serrées ", tighini, " interdiction faite à la femme adultère répudiée d’épouser son époux, (interdiction formulée par l’ancien époux) " etc.

    Comme en sémitique, la racine berbère est sentie : cela veut dire qu’elle est une réalité vivante de la langue et non, comme en indo-européen, par exemple, une reconstruction.. En effet, dans la majorité des cas, il est toujours possible de reconnaître un rapport entre les mots dérivés et la base de dérivation. Ainsi, en kabyle, tamaqqunt " bouquet " est rattaché au verbe eqqen , un bouquet étant, par définition, un assemblage de fleurs, de plantes, de feuillages souvent attachés. Mais le rapport peut-être vague et n’évoquer qu’un lointain écho dans l’esprit : ainsi, le locuteur kabyle ne rattache plus le mot tawaghit " malheur " au verbe agh " prendre ". Les deux mots sont étymologiquement rattachés mais dans l’usage, ils sont devenus indépendants l’un de l’autre. Parfois même, la base de dérivation a disparu et il ne reste plus que le dérivé.

    C’est le cas, dans les dialectes dits du Nord, de argaz " homme " que l’on rattache habituellement à une racine verbale RGZ " marcher ", attestée en touareg sous la forme reoeh < regez " marcher au pas ", d’où araoeh " collection de personnes à pied, marchant au pas " et amerreoeh " vagabond, personne qui erre " (Ch. de FOUCAUD, opus cité, p. 1599)

    Les accidents phonétiques et la morphologie peuvent rendre difficile la reconnaissance du mot mais on peut, dans la majorité des cas, dégager, avec un degré plus ou moins grand de certitude, les racines.

    La comparaison avec les autres dialectes peut aider, dans certains cas, à retrouver la base de dérivation. Ainsi, en kabyle, wlelles " s’obscurcir " et qlelles " être brûlé par le soleil, avoir le teint foncé " peuvent être rattachés, une fois le redoublement reconnu et les préfixes (expressifs ?) w et q retirés, à une racine LS ou WLS " être obscur ", attestée en chleuh, avec iles " être obscur " et tillas " obscurité " et dans les parlers du Maroc central, tallast, pl. tillas " obscurité ".

    Variations phonétiques

    Les transformations phonétiques, quand elles reposent sur des correspondances régulières, sont assez faciles à déterminer. Ainsi, quand on sait qu’une partie des h touareg , du Hoggar, correspond à z dans les dialectes dits du nord, on classe sans hésiter, touareg : ehe " mouche " avec Kabyle, chaoui, chleuh etc. : izi, de même sens. Le k du berbère commun devient c en mozabite aberçan ‘’noir’’ devient le kabyle aberkan, l devient r dans certains dialectes du Rif , arim devient le kabyle alim ‘’paille’’ etc. La variation peut même se produire à l’intérieur d’un même dialecte où certains phonèmes subissent des modifications régulières : ainsi, dans certains parlers kabyles, l devient y : ifeyfey devant ifelfel, dans les parlers de l’aire tamazight du Maroc central, l évolue en j etc.

    Réduction et étoffement des racines

    En plus de l’altération de ses radicales, la racine peut subir un amenuisement. Certaines radicales dites faibles, comme w et y, peuvent chuter régulièrement et ne réapparaître qu’occasionnellement dans un dérivé : ainsi : aru " écrire ", tira " écriture " dans la plupart des dialectes mais tirawt " lettre " en touareg ; ered, ired " blé " dans la plupart des dialectes, ayerd en ghadamsi, iéay, aééay " être lourd " partout, iéviy en chleuh … On a posé l’hypothèse d’un ancien h , dit protoberbère tombé partout mais conservé comme h en touareg de l’Ahaggar et comme b spirant en ghadamsi. Ainsi le mot id’ " nuit ", est réalisé ehov, en Touareg, ibev, en Ghadamsi. Un autre h, également protoberbère, apparaît dans divers parlers touaregs et dans quelques dialectes du nord et en ghadamsi :tala (Kabyle, Chaouia etc.) tahala (Touareg, et Rifain) " fontaine, source " ; ehere (Touareg) " menu bétail ", ahruy (Chleuh) " mouton " etc.

    Métathèses

    L’ordre des phonèmes d’un mot commun peut changer d’un dialecte à un autre. Ce phénomène, appelé " métathèse " ne gêne pas la reconnaissance des mots mais il peut poser des problèmes quand il s’agit, dans la réalisation d’un dictionnaire de berbère commun, de procéder à la classification des racines. Ainsi, pour la racine signifiant " donner ", on a toute une série de formes : Touareg : ekf et intensif hakk ; Ghadamsi : ekf et intensif ibekk ,Maroc central : fek, kef ; k : efk, sans oublier les formes rétrécies de Néfousi, Siwi et Wargli etc. : uc, où f est tombé et où k est passé à c.

    Extensions sémantiques de la racine

    L’une des conditions de la racine berbère est de conserver, dans tous ses dérivés, et à travers les dialectes, un minimum de sens commun. En fait, la plupart des mots que nous avons relevés présentent le plus souvent non pas un signifié commun, mais plusieurs ainsi que des extensions de sens et des sens figurés communs. Voici deux exemples

    racine DKL :

    -dukkel " être ensemble, réunir ", seddekkel " rassembler ", adukkel " fait d’être rassemblé " (Touareg)

    -ameddukel " compagnon, ami, amoureux " (Wargli )

    -ddukel " se lier d’amitié, aller ensemble " amddak°el " ami, compagnon " et

    mdukkal " se lier d’amitié, être amant " (Maroc central)

    -ddukel " aller ensemble, prendre comme compagnon ", amdakkel

    " compagnon " (Chleuh)

    -ddukel " aller ensemble " amddakel " ami, compagnon, camarade " (Kabyle ) etc.

    racine FS :

    -ifsas " être léger, p. ext. : être agile " (Touareg)

    -efsus " être léger " (Wargla)

    -fsus " être léger, p. ext. : être vif, rapide " (Maroc central)

    -ifsus " être léger, p. ext. : être rapide, vif " (Chleuh, Rifain, Kabyle)

    Même quand, dans certains cas, les sens des mots mis en rapport paraissent différents, il demeure toujours un minimum de signification qui autorise le regroupement dans une même racine.

    La disponibilité de la racine est telle qu’elle peut connaître des développements inattendus. On assiste à une pléthore de mots qui, s’ils n’étaient pas liés par des signifiés communs, donneraient l’impression de relever de racines différentes. On peut citer, comme exemple caractéristique, la racine FL : elle présente partout , avec le verbe fel, le sens général de " quitter, partir " et produit, selon les dialectes, toute une série de mots relevant de divers domaines :

    -le tissage : fel " ourdir " (Mzab, Wargla) , " monter le métier à tisser "(Chaoui) ; taseflut "chaînette de tissage", tisseffilt " fil de trame ", asfel " cordon de soie pour maintenir le foulard sur la tête " (Maroc central)

    -le relief : aseffalu "falaise" (Maroc central) ceffelet " monter jusqu’au sommet d’une élévation (montagne, dune) " atafala " trou d’eau à fleur de sol " (Touareg)

    -la construction : asfel " toit fixe ou mobile d’une maison ", afella " surface supérieure " (Touareg), afella " terrasse ", iflu " madrier, battant de porte ", tiflut " porte " (Chleuh)

    -notions et objets divers : efele " canal souterrain de captage des eaux " (Touareg), tiflet " canal amenant l’eau de la rivière " (Chleuh) tuffalin " attelles faites de roseau " (Maroc Central) tufflin " attelles ", acacfal " sorte de porte-manteau placé au-dessus des poutres ", asfel " charme, rite magique de transfert d’un mal " (Kabyle)

    par M.A Haddadou
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