Annonce

Réduire
Aucune annonce.

Théâtre et lutte de Libération en Algérie

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • Théâtre et lutte de Libération en Algérie

    La guerre de Libération a été le sujet de quelques pièces algériennes. Nous essaierons de voir comment le théâtre en Algérie a pris en charge cette épopée tout en insistant sur les textes-clés qui ont abordé cette question.

    De 1963 à 2010, trop peu de pièces traitant cet événement historique furent mises en scène dans les établissements étatiques. Ce qui est quelque peu malheureux.

    Certes, les années 1990 ont vu un certain nombre de poètes se transformer en dramaturges et quelques théâtres et metteurs en scène, pour des raisons financières, réaliser ce qu’ils appellent pompeusement des «épopées», souvent trop mal ficelées techniquement, et ne visant trop souvent que les bénéfices financiers soutirés des entreprises publiques productrices comme le ministère des Moudjahidine et l’Organisation nationale des moudjahidine.

    Ce type d’«épopées», juteuses pour leurs initiateurs, ne dépassent pas l’unique représentation.

    Ainsi, les héros de la guerre de Libération sont malmenés par des entreprises et des «metteurs en scène» qui considèrent l’Histoire et l’art théâtral comme accessoires. La guerre de Libération devient un espace rentier. Les troupes d'amateurs abordèrent également des sujets historiques, avec peu de succès.

    Sur une dizaine de pièces évoquant cette question, quatre sont des reprises : Les enfants de la Casbah, Le serment et Les éternels de Abdelhalim Raïs, et Le cadavre encerclé de Kateb Yacine, monté à deux reprises par le Théâtre national algérien (en 1968 et en 2000).

    Ces quatre pièces, nées d’une forte conviction et participant d’un projet idéologique et esthétique clair et cohérent, arrivent à donner une image crédible de la lutte de libération nationale algérienne, souvent schématisée par des «épopées», certes encouragées par les pouvoirs publics, qui dénaturent la portée de la lutte révolutionnaire nationale pour l’indépendance. D'autres textes furent montés à des fins de célébration d’anniversaires : 5 Juillet, 1er Novembre.

    Ce fut le cas notamment de Soumoud(résistance), montage poétique joué, et Errafd(le refus). Contrairement au cinéma et à la littérature, le théâtre n’aborda pas sérieusement, et en nombre suffisant, ce sujet. Toutes ces pièces, excepté Hassan Terro, succès populaire du grand auteur comique algérien, insistaient en quelque sorte sur l'historicité des faits. Les Enfants de la Casbah, El-Khalidoun les éternels) et Le serment de Abdelhalim Raïs, déjà jouées entre 1958 et 1962, ont pour cadre de représentation la ville. Raïs, l'auteur de ces trois pièces, inscrit son travail dans le cadre de la guerre de Libération nationale.

    Si Abdelhalim Raïs propose un univers manichéen, Mammeri, Assia Djebar et Walid Carn montrent surtout le caractère meurtrier et injuste de la guerre. Mammeri dénonce surtout le caractère absurde de cette guerre.

    Assia Djebar et Walid Carn présentent la violence coloniale tout en montrant également les atrocités militaires françaises. Ould Abderrahmane Kaki propose un montage d'événements qui caractérisèrent la présence coloniale en Algérie.

    C'est ce qu'on appelle le théâtre-document.

    La pièce la plus populaire demeure, sans conteste, Hassan Terro de Rouiched qui, comme Les enfants de la Casbah, traite du thème de la résistance dans la capitale, Alger. Hassan, un personnage, mi-naïf mi-sérieux, peu engagé au départ, se retrouve pris dans l’engrenage de la lutte de libération, bien malgré lui. Il finira par la force des choses Hassan Terro (le terroriste). C'est un peu l’itinéraire de la mère dans Les fusils de la mère Carrar de Bertolt Brecht.

    Ce qui retient l'attention, c'est le caractère comique de la représentation et la personnalité problématique du personnage. C’est le rire qui structure le récit.

    Paradoxalement, la peur, vraie ou simulée, articule le discours du personnage central, trop prisonnier de concours de circonstances, de quiproquos et de jeux de mots.

    Le comique des situations et du verbe donne à cette pièce une tonalité exceptionnelle : Hassan Terro est l’unique pièce qui traite de l’Histoire en faisant appel au genre comique.

    Déjà, dans le passé, les pièces qui respectaient trop la chronologie des faits tout en respectant la «vérité» historique avaient subi de sérieux échecs. Seul Allalou, en recourant à la parodie et à la satire, pouvait séduire le grand public. Hassan Terro qui reprend les techniques du conte (circularité du récit, répétitions, personnage de Hassan, ersatz du conteur, etc. ) est très proche sur le plan du traitement de l'histoire des pièces populaires des années 1920 et 1930 de Allalou ou de Ksentini.

    Le héros est un homme du peuple, sans grandes qualités physiques ou intellectuelles. Il est simple, parfois naïf, comme d'ailleurs les personnages de Ksentini, de Allalou ou de Bachetarzi. Rouiched assumait totalement cet héritage.

    Cette pièce, contrairement aux autres textes traitant de la même question, connut une réussite populaire extraordinaire : en 12 représentations, plus de 6 037 personnes l’ont vue, soit une moyenne de 503 spectateurs par spectacle. Une pièce comme Les Enfants de la Casbah fut «visitée» par 1 352 spectateurs en 8 représentations (une moyenne de 169 personnes par spectacle).

    Le Foehn de Mouloud Mammeri ne put rassembler plus de 2 718 spectateurs en 8 reprises (une moyenne de 194 par représentation).

    Rouge l'aube, pièce jouée en français, présentée durant sept fois, réalisa un score très moyen : une moyenne de 279 spectateurs par spectacle. Certaines pièces comme Soumoud du TNA ou Errafddu TR Constantine, montées respectivement en 1979 et en 1982, ne dépassèrent pas la centaine de spectateurs.

    Le thème de la guerre de Libération ne suscita pas, outre-mesure, l'enthousiasme des hommes de théâtre, malgré la présence au sein du TNA des animateurs de la troupe du FLN.


    Cette situation paradoxale s'expliquerait également par un phénomène essentiel : la censure. Se transformant en un lieu de légitimation du pouvoir, l'Histoire fut tout simplement abandonnée par des dramaturges qui avaient une autre lecture du mouvement historique national. Le traitement de l'Histoire posait également problème.

    Fallait-il mettre en scène ce qu'on appelle communément «l'épopée du peuple» en recourant à une multitude de personnages ou opter pour des destinées individuelles ?

    Rouiched choisit la deuxième voie en proposant l'itinéraire d'un résistant malgré lui, naïf mais foncièrement engagé, Hassan Terro. C'est à partir de ce personnage, sorte de sergent Shweik, que tout s’articule et que le lecteur- spectateur découvre l'atrocité des faits.

    Rouge l'aube de Assia Djebar et de Walid Carn insistait sur le caractère collectif de la lutte. Des textes comme Rouge l'aube et Le cadavre encerclé joués en français et en arabe «littéraire », en 1968-1969, n'attirèrent qu’un nombre extrêmement restreint de spectateurs: 1 953 personnes pour Rouge I’aube (7 représentations) et 508 spectateurs pour Le cadavre encerclé (8 représentations). Les deux textes montés par le TNA interpellent l’Histoire, traitent de situations historiques précises.

    L’Histoire est au cœur de la tragédie. Epopée et tragédie marquent les deux récits. Proches de l'expérience shakespearienne, Rouge l'aube et Le Cadavre encerclé tendent beaucoup plus vers le drame historique que vers la tragédie. Le personnage du guide dans la pièce de Assia Djebar et Walid Carn, combattant de la lutte de libération, poursuit un seul objectif : l'indépendance de son pays.

    La jeune fille, élément important du récit, arrive à concilier difficilement solidarité collective et quête individuelle. Ainsi, l’épique rencontre le tragique. La quête individuelle se confond avec le combat collectif.

    L’action n'est pas, comme dans Le cadavre encerclé, centrée sur un seul personnage, Lakhdar, mais multiplie les lieux de focalisation. Le guide, la fille et le poète constituent les personnages essentiels de la fable. Nous avons affaire à des personnages épiques possédant certains traits tragiques. Comme si l'épopée collective convoquait la tragédie. Le tragique relève surtout de l'histoire.

    Les héros se sacrifient pour des intérêts supérieurs dictés par l'Histoire, non par la fatalité. Le commandant meurt pour affirmer sa liberté. Le poète, détenteur de la parole collective, est tué pour avoir refusé de renier sa poésie. La jeune fille et le guide finissent en prison. C'est l'histoire qui détermine le fonctionnement des personnages et l'action. Ici, tout s'articule autour de la guerre de Libération.

    Le poète, une sorte de conteur populaire, qu’on rencontre dans les marchés ou les places publiques, est, en quelque sorte, le porteur et le détenteur de la mémoire historique. Le guide, une fois le poète assassiné par les soldats, désire prendre sa place et témoigner de l'histoire de son peuple. Personnages épiques par excellence, le guide et la jeune fille, combattants de la lutte de libération, ne sont pas physiquement et psychologiquement décrits : ni âge, ni filiation, ni problèmes personnels importants. C'est en quelque sorte l'Histoire qui est le lieu et l'espace de la tragédie.

  • #2
    Rouge l'aube raconte la tragédie d'un peuple qui lutte pour retrouver son indépendance. Ainsi, on peut dire que l'Histoire investit la tragédie et lui ajoute une dimension épique. Les textes de Kateb Yacine sont écrits en français. Ainsi, la langue française devient un outil de guerre pour les Algériens. Le théâtre de langue française se trouvait exilé par la force des choses. Monter en Algérie des pièces de Kateb, de Boudia ou de Kréa était une entreprise impossible dans le contexte colonial de l’époque. Déjà, toute allusion à la politique était condamnée au silence. L’administration veillait au grain. Toute parole libre était muselée, marquée du sceau de l’«illégalité ». La censure et la répression marquaient le quotidien. Il eut fallu le courage de Jean- Marie Serreau pour mettre en scène Le cadavre encerclé de Kateb Yacine. Les pièces de Kateb Yacine furent montées grâce à Jean-Marie Serreau alors que celles de Boudia ( Naissances et L’olivier), de Bouzaher ( Des voix dans la Casbah) et de Kréa ( Le séisme et Au bord de la rivière) ne connurent jamais la scène.

    Toutes ces pièces décrivaient la tragédie de l’Algérie durant la colonisation. Le cercle des représailles, publié en 1959, se compose de trois pièces et un poème dramatique. La première, intitulée Le cadavre encerclé, une tragédie en trois actes, raconte le drame des événements de mai 1945.

    Dans la rue des Vandales (titre initial du texte), cadavres et blessés sont par terre ; Lakhdar et Mustapha, éternels amants d’une insaisissable Nedjma, se trouvent parmi les révoltés. Blessé, Lakhdar est sauvé par la fille du commandant, Marguerite, qui n’arrive pas à se faire admettre par le groupe d’amis. Mais quelque temps après, Tahar le poignarde et laisse son cadavre au milieu d’un polygone tragique, l’Algérie, une nation qui «n’a pas fini de venir au monde». Jouée à Alger en 1968 et en 2000 au TNA en arabe «littéraire», cette pièce fut très mal accueillie par le public : 508 spectateurs pour 8 représentations, ce qui constitue un échec. Le cadavre encerclé traite également de la guerre contre le colonialisme. L'action se situe essentiellement durant les événements de mai 1945.

    Le récit s'articule autour du personnage problématique de Lakhdar qui semble poursuivre deux quêtes paradoxalement complémentaires : le désir d’une femme et la nécessité de la révolution. Lutte individuelle et lutte collective déterminent le fonctionnement du récit. Chez Kateb Yacine, la présence d'Eschyle (notamment au niveau du fonctionnement du chœur) et de Shakespeare (dans le rapport qu'entretient l'histoire avec le mode tragique) est évidente. Le héros tragique Lakhdar, meurtri et blessé à mort, évolue dans un univers épique.

    L'épique et le tragique se donnent en quelque sorte la main. Ce n'est pas pour rien que Lakhdar, poignardé par un traître, se sacrifie, pas pour des intérêts égoïstes, mais pour obéir au procès collectif de l'Histoire. Sa mort n'est pas présentée comme une fatalité, mais comme une nécessité historique. Ainsi, on peut parler de «liberté tragique». Comme chez Eschyle, le chœur prend une importante place dans le mouvement dramatique. Il explique les situations tout en prenant position avec les patriotes. Il incarne en quelque sorte le peuple.

    Toute réconciliation est impossible. Seule la victoire des patriotes peut permettre l'émergence d'un monde authentique. Contrairement à de nombreuses pièces tragiques, Le cadavre encerclé propose une issue, une ouverture.

    Les ancêtres redoublent de férocité, de veine tragique, met en situation deux personnages, Hassan et Mustapha à la recherche du chemin du Ravin de la femme sauvage, lieu mythique où se trouve Nedjma, hantée par le vautour incarnant Lakhdar. Le troisième volet de cette tétralogie est constitué par une pièce satirique,

    La poudre d’intelligence, qui tourne en dérision les arrivistes, les faux dévots et les opportunistes. Nuage de fumée rencontre dans ses nombreuses balades mufti, cadi et marchands qu’il ridiculise et qu’il tourne en bourrique. Cet ensemble dramatique puisé dans l’histoire de l’époque avec ses contradictions et ses ambiguïtés, caractérisé par la présence de traits lyriques et l’utilisation d’une langue simple, ne s’arrête pas uniquement à la dimension politique et la guerre, mais les dépasse et interroge l’être algérien déchiré, mutilé. La tragédie est, chez Kateb Yacine, paradoxalement vouée à l’optimisme ; la mort donne naissance à la vie.

    Ainsi, quand Lakhdar meurt, c’est Ali qui poursuit le combat. Nous avons paradoxalement affaire à une tragédie optimiste. Tragique et épique se côtoient, se donnent en quelque sorte la réplique. Le «je» singulier (relation amoureuse de Lakhdar et de Nedjma par exemple) alterne avec le «nous» collectif (inscription du personnage dans le combat collectif).

    La fin est ouverte, jamais totalement négative. Ses paroles prémonitoires sont le produit de son combat. Le chœur prend en charge le discours du peuple et s’insurge contre les sournoises rumeurs de la mort. Nedjma, étoile insaisissable autour de laquelle tournent tous les protagonistes masculins, incarnerait l’Algérie meurtrie, terre à récupérer. Le déplacement de l’histoire à la légende se fait surtout par le retour à la tribu, source du vécu populaire et territoire-refuge de tous les personnages qui reviennent à cet espace afin de retrouver leur force. Le mythe tribal ne constitue nullement un retour aux sources mais une manière de se redéfinir par rapport à un passé accoucheur d’un présent ambigu et abâtardi. Le jeu avec le temps et l’espace, un des éléments essentiels de la dramaturgie en tableaux, est lié à la quête de la nation encore perturbée et insaisissable.

    Durant la période 1954-1962, d’autres acteurs avaient senti la nécessité d’écrire des pièces de théâtre en français et de dire l’Algérie en guerre. Dans Le foehn, pièce marquée historiquement, il est question de la guerre, une guerre imposée. Boudia, Kréa et Bouzaher affirment dès les premières répliques leur projet politique et leurs intentions idéologiques. Leur théâtre s’inscrit dans le cadre d’une littérature et d’un art de combat. Ecrire voulait dire témoigner, dire leur peuple. Dans tout témoignage, il y a toujours prise de parti.

    Naissances de Mohamed Boudia raconte l’histoire d’une famille marquée par la guerre. Des voix dans la Casbah de Hocine Bouzaher évoque la situation politique et sociale d’un quartier algérois ravagé par les bruits et les rumeurs militaires. Le séisme de Henri Kréa met en scène l’histoire de l’Algérie, avant et pendant la colonisation. C’est une tentative d’affirmation de l’être national algérien. La conception manichéenne, par endroits simpliste, de l’histoire obéit au discours politique dominant et correspond à des nécessités historiques immédiates. L’essentiel pour les auteurs était de mettre en forme les idées du Front de libération nationale (FLN). C’était donc un théâtre d’information lié aux nécessités de la période de guerre. Le théâtre de langue française des années de guerre était essentiellement un théâtre de combat.

    Par Ahmed Cheniki, Le soir

    Commentaire

    Chargement...
    X