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Le dernier secret de Romain Gary

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  • Le dernier secret de Romain Gary

    Un peu d'eau au moulin de tous ceux qui cherchent une raison de relire l'oeuvre de Romain Gary... Ou de la découvrir, pour ceux qui ne la connaissent pas.
    Le pilote-auteur-diplomate aux deux Goncourt et aux nombreux pseudonymes préserve encore jalousement un de ces secrets truculents à même d'aiguiser notre soif de savoir.
    Le Monde nous tient en haleine...

    Sur le catalogue de vente aux enchères, la description ne payait pas de mine : "Manuscrit autographe Le Vin des morts, signé Romain Kacew, janvier 1937 (331 pages), accompagné d'une lettre autographe non signée." C'était en juin 1992, et l'objet devait être mis aux enchères à Drouot quelques jours plus tard, le 3 juillet.
    Romain Kacew : pas de quoi bondir. A moins d'être familier du fameux illusionniste aux mille visages et aux nombreux "pseudos", qui signa tour à tour Lucien Brûlard, Fosco Sinibaldi, Shatan Bogat, Emile Ajar et, bien sûr, Romain Gary.

    Cet écrivain-diplomate originaire d'une famille juive de Lituanie, héroïque pilote de la seconde guerre mondiale, Compagnon de la Libération, consul de France à Los Angeles, mari de l'actrice Jean Seberg, auteur de plus de trente livres et de quelques films, deux fois lauréat du prix Goncourt sous deux noms différents (Gary et Ajar), ce génial aventurier qui se tira une balle dans la bouche en 1980 après avoir laissé l'explication de ses supercheries, est né Roman Kacew à Wilno, en 1914. L'écrivain a juste francisé son prénom : Roman est devenu Romain. Mais Kacew, c'est le nom d'origine, le point de départ.

    En feuilletant le catalogue, Philippe Brenot a frémi. Il est psychiatre et passionné de manuscrits. Ne pouvant se rendre à Drouot, ce 3 juillet 1992, il se contenta de donner les ordres par téléphone. Sans grand espoir. Le Vin des morts est le premier roman de Romain Gary. Le seul livre que l'écrivain signa sous le nom de Romain Kacew. "Toute l'édition française sera là, se dit-il. Je n'ai aucune chance."

    Mais l'édition française n'était pas à Drouot. Un ou deux amateurs ont surenchéri mollement, et Philippe Brenot l'a emporté. Etait jointe au lot une lettre manuscrite, en russe, de la mère de Romain Gary. Le tout pour un prix, assure-t-il, "très modeste".

    Ce premier manuscrit, Romain Gary l'évoque lui-même dans son autobiographie truculente, La Promesse de l'aube. Il le commence dès 1933 à Aix-en-Provence à une table du café Les Deux Garçons, sur le cours Mirabeau, pendant ses études de droit. Quatre ans plus tard, il l'envoie à divers éditeurs, ne reçoit que des refus, dont l'un, de Denoël, avec une note de lecture de la psychanalyste Marie Bonaparte. Qui y décèle "complexe de castration, complexe fécal, tendances nécrophiliques...".

    L'écrivain fait don de son manuscrit à son amoureuse suédoise, Christel Söderlund (la Brigitte de La Promesse de l'aube). Le titre disparaît de la bibliographie de Romain Gary. En 1944, Education européenne est son premier roman édité. Et l'histoire du Vin des morts s'arrête là... Jusqu'à ce que Christel Söderlund le vende aux enchères, un demi-siècle plus tard. Le Vin des morts n'a jamais été publié. Interdit de divulgation. Il en existe deux versions différentes, et le seul à détenir les tapuscrits est Diego Gary, le fils unique que Romain Gary eut avec Jean Seberg en 1962, héritier du droit moral de l'œuvre.

    Diego a choisi une vie retranchée du monde. Il ne nous livre que ces mots, par l'intermédiaire de son avocate : " Le Vin des morts est une oeuvre de jeunesse qui ne favorise pas le corpus de l'œuvre de Romain Gary, et sa publication n'est pas opportune." Son père, ajoute-t-il, n'a jamais mentionné le désir de le publier, ni de son vivant ni à titre posthume.

    Le Vin des morts garde donc ses secrets. Remisé dans l'enfer de bibliothèques privées. Un simple résumé de son contenu tomberait sous le coup de la loi. Contentons-nous de cet indice : dans la version possédée par le collectionneur, le roman se passe sous terre, et est peuplé de morts-vivants.

    Il faut donc lire Le Vin des morts sous le manteau. Ou aller sur la butte Montmartren, chez Philippe Brenot, pour feuilleter les pages jaunies et sans ratures, à l'écriture appliquée et nerveuse. Interdit de prendre des notes. Interdit de raconter le contenu. On tourne les pages religieusement. Romain Gary aurait adoré le cérémonial.

    D'un côté, les pages manuscrites du Vin des morts. De l'autre, Philippe Brenot a disposé les livres d'Emile Ajar. Pseudo. Gros-Câlin. La Vie devant soi. De Kacew à Ajar, des idées et des phrases entières se ressemblent, se répètent. Parfois absolument identiques. Le propriétaire du manuscrit se livre à coeur joie au jeu du décryptage. Découvrant partout des traces du Vin des morts dans l'oeuvre de Gary, et surtout dans celle d'Ajar.

    Malin, Philippe Brenot a évoqué ces correspondances dans un roman, Le Manuscrit perdu (éd. L'Esprit du temps). Ruse de la fiction. Les extraits du Vin des morts y sont laissés en blanc, entre crochets. L'absence du texte, frustrante, le rend d'autant plus désirable.

    "Je retrouvais des passages entiers du Vin dans Pseudo, comme la scène ubuesque des flics-insectes froufroutant dans un bordel et celle de (...)." Même Madame Rosa, la maman-**** de La Vie devant soi, "ressemblait fortement à Madame (...) du Vin des morts."

    Le Vin des morts, poursuit-il, "contient la révolte qui bout en Gary depuis son enfance, le feu qui l'habite quand il dénonce les symboles et les valeurs de la bourgeoisie". Le feu de Romain Gary. Le feu de ses pseudonymes : Gary, en russe, veut dire "Brûle !", et Ajar, "La Braise". Sans compter ce nom qu'il avait essayé dès son adolescence : Lucien Brûlard, condensé de Lucien Leuwen et Henri Brulard, deux des noms d'emprunt de Stendhal. Gary ajoute à Brulard un accent circonflexe : le feu, toujours. Tout en restant fidèle à Stendhal, son inspirateur secret, qui fut comme lui militaire, écrivain, consul de France, et emprunta près de deux cents pseudonymes...

    Philippe Brenot exulte. Pour lui, Le Vin des morts est une mine où Gary vient puiser par fragments pour nourrir les œuvres d'Ajar. Les éléments qui s'y trouvent auraient pu faire tomber avant l'heure le masque du mystérieux Emile Ajar. "Je ne lisais plus du Kacew, écrit Philippe Brenot, je ne lisais plus du Gary, je parcourais Ajar avant l'heure. Je retrouvais ce Pseudo qui naîtra quarante ans plus tard. (...) L'enfant Romain ressuscite en devenant Ajar."

    Gary lui-même, dans Vie et mort d'Emile Ajar, évoque son Vin des morts. Tiens ! Le Vin des morts, Vie et mort... Du premier livre au dernier, les titres et les sons se confondent. La boucle est bouclée.

    Romain Gary n'aurait-il été qu'une illusion passagère entre l'écrivain d'origine, Romain Kacew, et celui de la fin, Emile Ajar ? Entre les deux, demande carrément le psychiatre, "Gary a-t-il seulement jamais existé ?".

    Thèse hautement farfelue, selon Diego Gary. D'après lui, Le Vin des morts "n'est pas du Gary, n'est pas du Ajar : c'est du Kacew. Il n'y a vraiment pas à polémiquer sur ce sujet". Avouez qu'on en sait trop pour ne pas être titillés.


    Marion Van Renterghem
    Ça ressemble un peu à une opération marketing (bien amenée et bien ciblée) mais que ne ferait-on pas pour notre édition "sinistrée"... Et pour en savoir plus ?
    Dernière modification par Virginie, 11 février 2006, 16h18.

  • #2
    Merci, Virginie...

    Romain Gary ( et Emil Ajar), un de mes auteurs favoris...
    Je ne savais pas qu'il a usé d'autant de pseudos.
    Mais je ne retrouve pas dans la liste, un encore plus fameux, que la rumeur évoque souvent.
    Mais je me retiendrais d'accabler sa mémoire en donnant ici le pseudo en question.

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    • #3
      Pourquoi accabler ? S'il te plaît M. Kaddour, tu veux bien nous dire...?

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      • #4
        impressionnant

        salut tout le monde,

        avec tous mes remerciements VIRGINIE, je découvre comme mon collègue ALIKADDOUR, ces multiples facettes de GARY. à croire que l'auteur s'est découvert un mail plaisir à vouloir écrire tout en cultivant le mystère et les énigmes. je pense que c'est une tendance bien reconnue dans le monde de la littérature qui stimule le désir de découverte chez certains lecteurs.

        moi même je reconnais que parfois je suis entrainé dans le chemin de découverte des mystères qui sont cultivés tout au long d'un récit.

        par ailleurs, je constate que l'analyse s'est particulièrement occupée d'étudier l'homme et les différentes inteconnections (si je puis les appeler ainsi) qui pouvaient exister entre les différentes oeuvres de l'auteur, sous ses différents pseudos, avec les indices qu'il plantait au niveau de chaque oeuvre sans s'occuper d'analyser le contenu de ses oeuvres.

        à croire que le mystère que suscite l'auteur est plus attrayant que le contenu de ses oeuvres.

        Kamal.

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        • #5
          Bonjour Kamel

          à croire que le mystère que suscite l'auteur est plus attrayant que le contenu de ses oeuvres.
          Je ne dirais pas ça. L'auteur en lui-même, plutôt son oeuvre en elle-même est intéressante.
          Que ce soit sous la signature de Romain Gary ou celle d'Émil Ajar, ses écrits ont réellement beaucoup de valeur.

          Sinon, pour Virginie.
          Je t'ai écrit un MP pour te dire un peu la rumeur. Je n'y crois pas du tout. C'est même grossier.


          Dernière modification par AliKaddour, 13 février 2006, 00h23.

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