Annonce

Réduire
Aucune annonce.

La théorie du Tout de Garrett Lisi était mort-née...

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • La théorie du Tout de Garrett Lisi était mort-née...

    Par Laurent Sacco, Futura-Sciences

    En novembre 2007, un surfeur et néanmoins docteur en physique théorique, créait une vague médiatique en proposant une théorie unifiée de toutes les forces et particules de matière. La théorie de Garrett Lisi fut aussitôt l’objet de critiques. Déjà sur arXiv depuis l’année dernière, un article prouvant l’échec complet de la théorie de Lisi va être publié dans Communications in Mathematical Physics.

    C’était en Novembre 2007. D’abord diffusé dans la blogosphère des physiciens théoriciens, le bruit qu’un chercheur indépendant, passant une grande partie de son temps à surfer à Hawaï, avait peut-être réussi là où des Einstein et Edward Witten avaient échoué se faisait entendre avec plus de force dans les médias.

    Il faut dire que l’histoire avait tout pour séduire. Comme résister, en effet, à l’idée qu’un individu ne faisant pas partie du sérail des professionnels avait peut-être réussi à découvrir le Saint-Graal de la physique théorique au contact des plages et des volcans d’Hawaï ?

    Surfant sur la vague des critiques de la théorie des cordes, dont Garrett Lisi lui-même rêvait de « botter l’arrière-train », le physicien-surfeur avait bénéficié de l’appui de Lee Smolin, qui parlait de sa théorie comme « l’un des modèles d’unification les plus convaincants que j’ai vus depuis de longues années ».

    Très rapidement, des théoriciens des supercordes du calibre de Lubos, Motl ou Jacques Distler ne tardèrent pas à prendre position fermement contre la théorie exposée par Lisi dans un pré-print sur arXiv. Tout en échangeant avec Garrett Lisi, Distler, à qui l’on doit une proposition de test en mesure de réfuter complètement la théorie des cordes, commença à développer une argumentation précise montrant pourquoi la théorie de Lisi basée sur le fameux groupe de Lie, E8, ne pouvait pas fonctionner.

    Constatant que les arguments avancés n’avaient pas eu l’efficacité escomptée et suite au mail du mathématicien Skip Garibaldi, spécialiste des groupes de Lie (en particulier de E8), Jacques Distler avait fini par joindre ses forces à celles de Garibaldi pour rédiger un article montrant en quoi la théorie de Lisi était mort-née.

    Un itinéraire hors piste, séduisant mais sans issue

    Rappelons que la théorie de Lisi est censée unifier dans une seule structure géométrique et algébrique la courbure de l’espace-temps de la relativité générale, les forces nucléaires et électromagnétique avec les particules de matière, c'est-à-dire les leptons et les quarks.

    La mécanique quantique force les champs de forces de l’Univers, comme ceux de la gravitation, des champs de Yang-Mills de la QCD et du modèle électrofaible, à être décrits par des échanges de quanta d’énergie possédant un aspect corpusculaire. Dans la théorie proposée par Garrett Lisi, on peut représenter l’état de ces champs d’une certaine façon par les composantes d’un vecteur dans un espace abstrait à n dimensions. Les composantes de ce vecteur peuvent tourner dans cette espace abstrait et se mélanger. Les opérations qui font tourner ce vecteur peuvent se représenter par des matrices, des sortes de tableaux de nombres.

    Une sphère est invariante selon des rotations suivant trois axes perpendiculaires. C’est un objet très symétrique. Si l’on déforme une sphère pour la transformer en ballon de rugby, la symétrie initiale est brisée et l’objet est moins symétrique par rotation.

    On peut se donner une analogie du groupe de symétrie E8 comme une sorte de grand groupe de rotation abstrait pour une sphère à plus de 4 dimensions. Si l’on brise la symétrie de cette sphère, des groupes de rotations plus petits persistent. Ce que Lisi pensait avoir réussi à obtenir avec E8 est un moyen de retrouver les groupes de symétries du modèle standard ainsi que les rotations locales dans l’espace-temps, comme des sous-groupes de E8 en quelque sorte.

    La théorie des cordes fait quelque chose de similaire mais elle requiert des dimensions spatiales supplémentaires. Lisi, lui, pensait arriver au même résultat mais en 4 dimensions et en unifiant très profondément le groupe de rotation locale de l’espace-temps avec les groupes de Lie des théories de Yang-Mills à la base de la QCD et du modèle électrofaible de Glashow-Salam-Weinberg.

    Or, dans cette dernière, se trouvent ce que l’on appelle trois générations de particules, c'est-à-dire qu’il y a trois sortes de vecteurs à deux composantes qui tournent dans un espace abstrait selon un même groupe de rotation. Il y a ainsi l’électron et son neutrino, le muon et son autre neutrino associé et enfin le tauon et son neutrino.

    Surtout, la théorie électrofaible est dite chirale, c'est-à-dire que de la même manière qu’une main droite ne peut pas être superposée à une main gauche, qui est son image dans un miroir (on ne peut pas enfiler un gant droit à sa main gauche), l’image dans un miroir de certaines expériences de physique des particules avec des électrons et des neutrinos ne correspond à aucun processus physique réel. Cette situation correspond à une violation de la parité.

    Lisi savait que sa théorie ne semblait pouvoir contenir qu’une seule génération de particules mais il espérait qu’elle pouvait être complétée.

    Ce que Distler et Garibaldi ont démontré dans le papier prochainement publié dans Communications in Mathematical Physics, c’est que toutes les théories cherchant à unifier le groupe de rotation locale de l’espace-temps, le fameux groupe de Lorentz, avec des groupes de jauges de théories de Yang-Mills au moyen du groupe E8, ne peuvent pas contenir de champs chiraux. En clair, il est mathématiquement et intrinsèquement impossible qu’elle contienne ne serait-ce que la théorie de la radioactivité bêta avec émission d’électrons et de neutrinos.

    Distler avait déjà prouvé qu’il n’était pas possible dans ces théories d’obtenir plus d’une génération du modèle standard mais là, le résultat est beaucoup plus fort. Il est impossible d’en obtenir une seule !

    La théorie de Lisi est donc une voie sans issue qu’aucune amélioration ne peut sauver en ajoutant ou retirant des hypothèses physiques...

  • #2
    L'homme avait pas mal fait parlé de lui à l'époque, la presse s'était emparé de sa proposition théorique...
    Un article de l'époque (2007) provenant du même site :

    La théorie des cordes sera-t-elle détrônée par la théorie du surf ? C’est un peu la question qui agite aujourd’hui la blogosphère du monde de la physique théorique depuis que Garrett Lisi, surfeur et docteur en physique théorique, a proposé une « théorie de tout exceptionnellement simple ».

    L’homme n’est pas banal. A 39 ans et diplômé en physique théorique depuis 1999, il n’est membre d’aucune université et partage son temps entre le surf, le snow board et autres sports de glisse, et la recherche solitaire des lois ultimes de la physique. On pourrait facilement ne pas le prendre au sérieux. Mais inévitablement, quand un physicien de la carrure d’un Lee Smolin déclare à propos de la théorie de Garrett Lisi que « c’est l’un des modèles d’unification les plus convaincants que j’ai vu depuis de longues années », le côté un peu hippie et même New age de cette histoire lui confère illico une belle réussite médiatique.

    En son temps, Albert Einstein avait jeté les bases de la physique du XXième siècle alors qu’il travaillait de façon presque solitaire et indépendante dans un des bureaux de l’office des brevets suisse. En une seule année miraculeuse, en 1905, trois articles sont écrits qui ne contenaient pas moins que les bases de la théorie de la relativité, le germe de la théorie des quanta et la formule théorique permettant de tester, avec le mouvement brownien, la thermodynamique statistique de Boltzmann et la théorie atomique.

    Dans le même genre aussi, c’est après avoir passé une licence en histoire que Louis de Broglie décida de se consacrer à la physique théorique. Passant sa thèse à 32 ans en 1924, il laissa les membres de son jury assez dubitatifs quant à son idée du caractère ondulatoire de la matière. L’un d’entre eux, Paul Langevin, communiqua toutefois la thèse à Einstein qui répondit aussitôt : « Il a levé un des coins du grand voile ». En 1929, Louis de Broglie reçut le prix Nobel pour sa brillante découverte à l’origine, via Einstein, de la mécanique ondulatoire de Schrödinger.

    A priori donc, un chercheur indépendant, possédant de plus un doctorat en physique théorique, peut très bien avoir eu l’idée qui manquait malgré des années de recherches poursuivies intensément par les meilleurs physiciens et mathématiciens de la planète.

    Une théorie qui fait des vagues

    Pour d’autres physiciens théoriciens, dont Thibault Damour et Jean Iliopoulos, les idées de Garrett Lisi sont très loin de faire le poids avec ce qu’on attend d’une théorie de tout censée unifier la matière, les forces nucléaires et électromagnétiques avec la théorie de la relativité d’Einstein.

    Certains vont même ouvertement plus loin. Sur son blog, Lubos Motl, le bouillant physicien théoricien et expert reconnu en théorie des cordes, ne mâche pas ses mots. Pour lui, Garrett Lisi ne serait qu’un de ces nombreux amateurs incompétents et prétentieux que l’on trouve sur le web et qui prétendent révolutionner la physique. Bien que Motl n’utilise pas cette comparaison, on voit clairement qu’il pense que les compétences de Garrett Lisi en physique sont comparables à celle de Brice de Nice en surf !

    Il faut dire que Lisi a ouvertement déclaré qu’il rêvait de « botter les fesses à la théorie des cordes », clairement un casus belli pour Motl dont on connaît le mépris violent envers les critiques de la théorie des cordes que sont Lee Smolin et Peter Woit.

    Garrett Lisi est intervenu en personne sur plusieurs blogs dont celui de Backreaction, tenu par Sabine Hossenfelder, et qui fait aussi partie des blogs scientifiques phares sur le Net, avec ceux de Lubos Motl, Peter Woit, John Baez et enfin Cosmic Variance.

    Ses interventions sont toujours mesurées et constructives. Il ne se présente pas comme un nouvel Einstein et est ouvert à la critique. Pour lui, même s'il est convaincu d’avoir trouvé quelque chose, beaucoup reste encore à faire pour préciser le contenu de sa théorie qui n’est encore que l’esquisse d’un programme de recherche. Il tient particulièrement à ce que l’on garde un œil critique, et même sceptique, sur ses travaux et pense qu’il est beaucoup trop tôt pour en arriver à quelques-unes des déclarations que l’on trouve sur le Web, et qui tendent à les présenter comme la clé du problème de l’Unification des forces.

    La recette : des champs de Yang-Mills et un groupe de Lie exceptionnel

    Il n’est pas facile d’expliquer la théorie de Garrett Lisi. Elle repose lourdement sur la théorie des groupes de Lie et surtout sur le plus médiatique d’entre eux, E8. C’est d’ailleurs en lisant un article de John Baez sur la récente cartographie de ce groupe que Lisi s’est rendu compte qu’il devait représenter la pièce du puzzle qui lui manquait et sur lequel il travaillait depuis dix ans.

    Un autre ingrédient fondamental de la théorie de Lisi est ce que l’on appelle les théories de jauge de Yang-Mills. Toutes les théories quantiques des champs relativistes, le modèle électrofaible et la chromodynamique quantique par exemple, sont des théories de Yang-Mills. Convenablement formulée, la relativité générale d’Einstein est elle aussi une théorie de jauge avec une structure de Yang-Mills.

    Dans tous les cas, des groupes de Lie apparaissent, caractérisant les équations décrivant les forces étudiées. Unifier les forces, c’est donc trouver un grand groupe contenant comme sous-groupes ceux de chacune des équations de champs propres à chaque force. Il y a eu de nombreuses tentatives en ce sens comme la théorie de grande unification SU(5) combinant les forces nucléaires faibles et fortes avec l’électromagnétisme.

    Une théorie du Tout ne doit pas simplement unifier les forces, elle doit aussi unifier les particules de matière entre elles (quarks et leptons) et unifier celles-ci avec les particules associées aux champs de force comme les photons, les gluons et les gravitons.

    Ce que Garrett Lisi pense avoir fait, c’est d’avoir trouvé tout à la fois une nouvelle façon d’utiliser E8 pour unifier la force de gravitation avec les autres forces mais aussi de réaliser la fusion des équations décrivant ces forces avec les équations des champs de matière associées aux quarks et aux leptons. Surtout, et contrairement aux cordes qui utilisent aussi le groupe de Lie E8, il n’utilise qu’un espace-temps à 4 dimensions.

    Un théorème fatal ?

    Il y a au moins un point noir dans tout cela, et Garrett Lisi en est parfaitement conscient. Sa théorie prétend unifier, avec un groupe de Lie, le groupe de Lorentz de l’espace-temps avec les groupes de Lie des champs de Yang-Mills. Comme le rappelle avec force Lubos Motl, il existe un puissant théorème remontant à la fin des années 1960 et qui interdit justement de faire ce genre de chose : le théorème de Coleman-Mandula.

    L’approche de Lisi est en effet loin d’être nouvelle et on peut même dire qu’Einstein et Schrödinger avaient déjà tenté quelque chose de similaire avec leurs théories unitaires à connexions affines, justement ce qui a été entre les mains de Herman Weyl et Elie Cartan à l’origine des théories de jauge sous forme mathématique (la théorie des espaces fibrés et des connexions).

    La seule façon connue d’échapper au théorème de Coleman-Mandula, si l’on met de côté la théorie des groupes quantiques, est de faire intervenir la supersymétrie et ses supergroupes, une généralisation de la théorie des groupes de Lie intervenant justement en théorie des cordes. Bien sûr, un théorème ne vaut que par ses conditions, et Garrett Lisi pense que les hypothèses derrières sa théorie violent un des postulats du théorème de Coleman-Mandula. Il semblerait bien, à ce stade, que cela ne soit pas démontré.

    Il est encore un peu tôt pour savoir ce qu’il va advenir de la théorie de Garrett Lisi mais si l’homme n’est probablement pas un nouvel Einstein, il n’est certainement pas non plus un Brice de Nice. Il est à parier que l’on en saura plus d’ici quelques mois, quand la communauté scientifique aura pris le temps d’étudier les travaux de Garret Lisi plus en profondeur.

    Commentaire

    Chargement...
    X