Comment est-on arrivé à lier l’islam au terrorisme ? Qui est responsable de la faiblesse des sociétés musulmanes ? Peu-on espérer que l’islam extrémiste connaîtra le même sort que les partis démocrates-chrétiens en Europe ? le professeur A. charfi, répondra à toutes ces interrogations.
Le matin : Vous dites dans l’une de vos interviews que “l’extrémisme, comme toute marginalité, est une composante du jeu politique”.
Qu’entendez-vous par ce propos ?
Abdelmajid Charfi : Je ne pense pas avoir dit que l’extrémisme est une composante du jeu politique, mais j’avais dit que c’est un phénomène social à gérer politiquement, ce qui est très différent. J’avais ajouté que ce phénomène n’est pas inquiétant tant qu’il est marginal, mais qu’il devient dangereux lorsqu’il occupe en quelque sorte le milieu du terrain, car il fausse alors justement les règles du jeu politique.
L’on a vu dans l’histoire récente comment le nazisme par exemple est arrivé au pouvoir “démocratiquement” et comment il s’est empressé de mettre fin à la démocratie, qui est fondamentalement une éthique et non une simple arithmétique de majorité et de minorité.
Pour ce qui est de l’extrémisme islamique en particulier, il est pratiquement impossible de l’intégrer dans le jeu politique normal tant qu’il n’aura pas renoncé à se considérer comme le porte-parole de la divinité.
Le jour où il aura concédé que ses positions sont des interprétations humaines aussi valables que celles de ses adversaires ou concurrents, il aura naturellement sa place dans le jeu démocratique.
On peut espérer qu’il connaîtra la même évolution qu’ont connue les partis démocrates-chrétiens en Europe. En tout cas, on ne viendra pas à bout de l’extrémisme par l’exclusion ou les mesures policières mais par le débat et par le changement des conditions d’exercice autoritaire du pouvoir, comme par une politique de modernisation tous azimuts de nos sociétés, qui ne marginalise aucune de ses composantes.
Est-ce une nécessite sociale ? Quel est alors son apport ?
Je suis tenté de répondre par l’affirmative. En effet, l’extrémisme peut être de droite comme de gauche. Dans le premier cas, il est l’expression d’un conservatisme exacerbé, d’une peur du lendemain engendrée par les changements trop rapides qui affectent les valeurs, les moeurs, les coutumes et les habitudes sociales. Et dans le cas d’un extrémisme de gauche, il exprime au contraire un certain empressement à changer ces aspects de la vie sociale considérés comme rétrogrades, inadaptés, etc. L’homme a peut-être besoin de ces deux extrémismes, qui d’ailleurs s’annulent, parce que l’un et l’autre, ils lui rappellent la nécessité de rechercher l’équilibre social, lequel est par définition instable.
Aujourd’hui, on lie Islam et terrorisme, ce qui relègue les sociétés musulmanes dans un état de faiblesse et de passivité. Que nous réserve l’histoire ?
Ce n’est pas le fait de lier islam et terrorisme qui est responsable de la faiblesse des sociétés musulmanes. Mais c’est parce que ces sociétés sont faibles qu’elles sont susceptibles d’être attaquées, arnaquées même, à tort ou à raison.
Il est difficile de prévoir ce que nous réserve non pas l’histoire mais l’avenir. En tout état de cause, c’est une question de rapport de forces. N’oublions pas que “la raison du plus fort est toujours la meilleure”, et agissons pour acquérir les facteurs qui procurent cette force selon les critères du moment et non ceux du passé.
Comment définir l’islam entre le message et l’histoire ?
“L’islam est, comme toute religion, un ensemble d’actes rituels, de conduites ou de comportements obligés et de représentations symboliques ou croyances structurant la relation de l’homme au sacré dans un groupe social spécifique”. C’est la définition qu’en donne l’Encyclopédie de la Pléiade.
Si on la retient, on constate une dialectique entre le message qui était à l’origine de ces actes et de ces représentations, d’une part, et les facteurs historiques divers qui les font pencher dans un sens ou dans un autre, d’autre part. Autrement dit, le message est toujours interprété sous le poids de contraintes historiques et de choix individuels et collectifs qui peuvent varier à l’infini et être à la limite contradictoires.
Quel sens de l’histoire serait le plus adapté à notre civilisation arabo-musulmane ?
Tout d’abord, je ne suis pas à la recherche du sens le plus adapté à notre civilisation. Tout simplement parce que nous n’en avons pas actuellement. Nous avons eu dans le passé une civilisation arabo-musulmane florissante, mais nous sommes bien obligés de reconnaître que la civilisation actuelle est d’origine occidentale, même si elle est devenue aujourd’hui universelle.
L’objectif réaliste serait de rechercher le sens de l’histoire le plus adapté à notre situation, en fonction des valeurs reconnues dans le cadre de la civilisation actuelle. A ce niveau, il me semble, quoi qu’en pensent les post-modernistes, que la poursuite du progrès et la foi en la raison sont des horizons valables qui, en plus, pourraient enthousiasmer nos jeunes aujourd’hui déboussolés et manquant de repères.
Les théoriciens occidentaux peuvent se permettre de douter du progrès et de la raison puisque de toute façon leurs sociétés ont accompli des progrès fulgurants et irréversibles dans tous les domaines, et que la gestion des affaires publiques se fait de manière rationnelle incontestable. Ce qui n’est pas le cas de nos sociétés qui ont encore un long chemin à parcourir afin d’arriver au stade auquel sont déjà parvenues les sociétés industrielles avancées. J’ajouterais que la raison est la seule capable de corriger ses propres dérives comme celles du progrès. Je ne vois pas d’autre alternative crédible à ce choix fondamental.
Peut-on dire que l’Islam est vécu différemment selon les sociétés, au Maghreb en tout cas ?
C’est l’évidence même. Il suffit de remarquer objectivement la religiosité des citadins et des ruraux, des hommes et des femmes, des gens d’âge mûr et des plus jeunes ou plus vieux, des catégories sociales impliquées dans les modes de production traditionnels ou modernes, sans compter la religiosité des analphabètes et celle de ceux qui ont reçu une éducation traditionnelle, mixte ou uniquement moderne, etc., pour se rendre compte que l’islam est en même temps un et multiple.
Il est toujours vécu selon des conditions particulières, régionales, culturelles… qui lui donnent une coloration différente, mais toujours dans le cadre de ce que j’appelle “le noyau dur” commun à toute la Umma islamique à travers l’histoire et la géographie.
Le matin : Vous dites dans l’une de vos interviews que “l’extrémisme, comme toute marginalité, est une composante du jeu politique”.
Qu’entendez-vous par ce propos ?
Abdelmajid Charfi : Je ne pense pas avoir dit que l’extrémisme est une composante du jeu politique, mais j’avais dit que c’est un phénomène social à gérer politiquement, ce qui est très différent. J’avais ajouté que ce phénomène n’est pas inquiétant tant qu’il est marginal, mais qu’il devient dangereux lorsqu’il occupe en quelque sorte le milieu du terrain, car il fausse alors justement les règles du jeu politique.
L’on a vu dans l’histoire récente comment le nazisme par exemple est arrivé au pouvoir “démocratiquement” et comment il s’est empressé de mettre fin à la démocratie, qui est fondamentalement une éthique et non une simple arithmétique de majorité et de minorité.
Pour ce qui est de l’extrémisme islamique en particulier, il est pratiquement impossible de l’intégrer dans le jeu politique normal tant qu’il n’aura pas renoncé à se considérer comme le porte-parole de la divinité.
Le jour où il aura concédé que ses positions sont des interprétations humaines aussi valables que celles de ses adversaires ou concurrents, il aura naturellement sa place dans le jeu démocratique.
On peut espérer qu’il connaîtra la même évolution qu’ont connue les partis démocrates-chrétiens en Europe. En tout cas, on ne viendra pas à bout de l’extrémisme par l’exclusion ou les mesures policières mais par le débat et par le changement des conditions d’exercice autoritaire du pouvoir, comme par une politique de modernisation tous azimuts de nos sociétés, qui ne marginalise aucune de ses composantes.
Est-ce une nécessite sociale ? Quel est alors son apport ?
Je suis tenté de répondre par l’affirmative. En effet, l’extrémisme peut être de droite comme de gauche. Dans le premier cas, il est l’expression d’un conservatisme exacerbé, d’une peur du lendemain engendrée par les changements trop rapides qui affectent les valeurs, les moeurs, les coutumes et les habitudes sociales. Et dans le cas d’un extrémisme de gauche, il exprime au contraire un certain empressement à changer ces aspects de la vie sociale considérés comme rétrogrades, inadaptés, etc. L’homme a peut-être besoin de ces deux extrémismes, qui d’ailleurs s’annulent, parce que l’un et l’autre, ils lui rappellent la nécessité de rechercher l’équilibre social, lequel est par définition instable.
Aujourd’hui, on lie Islam et terrorisme, ce qui relègue les sociétés musulmanes dans un état de faiblesse et de passivité. Que nous réserve l’histoire ?
Ce n’est pas le fait de lier islam et terrorisme qui est responsable de la faiblesse des sociétés musulmanes. Mais c’est parce que ces sociétés sont faibles qu’elles sont susceptibles d’être attaquées, arnaquées même, à tort ou à raison.
Il est difficile de prévoir ce que nous réserve non pas l’histoire mais l’avenir. En tout état de cause, c’est une question de rapport de forces. N’oublions pas que “la raison du plus fort est toujours la meilleure”, et agissons pour acquérir les facteurs qui procurent cette force selon les critères du moment et non ceux du passé.
Comment définir l’islam entre le message et l’histoire ?
“L’islam est, comme toute religion, un ensemble d’actes rituels, de conduites ou de comportements obligés et de représentations symboliques ou croyances structurant la relation de l’homme au sacré dans un groupe social spécifique”. C’est la définition qu’en donne l’Encyclopédie de la Pléiade.
Si on la retient, on constate une dialectique entre le message qui était à l’origine de ces actes et de ces représentations, d’une part, et les facteurs historiques divers qui les font pencher dans un sens ou dans un autre, d’autre part. Autrement dit, le message est toujours interprété sous le poids de contraintes historiques et de choix individuels et collectifs qui peuvent varier à l’infini et être à la limite contradictoires.
Quel sens de l’histoire serait le plus adapté à notre civilisation arabo-musulmane ?
Tout d’abord, je ne suis pas à la recherche du sens le plus adapté à notre civilisation. Tout simplement parce que nous n’en avons pas actuellement. Nous avons eu dans le passé une civilisation arabo-musulmane florissante, mais nous sommes bien obligés de reconnaître que la civilisation actuelle est d’origine occidentale, même si elle est devenue aujourd’hui universelle.
L’objectif réaliste serait de rechercher le sens de l’histoire le plus adapté à notre situation, en fonction des valeurs reconnues dans le cadre de la civilisation actuelle. A ce niveau, il me semble, quoi qu’en pensent les post-modernistes, que la poursuite du progrès et la foi en la raison sont des horizons valables qui, en plus, pourraient enthousiasmer nos jeunes aujourd’hui déboussolés et manquant de repères.
Les théoriciens occidentaux peuvent se permettre de douter du progrès et de la raison puisque de toute façon leurs sociétés ont accompli des progrès fulgurants et irréversibles dans tous les domaines, et que la gestion des affaires publiques se fait de manière rationnelle incontestable. Ce qui n’est pas le cas de nos sociétés qui ont encore un long chemin à parcourir afin d’arriver au stade auquel sont déjà parvenues les sociétés industrielles avancées. J’ajouterais que la raison est la seule capable de corriger ses propres dérives comme celles du progrès. Je ne vois pas d’autre alternative crédible à ce choix fondamental.
Peut-on dire que l’Islam est vécu différemment selon les sociétés, au Maghreb en tout cas ?
C’est l’évidence même. Il suffit de remarquer objectivement la religiosité des citadins et des ruraux, des hommes et des femmes, des gens d’âge mûr et des plus jeunes ou plus vieux, des catégories sociales impliquées dans les modes de production traditionnels ou modernes, sans compter la religiosité des analphabètes et celle de ceux qui ont reçu une éducation traditionnelle, mixte ou uniquement moderne, etc., pour se rendre compte que l’islam est en même temps un et multiple.
Il est toujours vécu selon des conditions particulières, régionales, culturelles… qui lui donnent une coloration différente, mais toujours dans le cadre de ce que j’appelle “le noyau dur” commun à toute la Umma islamique à travers l’histoire et la géographie.
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