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L’écriture dramatique, spécificité plurielle : Textes et tréteaux

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  • L’écriture dramatique, spécificité plurielle : Textes et tréteaux

    Le théâtre est une activité publique et collective. Son écriture, sa mise en scène et sa représentation sont inscrites dans l’idée du partage. On monte une pièce de théâtre pour partager une émotion, s’inscrire dans un pacte de convivialité, adhérer à des instants d’échange. Le spectacle est d’emblée inscrit comme une démarche collective après avoir été dans sa genèse une affaire individuelle. Quand on écrit, on est seul, mais une fois jouée, la pièce théâtrale cesse d’appartenir à l’écrivain solitaire. Il reste entendu que le texte théâtral a plusieurs fonctions. L’écriture est une exposition de faits qui se manifestent à travers une imbrication d’envies exprimées par des personnages qui jouent devant un public.

    Lorsqu’on écrit, on conçoit sa contribution par rapport à des espaces, des temps de représentations, des publics, des regroupements préconnus. On est à la fois le point de départ et le début d’une longue chaîne. L’écriture dramatique obéit à la contrainte des goûts et des publics. L’œuvre est à la fois propriété individuelle et propriété de tous. Elle est « polyphonie informationnelle », selon la définition de Roland Barthes. Le spectacle donné au public est une aventure unitaire où convergent plusieurs intervenants et qui apparaît comme une entreprise à évolution constante, où les signes verbaux et les signes non verbaux évoluent en fonction des espaces de la représentation et des publics qui suivent la représentation.

    Le texte dramatique, à la fois unique et pluriel, appelle fatalement un second texte. Celui-ci, scénique, est fonction de la subjectivité des « monteurs » et « montreurs » de l’écrit. Une fois monté sur scène, le texte joué devient plus la propriété des personnages qu’une création de l’auteur (s’il y en a un seul). Une fois en représentation, les personnages sont coupés de leur auteur. Ils s’éloignent de lui, s’autonomisent et peuvent même entrer en rébellion contre lui. C’est lui qui les a inventés, mais ils ne lui appartiennent plus, une fois mis en vie par le metteur en scène. L’auteur se trouve à la ligne de départ, mais il n’est que témoin avec d’autres à la ligne d’arrivée. « Ils se sont détachés de moi », dira Pirandello dans Six personnages en quête d’auteur. Ils vivent pour leur compte, à leur compte et ont une autre vie sur scène, d’autres destinées que celles tracées par l’auteur.

    En fait, le texte est prétexte à une mise en espace ou déclencheur d’une mise en scène… Le texte théâtral précède la représentation mais se doit de faire corps avec elle pour prétendre à la pérennité. A la différence du texte littéraire, il n’a de représentation concrète qu’à travers l’appui de la scène. Ainsi, le texte et représentation à la fois est « troué » et appartient au metteur en scène, aux comédiens et aux autres intervenants dans la réalisation du produit culturel, et c’est à eux de le compléter. C’est ce qu’on pourrait appeler également les écritures scéniques. Celles qui viennent en aval. Celles qui donnent de la visibilité à une pièce, de la lisibilité collective. L’écriture dramatique, c’est cette séparation de l’auteur de son œuvre, c’est cette valorisation par les autres, à travers les autres, grâce aux autres créateurs, par-delà la contribution de chacun.

    L’écriture didascalique intervient, elle aussi, comme émetteur primordial de sens. Il est vrai que le rapport texte/didascalies est variable d’une époque historique à l’autre, mais il n’y a pas d’élément isolable dans l’émission du spectacle. Les écritures sont parallèles, des parallèles qui se rencontrent dans le spectacle proposé. L’écriture dramatique ne se réalise véritablement que dans le voisinage des autres arts. Elle est cousine proche des autres expressions esthétiques et les exprime aussi bien dans la réplique verbale que dans l’ambiance qui porte ce verbe. Les personnages écrits ne se révèlent véritablement que sur scène, dans et à travers le jeu. Sur l’action et à travers elle. Celle-ci peut être sonore - la voix - ou muette.

    Conflit ne veut pas dire nécessairement se battre avec des mots. Il y a le dit et le non-dit dans « le jeu », un jeu partout présent. L’affrontement peut revêtir plusieurs significations, prendre plusieurs directions, s’habiller de plusieurs langages esthétiques. Il n’est pas uniforme, d’autant que les nouvelles écritures, les écritures contemporaines, proposent d’autres pistes, d’autres manières d’appréhender l’art des tréteaux. Il y a des conventions de départ, des génériques d’appui dans la manière d’entrer en relation avec la pièce proposée, mais il y a mille et une subjectivités dans une écriture dramatique. Il y a l’écrit et le dit. C’est la spécificité du théâtre. L’écrit est dit pour devenir théâtre. Ce n’est pas le cas du cinéma où c’est généralement l’image qui montre et dit. Ce n’est pas non plus le cas du roman où c’est l’écrit lui-même qui dit. Le roman est définitif une fois édité ; une fois écrit, il est fini… De même, le film, une fois mis en bobine, est fini.

    A contrario, une pièce de théâtre n’est jamais finie. Passé à l’acte du montage théâtral, le texte est, avant toute chose, un socle sur lequel repose l’architecture de la représentation projetée. Un gros et solide point de départ mais jamais une signature définitive. Il y a l’exposition des signes du texte et ceux de la représentation physique. L’enrichissement d’une œuvre théâtrale est perpétuel par les nouveaux metteurs en scène et les nouveaux interprètes. En fait, à chaque représentation, elle est une expression sans cesse renouvelée, exprime de nouvelles émotions, un nouveau débat intériorisé. L’interpénétration est constante, la remise en cause aussi. C’est ce qu’on pourrait appeler le rapport en continu avec la subjectivité des autres, avec l’appréciation de chacun.

    Une sorte de réseaux où une multitude de codes visuels, auditifs, gestuels et musicaux s’enclenchent dans un mouvement quasi perpétuel. L’écriture dramatique n’est jamais une histoire prête dans la tête, d’emblée construite et achevée dans le cerveau de son géniteur. L’œuvre dramaturgique n’a de statut définitif qu’une fois mise en scène, rendue vivante par des êtres vivants, des interprètes qui jouent avant de dire, qui disent le jeu avant de dire le verbe, qui sont dans des attitudes corporelles et des postures gestuelles avant d’être dans des mots. Il y a l’idée générale qui peut être dégagée dès la première lecture du texte, mais le texte n’est pièce de théâtre qu’une fois joué.

    L’écriture d’un texte, soumise aux règles des espaces des publics, des époques et des penchants esthétiques, met en perspective plusieurs langages, plusieurs approches pouvant aboutir à la confection de la représentation. Il y a une sorte de vases communicants qui s’établissent entre l’écrit de départ et tous les affluents artistiques qui se sont greffés par la suite, qui se sont imposés en tant qu’éléments constitutifs de l’œuvre proposée à l’œil et à l’oreille. L’art théâtral est fait « du respect de chacun par l’effort de chacun », car il est peut-être le seul art qui sache réaliser la conjugaison des signes, faire parler les signes par le visuel d’abord, l’auditif ensuite.

    Dans cette construction, il y a du contrôle conscient mais aussi de l’imaginaire en vadrouille. Un imaginaire toujours libre, jamais bridé. Relevant de l’incontrôlable par moment, l’activité créatrice reste, il est vrai, régulièrement nourrie par les aléas du vécu, ses propositions et ses questionnements. Le rapport avec l’inconscient est aussi un rapport avec l’environnement social. Chez nombre d’hommes de théâtre contemporain, le texte de théâtre a été par endroit carrément mis au placard. C’est le comédien-personnage qui est au cœur de la pièce et, très souvent, le texte n’est là que comme accessoire, pour ne pas dire figurant. L’interprète, celui qu’on suit sur scène, est l’homme-pivot ou encore l’homme-orchestre, l’élément fondamental du spectacle.

    Élément qui ne s’inscrit pas nécessairement dans la reproduction mais dans la quête. Le changement et l’improvisation sont admis. Mieux encore, aujourd’hui, des œuvres signées sous l’appellation « théâtre » ne proposent pas l’ombre d’un texte. La performance dans l’acte de transmettre le message esthétique est une affaire d’interprétation physique. Des actes sans parole. L’apport du « jeu » est vital à la représentation. Il est le cœur du spectacle. Il en est le moteur.

    Par Bouziane Benachour, El Watan
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