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Maroc : Au théâtre ce soir, l'information mise en scène

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  • Maroc : Au théâtre ce soir, l'information mise en scène

    Mnin n'ta ? Tu viens d'où ? Le fonctionnaire tourne le dos à la jeune femme qu'il interroge. "Je dois enregistrer l'origine de tout, je dois écrire d'où vient chacun." La passante lui lance avec impertinence : "Je descends du ventre de ma mère.

    - Comme nous tous.
    - Après, elle m'a laissé tomber et des chrétiens se sont occupés de moi.
    - Ça veut dire que tu viens de chez les chrétiens.
    - Non, je viens de mon enfance. Après, je ne me souviens plus de ce qui s'est passé.
    - Les chrétiens t'ont rendu amnésique ?
    - Non, les musulmans m'ont bourré le crâne."

    L'échange est interrompu pour une pause. Les jeunes acteurs se détendent, tandis qu'Imane Zerouali, metteuse en scène, corrige un geste, une intonation, sous l'oeil attentif du dramaturge Driss Ksikes. Sa pièce, qui se jouera en darija (arabe dialectal) pour deux représentations, le 10 avril, à l'Institut français de Rabat, est directement inspirée de l'actualité : l'expulsion, depuis le début du mois de mars, d'une trentaine de chrétiens du Maroc.

    Ancien journaliste, rédacteur en chef de l'hebdomadaire Tel Quel, puis de sa version jumelle arabophone, Nichane, Driss Kiskes s'est tourné vers le théâtre après sa condamnation, en 2006, à trois ans de prison avec sursis pour avoir publié des "blagues" sur la religion, le sexe et la politique. Une trilogie qui constitue des lignes rouges au Maroc dans la presse. Avec cette épée de Damoclès au-dessus de sa tête - une situation qui pèse sur nombre de journalistes -, il a préféré démissionner. "Je ne voulais pas m'autocensurer."

    Driss Ksikes n'a cependant pas tout à fait rompu avec son ancien métier. Depuis octobre 2009, il a monté, avec la compagnie Dabateatr, Les Infos au théâtre ("Lkhbar F'lmasrah"), une série de petites pièces, jouées deux fois par mois, qui font écho à l'actualité du mois écoulé. Chaque saynète sur la burqa, Facebook, la spéculation immobilière, ou bien encore "la politique expliquée à ma grand-mère en trente secondes", un titre puisé dans le slogan d'une publicité, est suivie d'un débat.

    "Le théâtre, chez les Grecs, était le lieu de la controverse publique, souligne le dramaturge. Ce qui m'intéresse, ce n'est pas tant l'actualité que la dimension citoyenne de l'exercice, partir de quelque chose qui parle aux gens, qui les pousse à réfléchir." Le public, majoritairement des étudiants et des cadres, adhère.

    Ici, aucun souci de coller au réalisme de l'information. Les jeunes comédiens, à qui il est donné une bonne marge d'improvisation, jouent sur l'humour décalé, l'absurde, la parodie. "On ne vend pas du discours", prévient l'auteur, qui dresse, sans illusions, un tableau des médias .

    "L'espace s'est rétréci, les journalistes s'autocensurent. C'est comme si le pouvoir s'était rendu compte que le fait d'être moins libéral n'avait pas un coût si élevé... Il n'y pas assez de clients de la liberté, c'est la faiblesse de la société civile marocaine, ajoute-t-il. Les réseaux personnels sont beaucoup plus forts que l'institutionnel."

    La répétition a repris. Le fonctionnaire revient à la charge devant le même groupe de passantes, parmi lesquelles une montagnarde, une immigrée et une jeune femme partagée entre deux cultures.
    "Tu viens d'où ?
    - Je ne sais plus. Mon grand-père était juif et ma grand-mère musulmane, mon père moitié-moitié et ma mère une acariâtre...
    - Tu avances sans repères ?
    - Non, je marche et je n'y pense même pas."


    Isabelle Mandraud
    Le Monde
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