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En 1880, la « disparition inévitable et prochaine » des Algériens était envisagée

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  • En 1880, la « disparition inévitable et prochaine » des Algériens était envisagée

    En 1880, la « disparition inévitable et prochaine » des Algériens était envisagée

    Un démographe français expose en 1880 les ravages humains de la conquête française de l’Algérie. L’ampleur du phénomène est telle que René Ricoux affirmait que "les indigènes [...] sont menacés d’une disparition inévitable, prochaine".

    La prédiction ne s’est pas réalisée, mais la lecture de ce texte est intéressante en ce qu’elle met en évidence les conceptions racistes de nombreux scientifiques de cette époque.


    René Ricoux, né en Algérie en 1843, était démographe et médecin à l’hôpital de Constantine. Il a occupé le poste de chef des travaux de la statistique démographique et médicale au bureau de statistique du Gouvernement général de l’Algérie. En 1880, il publiait un ouvrage intitulé La démographie figurée de l’Algérie [1], préfacé par le professeur Louis Bertillon. Vous trouverez ci-dessous les pages 260 à 262 de cet ouvrage (extraites du chapitre Croisement avec les indigènes).
    « On ne peut le nier, comparés aux Européens, Arabes et Berbères sont certainement de races inférieures et surtout de races dégénérées. Quelle différence entre nos Arabes et leurs ancêtres qui ont conquis l’Espagne, couvert ce pays de monuments, témoignages d’une civilisation avancée dont l’empreinte est restée si profonde. Où sont les sciences arabes, où sont leurs savants ? Et, dans un siècle ou deux, que seront-ils ? Combien seront-ils ? Car c’est indiscutable, le peuple arabe tend à disparaître d’une façon régulière et rapide.

    « A notre arrivée, en 1830, la population indigène était évaluée à trois millions d’habitants. Les deux derniers recensements officiels, à peu près réguliers, donnent en 1866 : 2.652.072 habitants, et en 1872 : 2.125.051 ; le déchet en 42 ans a été de 874.949 habitants, soit une moyenne de 20.000 décès par an ». Durant la période 1866-72, avec le typhus, la famine, l’insurrection, la diminution a été bien plus effrayante encore : en six ans il y a eu disparition de 527.021 indigènes ; c’est une moyenne non de 20.000 décès annuel mais de 87.000 ! [...]

    « Dans les huit dernières années : 1872-79, nous avons relevé [à Constantine] 4.667 naissances et 8 202 décès. De ce dernier chiffre, il convient de déduire un certain nombre de décès extérieurs : beaucoup d’indigènes venant des environs, et même d’assez loin, mourir à l’hôpital ; on peut évaluer à un septième l’augmentation produite par la mortalité étrangère. Cette réduction faite, il resterait encore 7 000 décès pour 4 667 naissances, soit 150 décès pour 100 naissances.

    « Un déchet aussi considérable (nous pouvons ajouter qu’il se reproduit régulièrement chaque année) suffit à démontrer que les relevés officiels sont dépourvus d’exactitude, et que les indigènes, loin de se relever depuis les calamités de 1867-71, sont menacés d’une disparition inévitable, prochaine. Elle sera le fait non du refoulement ou autres mesures de politique humaine ; elle est due tout entière à des causes indépendantes de notre volonté, qu’énumérait dans les termes suivants notre ami et ancien collègue du Conseil général, M. J. Vinet :

    "Le peuple arabe meurt, il périra. Il tombe sous le coup d’une loi supérieure à la volonté humaine, loi implacable dans ses effets, puisqu’elle ne souffre aucune exception. C’est la loi qui fait le vide dans l’Amérique du Sud ; qui le fait actuellement en Tunisie ; en Algérie où cependant des efforts immenses ont été accomplis pour en enrayer les effets ; aux Indes, enfin où elle s’exerce sur la plus vaste échelle.

    Cette loi, qui fait disparaître les peuples arriérés, surgit dès que se créent les relations commerciales avec le monde civilisé ; et elle frappe aussi bien s’il y a colonisation, comme en Algérie, que s’il n’y a pas peuplement européen, comme aux Indes et en Tunisie.

    Ce qui tue le peuple arabe, ce sont ces relations fréquentes qui mettent les populations fatalistes en face de populations à initiatives individuelles et organisées pour les affaires, qui ouvrent aux échanges, des pays dont les indigènes refusent de prendre les habitudes, les procédés et les institutions rendus nécessaires par ces échanges mêmes, qui enfin, en multipliant les rapports, multiplient aussi la fréquence des épidémies, sans que les individus veuillent adopter les règles d’hygiène, de nourriture et de médication enseignées par la science moderne.

    Le peuple arabe meurt des conséquences de ses relations commerciales avec le monde civilisé. Il meurt de rester immobile dans son fatalisme et ses préjugés, quand tout progresse autour de lui."

    « Il meurt, pourrait-on ajouter, de ses vices et de ces dépravations.

    « Non, certes non, le peuple français n’a aucun intérêt à compromettre ses qualités natives, sa supériorité morale, en se mêlant avec des races corrompues, au sang vicié.

    « Et si, par une sorte de répulsion instinctive, ce n’était chose heureusement existante, on ne saurait trop énergiquement s’opposer à notre mélange avec les indigènes, dont les qualités les moins discutables sont la malpropreté, la mauvaise foi, l’habitude du vol, en un mot, toutes les dépravations physiques et morales. »

  • #2
    P.-S.
    En 1930, l’évolution de la population indigène "fait l’éloge" de la colonisation.


    Le graphique montre l’évolution de la population "indigène" de 1856 à 1926 [2]. Il est accompagné du commentaire ci-dessous :


    Ce que la période 1856 à 1872 a de particulier, c’est que c’est la période du second Empire. La politique algérienne du second Empire a été celle du « Royaume Arabe », un peu ce que nous appelons aujourd’hui le protectorat. On s’est efforcé d’isoler, comme sous cloche, la société indigène, de la laisser évoluer toute seule et on y a tenu la main avec la rigueur d’un gouvernement autoritaire. Le résultat de cette mise sous cloche a été un effondrement démographique. La colonisation européenne n’a pris son essor qu’à partir de 1872 et la courbe de la population indigène aussi. Cette courbe à elle toute seule fait l’éloge de la colonisation avec plus d’éloquence qu’une longue dissertation. Elle devrait être plus connue qu’elle n’est. Elle est péremptoire.


    De 1872 à 1930 la population indigène a plus que doublé, c’est un fait brutal, parfaitement indéniable.

    Notes
    [1] Masson, Paris, 1880.
    La version numérique est accessible sur le site Gallica de la Bibliothèque Nationale de France.
    Voir également : Olivier Le Cour Grandmaison, Coloniser - Exterminer, éd. Fayard, 2005, pp. 77-81.

    [2] Origine du graphique : les cahiers du centenaire de l’Algérie, livret 3, page 28.
    LDHT

    Copyright © Jijel Echo

    Commentaire


    • #3
      France-Algérie: 1. La conquête

      Par Christian Makarian, Dominique Simonnet

      En juin 1830, dans l'indifférence générale, la France débarque en Algérie, inaugurant plus d'un siècle de colonisation dont l'écho résonne douloureusement aujourd'hui. Qu'est-ce qui a vraiment déclenché cette soudaine conquête?

      En réalité, l'histoire a commencé plus tôt... L'Algérie, le pays d'Alger, n'était pas une nation à proprement parler, mais une patrie, et dominée depuis le XVIe siècle par les Turcs, une tutelle en partie acceptée grâce à une religion commune. Depuis toujours, la France, quant à elle, nouait avec le pays d'Alger des relations commerciales, presque familiales. Les Marseillais y avaient des représentants, et, tout le long de la côte, on se livrait au commerce du corail, très apprécié en bijouterie. Mais un contentieux s'était créé. De 1793 à 1798, deux négociants d'Alger, Bacri et Busnach, vendent à crédit du blé à la France pour ravitailler les départements méditerranéens et les armées d'Italie et d'Egypte. Des tractations insolites sont menées par des grands commerçants, qui avaient leurs répondants à Marseille et à Paris. Mais la France tarde à régler toutes ses créances algériennes et l'affaire devient diplomatique lorsque le dey d'Alger s'en mêle. En 1830, cette vieille dette n'est toujours honorée qu'en partie.

      D'où l'irritation du dey d'Alger, le représentant du sultan, et ce fameux coup d'éventail qu'il inflige un jour au consul de France. C'est ce qui, dit-on, déclencha la riposte des Français.

      Le consul Deval est un homme taré qui joue un double jeu. Il finit par excéder le dey, qui, un jour, le pousse en effet de son chasse-mouches. L'affront crée un nouveau problème. Mais ce n'est qu'un prétexte. En réalité, en France, la Restauration vit ses derniers jours; le régime de Charles X, au bord de la faillite et de la révolution, saisit l'occasion. La bonne affaire! Quoi de mieux qu'une campagne militaire pour redorer son blason? Elle arrange bien aussi le grand commerce marseillais, qui s'est organisé en lobby à Paris et voit dans l'aventure un moyen pour sortir de son marasme. On ne songe pas encore à une conquête. On veut simplement mettre la main sur les céréales et les dattes, les troupeaux, le corail, s'installer dans les ports et drainer un commerce juteux. Le reste, on s'en moque! On est persuadé que cette terre, ce grenier à blé tant vanté par les Romains, est un eldorado, un monde de richesses, qui, de surcroît, ouvre les portes de l'Afrique.

      Les Français partent donc à la conquête de l'Algérie comme autrefois les Anglais et les Espagnols à la conquête de l'Amérique.

      Exactement. L'Algérie, pour les Français, c'est une autre Amérique! D'autant plus qu'ils ne se sont jamais remis de leur échec au Canada... C'est ainsi que Charles X rassemble tout ce qui peut flotter sur la Méditerranée - plus de 600 navires, 37 000 hommes - et vogue la galère! Alger tombe. La conquête commence. Pour obtenir leur reddition, les Français ont garanti aux musulmans le droit d'exercer librement leur religion. Ils trahissent immédiatement le traité. La grande mosquée de Ketchâwa est transformée en église. On entasse tous les Turcs sur des bateaux et on les envoie à Naples. Le pays se retrouve ainsi sans administration, avec une armée d'occupation. Très vite, derrière les soldats suivent les affairistes marseillais, qui vont piller la ville pendant des mois et dilapider, en particulier, le trésor du dey, avec la complicité des chefs de l'armée.

      L'idée commune, longtemps rabâchée dans les écoles, était que les Français allaient «civiliser» l'Algérie.

      Apporter la civilisation, en effet... En réalité, la conquête militaire est terrible. Tueries, massacres, tortures... On enfume les villages, on asphyxie les populations dans des grottes... Pour les Français, les Algériens sont tout simplement des «indigènes», des sous-hommes, que l'on aimerait bien éliminer. En 1832, près de Maison-Carrée, l'armée française extermine une tribu entière, les Ouaffia, et s'empare de leurs terres et de leurs troupeaux. Voyez aussi le zèle du général Youssouf... Ce beau jeune homme, enlevé pendant sa jeunesse, en Sardaigne, par le bey de Tunis, avait été élevé à sa cour, mais il avait dû fuir car il s'était épris d'une fille du harem. Profitant de la présence de l'armée française en Algérie, il lui offrit ses services: il parlait arabe, il était musulman. Chaque jour, il exigeait de ses hommes qu'ils lui apportent un sac... d'oreilles pour prouver qu'ils avaient fait correctement leur travail. La France a préféré oublier ces épisodes.

      Mais les «indigènes» résistent. On se souvient du fameux Abd el-Kader.

      L'armée française se trouve en effet face à une résistance imprévue, forgée autour de la seule chose qui reste encore aux Algériens: leur religion. La société algérienne est fragmentée, divisée en tribus. A partir de 1837, une union se réalise autour d'un homme jeune, lettré, féru de poésie: c'est Abd el-Kader, fils de Muhyi al-Din, grand marabout des tribus de l'Ouest, qui l'a fait nommer émir, lui conférant ainsi une immense influence, à la fois religieuse et politique. Après une tentative de négociation avec le général Desmichels et devant la politique offensive de l'armée française, Abd el-Kader cherche à unifier les tribus de l'Ouest algérien pour mieux résister au nom de la guerre sainte.

      Déjà!

      Mais oui, le jihad est dans tous les esprits. C'est un mot qui électrise. Abd el-Kader commence par négocier le partage de son territoire d'Oran, délimitant des zones pour les Français, d'autres pour les Algériens. Très vite, il sort du cadre de sa tribu, englobe les grands plateaux d'Oranie. En novembre 1839, il lance l'offensive sur la Mitidja et tend la main aux tribus de Kabylie. Il tente même de pactiser avec les confréries du Sud et de créer un embryon d'Etat, avec un gouvernement installé à Tagdempt. Mais l'individualisme algérien est très profond, et l'on admet difficilement de se soumettre à une autorité extérieure. De 1840 à 1847, la lutte se résume à un duel entre Bugeaud, conquérant et colonisateur, et Abd el-Kader. Le Maroc encourage la résistance algérienne, mais doit s'incliner après défaite et bombardements. Abd el-Kader, isolé, échoue dans sa tentative d'unification de toutes les résistances. Face aux renforts militaires envoyés par les Français, il doit céder du terrain et se replier sur les hauts plateaux. En 1843, sa smala, sa ville nomade, à la fois son gouvernement et sa capitale, est prise par l'armée française. Abd el-Kader fuit, est refoulé au Maroc. Il se rendra en 1847. Pourtant, la résistance algérienne continue.

      La France, désormais, va plus loin que son projet d'occupation militaire.

      Au début, il ne s'agissait que de tenir les ports, de contrôler le commerce. Mais les civils arrivent, hommes, femmes, enfants. A cette époque, il y a 25 millions d'habitants en France, seulement 3 millions en Algérie. On considère celle-ci comme un pays presque vide. Et, s'il le faut, on le videra de ses quelques habitants, pour occuper leurs terres. Des formes de propriété collective et privée existent en Algérie, avec des titres? Qu'importe! Dans la furie du brigandage, ces papiers, rédigés en arabe, sont raflés, brûlés. Un nommé Berbrugger, archiviste de formation, récupérera d'ailleurs certains des documents échappés au feu dans des grands sacs à blé et fondera la bibliothèque d'Alger. Rapidement, la ville est vidée de ses anciens habitants, qui fuient en Tunisie, en Syrie, au Maroc.

      Qui sont ces colons français qui traversent la Méditerranée?

      Des durs à cuire, des aventuriers, des fils de famille couverts de dettes, et également des «gants jaunes» comme on dit à l'époque, des nobles désargentés qui cherchent à recréer la féodalité qu'ils ont perdue en France, tel le baron de Vialar, qui s'installera dans la Mitidja. N'oublions pas que la France de cette époque est la France de Jean Valjean et des Misérables, un pays surpeuplé où l'on crève de faim. Une propagande s'est mise en place pour vanter les richesses de la terre algérienne, la possibilité d'obtenir facilement des concessions - il suffit de confisquer les terres des indigènes. Militaires et civils, tout le monde veut faire de bonnes affaires. Le pays est pillé et mis en coupe réglée. Pour les musulmans, la situation matérielle est catastrophique et leur culture est en train de disparaître. A Alger, presque toutes les écoles d'autrefois ont été fermées.

      Commentaire


      • #4
        suite

        Dans son Rapport sur l'Algérie, en 1847, Tocqueville dresse ce constat terrible: «Nous avons rendu la société musulmane plus misérable, plus désordonnée, plus ignorante et plus barbare qu'elle ne l'était avant de nous connaître.» On imagine que la France républicaine, qui naît en 1848, va changer de politique.

        Eh bien, non! C'est bien la République, et non la monarchie, qui va poursuivre le travail et pousser la «populace», les artisans ruinés par la crise, les agriculteurs sans terre, vers des villages, des colonies agricoles créées de toutes pièces: on fait un plan, on établit un cadastre des concessions, on baptise le village d'un nom français et on le place sous la direction d'officiers. A chaque colon on donne un lopin de terre. Réveil au clairon, coucher au clairon. Mais les colons, qui arrivent souvent avec leur famille, sont sous-alimentés, épuisés par un voyage très rude, et n'ont pas la moindre notion d'agriculture. Les terres qu'on leur a offertes sont des pâturages à chèvres, exploités jusque-là par des semi-nomades, couverts de diss, sorte de petits palmiers qui plongent leurs racines très profondément dans le sol et ne s'arrachent donc pas facilement... Vous imaginez le résultat. Un grand nombre d'arrivants mourront de faim et à cause des épidémies.

        En France, on ne se pose pas de questions?

        Si. Il y a un mouvement «anti-coloniste», comme on dit à l'époque, qui souhaite un sort différent pour l'Algérie. Les saint-simoniens, notamment, ces intellectuels qui ont puisé dans la lecture de Saint-Simon une philosophie de la modernité, veulent apporter au peuple algérien autre chose que le feu et la désolation. Ils voudraient installer des lignes de chemin de fer, instituer une propriété collective solidaire, et même établir l'égalité de la femme... L'un d'eux, Ismaël Urbain, un métis guyanais élevé à Marseille et converti à l'islam en Egypte, arrive en Algérie et sert d'interprète entre les communautés. C'est dans l'armée que, vers 1845, une fois la phase de la conquête passée, cette idéologie va commencer à se diffuser.

        L'armée, qui devient soudain plus démocrate que les colons? Ce n'est pas vraiment l'image que l'on en avait!

        C'est pourtant le cas à ce moment-là. En Algérie, les officiers jouent un grand rôle pour promouvoir une idée démocratique. Ils ont créé des loges maçonniques très influentes, ils sont républicains et ils prônent une politique d'assimilation. Certains militaires vont même chercher à se poser en arbitres entre les civils prédateurs et les indigènes qui sont refoulés. Ils tentent de créer un «monde du contact» entre musulmans et Français, une fusion des races, et certains se marient avec des femmes indigènes.

        Le prince-président, qui arrive au pouvoir en France en 1851, le futur empereur Napoléon III, n'a pas, lui, la réputation d'être un humaniste.

        Et pourtant... Pour lui, la colonisation est une catastrophe, un boulet au pied de la France. L'Algérie ne doit pas être une colonie. Mais un «royaume arabe». D'où lui vient cette idée? Il a rendu visite à Abd el-Kader, alors que celui-ci, malgré les promesses que lui avaient faites les Français, était captif à Amboise; et cette rencontre l'a énormément impressionné. Napoléon III est fasciné par ce personnage qu'il considère comme un véritable interlocuteur et non comme un prisonnier. Il le fera d'ailleurs transférer en territoire musulman, en Syrie. Il est également influencé par le fameux Ismaël Urbain, qui le guide lors de son voyage en Algérie, en 1865. Napoléon III n'a aucune confiance dans les colons, qui refoulent les Algériens sur des territoires impossibles; il voudrait stopper leur progression et restituer les terres aux indigènes. C'est ainsi qu'il demande à l'armée de réaliser un relevé cadastral, tribu par tribu - un énorme travail - et qu'il fait marquer les limites des propriétés tribales avec des pierres levées, première étape du sénatus-consulte de 1863. Il veut redonner une histoire et une mémoire aux Algériens.
        Pour la première fois, on entend les indigènes. Pour la première fois, on les reconnaît.

        Les colons, évidemment, sont furieux.

        Ils nourrissent une opposition farouche à Napoléon III et ils se révoltent. A Alger, ils organisent des manifestations violentes contre l'armée, dressent des barricades - déjà! - et puis, voyant que cela ne les mène à rien, ils prennent la tangente, feignent d'aménager la réforme et trouvent une formidable astuce: organiser la propriété privée. Bien sûr, il s'agit de la proposer à tout le monde, Algériens compris. Mais ceux-ci n'ont aucun moyen d'acheter les terres. Résultat: l'ancienne propriété collective est désintégrée. La dépossession des terres peut continuer.

        Et les «indigènes» ne sont toujours pas citoyens français.

        Napoléon III voulait leur en donner la possibilité. Il échouera, là aussi: les colons réussissent à faire adopter le principe selon lequel la citoyenneté impose obligatoirement l'abandon du «statut personnel», dont le droit à la polygamie. Devenir français signifie ainsi pour les musulmans rompre avec leur communauté. Donc, très peu d'Algériens l'accepteront. Le rêve du royaume arabe est mort. Et, pour les Algériens, c'est une terrible désillusion: ils n'ont plus personne pour les défendre. On en trouve encore le souvenir aujourd'hui: dans le trésor de la jeune mariée, en Algérie, on n'oublie pas d'ajouter une pièce à l'effigie de Napoléon III en guise de porte-bonheur.

        © L’Express

        Commentaire


        • #5
          2. La colonisation

          Entretien avec l'historienne Annie Rey-Goldzeiguer

          Retour donc à la case départ. 1870: l'armée s'efface, les civils ont la main sur le territoire. Cette fois, alors que la France et la Prusse s'affrontent, l'Algérie, elle, entre dans la vraie colonisation.

          L'Algérie passe de l'autorité des militaires à celle des colons. A Paris, dès ce moment-là, les colons vont organiser leurs lobbys de manière magistrale, faisant pression sur les hommes politiques et les députés. A chaque projet de réforme pour l'Algérie, les colons trouveront un moyen de le détourner, de le dénaturer. D'abord, ils tempêtent, manifestent, élèvent des barricades. Puis font semblant de se soumettre et démolissent pièce par pièce l'édifice. Cette fois, ils vont s'acoquiner avec les... républicains. Une liaison contre nature entre la gauche et les colonisateurs, qui montrera ensuite une continuité remarquable.

          Sur place, le régime colonial bat son plein.
          Oui. Le territoire a été divisé en trois départements français, trois préfectures, avec des municipalités et une administration exactement semblable à celle de la France dès 1848. En pleine terre d'islam, on trouve des villages avec leur place, leur église et leur école. Mais les deux communautés sont plus que jamais séparées. Après 1870, les Français veulent raser tout ce qui avait été fait par le régime de Napoléon III. Depuis l'abolition du régime militaire, les civils plastronnent et écrasent les indigènes de leur mépris. En 1867, ces derniers ont connu un autre drame: 500 000 personnes, presque exclusivement indigènes (sur une population totale de 3,5 millions), sont mortes de la famine et des maladies. Cela a commencé par une épizootie, puis la variole, le typhus, la typhoïde ont suivi... Des tribus entières ont disparu. On a vu les routes du Sud jalonnées de cadavres d'êtres humains et d'animaux. Seule la Kabylie a été épargnée et a aidé les survivants.

          C'est là que de nouveaux colons arrivent, des Alsaciens notamment, qui vont s'implanter.
          C'est un mythe! Après la prise de l'Alsace et de la Lorraine par les Prussiens, beaucoup d'Alsaciens sont en effet venus tenter leur chance en Algérie, s'installant notamment sur les terres que l'on avait prises aux tribus en révolte. Mais la plupart sont repartis, ne supportant pas les conditions de vie.

          Et le fameux décret Crémieux, qui, en 1870, naturalise français les juifs d'Algérie?
          Dieu sait qu'il va faire couler de l'encre! Adolphe Crémieux, ministre de la Justice, qui effectuait de très nombreux voyages en Algérie, leur donne le régime civil et la citoyenneté française. La mesure a surtout pour objet de donner aux républicains, qui sont au plus bas à ce moment-là, un électorat supplémentaire de 30 000 personnes. Mais elle permettra aux juifs d'Algérie de s'intégrer au fil des années dans la communauté française.

          Dans cette période, on sait qu'il y aura encore une tentative de révolte, celle de la Kabylie, qui se terminera dans le drame.
          Oui. El-Mokrani, qui appartenait à l'aristocratie algérienne, entraîne avec lui el-Haddad, cheikh de la confrérie des rahmaniyya, qui tenait en main le peuple kabyle. Or, une confrérie n'est pas seulement une organisation religieuse. C'est une association de frères où on trouve tout - auberge, hôtellerie, université, secours, orphelinat - et qui se donne des rites spécifiques symbolisés par le chapelet et des mots de passe religieux, alliant ainsi l'islam populaire et l'islam mystique. On ne dira jamais assez le rôle essentiel que les confréries ont joué: ce sont elles qui ont conservé l'identité des Algériens. La lutte des oulémas contre les confréries sera l'une des racines de l'islamisme actuel... Le noble el-Mokrani et le cheikh el-Haddad, donc, se révoltent. Une répression terrible s'abat sur la Kabylie. Une fois encore, villages brûlés, populations massacrées... El-Mokrani se laissera tuer et tout le système pyramidal kabyle s'effondrera. Les Kabyles vont y perdre sinon leur vie, du moins leurs terres, leur liberté, sinon leur identité.

          La IIIe République veut pourtant l'assimilation de la population algérienne.
          Oui. La volonté civilisatrice de la France semble réelle, cette fois. On va notamment créer des écoles. Jules Ferry, que l'on voit à tort comme un méchant colonialiste, écrira à la fin de sa vie une critique terrible de la colonisation, dans laquelle il dénonce l'appétit féroce des colons. Pour lui, c'est l'école qui fait la République. Avec des instituteurs français, les petits indigènes commencent alors à apprendre qu'il y a deux mille ans leur pays s'appelait la Gaule et que ses habitants étaient les Gaulois. Ainsi, au tournant du siècle, la colonisation continue. On modernise, on construit des chemins de fer, on aménage les villes. Le niveau de vie de certains Algériens s'élève. Mais, dans les campagnes, le fellah, comme les colons, reçoit de plein fouet les crises agricoles. A cause de la crise du phylloxéra en France, on a planté des vignes en Algérie, ce qui favorise les grands propriétaires.

          L'assimilation se réalise-t-elle enfin?
          Un espoir est né. Dès le début du XXe siècle s'est créé un corps d'instituteurs indigènes, formés dans une école normale, l'école de la Bouzarea, qui deviennent les plus fidèles supporters de l'assimilation. Ils parlent un français du XVIIIe siècle plein de charme et veulent transmettre aux enfants indigènes leur admiration passionnée pour la France. Ils créeront en 1922 une revue, La Voix des humbles, organe de liaison entre les instituteurs d'origine indigène. La France qui les fascine, c'est une France mythique, idéalisée, celle de l'intelligence, de la solidarité, de la démocratie. C'est celle de Victor Hugo - ils ont tous lu Les Misérables. Mais elle ne ressemble pas à la France des colons.

          Ces intellectuels algériens sont d'une certaine manière plus français que les Français.
          Tout à fait. Ils vouent à l'idéal français une fascination qui marquera d'une manière indélébile des générations d'Algériens. Ils croient vraiment à l'assimilation, tout en se sentant profondément musulmans. Et, grâce à eux, les jeunes Algériens acceptent l'idée que la France peut leur apporter quelque chose de meilleur. A ce moment-là, il aurait donc été possible de concilier les deux communautés, d'inventer un monde mixte, ce qu'Albert Camus a appelé le «troisième camp». Si la France avait donné aux Algériens la possibilité de devenir vraiment des citoyens, cela aurait pu se produire. Une belle utopie...

          Pourquoi ne saisit-on pas cette occasion?
          Clemenceau va le tenter en 1919. Pendant la Première Guerre mondiale, les Algériens, qui n'étaient pourtant pas citoyens français, se sont fait tuer par dizaines de milliers au nom de la France dans la Somme ou à Verdun. Jugeant qu'ils avaient largement payé le prix, Clemenceau tente une grande réforme pour permettre l'intégration des élites algériennes en leur donnant la citoyenneté. Une fois encore, les anciens «colonistes» réagissent violemment. Le projet de Clemenceau échoue. Et, une fois encore, le vieux rêve du troisième camp retombe.

          Le monde a changé, pourtant, il s'est modernisé. Malgré cela, l'Algérie reste toujours figée, coupée en deux?
          La modernisation a, au contraire, pour effet d'accentuer le fossé entre les indigènes et les colons. Jusque-là, ces derniers avaient besoin des Algériens, avec qui ils nouaient des rapports paternalistes, pour travailler dans les propriétés agricoles. Avec la mécanisation, les rapports se distendent et la condition de la population indigène devient encore plus difficile. Le chômage est endémique... L'émigration vers la France a également commencé. Des Kabyles en reviennent avec une autre mentalité, ils ont parfois connu les luttes syndicales, parfois des femmes françaises... Mais il y a autre chose. Grâce aux progrès de la médecine, les Algériens, au début réticents, finissent par accepter la vaccination. Leur espérance de vie s'élève, la mortalité infantile diminue, et la population algérienne augmente bien plus vite que celle des colons. Ceux-ci en sont terrifiés. On craint le débordement indigène et déjà on avance l'expression de «seuil de tolérance». Les deux communautés sont plus que jamais opposées.

          © L’Express

          Commentaire


          • #6
            5. La guerre

            Entretien avec l'historienne Annie Rey-Goldzeiguer

            La IVe République établit pourtant une nouvelle Constitution, qui associe les colonies dans l'Union française et prévoit pour elles des formes d'autonomie. De tout cela l'Algérie ne profite pas.
            Le gouvernement français veut pacifier l'Algérie. En mars 1946, l'amnistie cherche à effacer le traumatisme des «événements» et à permettre aux deux communautés de vivre ensemble: les détenus algériens sont libérés. La poussée à gauche du corps électoral français permet d'envisager des mesures démocratiques. Or le statut de l'Algérie de 1947 est pour le moins conservateur: il rejette l'option fédéraliste, affirme la souveraineté française sur un «groupe de départements» et crée une Assemblée algérienne en apparence paritaire. Français d'Algérie et Algériens condamnent ces mesures: «Caricature de statut!» dénonce Ferhat Abbas. La pression des colons aboutit au rappel d'Yves Chataigneau; il est remplacé comme gouverneur général par un socialiste nationaliste, Marcel-Edmond Naegelen. Ce dernier est resté dans l'histoire comme le maître du truquage électoral. Le MTLD (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques), héritier du PPA, semblant capable d'arracher un triomphe aux élections du printemps 1948, il organise le bourrage des urnes et, le 3 avril, veille du premier tour, 32 candidats du MTLD sur 49 sont arrêtés. Dès lors, tout dialogue est impossible. Chaque camp se prépare. Les autorités exercent, contre les partis politiques algériens et les syndicats, des méthodes policières violentes, la fraude politique et déjà... la torture, sous couvert d'une panoplie juridique répressive. Dès lors, les nationalistes algériens sont traqués, arrêtés, torturés. «Y a-t-il une Gestapo algérienne?» interpelle, le 6 décembre 1951, Claude Bourdet, dans un article retentissant de France Observateur. Les Français ont commis une faute politique majeure. Cette fois, il n'y a plus qu'une solution pour les Algériens: le séparatisme.

            Ils vont donc entrer dans une opposition armée.
            Oui. Le parti se divise en deux camps: les centralistes, qui songent encore à jouer un rôle municipal, et les messalistes, partisans de l'action, qui en ont assez de ces intellectuels bavards qui n'agissent pas. Certains d'entre eux créent, en 1947, l'Organisation spéciale, embryon d'armée secrète. En 1950, elle sera découverte, traquée. Ses membres, appelés les «lourds», entrent dans la clandestinité. Rassemblés au sein d'une nouvelle organisation, le Crua (Comité révolutionnaire d'unité et d'action), qui deviendra le Front de libération nationale (FLN), ils se décident à frapper fort. Le 1er novembre 1954, ils déclenchent une vague d'attentats dans toute l'Algérie pour prouver que la révolte est désormais nationale et ne se cantonne plus à Sétif ou à Guelma. Contrairement à ce que prétend aujourd'hui l'historiographie algérienne, le 1er novembre n'est pourtant pas le résultat d'un mouvement de masse, mais celui d'une poignée d'activistes qui auraient pu être submergés si l'armée française n'avait pas fait l'erreur de se focaliser sur les Aurès. Désormais, l'armée va se trouver face au FLN et à sa branche armée, l'ALN (Armée de libération nationale).

            En février 1955, Mendès France est renversé par la droite, alliée aux centristes et au PCF, qui refusent son programme d'ouverture pour l'Algérie. L'ultime solution politique échoue.
            Oui. Les députés votent l'état d'urgence, qui renforce le pouvoir de l'armée dans toute l'Algérie et permet l'ouverture des premiers camps d'internement pour les rebelles. Ceux-ci, venus pour la plupart du Constantinois, ont en mémoire le désastre de 1945, ils connaissent le maquis et comprennent qu'ils doivent mobiliser le monde rural. N'est-ce pas lui qui a toujours fait reculer les Français? Le 20 août 1955, sous l'impulsion du FLN, des milliers de fellahs déferlent sur Philippeville et se livrent à d'horribles massacres contre les Européens. Soustelle, écoeuré, laisse l'armée riposter. La terrible répression qui suit entraîne le développement des maquis. Désormais, c'est la lutte à mort entre Algériens et Français.

            Suivront sept années terribles, une histoire à part entière que nous n'aborderons pas ici, une guerre qui n'a pas voulu dire son nom. D'une certaine manière, les militaires l'ont gagnée. Mais la France l'a perdue.
            A Paris, les lobbys politiques pieds-noirs étaient très puissants. Et puis on croyait que si l'Algérie française disparaissait l'économie de la France en serait très atteinte. Il y avait le pétrole, les expériences nucléaires au Sahara... On a donc pensé que l'armée résoudrait le problème. En 1962, la bataille militaire était en effet presque gagnée, les maquis étaient pratiquement supprimés. Mais les Français avaient échoué sur le plan politique: l'ensemble des Algériens étaient unis. Et le contexte international et arabe a joué. Mis au ban de l'opinion internationale, on ne pouvait pas tenir longtemps. L'opinion française a viré et a soutenu le désengagement voulu par de Gaulle pour affirmer sa politique européenne.

            Massacres, viols, torture organisée, exterminations... Quarante ans après, on n'en finit pas de découvrir la barbarie - exercée des deux côtés - qui a caractérisé ces sept années.
            Tout est né de la peur. La peur qui rend imbécile, qui rend fou. Depuis 1945, la communauté européenne avait peur d'être submergée par le nombre des Algériens, peur d'être isolée dans les fermes, peur du voisin, de l'épicier du quartier, peur d'être égorgé «comme des moutons à l'abattoir»... La peur et la violence sont consubstantielles de la colonisation. On commence par faire peur, et on finit par avoir peur. Alors, on crie vengeance, on demande des exécutions publiques, des camps d'internement, on légitime les massacres. L'OAS s'est calquée sur l'OS des Algériens. La violence a toujours existé en Algérie: ce peuple de montagnards qui avaient la vie très dure ne faisait pas grand cas des vies humaines, et il a exercé sur les populations européennes et musulmanes une terrible violence: meurtres, massacres, viols, incendies... Mais nous, Français, nous avons aussi appris aux Algériens des formes de torture sophistiquées, la baignoire, l'électricité, qui venaient de la Gestapo... Pendant la guerre, on savait tout cela. Je faisais moi-même partie d'un petit groupe qui dénonçait les crimes et la torture. Tout le monde a fermé les yeux et les oreilles.

            Les quarante ans d'Algérie algérienne qui ont suivi ont continué dans la barbarie. Pensez-vous que la France en porte une bonne part de responsabilité?
            Je crois que nous avons contaminé gravement les Algériens. Nous leur avons appris que l'on pouvait jouer avec la démocratie, la truquer, la trahir. Nous avons été d'excellents professeurs d'antidémocratie. La guerre d'Algérie, en éliminant les élites, a empêché l'avènement d'une société algérienne démocratique. On ne sait pas ce que veut dire «démocratie» en Algérie. D'autre part, la disparition des confréries, contre lesquelles se sont battus les oulémas, a joué elle aussi. Elles étaient le dernier moyen de canaliser le sentiment religieux. Alors, quand la jeunesse n'a plus d'espoir, quand le pays tangue au gré des désirs de chaque dirigeant, quand la médiocratie gagne, il ne reste qu'une chose: la religion exploitée par les fondamentalistes. Ils ont établi un réseau qui a enserré le pays. On en est là aujourd'hui.

            Cent soixante-douze années de passions et de drames entre la France et l'Algérie... C'est long. Les deux pays retrouveront-ils un jour des relations saines?
            Je me suis battue toute ma vie pour cela, et je crois même avoir contribué à établir quelques liens entre les intellectuels. Aujourd'hui, il serait important pour l'Algérie, confrontée à cette terrible violence, de comprendre l'histoire de ses relations avec la France, de s'interroger sur les racines de son indépendance et d'en tirer des conclusions pour établir une véritable démocratie. La France, de son côté, a encore du mal à regarder la vérité en face. Peut-être les jeunes, dont les parents n'ont pas parlé et qui se posent des questions, nous obligeront-ils à reconnaître les erreurs et les horreurs du passé? Mais je ne crois pas aux repentances ni aux mea culpa. L'histoire ne se rachète pas.

            © L’Express

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            • #7
              Magistrale analyse !

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