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Sur les traces d’Aurélie Picard, princesse des sables.

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  • Sur les traces d’Aurélie Picard, princesse des sables.

    AÏN MADHI (COMMUNE DE LAGHOUAT)
    Sur les traces d’Aurélie Picard, princesse des sables


    Par cette belle journée ensoleillée du mois d’avril, nos pérégrinations nous conduisent à Kourdane, à quelques kilomètres de Aïn Madhi, commune de Laghouat, sur les traces d’Aurélie Picard, au pied du djebel Amour.
    Aurélie Picard, alias Lalla Tidjania ou Lalla Yamina, cette jeune Lorraine à l’étrange destin ! En 1871, à tout juste 22 ans, elle quittait son pays natal pour les contrées lointaines du sud, aux côtés de son mari Si Ahmed Tidjani, descendant du Prophète et chef de l’influente confrérie de la Tidjania. Fort de leur amour et bravant tous les obstacles, ce couple atypique connaîtra de belles années de bonheur dans cette région du Sud algérien.
    Coup de foudre à Bordeaux
    C’est à Bordeaux en 1870 que Si Ahmed fait la connaissance d’Aurélie Picard, une jeune modiste, issue d’un milieu pauvre. Ebloui par sa beauté et son élégance, le prince musulman demande sa main à son père, gendarme de son état. Ce dernier accepte mais à une seule condition. Répudier ses trois autres épouses et faire d’Aurélie son unique femme. La future princesse des sables est aux anges. Très ambitieuse, elle a toujours rêvé d’améliorer sa condition sociale. Son amoureux la couvre de bijoux et lui promet la vie de château. Aurélie Picard est conquise. Après bien des péripéties, le couple regagne Alger via Marseille à bord du nouveau paquebot-poste le Duc d’Aumale. Il leur faudra plus d’une année avant de pouvoir concrétiser leur union. Et pour cause, il est musulman, elle est catholique française. Leur mariage provoquera un esclandre. En attendant, le fiancé couvre sa dulcinée de cadeaux. Il lui offre même un cheval appelé El Ghazal.
    Pour tromper l’ennui de ces journées qui s’étirent en longueur, Aurélie fait de longues balades, chevauchant à travers la forêt de Baïnem et sur les collines de Bouzaréah. Le couple, entouré de serviteurs, habite une villa mauresque à Saint- Eugène, à Alger (Dar Essaâda : la maison du bonheur). Après moult péripéties, leur mariage est enfin célébré par le cardinal Lavigerie et béni par le moufti Bou Kandoura. Aussitôt après, la caravane de Si Ahmed Tidjani s’ébranle. Direction le Sud. Traversant le Sahara à dos de chameaux, le couple atteint, quelques jours plus tard, la zaouïa d’Abou Madhi, à environ 80 km de Ouargla.
    Palais de Courdane
    Aurélie Picard y fera bâtir une somptueuse demeure : le palais de Courdane (déformation de cour des dames, selon certaines sources). Commencée en 1883, la construction de ce palais s’achève en 1891 sous l’œil avisé de la princesse des sables qui en supervise chaque étape. Tout autour, un véritable écrin de verdure est aménagé : jardin d’agrément, vasques en albâtre supportant des jets d’eau, allées ombragées et des vergers ornés de pistachiers (betoum), orangers, palmiers, figuiers, citronniers, néfliers... C’est là que vivra Lalla Tidjania, apprenant l’arabe, adoptant les tenues vestimentaires et les coutumes du terroir. La Lorraine fait construire des écoles et des dispensaires. Très vite, elle force l’admiration de tous et exercera une grande influence au sein de la communauté malgré la jalousie de ses rivales qui ne pardonneront jamais à cette Française d’avoir conquis le cœur de leur chef. Seule ombre au tableau, Aurélie Picard ne connaîtra jamais le bonheur d’être maman. Ainsi, elle vivra avec le regret de n’avoir pas pu donner un héritier à la dynastie Tidjania. Elle rendra l’âme au soir du 28 août 1933 à 84 ans à Kourdane. C’est dans le petit cimetière, à proximité de la demeure où elle vécut si heureuse et au pied du djebel Amour qu’elle repose aujourd’hui. Sur sa tombe, on peut lire : ici la tombe de Mme Aurélie, épouse El Cheikh Ahmed Ammar, petit-fils de Elghout Sidi Ahmed El Tidjani, décédée musulmane le lundi 28 août 1933. Quant à son mari, Si Ahmed Tidjani, il est décédé le 20 avril 1897 et enterré dans la zaouïa de Aïn Madhi, à un tir-d’aile de Kourdane.
    Un véritable crève-cœur
    Lors de notre passage sur ces lieux, nous avons constaté avec regret que le palais de Courdane était complètement à l’abandon. Une bonne partie de ce patrimoine tombe en ruine. En bas, dans les anciennes écuries, gisent pêle-mêle de vieilles pièces de voitures, des ailes d’anciens véhicules rouillés, un fatras de ferraille... Les portes du palais ont été scellées, laissant les quelques rares visiteurs et touristes sur leur faim.
    Seule la calèche d’Aurélie Picard, parquée au niveau des écuries, semble avoir résisté au temps. Des enfants insouciants y grimpent pour s’amuser, ignorant sans doute l’histoire de Lalla Yamina. Mais où sont passés les meubles d’ébène incrustés de nacre, le lit à baldaquin d’Aurélie, son piano, les tapis précieux du djebel Amour et les autres meubles ? Dans son roman intitulé Djebel Amour, paru en 1978, Roger Frison-Roche consacre un passage à la période où Aurélie Picard meublait sa maison.
    «Un ébéniste renommé de La Casbah avait reçu les plans des boiseries qu’elle avait elle-même exécutés... Un grand magasin d’ameublement de la rue d’Isly avait procuré une très belle salle à manger Henri II dont le style austère lui paraissait digne du grand maître de la Tidjania. Le vaisselier, les armoires des chambres, les lits avaient été fabriqués en style empire, d’autres conservaient une allure bourgeoise et louis-philipparde...
    Elle avait fait l’achat d’un salon syrien de très haute qualité en bois de cèdre incrusté de nacre et d’une très grande glace biseautée, magnifiquement mise en valeur par un cadre de bois doré de style hachémite... Rue d’Isly également... elle acheta une dizaine de services de table en porcelaine de Limoges ou de Saxe, une imposante verrerie de Bohême et une argenterie à plein titre...» Un gros entrepreneur de transport de la Mitidja lui loua six camions, tirés par six chevaux... Le plus lourd était l’énorme masse de carreaux de faïence et de céramique destinés à orner les murs et les sols de Kourdane. Sur sa demande depuis de longs mois, des intermédiaires arabes achetaient tous les azulejos, provenant des maisons mauresques que l’on avait démolies... de magnifiques azulejos, des Delft aux tons pâles...» Le palais de Courdane peut encore être sauvé.
    Salon, chambre des fidèles, boudoir, véranda à colonnes de marbre peuvent encore être sauvegardés . Réhabilité, ce site paradisiaque pourrait devenir une belle destination touristique. Il y a une telle charge émotionnelle qui se dégage de ce lieu où flotte l’âme de ce couple qui s’est tant aimé malgré toutes leurs différences : religion, couleur de peau, langue...
    Le roman de Frison-Roche
    Dans Djebel Amour, son roman publié en 1978, le journaliste et écrivain Roger Frison-Roche retrace la vie de cette pionnière, tombée amoureuse du désert algérien. Voici un extrait de la préface de ce livre : «J’ai découvert Kourdane... en 1949.
    Pour être précis, le 10 juin. J’accomplissais, pour le compte de l’Echo d’Alger, une grande enquête dans les coins les plus reculés de l’Algérie... J’arrivais un matin en vue du palais de Kourdane, construction insolite au pied de l’Atlas saharien, face à l’immensité du Sahara.
    Le palais et ses annexes gisaient dans le silence et la touffeur de l’été saharien. Les jardins abandonnés étaient envahis par les ronces, les jujubiers, l’alfa et l’odeur pénétrante du chih flottait sur les ronciers, anciens parterres de roses revenus à l’état sauvage.. Kourdane reposait dans le silence et l’oubli. Il y avait un peu plus de poussière sur le piano et sur les partitions abandonnées...» Ce joyau architectural implanté au cœur de la cité d’Aïn Madhi ne demande qu’à renaître de ses cendres.
    A bon entendeur...
    Le Soir d'Algérie
    Mieux vaut un cauchemar qui finit qu’un rêve inaccessible qui ne finit pas…
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