Le livre d'une journaliste de Newsweek n'explique malheureusement pas pourquoi la croyance dans l'existence du paradis est plus forte aux Etats-Unis qu'ailleurs.
John Lennon nous a montré le chemin:
Imagine there's no heaven/ It's easy if you try/ No hell below us/ Above us only sky ...» («Imagine qu'il n'y ait pas de paradis / C'est facile si tu essaies / Pas d'enfer en-dessous de nous / Au-dessus seulement le ciel ...).
Pourtant, les Américains ne se tournent pas plus vers le lennonisme que vers le léninisme: aujourd'hui, 81% d'entre eux disent qu'ils croient au paradis - 10% de plus qu'il y a une décennie. Parmi ceux-ci, 71% disent qu'il s'agit d'«un véritable endroit». D'ailleurs, 43% croient que leurs animaux domestiques - des chats, des rats et des serpents - vont y monter avec eux pour être caressés pour l'éternité. La partie américaine du ciel est bien remplie, pendant que les sections européennes et asiatiques se sont dissoutes sous les assauts de la raison et du scepticisme.
Pourquoi les Américains n'arrivent-ils pas à s'affranchir des portes du paradis? Dans son livre Heaven, la spécialiste en religion de Newsweek Lisa Miller fait une étude fascinante sur l'idée de paradis, une histoire qui traverse des millénaires, ponctuée de reportages sur les croyants contemporains. L'idée de base du livre donne une bonne claque (quoique poliment administrée) au consensus américain. Le paradis où vous pensez aller - une réunion dans la lumière avec vos proches perdus - est une invention très récente, seulement un peu plus ancienne que Goldman Sachs. La plupart de ceux qui ont cru au Paradis à travers l'histoire le trouveraient méconnaissable.
L'invention du paradis
La forme du Paradis est toujours changeante parce qu'il est le produit de désirs humains inconscients. Montre-moi ton paradis, et je te montrerai ce qui manque dans ta vie. Les habitants du désert qui écrirent la Bible et le Coran connaissaient la soif - donc des rivières, des fontaines et des sources coulaient toujours au paradis. Les esclaves afro-américains croyaient qu'ils allaient au paradis où «les premiers seraient les derniers, et les derniers seraient les premiers» - ainsi ils seraient des hommes libres qui domineraient les esclaves blancs. Les jihadistes islamistes de nos jours vivent dans une société sevrée de sexe, donc on plonge dans une orgie peuplée de 72 vierges dans leur paradis. Emily Dickinson écrit:
"Heaven"- is what I cannot Reach!/ The Apple on the Tree-/ Provided it do hopeless-hang-/ That-"Heaven" is-to Me!" ("Le Paradis" - c'est ce que je ne peux atteindre!/ La Pomme sur l'Arbre - / Qui pend sans espoir - /"Le Paradis" est cela - pour Moi!).
Nous savons précisement quand cette histoire consistant à projeter nos manques dans le ciel a commencé: en 165 avant JC, à l'initiative des juifs de l'Antiquité. Jusqu'alors, le paradis - shamayim - était le domaine de Dieu et des anges. De temps en temps, Dieu descendait pour donner des ordres ou accomplir quelques petits châtiments, mais il y avait une politique très stricte contre l'admission des morts. Les humains n'y entraient pas, et ils ne l'attendaient pas. Le meilleur que vous pouviez espérer après la mort était d'avoir vos os enterrés avec ceux de votre peuple dans une tombe partagée et espérer que votre histoire survivrait à travers vos descendants. C'était une approche humaniste et réaliste vis-à-vis de la mort. Vous partez, mais votre peuple survit.
Alors, comment l'idée du paradis s'est-elle transformée pour devenir un lieu parfait où vit Dieu et où vous pouvez vous aussi aller si vous suivez le droit chemin? Ses différentes composantes flottaient «dans l'atmosphère de Jérusalem, cherchant une maison» depuis un bon moment comme dit Miller. Les Grecs croyaient à une âme éternelle qui transcendait la mort. Les Zoroastriens croyaient que l'on serait jugé à la fin des temps pour ses actes sur la terre. Les juifs croyaient dans un Yahvé tout-puissant.
Le paradis des juifs
Mais il fallut un sacré big bang pour fusionner tout ça. Avant l'invention du paradis, les juifs connurent une longue guerre civile, se divisant sur la question de savoir s'il fallait s'ouvrir aux Grecs et à leur commerce ou bien rester isolés, insulaires et purs. Faute de voir une issue au conflit, le Roi Antiochus commença à s'énerver. Il envahit donc le territoire des juifs et essaya d'annihiler complètement la religion juive, la remplaçant par la célébration de Zeus. Tout ce qui était sacré aux yeux des juifs fut détruit: on leur ordonna de sacrifier des porcs devant une statue de Zeus qui dominait le Temple Sacré. Les juifs qui refusèrent furent massacrés dans la rue.
Beaucoup de jeunes hommes s'enfuirent dans les collines de Palestine pour mener des actions de guérilla - dont on garde le souvenir aujourd'hui au travers de l'histoire de Hanoucca. Le vieux conte juif sur la manière dont vous vous perpétuez après votre mort était lui-même en train de mourir: vos os ne pouvaient plus être rassemblés avec ceux de vos ancêtres vu le nombre de juifs dispersés et en fuite. Donc, soudain, la mort devint de nouveau terrifiante. C'était donc ça, la mort? Toutes ces vies se terminaient pour toujours et pour rien? Un des jeunes combattants — connu dans l'histoire simplement comme Daniel — annonça que les juifs martyrs recevraient une grande récompense. «Plusieurs de ceux qui dorment dans la poussière de la terre se réveilleront, les uns pour la vie éternelle, et les autres pour l'opprobre, pour la honte éternelle» écrit-il, ouvrant ainsi la route au best-seller de la littérature de gare des années 1990 90 Minutes au Paradis. L'idée de Daniel eut un succès fou. En l'espace d'un siècle, la plupart de juifs crurent au paradis, et l'idée n'est jamais morte depuis.
Mais bien que les composantes clés du paradis étaient en place, ce n'était pas encore la colonie de vacances kumbaya qu'il est devenu aujourd'hui. C'était un lieu où vous asseyez à côté de Dieu et des anges — mais Jésus a prévenu qu'il n'y avait pas de mariage au paradis. Vous ne retrouviez pas vos proches. Ce n'était que vous et Dieu et la prière éternelle. C'était le paradis, mais pas comme on l'imagine aujourd'hui.
Incitation à la haine
Même quelques athées considérèrent le paradis comme une des idées les moins néfastes de la religion: un baume apaisant à appliquer sur le front des affligés. Mais, en fait, sa fonction primordiale pendant des siècles fut d'être un outil de contrôle et d'intimidation. Le Vatican, par exemple, institua un monopole sur la liste VIP de Saint Pierre - seuls ceux qui obéissaient à chaque commandement des autorités de l'Eglise et leur payaient des sommes énormes pour des pass «vous êtes libérés de l'enfer» pouvaient espérer entrer au paradis, avec leurs enfants. La vie après la mort était un moyen de tyranniser les gens pendant leur vie.
Cet emploi du paradis comme matraque a survécu à la Réforme Protestante. Miller souligne que dans la Nouvelle Angleterre puritaine, le paradis était moins un réconfort qu'un moyen d'imposer la discipline dans cette vie. Il est toujours utilisé de cette façon. Par exemple, les Mormons professent que les femmes qui revendiquent l'égalité avec les hommes doivent abjurer - et si elles ne le font pas, on leur dit qu'elles passeront la vie après la mort séparées de leurs familles pour l'éternité.
John Lennon nous a montré le chemin:
Imagine there's no heaven/ It's easy if you try/ No hell below us/ Above us only sky ...» («Imagine qu'il n'y ait pas de paradis / C'est facile si tu essaies / Pas d'enfer en-dessous de nous / Au-dessus seulement le ciel ...).
Pourtant, les Américains ne se tournent pas plus vers le lennonisme que vers le léninisme: aujourd'hui, 81% d'entre eux disent qu'ils croient au paradis - 10% de plus qu'il y a une décennie. Parmi ceux-ci, 71% disent qu'il s'agit d'«un véritable endroit». D'ailleurs, 43% croient que leurs animaux domestiques - des chats, des rats et des serpents - vont y monter avec eux pour être caressés pour l'éternité. La partie américaine du ciel est bien remplie, pendant que les sections européennes et asiatiques se sont dissoutes sous les assauts de la raison et du scepticisme.
Pourquoi les Américains n'arrivent-ils pas à s'affranchir des portes du paradis? Dans son livre Heaven, la spécialiste en religion de Newsweek Lisa Miller fait une étude fascinante sur l'idée de paradis, une histoire qui traverse des millénaires, ponctuée de reportages sur les croyants contemporains. L'idée de base du livre donne une bonne claque (quoique poliment administrée) au consensus américain. Le paradis où vous pensez aller - une réunion dans la lumière avec vos proches perdus - est une invention très récente, seulement un peu plus ancienne que Goldman Sachs. La plupart de ceux qui ont cru au Paradis à travers l'histoire le trouveraient méconnaissable.
L'invention du paradis
La forme du Paradis est toujours changeante parce qu'il est le produit de désirs humains inconscients. Montre-moi ton paradis, et je te montrerai ce qui manque dans ta vie. Les habitants du désert qui écrirent la Bible et le Coran connaissaient la soif - donc des rivières, des fontaines et des sources coulaient toujours au paradis. Les esclaves afro-américains croyaient qu'ils allaient au paradis où «les premiers seraient les derniers, et les derniers seraient les premiers» - ainsi ils seraient des hommes libres qui domineraient les esclaves blancs. Les jihadistes islamistes de nos jours vivent dans une société sevrée de sexe, donc on plonge dans une orgie peuplée de 72 vierges dans leur paradis. Emily Dickinson écrit:
"Heaven"- is what I cannot Reach!/ The Apple on the Tree-/ Provided it do hopeless-hang-/ That-"Heaven" is-to Me!" ("Le Paradis" - c'est ce que je ne peux atteindre!/ La Pomme sur l'Arbre - / Qui pend sans espoir - /"Le Paradis" est cela - pour Moi!).
Nous savons précisement quand cette histoire consistant à projeter nos manques dans le ciel a commencé: en 165 avant JC, à l'initiative des juifs de l'Antiquité. Jusqu'alors, le paradis - shamayim - était le domaine de Dieu et des anges. De temps en temps, Dieu descendait pour donner des ordres ou accomplir quelques petits châtiments, mais il y avait une politique très stricte contre l'admission des morts. Les humains n'y entraient pas, et ils ne l'attendaient pas. Le meilleur que vous pouviez espérer après la mort était d'avoir vos os enterrés avec ceux de votre peuple dans une tombe partagée et espérer que votre histoire survivrait à travers vos descendants. C'était une approche humaniste et réaliste vis-à-vis de la mort. Vous partez, mais votre peuple survit.
Alors, comment l'idée du paradis s'est-elle transformée pour devenir un lieu parfait où vit Dieu et où vous pouvez vous aussi aller si vous suivez le droit chemin? Ses différentes composantes flottaient «dans l'atmosphère de Jérusalem, cherchant une maison» depuis un bon moment comme dit Miller. Les Grecs croyaient à une âme éternelle qui transcendait la mort. Les Zoroastriens croyaient que l'on serait jugé à la fin des temps pour ses actes sur la terre. Les juifs croyaient dans un Yahvé tout-puissant.
Le paradis des juifs
Mais il fallut un sacré big bang pour fusionner tout ça. Avant l'invention du paradis, les juifs connurent une longue guerre civile, se divisant sur la question de savoir s'il fallait s'ouvrir aux Grecs et à leur commerce ou bien rester isolés, insulaires et purs. Faute de voir une issue au conflit, le Roi Antiochus commença à s'énerver. Il envahit donc le territoire des juifs et essaya d'annihiler complètement la religion juive, la remplaçant par la célébration de Zeus. Tout ce qui était sacré aux yeux des juifs fut détruit: on leur ordonna de sacrifier des porcs devant une statue de Zeus qui dominait le Temple Sacré. Les juifs qui refusèrent furent massacrés dans la rue.
Beaucoup de jeunes hommes s'enfuirent dans les collines de Palestine pour mener des actions de guérilla - dont on garde le souvenir aujourd'hui au travers de l'histoire de Hanoucca. Le vieux conte juif sur la manière dont vous vous perpétuez après votre mort était lui-même en train de mourir: vos os ne pouvaient plus être rassemblés avec ceux de vos ancêtres vu le nombre de juifs dispersés et en fuite. Donc, soudain, la mort devint de nouveau terrifiante. C'était donc ça, la mort? Toutes ces vies se terminaient pour toujours et pour rien? Un des jeunes combattants — connu dans l'histoire simplement comme Daniel — annonça que les juifs martyrs recevraient une grande récompense. «Plusieurs de ceux qui dorment dans la poussière de la terre se réveilleront, les uns pour la vie éternelle, et les autres pour l'opprobre, pour la honte éternelle» écrit-il, ouvrant ainsi la route au best-seller de la littérature de gare des années 1990 90 Minutes au Paradis. L'idée de Daniel eut un succès fou. En l'espace d'un siècle, la plupart de juifs crurent au paradis, et l'idée n'est jamais morte depuis.
Mais bien que les composantes clés du paradis étaient en place, ce n'était pas encore la colonie de vacances kumbaya qu'il est devenu aujourd'hui. C'était un lieu où vous asseyez à côté de Dieu et des anges — mais Jésus a prévenu qu'il n'y avait pas de mariage au paradis. Vous ne retrouviez pas vos proches. Ce n'était que vous et Dieu et la prière éternelle. C'était le paradis, mais pas comme on l'imagine aujourd'hui.
Incitation à la haine
Même quelques athées considérèrent le paradis comme une des idées les moins néfastes de la religion: un baume apaisant à appliquer sur le front des affligés. Mais, en fait, sa fonction primordiale pendant des siècles fut d'être un outil de contrôle et d'intimidation. Le Vatican, par exemple, institua un monopole sur la liste VIP de Saint Pierre - seuls ceux qui obéissaient à chaque commandement des autorités de l'Eglise et leur payaient des sommes énormes pour des pass «vous êtes libérés de l'enfer» pouvaient espérer entrer au paradis, avec leurs enfants. La vie après la mort était un moyen de tyranniser les gens pendant leur vie.
Cet emploi du paradis comme matraque a survécu à la Réforme Protestante. Miller souligne que dans la Nouvelle Angleterre puritaine, le paradis était moins un réconfort qu'un moyen d'imposer la discipline dans cette vie. Il est toujours utilisé de cette façon. Par exemple, les Mormons professent que les femmes qui revendiquent l'égalité avec les hommes doivent abjurer - et si elles ne le font pas, on leur dit qu'elles passeront la vie après la mort séparées de leurs familles pour l'éternité.
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