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Tunisie: Une nouvelle jeunesse

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    DossierTunisie : Une nouvelle jeunesse

    Ce que jeunesse veut...
    09/04/2010 à 10h:41 Par Leïla Slimani, envoyée spéciale

    Des jeunes tunisois sur la place de l'Hôtel-de-Ville. Des jeunes tunisois sur la place de l'Hôtel-de-Ville. © Agostino Pacciani

    Les 15-29 ans représentent près de 30 % de la population tunisienne. Leur vie et leurs aspirations n’ont plus grand-chose à voir avec celles de leurs aînés. Quels sont leurs problèmes ? Quels sont leurs atouts,  leurs attentes ?

    « Qu’on soit un garçon ou une fille, qu’on vienne de la classe aisée, moyenne ou populaire, nous sommes tous poussés par nos parents à obtenir les meilleurs diplômes possible », explique Wassim, étudiant à l’Institut des hautes études commerciales (IHEC) de Carthage, à Tunis. Considérées comme sacrées, les études sont un temps fort de la vie des jeunes Tunisiens. Avec la montée du chômage, l’obtention d’un diplôme reste le sésame indispensable pour intégrer le monde du travail. « Contrairement à nos parents, qui ont connu le plein-emploi, nous avons grandi dans une culture de la compétition. Ma tante n’avait même pas le bac et elle a pourtant fait une belle carrière dans une entreprise. Aujourd’hui, c’est impossible », ajoute Wassim. À 22 ans, ce dernier vit encore chez ses parents et n’envisage pas de les quitter avant de fonder lui-même une famille. « Pourquoi dépenser de l’argent inutilement ? Je m’entends bien avec mes parents, ils sont très ouverts et me laissent libre de mes faits et gestes. »

    Tous les étudiants n’ont cependant pas sa chance, surtout quand ils sont originaires de province et doivent s’installer dans la capitale pour leurs études. L’arrivée à Tunis peut constituer un choc pour certains. Ce fut le cas pour Omar, un Djerbien venu étudier à l’IHEC. « Il ne comprenait pas la liberté de certains étudiants par rapport au ramadan, par exemple, raconte Wassim, et il a fini par quitter l’école au milieu du semestre. »

    Pour Sara, 23 ans, originaire de Jendouba (à 150 km à l’ouest de Tunis et à 50 km de la frontière algérienne), l’adaptation se passe en revanche plutôt bien. Comme sa sœur aînée avant elle, elle est venue à Tunis pour suivre des études d’anglais. « Ma sœur s’est mariée à 19 ans et a arrêté ses études. Mes parents ont été très déçus », confie-t-elle. Sara s’accroche, donc. Elle a commencé par vivre dans un foyer privé de jeunes filles, pour 150 dinars (un peu moins de 80 euros) par mois. Depuis un an, elle vit en colocation avec deux autres étudiantes et est ravie de son choix : « Ce n’est pas encore vraiment dans la culture tunisienne, mais cela devient très à la mode chez les étudiants. Ça permet d’économiser et, surtout, de ne pas être seul. » La colocation ne concerne d’ailleurs pas que les étudiants. De plus en plus de jeunes actifs choisissent cette solution, comme Amine, un cadre de 28 ans, qui partage un appartement avec deux amis dans le centre de Tunis.

    Les jeunes issus de milieux populaires peuvent étudier sans trop de difficultés. Une chambre en cité universitaire coûte seulement 30 dinars (15 euros) par trimestre. Le prix d’un ticket restaurant est de 300 millimes (16 centimes d’euros). Et, comme la plupart des étudiants du monde, de plus en plus exercent des petits boulots en marge de leurs études ; les plus modestes pour boucler les fins de mois, les autres pour pouvoir s’offrir de petits plaisirs. Beaucoup sont serveurs ou vendeurs à temps partiel et, phénomène nouveau en Tunisie, les centres d’appels sont devenus les principaux recruteurs d’étudiants. « Si on veut aller au café, s’acheter des bricoles et inviter de temps en temps une copine au cinéma, on est obligés de se débrouiller pour gagner un peu d’argent », explique Khalil, élève à l’IHEC. Élevés dans le culte du libéralisme et de la société de consommation, les jeunes Tunisiens associent réussite et bon salaire. « Ce qui vous définit, c’est ce que vous gagnez. Je sais que l’argent ne fait pas le bonheur, mais la misère non plus ! » assène Wassim.

    Plus libres, mais moins engagés

    Moins idéalistes, moins romantiques que ne l’étaient leurs parents dans les années 1960-1970, ils sont aussi moins engagés et plus individualistes. « À la fac, il y a peu d’associations, et les jeunes préfèrent ne pas parler politique », reconnaît Sara. Ils s’intéressent plus à la politique des autres pays et, en particulier, à la cause arabe. Seul le conflit israélo-palestinien est capable de les faire sortir dans la rue. Quant à la religion, c’est un sujet qui les passionne, même si, comme l’explique Sara, « c’est un peu tabou. Une de mes amies qui portait le voile a fini par arrêter ses études. Ceux qui affichent leurs croyances ne sont pas toujours bien vus, ni par les élèves ni par l’administration ». Elle n’en dira pas plus.

    Comme tous les jeunes du Maghreb, les Tunisiens sont bercés d’influences diverses, parfois contradictoires. Connectés en permanence à internet, fans de chaînes satellitaires, ils naviguent de l’Orient à l’Occident, passant des prêches d’imams célèbres sur les chaînes qataries aux jeux de téléréalité sur des chaînes américaines. Ouverts sur le monde, ils sont avides d’informations et se targuent d’être le plus possible à la page et au fait des tendances. Jacky Moati, patron d’un célèbre restaurant tunisois qui a tenu plusieurs établissements depuis les années 1960, a vu défiler chez lui des générations de jeunes. « Aujourd’hui, ils sont plus libres, plus autonomes. Il n’y a qu’à voir leur façon de dépenser, de sortir ou de s’habiller. Ils ont le souci des apparences, ils font attention à ce qu’ils mangent et prennent soin d’eux », observe-t-il.

    Pourtant, derrière ce souci des apparences, les jeunes Tunisiens sont loin d’être insouciants. Comme beaucoup de ses camarades de classe, Sara veut avant tout acquérir une autonomie financière. « Avoir mon appartement, ma voiture et ne pas avoir peur de l’avenir », telle est sa définition du bonheur. Avant même de songer à se marier, elle voudrait acquérir un capital et, pourquoi pas, créer sa propre entreprise. Comme la moyenne des Tunisiennes, elle se mariera sans doute vers l’âge de 29 ans (moyenne qui a reculé à 33 ans pour les hommes). Longtemps, elle a envisagé d’aller travailler en France, en Italie ou dans un pays du Golfe. Mais ses velléités d’émigration se sont émoussées. La crise aidant, les jeunes savent que le fléau du chômage les suivra là où ils iront et ne voient plus l’Europe comme un eldorado. D’ailleurs, ils sont de plus en plus nombreux à en revenir, dans tous les sens du terme.

    La peur de l’avenir

    En quête d’autonomie mais très attachés à leur cocon familial, ouverts sur le monde mais plutôt conformistes, les jeunes Tunisiens ne craignent pas les contradictions et assument, souvent sans complexe, leur matérialisme dans une société où l’argent a pris beaucoup de place. Ils s’inquiètent pour leur avenir, dans un monde parfois plus injuste que celui de leurs parents : Khalil, qui se bat pour avoir 15/20 dans toutes les matières, trouvera-t-il un emploi sans être pistonné ? S’il le trouve, est-ce que ce travail et sa rémunération seront à la hauteur de ses compétences ? Dans cet océan d’incertitudes, la famille constitue le principal élément de stabilité sur lequel les jeunes se reposent. Ce qui explique que très rares sont ceux qui jouent les rebelles. « À chaque étape de la vie, il est essentiel que j’aie le soutien de ma famille. Jamais je ne me marierais avec une femme que mes parents n’aimeraient pas », assure Wassim.
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