Le peuple amazigh, communément appelé berbère, est le premier connu sur toute l’étendue de l’Afrique du Nord et du Sahel. Son territoire s’étend de la mer Méditerranée au nord au Burkina Faso au sud et de la Mauritanie à l’ouest à l’oasis de Siwa (sous administration égyptienne) à l’est. Il faut ajouter à ce vaste espace les îles Canaries, actuellement espagnoles.
La position géostratégique de cette partie du monde a entraîné la convoitise des différentes puissances à travers les siècles. Tamazgha (Berbèrie) a eu à subir de nombreuses conquêtes dont la première, phénicienne, remonte à 1110 avant J.-C. Quatre siècles durant, les Romains ont mené une politique de colonisation avant d’être remplacés, pendant un siècle, par les Vandales puis par les Byzantins durant un autre siècle. L’affaiblissement de ce dernier empire a profité aux Arabes qui, après 70 années d’âpres luttes, se sont imposés par l’Islam. Cette contrée n’a pas non plus échappé à la voracité des Ottomans qui n’ont pas eu beaucoup de peine à s’y installer après avoir été sollicités pour une aide contre les incursions européennes. Le 5 juillet 1830, la puissance française débarque près de la capitale et mène une politique coloniale des plus injustes pendant 130 longues années. Près de huit années de guerre ont été nécessaires pour aboutir, en 1962, à l’indépendance.
L’amazighophonie dans le monde
Aujourd’hui, on estime que le tamazight est parlé par 20% à 30% des Algériens, et 40 à 50 % des Marocains. Le nombre des Touaregs est estimé à 1 000 000 et il faut compter avec les 50 000 Tunisiens amazighophones ainsi que les populations de Libye dont nous n’avons aucune estimation. Il s’agit bien entendu de chiffres approximatifs vus, probablement, à la baisse. Il n’y a eu, en effet, aucun recensement linguistique(1) dans les pays d’Afrique du nord qui continuent de nier, malgré quelques petites avancées, le fait amazigh. Il faut aussi souligner que toutes les zones amazighophones sont aujourd’hui situées dans les montagnes ou le sud, qui correspondent aux zones de retraite après les diverses batailles livrées contre les occupants successifs. Vivant sur des territoires pauvres, les Imazighen (Berbères) ont été contraints d’émigrer, ce qui explique la très forte diaspora à travers le monde (principalement en Europe). C’est ainsi qu’actuellement en France, Le berbère est l’une des langues les plus répandues après le français.
L’amazighophonie en Algérie
L’amazighophonie occupe aujourd’hui un espace discontinu en Algérie. La langue arabe a, par phénomène de substitution, occupé des territoires de plus en plus grands. Déjà au début du XIe siècle, les Banu Hillal (Arabes chassés de Haute Egypte) ont subrepticement imposé l’arabe comme langue savante. Les Almohades (royaume amazigh) les avaient, en effet, utilisés comme scribes, une fonction très valorisante à l’époque. Langue du Coran, la langue arabe a toujours bénéficié du caractère sacré, un statut qui lui a permis de gagner du terrain sur la langue amazigh, profane et sous-valorisée. C’est ainsi que des régions encore totalement amazighophones au début du XXe siècle, à l’exemple de la Kabylie des Babors, sont actuellement complètement arabisées.
L’arabe, présenté comme l’alter-ego du français par le Mouvement national algérien et comme langue unifiante du monde arabe, a été indécemment instrumentalisé politiquement. Seule langue apte à procurer un statut social, elle a fini par mettre en péril la langue première de l’Afrique du Nord, le tamazigh. Malgré tout, on retrouve encore des pôles importants d’amazighophonie : la Kabylie, les Aurès, le M’zab et le pays touareg. D’autres territoires beaucoup plus petits tels que le Chenoua (région de Tipaza, à l’est d’Alger) ou les Zenata dans la région d’Adrar continuent de survivre dans un environnement franchement hostile. Cette population berbérophone est très approximativement estimée à six à huit millions d’individus.
Quelques particularismes des régions amazighophones algériennes
Chaque région amazighophone a eu son propre parcours. La Kabylie, géographiquement proche de la capitale, a bénéficié, très tôt, des apports de l’école française. Région montagneuse et pauvre, elle a été et est encore, dans une moindre mesure, un réservoir d’émigration vers l’Europe et notamment la France. Pour ces raisons, la francophonie est fortement implantée et les valeurs dites universelles ont une réalité sociale. Frondeuse et fortement revendicatrice, la Kabylie a été — et demeure — un foyer de contestation politique.
Le pays aurésien est également une région montagneuse et pauvre. Menant une vie pastorale, les Chaouis (Aurésiens) ont peu émigré et ont été injustement très souvent raillés avec pour conséquence une forte insécurité linguistique. Le mouvement islahiste (mouvement islamique des années trente) y a eu un très fort impact, expliquant une tendance à l’arabisation et à la pratique religieuse. La jeunesse a, depuis les années quatre-vingt, pris conscience du fait amazigh et a créé son propre mouvement, le Mouvement culturel amazigh (MCA). Le pays chaoui rejoint ainsi la Kabylie dans la revendication identitaire.
Le M’zab est caractérisé par une particularité religieuse, l’ibadisme, un courant religieux fondamentaliste musulman, officiel dans le seul sultanat d’Oman et partout ailleurs fortement minoritaire. Cette spécificité a longtemps été à l’origine d’un repli sur eux-mêmes, d’autant qu’ils subissaient et continuent de subir une absolue intolérance de la part des autres musulmans (de nombreux événements sanglants ont lieu épisodiquement). Commerçants discrets et pacifiques, les Mozabites se sont très peu impliqués dans la vie politique. Ce n’est qu’à partir des années quatre-vingt que la jeunesse mozabite a commencé, timidement, à s’intéresser à la question amazigh.
Le pays touareg est, lui, très loin des centres de décision politique (2000 km d’Alger). Nomades, les « hommes bleus » ont pour la plupart peu fréquenté l’école et ont, conséquemment, gardé toutes leurs traditions. Leur dialecte, pour avoir peu emprunté aux autres langues, est perçu comme un réservoir linguistique pour la construction d’une langue amazigh normativisée. Une petite élite a rejoint depuis quelque temps le mouvement revendicatif berbériste du nord algérien. Les petits îlots amazighophones (Chenoua et ksour) n’ont pas de spécificité particulière, sinon qu’elles, aussi, sont impliquées, aujourd’hui dans ce même mouvement de contestation culturaliste même s’il reste encore discret.
Le fait amazigh et la politique d’arabisation en Algérie
Les vicissitudes de l’histoire ont fait qu’aujourd’hui, l’amazigh est réduite au rang de langue dominée. Etat centralisateur de type jacobin, l’Algérie appréhende le tamazight comme facteur pouvant porter atteinte à l’unité nationale. Tout droit à la différence, toute diversité linguistique sont perçus comme éléments pouvant déstabiliser les institutions établies. La langue amazigh sera considérée comme dialecte local, avec toute la connotation négative que cela suppose, et l’arabe littéraire aura statut de langue nationale et officielle avec tous les honneurs que cela implique, c’est-à-dire l’octroi de tous les moyens matériels et humains nécessaires à son épanouissement et à sa diffusion.
Le tamazight sera, dès lors, confiné à l’usage domestique et perçu comme instrument de communication de l’inculte, développant ainsi chez les berbérophones une « insécurité linguistique » profonde. Nombre de berbérophones parleront, dès lors, l’arabe ou le français en présence d’un étranger. Hégémonique, voire impérialiste, la langue arabe devient valorisante du fait qu’elle procure un statut social par le biais d’une carrière professionnelle ou politique. Le tamazight, non reconnu institutionnellement, sera voué à la disparition car jugé inefficace au plan économique. L’arabe va devenir la « langue ambassadrice » tandis que le tamazight sera destiné à la consommation locale.
Cette hégémonie de l’arabe est en fait liée à son imposition par l’Etat qui en a fait un instrument de pouvoir. Une politique de généralisation de la langue arabe a, pour cela, été instituée et des campagnes d’arabisation ont été mises en place durant de nombreuses années. Tous les travailleurs qui ne participaient pas au cours obligatoires dans les administrations et usines étaient sanctionnés. Tout travailleur qui ne pouvait justifier d’un niveau de maîtrise de la langue arabe ne pouvait prétendre à un avancement professionnel. C’est dire tout l’acharnement pour imposer la langue arabe littéraire au détriment des langues du peuple (tamazight et arabe algérien) et de la langue du travail, le français.
Malgré tout, la langue amazigh n’a rien perdu de sa vitalité. Au contraire, toute tentative de l’Etat pour « désamazighiser » l’Algérie s’est soldée par un raffermissement de la lutte pour imposer le fait amazigh.
La position géostratégique de cette partie du monde a entraîné la convoitise des différentes puissances à travers les siècles. Tamazgha (Berbèrie) a eu à subir de nombreuses conquêtes dont la première, phénicienne, remonte à 1110 avant J.-C. Quatre siècles durant, les Romains ont mené une politique de colonisation avant d’être remplacés, pendant un siècle, par les Vandales puis par les Byzantins durant un autre siècle. L’affaiblissement de ce dernier empire a profité aux Arabes qui, après 70 années d’âpres luttes, se sont imposés par l’Islam. Cette contrée n’a pas non plus échappé à la voracité des Ottomans qui n’ont pas eu beaucoup de peine à s’y installer après avoir été sollicités pour une aide contre les incursions européennes. Le 5 juillet 1830, la puissance française débarque près de la capitale et mène une politique coloniale des plus injustes pendant 130 longues années. Près de huit années de guerre ont été nécessaires pour aboutir, en 1962, à l’indépendance.
L’amazighophonie dans le monde
Aujourd’hui, on estime que le tamazight est parlé par 20% à 30% des Algériens, et 40 à 50 % des Marocains. Le nombre des Touaregs est estimé à 1 000 000 et il faut compter avec les 50 000 Tunisiens amazighophones ainsi que les populations de Libye dont nous n’avons aucune estimation. Il s’agit bien entendu de chiffres approximatifs vus, probablement, à la baisse. Il n’y a eu, en effet, aucun recensement linguistique(1) dans les pays d’Afrique du nord qui continuent de nier, malgré quelques petites avancées, le fait amazigh. Il faut aussi souligner que toutes les zones amazighophones sont aujourd’hui situées dans les montagnes ou le sud, qui correspondent aux zones de retraite après les diverses batailles livrées contre les occupants successifs. Vivant sur des territoires pauvres, les Imazighen (Berbères) ont été contraints d’émigrer, ce qui explique la très forte diaspora à travers le monde (principalement en Europe). C’est ainsi qu’actuellement en France, Le berbère est l’une des langues les plus répandues après le français.
L’amazighophonie en Algérie
L’amazighophonie occupe aujourd’hui un espace discontinu en Algérie. La langue arabe a, par phénomène de substitution, occupé des territoires de plus en plus grands. Déjà au début du XIe siècle, les Banu Hillal (Arabes chassés de Haute Egypte) ont subrepticement imposé l’arabe comme langue savante. Les Almohades (royaume amazigh) les avaient, en effet, utilisés comme scribes, une fonction très valorisante à l’époque. Langue du Coran, la langue arabe a toujours bénéficié du caractère sacré, un statut qui lui a permis de gagner du terrain sur la langue amazigh, profane et sous-valorisée. C’est ainsi que des régions encore totalement amazighophones au début du XXe siècle, à l’exemple de la Kabylie des Babors, sont actuellement complètement arabisées.
L’arabe, présenté comme l’alter-ego du français par le Mouvement national algérien et comme langue unifiante du monde arabe, a été indécemment instrumentalisé politiquement. Seule langue apte à procurer un statut social, elle a fini par mettre en péril la langue première de l’Afrique du Nord, le tamazigh. Malgré tout, on retrouve encore des pôles importants d’amazighophonie : la Kabylie, les Aurès, le M’zab et le pays touareg. D’autres territoires beaucoup plus petits tels que le Chenoua (région de Tipaza, à l’est d’Alger) ou les Zenata dans la région d’Adrar continuent de survivre dans un environnement franchement hostile. Cette population berbérophone est très approximativement estimée à six à huit millions d’individus.
Quelques particularismes des régions amazighophones algériennes
Chaque région amazighophone a eu son propre parcours. La Kabylie, géographiquement proche de la capitale, a bénéficié, très tôt, des apports de l’école française. Région montagneuse et pauvre, elle a été et est encore, dans une moindre mesure, un réservoir d’émigration vers l’Europe et notamment la France. Pour ces raisons, la francophonie est fortement implantée et les valeurs dites universelles ont une réalité sociale. Frondeuse et fortement revendicatrice, la Kabylie a été — et demeure — un foyer de contestation politique.
Le pays aurésien est également une région montagneuse et pauvre. Menant une vie pastorale, les Chaouis (Aurésiens) ont peu émigré et ont été injustement très souvent raillés avec pour conséquence une forte insécurité linguistique. Le mouvement islahiste (mouvement islamique des années trente) y a eu un très fort impact, expliquant une tendance à l’arabisation et à la pratique religieuse. La jeunesse a, depuis les années quatre-vingt, pris conscience du fait amazigh et a créé son propre mouvement, le Mouvement culturel amazigh (MCA). Le pays chaoui rejoint ainsi la Kabylie dans la revendication identitaire.
Le M’zab est caractérisé par une particularité religieuse, l’ibadisme, un courant religieux fondamentaliste musulman, officiel dans le seul sultanat d’Oman et partout ailleurs fortement minoritaire. Cette spécificité a longtemps été à l’origine d’un repli sur eux-mêmes, d’autant qu’ils subissaient et continuent de subir une absolue intolérance de la part des autres musulmans (de nombreux événements sanglants ont lieu épisodiquement). Commerçants discrets et pacifiques, les Mozabites se sont très peu impliqués dans la vie politique. Ce n’est qu’à partir des années quatre-vingt que la jeunesse mozabite a commencé, timidement, à s’intéresser à la question amazigh.
Le pays touareg est, lui, très loin des centres de décision politique (2000 km d’Alger). Nomades, les « hommes bleus » ont pour la plupart peu fréquenté l’école et ont, conséquemment, gardé toutes leurs traditions. Leur dialecte, pour avoir peu emprunté aux autres langues, est perçu comme un réservoir linguistique pour la construction d’une langue amazigh normativisée. Une petite élite a rejoint depuis quelque temps le mouvement revendicatif berbériste du nord algérien. Les petits îlots amazighophones (Chenoua et ksour) n’ont pas de spécificité particulière, sinon qu’elles, aussi, sont impliquées, aujourd’hui dans ce même mouvement de contestation culturaliste même s’il reste encore discret.
Le fait amazigh et la politique d’arabisation en Algérie
Les vicissitudes de l’histoire ont fait qu’aujourd’hui, l’amazigh est réduite au rang de langue dominée. Etat centralisateur de type jacobin, l’Algérie appréhende le tamazight comme facteur pouvant porter atteinte à l’unité nationale. Tout droit à la différence, toute diversité linguistique sont perçus comme éléments pouvant déstabiliser les institutions établies. La langue amazigh sera considérée comme dialecte local, avec toute la connotation négative que cela suppose, et l’arabe littéraire aura statut de langue nationale et officielle avec tous les honneurs que cela implique, c’est-à-dire l’octroi de tous les moyens matériels et humains nécessaires à son épanouissement et à sa diffusion.
Le tamazight sera, dès lors, confiné à l’usage domestique et perçu comme instrument de communication de l’inculte, développant ainsi chez les berbérophones une « insécurité linguistique » profonde. Nombre de berbérophones parleront, dès lors, l’arabe ou le français en présence d’un étranger. Hégémonique, voire impérialiste, la langue arabe devient valorisante du fait qu’elle procure un statut social par le biais d’une carrière professionnelle ou politique. Le tamazight, non reconnu institutionnellement, sera voué à la disparition car jugé inefficace au plan économique. L’arabe va devenir la « langue ambassadrice » tandis que le tamazight sera destiné à la consommation locale.
Cette hégémonie de l’arabe est en fait liée à son imposition par l’Etat qui en a fait un instrument de pouvoir. Une politique de généralisation de la langue arabe a, pour cela, été instituée et des campagnes d’arabisation ont été mises en place durant de nombreuses années. Tous les travailleurs qui ne participaient pas au cours obligatoires dans les administrations et usines étaient sanctionnés. Tout travailleur qui ne pouvait justifier d’un niveau de maîtrise de la langue arabe ne pouvait prétendre à un avancement professionnel. C’est dire tout l’acharnement pour imposer la langue arabe littéraire au détriment des langues du peuple (tamazight et arabe algérien) et de la langue du travail, le français.
Malgré tout, la langue amazigh n’a rien perdu de sa vitalité. Au contraire, toute tentative de l’Etat pour « désamazighiser » l’Algérie s’est soldée par un raffermissement de la lutte pour imposer le fait amazigh.
Commentaire