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Charles Pasqua : "J'assume une certaine culture du secret"

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  • Charles Pasqua : "J'assume une certaine culture du secret"

    Propos recueillis par Hervé Gattegno

    Charles Pasqua © Fradin Emmanuel / Abaca



    On ne désarme pas facilement Charles Pasqua. S'il ne s'en faut que d'une journée qu'il ne fête ses 83 ans devant la Cour de justice de la République (CJR) - devant laquelle il comparaît du 19 au 30 avril -, l'ancien ministre de l'Intérieur n'est pas disposé à baisser la tête. Il a trop longtemps joué les Raminagrobis pour accepter que l'on s'amuse avec lui au chat et à la souris. Certes, il ploie un peu sous le fardeau des soupçons accumulés, mais il sait encore esquiver les questions embarrassantes d'une mimique malicieuse ou d'un bougonnement. Et puisque sa carrière est derrière lui, il garde des yeux dans le dos : pour empêcher qu'on abîme ses souvenirs. De ses années de guerre comme de ses débuts en politique, il garde la nostalgie de ces temps incertains où, pour s'engager, il fallait être prêt à tenir un fusil - et il arrive qu'un soupir ému interrompe ses confidences. Peut-être est-ce pour cela que, malgré la mauvaise réputation qui l'a toujours précédé, Charles Pasqua a du mal à s'imaginer sur un banc d'infamie. Le dernier dinosaure de la vie politique française est trop averti pour n'être qu'un prévenu. Et il a tant vécu qu'il ne peut tolérer qu'on le juge - ou alors d'un seul bloc.

    Le Point : A 83 ans, vous comparaissez devant la CJR sous l'accusation de diverses malversations financières. Voir votre parcours politique s'achever ainsi vous blesse-t-il ?
    Charles Pasqua : Non. Nul n'est au-dessus des lois et je vous rappelle que j'avais moi-même demandé, dès 2002, que la CJR soit saisie de mon cas. Ce qui m'indigne, c'est que l'on a tout fait pour sceller par avance le résultat de ce procès...

    Que voulez-vous dire ?
    Que je vais être jugé par mes pairs, des élus, sur la base de dossiers qui ont été instruits par des juges de telle façon que ma condamnation semble inéluctable. Les magistrats ont fait en sorte que les trois affaires dans lesquelles je suis accusé soient définitivement jugées avant que je me présente devant la Cour de justice. Un exemple : on me reproche d'avoir accordé à un homme d'affaires corse - Michel Tomi - l'autorisation d'exploiter un casino, en 1994, en échange d'un don d'argent pour une campagne européenne qui a eu lieu cinq ans plus tard. Ça ne tient pas la route une seconde, mais, d'un côté, on m'a condamné pour " financement politique illégal " et, de l'autre, lui l'a été pour "corruption active ", ce qui veut dire qu'il a corrompu quelqu'un. De qui peut-il s'agir, sinon du ministre qui donnait les autorisations ? En procédant ainsi, on veut faire de la CJR une chambre d'enregistrement. Je ne me laisserai pas faire .
    Dernière modification par nacer-eddine06, 19 avril 2010, 11h10.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

  • #2
    Vous seriez victime d'un complot ? Qui est ce on que vous accusez sans le nommer ?
    Je n'accuse pas, je me défends. Je me trouve sans le vouloir au centre d'un combat entre l'institution judiciaire et le pouvoir politique, au moment où le projet de suppression du juge d'instruction provoque les crispations que vous savez. J'ai le sentiment que tout est réglé d'avance, comme une formalité. Pour me juger, les députés et les sénateurs de la CJR ont reçu en tout et pour tout les ordonnances de renvoi - toutes rédigées par le magistrat Philippe Courroye, dont chacun sait qu'il a juré ma perte -, et une clé USB d'ordinateur qui contient les 60.000 pages des dossiers. Les audiences ne vont durer qu'une semaine, alors qu'il faut examiner les faits, entendre 60 témoins, écouter les plaidoiries des avocats... Devant les tribunaux ordinaires, les procès des trois mêmes affaires ont duré entre deux et trois semaines chacun !

    Pourquoi soupçonnez-vous M. Courroye d'une vindicte personnelle à votre égard ?
    Parce que j'ai vu comment il mène ses enquêtes. Un autre exemple : il est question d'un compte suisse sur lequel mon fils aurait reçu des fonds occultes. M. Courroye a toujours refusé l'expertise que je réclamais sur les documents liés à ce compte. Eh bien, la CJR l'a ordonnée et le résultat prouve... que les choses ne sont pas ce que le juge disait. En fait, je ne crois pas que ce magistrat soit à la recherche de la vérité. Je pense qu'il aime accrocher des personnalités à son tableau de chasse. Et j'observe qu'en le faisant, il a souvent rendu service à Jacques Chirac...

    Il est plutôt présenté aujourd'hui comme un proche de Nicolas Sarkozy...
    Ce n'est pas incompatible. Peut-être a-t-il un sens aigu de ses intérêts et de sa carrière. Ce que je sais, c'est que mes ennuis judiciaires ont commencé en 2000, quand j'ai laissé entendre que je serais peut-être candidat à la présidentielle de 2002. Dès lors, tout a été fait pour m'abattre et le juge Courroye a joué un rôle dans cette opération. Auparavant, il avait déjà abattu Michel Noir, dont l'ascension menaçait la suprématie de Chirac sur le RPR, puis Alain Carignon, qui soutenait Edouard Balladur - lui a été accusé d'être corrompu par la Lyonnaise des eaux sans que le patron de l'entreprise [Jérôme Monod] soit poursuivi par M. Courroye, on n'a jamais compris pourquoi. Il se trouve que c'était le bras droit de Chirac, ça n'a sûrement rien à voir... Et il avait moins mauvaise réputation que moi !

    Parlons-en, de votre réputation. Vous avez toujours été présenté comme un homme sulfureux, amateur de coups tordus et de diplomatie parallèle, et il semble que cela ne vous déplaise pas tout à fait. On se trompe ?
    Disons que je m'y suis fait. Je suis issu d'une génération qui a connu la guerre, l'Occupation, la Résistance, puis l'Algérie, le retour du général de Gaulle, la lutte contre l'OAS, Mai 68, le combat permanent contre le communisme. C'était une autre époque, avec d'autres moeurs politiques. Et un creuset extraordinaire pour forger les caractères. Quand on s'engageait, il fallait être prêt à prendre les armes. La bravoure était un critère pour juger les hommes. Aujourd'hui, il y en a d'autres. Quand j'ai fait mes vrais débuts en politique, en me présentant aux législatives à Levallois (en juin 1968), j'étais déjà mal vu : je venais de Marseille, je vendais du pastis, j'avais fait le coup de poing... J'aurais été mieux considéré si j'avais été représentant en whisky !

    Votre accent vous desservait ?
    Pompidou me l'a dit - c'était à la même époque : "Jeune homme, vous avez des qualités et un bel avenir devant vous. Mais votre façon de parler est un handicap. Certains de vos collègues suivent des cours de diction..." Je lui ai répondu : "Monsieur le Premier ministre, vous pouvez tout me demander, mais ça, jamais ! "

    Votre appartenance au SAC n'a-t-elle pas aussi contribué à cette image (tenace) d'homme de l'ombre ?
    Sans doute, mais beaucoup de confusions sont entretenues à ce propos. Le Service d'action civique a été créé en 1958 pour soutenir l'action du général de Gaulle. J'en ai été le vice-président. Le vrai patron, c'était Jacques Foccart. C'était une résurgence du service d'ordre du RPF, constitué de nombreux anciens de la France libre. Ça n'avait rien d'un nid de barbouzes !

    Ils n'étaient quand même pas des enfants de choeur !
    Je n'ai rien dit de tel. L'adversaire, c'était le communisme. Les communistes aussi venaient de la Résistance, mais ils étaient aux ordres de Moscou. Et ils n'étaient pas des agneaux non plus ! Quand est arrivée la guerre d'Algérie, le SAC s'est divisé entre les partisans de l'OAS et ceux du Général. Mais il n'a pas participé en tant que tel à la lutte armée.

    Vous, vous l'avez fait.
    Oui. Dominique Ponchardier, qui était un grand résistant, a créé un groupe d'anciens qui n'acceptaient pas que l'on s'en prenne à de Gaulle et qui considéraient que la démarche de l'OAS relevait d'une dérive fasciste. Au départ, j'étais pour l'Algérie française. Mais j'étais gaulliste avant tout. Alors, j'ai suivi. C'était une période exaltante : on se battait pour défendre le régime. Une équipe est venue d'Alger pour nous exécuter, mon père et moi. Des années après, j'en ai retrouvé quelques-uns qui étaient en exil. Un jour, l'un de ceux-là - un ancien du RPF - a débarqué dans mon bureau pour me demander de l'aide ! Je lui ai montré l'arme qui était dans mon tiroir et je lui ai dit que j'étais dans l'autre camp. Il a blêmi... Mais je lui ai trouvé un refuge et je ne l'ai jamais revu. Je n'ai jamais eu de goût pour la délation.

    En mai 68, vous avez cru à une révolution, à la chute du Général ?
    J'ai surtout assisté à la débandade complète de l'Etat. C'était la trouille qui gouvernait. Un soir, Foccart m'appelle : "Est-ce que vous avez des gars solides pour assurer la protection du Général ?" Il s'attendait à ce que les gardes de l'Elysée quittent leurs postes ! J'ai entendu de grands personnages, que l'on présente comme des figures du gaullisme, pleurnicher que tout était foutu, qu'il valait mieux se tailler...

    Qui, par exemple ?
    Seul Messmer est resté droit. Il était prêt à envoyer l'armée pour rétablir l'ordre. Il avait même créé discrètement deux unités de réserve de la gendarmerie dans les-quelles nous aurions tous été affectés le cas échéant - même dans le chaos, il voulait préserver un minimum de légalité... La nuit, les jeunes militants braquaient les stations-service pour emporter l'essence. Même les ministères s'approvisionnaient chez nous ! Ça nous rajeunissait... Il y avait du danger, mais nous étions fiers de nous battre pour une cause. La page s'est tournée en 1969, quand le Général est parti. J'ai quitté le SAC et je lui ai écrit pour lui dire que j'arrêtais la politique. Il m'a répondu que mon devoir était de continuer. C'est pourquoi je n'ai jamais abandonné. Mais, à partir de ce moment-là, tout était différent.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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    • #3
      Vous n'aviez pas la même fidélité envers Pompidou ?
      Non. Je lui en voulais à cause de l'appel de Rome. En se déclarant prêt à prendre la relève, il a contribué à affaiblir le Général. C'était un coup bas. Les gaullistes historiques ne pouvaient le lui pardonner.

      Pour vous, il n'était pas l'un d'eux ?
      Il n'avait pas participé à la guerre. Cela dit, il a été loyal pendant la campagne pour le référendum de 1969. Les barons, eux, jouaient déjà la suite. C'était une lutte d'ambitions. Mais le vrai clivage résidait déjà dans la dimension sociale du gaullisme, que beaucoup de ses fidèles se sont empressés d'oublier dès qu'il a eu le dos tourné. Pompidou n'était pas un chaud partisan de l'association capital-travail. La dérive droitière avait déjà commencé ; elle s'est achevée par la dissolution du RPR dans l'UMP.

      Il n'y a plus de gaullisme aujourd'hui ?
      Un petit fond. Pas plus.

      Nicolas Sarkozy ?
      Je crois qu'il l'a été.

      Et Jacques Chirac ?
      Il a été l'homme de la relève. Et puis il s'est renié. J'avais énormément d'estime et d'affection pour lui. C'était un homme à qui rien ne paraissait impossible, un tempérament incroyable. Quel dommage qu'il ait toujours été si influençable...

      Sauf quand il était influencé par vous !
      Je l'ai aidé à construire le RPR sur les ruines de l'UDR. La campagne de Chaban n'avait laissé que des dettes. Chirac, lui, s'était laissé fasciner par Giscard, qui lui avait offert Matignon en échange de son soutien à la présidentielle de 1974. Pierre Juillet, Marie-France Garaud et moi n'avions qu'une peur : que Giscard lui propose aussi la direction d'un parti du président. S'il l'avait fait, le gaullisme était vraiment mort. Mais les giscardiens nous détestaient trop. Surtout Michel Poniatowski, qui rêvait de "plumer la volaille gaulliste". Leur hostilité nous a sauvés.

      "Ponia" jouait auprès de Giscard le même rôle que vous auprès de Chirac ?
      Il était surtout ministre de l'Intérieur ! Il passait son temps à me décrire comme un type louche, lié à la pègre, à la French Connection. Un jour, Chirac a exigé devant Giscard qu'il apporte mon dossier. Ponia a répondu qu'il était vide - évidemment ! Le pire, c'est que Chirac a toujours cru que je m'étais débrouillé pour le faire expurger. Vous voyez à quoi tiennent les réputations... Plus tard, Ponia et moi sommes devenus amis. Nous avions des tas de souvenirs en commun et beaucoup de choses à nous dire sur nos chefs respectifs.

      Par exemple ?
      Il admirait infiniment Giscard, mais il était déçu par sa présidence.

      Comme vous avec Chirac...
      Moi, beaucoup plus !

      N'est-ce pas plutôt du dépit ? Vous avez été de tous les combats avec Jacques Chirac, mais vous le quittez en 1995, juste au moment où il finit par gagner...
      Notre rupture est fondée sur un vrai désaccord politique. J'ai souvent dit que je désapprouvais la stratégie que lui dictait Edouard Balladur depuis 1993, celle de la cohabitation et du recentrage sur la question européenne, qui ouvrait la voie à un ralliement du RPR au fédéralisme. Je considérais, moi, qu'il fallait faire campagne à droite avec un discours musclé pour endiguer la montée du Front national. Je vous fais observer que c'est exactement ce qu'a fait Sarkozy en 2007.

      Le paradoxe, c'est que vous dénoncez l'influence de Balladur, mais que c'est lui que vous avez soutenu. Pourquoi ?
      J'étais ministre de son gouvernement ; c'était une question de loyauté. J'avais prévenu Chirac : Si tu lui laisses Matignon, il se présentera contre toi. Il ne pouvait pas le croire. Tout le monde connaît l'histoire ! Moi, je savais par Michel Charasse que Mitterrand serait d'accord pour prendre Chirac comme Premier ministre une deuxième fois. Mais il a rendu la chose impossible en lançant des attaques personnelles contre le président de la République pendant la campagne. Et quand Balladur a été nommé, c'est encore Chirac qui a insisté pour que je sois ministre ! Résultat : je me suis retrouvé dans un gouvernement où le RPR était minoritaire, alors que nous avions gagné les élections. Ça commençait bien !

      En définitive, c'est Chirac qui est entré à l'Elysée et vous n'étiez pas à ses côtés. Vous ne l'avez pas regretté ? Vraiment ?
      C'est ainsi, c'est tout. Pour être honnête, je dois dire que j'avais vu Balladur faire preuve de caractère, notamment pour défendre les intérêts français à Bruxelles. Sur le plan personnel, je me suis assez bien entendu avec lui. Quand est venu le moment de choisir, tout le monde ou presque pensait que Balladur l'emporterait. A deux mois de l'élection, Juppé lui-même promettait à Balladur : Je vais aller voir Chirac, je vais lui dire de renoncer. Et puis les sondages ont tourné. J'ai considéré que l'honneur m'imposait de soutenir le chef du gouvernement auquel j'appartenais. J'ai écrit à Chirac pour le lui dire. Ça m'a fait de la peine. A lui aussi. Nous étions très liés.

      Votre ami Philippe Séguin, en revanche, est resté avec lui.
      Mais lui n'était pas ministre de Balladur ! Il a pris une part décisive dans la victoire de 1995. Pourtant, Chirac a préféré nommer Juppé à Matignon et tourner le dos à la priorité sociale qu'il avait défendue pendant la campagne. Pour lui, ce n'était qu'un reniement de plus. Mais on a vu les conséquences. Douze ans au pouvoir, et que reste-t-il ? L'arrêt des essais nucléaires, la suppression du service militaire, deux cohabitations et quelques beaux discours. C'est peu. Chirac fait partie de ces politiques qui soutiennent sans problème le contraire de ce qu'ils ont dit la veille. C'est le plus grand menteur que j'aie vu. A part Mitterrand !

      Vous avez souvent exprimé, pourtant, votre estime pour Mitterrand...
      C'est vrai. Comme tous les gaullistes de ma génération, j'avais de lui une image aussez mauvaise avant de le connaître : un maurrassien passé par Vichy, décoré de la francisque, un combinard. Nous l'avons haï quand il affrontait de Gaulle. Nous avons eu plus de sympathie pour lui en 1981, quand il s'est agi de battre Giscard. Tout le monde sait que nous avons lancé quelques appels en sa faveur au second tour... Mais je ne l'ai vraiment découvert qu'en 1986, sous la première cohabitation. C'était un homme d'une grande habileté et qui avait un certain sens de l'Etat. Nous nous combattions, mais j'avais de la considération pour lui. Et j'appréciais nos tête-à-tête : nous parlions des affaires de l'Etat, mais aussi de politique. Il me disait tout le mal qu'il pensait de ses amis et je lui disais tout le mal que je pensais des miens. Finalement, nous étions souvent d'accord !
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      • #4
        Vous avez continué à le voir quand vous n'étiez plus ministre ?
        Oui. Nos rencontres l'amusaient. Elles se tenaient à Louveciennes, chez le docteur Laurent Raillard, qui était son partenaire de golf. C'était notre petit secret. Le vendredi matin, après sa partie, je le rejoignais là-bas avec ma propre voiture. Même Charasse n'était pas au courant !

        Saviez-vous que la propriété avait été achetée par Elf sur l'ordre du fameux Alfred Sirven ?
        Je l'ai su bien plus tard. Je connaissais bien Sirven - un sacré personnage - et aussi son patron, Loïk Le Floch-Prigent. Leur prédécesseur à la tête d'Elf, Albin Chalandon, est un ami. Mais, contrairement à ce qu'on raconte, lui n'a jamais participé au financement du RPR. On ne peut pas dire la même chose de Le Floch et de Sirven. Mais c'est du passé !

        Diriez-vous que la corruption est répandue dans le monde politique ?
        La plupart des élus vivent assez modestement. Je ne crois pas que les politiques soient différents des magistrats : la majorité d'entre eux sont dévoués au bien public, mais certains ont tendance à abuser de leurs pouvoirs. Pour ce qui me concerne, je suis tranquille : mes comptes personnels et ceux de toute ma famille ont été scrutés dans tous les sens, on n'y a rien trouvé d'anormal. Quant à mon patrimoine, il est inférieur à ce qu'il était il y a trente ans. Ma carrière politique m'a apporté des joies et quelques honneurs, mais elle m'a coûté cela. D'autres ont vu leur fortune croître et embellir. Je ne dénoncerai personne...

        A quoi servent alors les fameux "dossiers" que l'on vous prête ?
        C'est du fantasme, comme le reste. Mais j'ai quand-même un peu de mémoire. Quand je suis revenu à l'Intérieur, en 1993, j'ai constaté que l'un de mes prédécesseurs socialistes avait fait acheter à tempérament un avion par le ministère. Il l'utilisait surtout pour rejoindre sa circonscription en période électorale. Que croyez-vous que j'ai fait ? J'ai résilié la vente et personne n'en a jamais parlé.

        On pourrait vous le reprocher. Les ministres ne sont-ils pas garants du bon usage des fonds publics ?
        C'est bien pourquoi j'ai résilié ce contrat ! C'est ma conception de l'affrontement politique. Je veux bien assumer une certaine culture du secret - c'est aussi sans doute un héritage de ma jeunesse. Mais de là à être présenté moi-même comme un corrompu ! Il y a des jours où ça me rend malade. Ceux qui font cela ne savent pas qu'ils prennent des risques. Je pourrais leur jeter un sort...

        Vous êtes sérieux ?

        Parfaitement ! (Il éclate de rire) Il y a chez les Pasqua des dons exceptionnels : enfant, j'ai vu un membre de ma famille guérir un bébé secoué de convulsions en jetant une mèche de cheveux dans une assiette d'eau, soigner les coups de soleil ou arrêter le sang qui coulait juste avec les mains. Chez les Corses, on dit que ces pouvoirs se transmettent en héritage. Peut-être que je les ai utilisés contre certains... et qu'ils ne le savent pas encore !

        La magie ne vous a pas aidé à devenir président du Sénat . Il se dit que c'est votre plus grand regret...
        J'y ai pensé, mais je savais, en prenant position contre le traité de Maastricht (en 1992), que je perdais toute chance d'avoir l'appui des centristes, sans qui je ne pouvais pas gagner. Mais je ne l'ai jamais regretté. Je ne suis pas homme à renier mes convictions et, de toute façon, la présidence du Sénat est surtout une fonction honorifique - ça ne m'aurait pas convenu...

        Et l'Elysée, vous en avez rêvé ?
        J'aurais pu faire un bon candidat en 2002. Etre élu, c'est une autre histoire. Mais je n'ai pas eu les moyens de me présenter. On m'en a empêché à coups de procédures judiciaires et de calomnies, si bien qu'il m'a manqué vingt signatures pour pouvoir être candidat. Si je l'avais été, c'est peut-être Chirac qui aurait été éliminé au premier tour, et non Jospin... Cherchez à qui le crime profite.

        De votre parcours politique reste surtout l'image d'un ministre de l'Intérieur tonitruant, qui voulait "terroriser les terroristes". Cela vous flatte-t-il ?
        Quand je suis arrivé au gouvernement, en 1986, nous étions confrontés à une vague d'attentats. Nous n'avions aucun dossier, aucun renseignement, aucune structure opérationnelle. La gauche n'avait rien laissé. Avant de se doter des moyens nécessaires à ce combat, il a fallu utiliser l'arme psychologique.

        Ça n'a pas été très efficace !
        C'est vous qui le dites ! Vous oubliez les arrestations d'Action directe, le démantèlement de réseaux islamistes, la mise hors d'état de nuire du commando de l'Airbus d'Alger, la maternelle de Neuilly... Les Français, eux, s'en souviennent. Quand j'ai fait intercepter des diplomates iraniens à la frontière et encercler leur ambassade avec des barbelés, ils m'ont fait dire que j'étais un preneur d'otages. J'ai répondu : Alors, nous sommes à égalité. En tout cas, il n'y a plus eu d'attentats en France jusqu'en 1995. Nous sommes même allés chercher Carlos jusqu'au Soudan - et dire qu'on me l'a reproché, ça aussi ! On m'a -accusé de l'avoir fait enlever. En réalité, nous avons reçu l'aide de la CIA et des Soudanais eux-mêmes, qui étaient ravis de s'en débarrasser. L'opération a été parfaitement menée. Mais nous l'avions raté plusieurs fois auparavant... Et, après le 11 septembre 2001, les Américains se sont référés à ce précédent pour aller, eux aussi, chercher les terroristes là où ils se cachaient.

        Vous voulez dire qu'il faut parfois savoir malmener les règles quand la sécurité est en jeu ?
        Dans certaines circonstances, c'est la responsabilité du pouvoir d'Etat. J'assume.

        Mettrez-vous un terme à votre carrière si vous êtes condamné ?
        Certainement pas. Quelle que soit l'issue, je n'arrêterai pas mon action. Depuis plusieurs mois, le calendrier judiciaire m'a conduit à me taire. Après le procès, je reprendrai la parole sur tous les sujets qui me tiennent à coeur. J'ai une âme de combattant
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