Les Algériens sont-ils heureux ?
Par KAMEL DAOUD de raina raikom au quotidien d'oran
"Il s'agit d'une question simple, posée dans un pays en voie de quitter la terre pour conquérir le futur absolu, à un peuple qui ne se pose pas des questions idiotes et y apporte des réponses violentes ou corrompues. «Etes-vous heureux ?»: c'est la question d'une étude sociale faite au Japon et dont les résultats fabuleux ont été publiés dernièrement à la Une du Sankei Shimbun, un journal nippon. Les Japonais ont répondu, en majorité être heureux, se sentir plutôt heureux, voire très heureux. On les comprend et ce qui nous étonne au point de nous faire asseoir sur un nuage, ce ne sont pas les Japonais car on est habitué à leur réussite et à leur intelligence. Ce qui étonne, c'est la question elle-même. Sa philosophie, son sens et sa simplicité politique époustouflante pareille à l'invention de la roue dans un pays où les idées sont carrées et les gens écrasés. Pays surpolitisé jusqu'au pourrissement irréparable, une telle question a tout simplement été oubliée en Algérie depuis 1962: personne ne se la pose ni voit la raison de la poser. Le but des Algériens, de leur Etat, de leur Histoire nationale comme de leur politique astrale n'est pas de répondre à cette question par le «Oui» ni de se poser la question sur les raisons d'une réponse négative. On s'imagine mal cet univers d'angélisme local où un parti politique, une personnalité ou un chef d'Etat viennent seulement pour nous poser cette question ou nous aider à être «heureux» dans notre pays par défaut. Cela sonnerait comme une lecture de poésie à la place d'un virement de salaire à la fin du mois.
Première question posée depuis 1962: «les Algériens sont-ils heureux ?». Personne ne se pose la question et personne n'a le devoir de la poser ni d'en faire un choix idéologique ou un programme alternatif à la tristesse nationale homologuée par un fort courant de culture de remplacement du réel par un taux du réel. Le bonheur de tous ou de la majorité, c'est idiot comme conception de l'Etat. L'Etat comme son peuple de service sont là pour se servir de renvoi de grimaces et faire tourner une sorte de meule nationale autour du drapeau et le drapeau autour d'une consternation ancestrale. Personne ne parle du bonheur en Algérie, le pays ayant soit peur de l'au-delà, de lui-même, de l'effet de foule, du discours des classes, de l'émeute ou, surtout, ayant peur du rien comme vis-à-vis caché et omniprésent. Le but de l'Algérie et de ses Algériens de bagage n'étant pas le bonheur mais l'endurance et la résistance de l'un à l'autre.
Deuxième question: le bonheur étant exclu, quel est le sentiment algérien le plus répandu en Algérie ? On ne sait pas au juste et il est difficile de le définir puisqu'il est difficile de cesser de respirer au-delà de quelques minutes. La colère ? Les Algériens sont trop fainéants pour être en colère tout le temps et trop frères les uns envers les autres pour faire autre chose que de «travailler» la fraternité. Le mépris ? Un peu, bien que, à un moment de cette chaîne alimentaire, le dernier Algérien se retrouvera sans rien au-dessous de lui à mépriser que lui-même. La haine ? Parfois, là aussi, mais cela finit généralement en dialogue et en réception de représentants de gens en colère chez le wali de l'endroit. D'ailleurs, la haine n'est pas un sentiment mais une tactique mutuelle. L'intolérance ? Là on se rapproche de la vérité: les Algériens ne tolèrent pas les Algériens, ne tolèrent pas la tolérance, l'ingérence et la France et ne tolèrent pas qu'on le leur dise. En vérité, c'est la tristesse qui est le sentiment le plus répandu en Algérie. Pas la tristesse triste de tous les jours et à partir de laquelle on peut fabriquer une chanson, une saison ou une kalachnikov mentale pour signifier un territoire, mais la Grande Tristesse Nationale. La méga-tristesse qui donna l'islamisme, le défaitisme, la démission morale et les manuels scolaires. La Tristesse collective qui fait que ce peuple a toujours l'air d'un visage écrasé sur une vitre sale, dans un Karsan lent qui voyage éternellement entre un douar perdu et une ville promise en guise d'épopée plate développementiste, payée d'avance par des gens refroidis et des hommes n'ayant plus que des souvenirs pour faire du feu et des flammes."
@ vous de commenter
Par KAMEL DAOUD de raina raikom au quotidien d'oran
"Il s'agit d'une question simple, posée dans un pays en voie de quitter la terre pour conquérir le futur absolu, à un peuple qui ne se pose pas des questions idiotes et y apporte des réponses violentes ou corrompues. «Etes-vous heureux ?»: c'est la question d'une étude sociale faite au Japon et dont les résultats fabuleux ont été publiés dernièrement à la Une du Sankei Shimbun, un journal nippon. Les Japonais ont répondu, en majorité être heureux, se sentir plutôt heureux, voire très heureux. On les comprend et ce qui nous étonne au point de nous faire asseoir sur un nuage, ce ne sont pas les Japonais car on est habitué à leur réussite et à leur intelligence. Ce qui étonne, c'est la question elle-même. Sa philosophie, son sens et sa simplicité politique époustouflante pareille à l'invention de la roue dans un pays où les idées sont carrées et les gens écrasés. Pays surpolitisé jusqu'au pourrissement irréparable, une telle question a tout simplement été oubliée en Algérie depuis 1962: personne ne se la pose ni voit la raison de la poser. Le but des Algériens, de leur Etat, de leur Histoire nationale comme de leur politique astrale n'est pas de répondre à cette question par le «Oui» ni de se poser la question sur les raisons d'une réponse négative. On s'imagine mal cet univers d'angélisme local où un parti politique, une personnalité ou un chef d'Etat viennent seulement pour nous poser cette question ou nous aider à être «heureux» dans notre pays par défaut. Cela sonnerait comme une lecture de poésie à la place d'un virement de salaire à la fin du mois.
Première question posée depuis 1962: «les Algériens sont-ils heureux ?». Personne ne se pose la question et personne n'a le devoir de la poser ni d'en faire un choix idéologique ou un programme alternatif à la tristesse nationale homologuée par un fort courant de culture de remplacement du réel par un taux du réel. Le bonheur de tous ou de la majorité, c'est idiot comme conception de l'Etat. L'Etat comme son peuple de service sont là pour se servir de renvoi de grimaces et faire tourner une sorte de meule nationale autour du drapeau et le drapeau autour d'une consternation ancestrale. Personne ne parle du bonheur en Algérie, le pays ayant soit peur de l'au-delà, de lui-même, de l'effet de foule, du discours des classes, de l'émeute ou, surtout, ayant peur du rien comme vis-à-vis caché et omniprésent. Le but de l'Algérie et de ses Algériens de bagage n'étant pas le bonheur mais l'endurance et la résistance de l'un à l'autre.
Deuxième question: le bonheur étant exclu, quel est le sentiment algérien le plus répandu en Algérie ? On ne sait pas au juste et il est difficile de le définir puisqu'il est difficile de cesser de respirer au-delà de quelques minutes. La colère ? Les Algériens sont trop fainéants pour être en colère tout le temps et trop frères les uns envers les autres pour faire autre chose que de «travailler» la fraternité. Le mépris ? Un peu, bien que, à un moment de cette chaîne alimentaire, le dernier Algérien se retrouvera sans rien au-dessous de lui à mépriser que lui-même. La haine ? Parfois, là aussi, mais cela finit généralement en dialogue et en réception de représentants de gens en colère chez le wali de l'endroit. D'ailleurs, la haine n'est pas un sentiment mais une tactique mutuelle. L'intolérance ? Là on se rapproche de la vérité: les Algériens ne tolèrent pas les Algériens, ne tolèrent pas la tolérance, l'ingérence et la France et ne tolèrent pas qu'on le leur dise. En vérité, c'est la tristesse qui est le sentiment le plus répandu en Algérie. Pas la tristesse triste de tous les jours et à partir de laquelle on peut fabriquer une chanson, une saison ou une kalachnikov mentale pour signifier un territoire, mais la Grande Tristesse Nationale. La méga-tristesse qui donna l'islamisme, le défaitisme, la démission morale et les manuels scolaires. La Tristesse collective qui fait que ce peuple a toujours l'air d'un visage écrasé sur une vitre sale, dans un Karsan lent qui voyage éternellement entre un douar perdu et une ville promise en guise d'épopée plate développementiste, payée d'avance par des gens refroidis et des hommes n'ayant plus que des souvenirs pour faire du feu et des flammes."
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