Pourquoi l’Algérie est-elle en droit d’exiger des excuses de l’Etat français ?
L’histoire de l’Algérie sous l’occupation française a été écrite sans les Algériens, et souvent contre eux. Des hommes politiques et des intellectuels, du Tiers-Monde en particulier, développant le complexe du colonisé, se réfèrent couramment à cette histoire falsifiée ou déformée.
Ce faisant, ils perpétuent des contre-vérités, et se font complices d’une certaine approche coloniale du passé de leurs peuples. Ils oublient que l’histoire élaborée par le vainqueur est toujours à sens unique, et que le vaincu, privé de liberté, « n’est plus qu’un corps pour souffrir, et point de langue pour se plaindre ».
Par Mohamed Saïd
Et Dieu seul sait combien les grandes douleurs sont muettes. Aussi, le combat du peuple algérien pour la reconquête de son indépendance a-t-il été en même temps, un combat pour la préservation de son identité et la réécriture de son histoire. Cette lutte n’est pas encore terminée.
Elle tient toujours une place de choix, en premier lieu, dans les débats qui envahissent de façon cyclique, ici et là, l’espace public sur le passé colonial de la France, car celle-ci partage avec notre pays un pan entier d’existence commune différemment apprécié. D’où l’intérêt. Quatre raisons, au moins, justifient dans cette tranche de l’histoire, le droit du peuple algérien d’exiger des excuses de l’ancienne puissance coloniale, pour les 132 années subies de domination et d’asservissement :
I- L’Algérie a été radiée de la vie internationale pendant 132 ans
L’Algérie a-t-elle existé, en tant qu’Etat indépendant, avant 1830 ? A cette question, nombre d’historiens de la colonisation répondent par la négative. Certains d’entre eux font partie d’une pléiade d’auteurs et de spécialistes qui, pour justifier la conquête militaire de notre pays, ont fouillé son histoire pour la faire remonter à l’époque romaine, en faisant l’impasse sur notre passé musulman qualifié de « siècles obscurs »(1). Conquis village par village en raison d’une résistance surhumaine, puis annexé, notre pays n’aura même pas droit au statut de colonie au sens de la Charte de l’ONU pour bénéficier, dans sa lutte de Libération nationale, des dispositions de cette Charte. « Département français », il sera inclus dans le système de sécurité collective de l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord).
Ce déni d’histoire contredit ce que fut l’Algérie dans les relations internationales. Certes, depuis l’arrivée en 1518 des Ottomans, sollicités par les Algérois pour les aider à repousser les agressions espagnoles, le champ d’application des capitulations franco-ottomanes englobait la Régence d’Alger. Celle-ci était dirigée par un Pacha nommé à Constantinople par le Sultan. Cette situation de suzeraineté prendra fin en 1711. A partir de cette date, « il fut décidé qu’il n’y aurait plus, à El-Djazaïr, de représentant du Sultan. »(2) La Régence, bien que dirigée par des hommes d’origine turque, deviendra alors, de droit et de fait, indépendante. « C’était, écrit Henri de Grammont, une nation qui soumettait à l’humiliation d’un tribut annuel, les 3/4 de l’Europe, et jusqu’aux USA. »
Tous les traités de paix et de commerce conclus avec les principales puissances de l’époque n’étaient pas soumis, pour leur exécution, à la ratification préalable de la Porte Sublime. Dès la moitié du XVIIIe siècle, les traités signés, avec la France, le sont entre les représentants du Roi, et du Diwan agissant au nom du Dey et de la Milice, puis carrément à partir de 1800, entre les représentants de la Régence d’Alger et la République française. A ce titre, écrit Louis de Baudicour, intendant civil en Algérie, « la République française fut reconnue solennellement par le Divan ; les traités furent renouvelés. Peu de temps après, le Dey prêtait cinq millions au Directoire qui avait besoin d’argent. »(3) On lit dans le préambule du traité de paix et de commerce du 28 décembre 1801 : « Le Gouvernement français et la Régence d’Alger reconnaissent qu’une guerre n’est pas naturelle entre les deux Etats…. ». L’article premier précise : « Les relations politiques et commerciales de la République française sont rétablies entre les deux Etats telles qu’elles existaient avant la rupture ».(4) L’article 9 qualifie la Régence de « Royaume ».
L’article 19 énonce : « Son excellence le Dey, nomme Salah Khodja pour se rendre à Paris en qualité d’ambassadeur ». En 1816, l’Angleterre « reconnût l’indépendance de la Régence pour que celle-ci n’objectât plus sa soumission à la Porte pour la question de l’esclavage ».(5) Cette réalité a conduit le ministre français de la Guerre, Clermont Tonnerre, à conclure dans un rapport daté du 14 Octobre 1827 : « En résumé, le Dey n’est aujourd’hui, à l’égard du Sultan, qu’une sorte d’un grand vassal tellement indépendant que nos traités avec la Porte stipulent, en notre faveur, le droit de lui faire la guerre, sans que la Porte puisse, en aucune manière, se regarder comme provoquée, et comme obligée de le secourir ».(6)
Des historiens contemporains ont abouti au même constat : « L’Algérie était un Etat indépendant en 1830. La suzeraineté ottomane, purement théorique, ne correspondait plus à la réalité ».(7) Mieux encore, « l’Algérie était un Etat bien délimité, souverain, ayant une vie nationale et internationale reconnue depuis longtemps par de nombreux pays ».(8) La conquête militaire de 1830 a donc été une agression armée, suivie d’occupation militaire, contre un Etat indépendant et reconnu. Son annexion, par une décision interne et unilatérale à la France, constitue une violation de sa souveraineté. Sous cet angle, parler, dans un discours officiel comme l’a fait le président Jacques Chirac à Alger le 2 mars 2003, de la « naissance d’un Etat » à l’indépendance, perpétue une contre-vérité historique dénoncée, cinquante ans plus tôt, par la Proclamation du Premier Novembre dont les auteurs se sont assignés comme but principal la restauration de l’Etat algérien souverain. Il eut été donc plus juste pour l’hôte de l’Algérie de parler de renaissance de l’Etat algérien à la vie internationale, à l’instar de la Pologne qui, morcelée entre ses voisins en 1795, a été rétablie dans sa souveraineté en 1918.
L’histoire de l’Algérie sous l’occupation française a été écrite sans les Algériens, et souvent contre eux. Des hommes politiques et des intellectuels, du Tiers-Monde en particulier, développant le complexe du colonisé, se réfèrent couramment à cette histoire falsifiée ou déformée.
Ce faisant, ils perpétuent des contre-vérités, et se font complices d’une certaine approche coloniale du passé de leurs peuples. Ils oublient que l’histoire élaborée par le vainqueur est toujours à sens unique, et que le vaincu, privé de liberté, « n’est plus qu’un corps pour souffrir, et point de langue pour se plaindre ».
Par Mohamed Saïd
Et Dieu seul sait combien les grandes douleurs sont muettes. Aussi, le combat du peuple algérien pour la reconquête de son indépendance a-t-il été en même temps, un combat pour la préservation de son identité et la réécriture de son histoire. Cette lutte n’est pas encore terminée.
Elle tient toujours une place de choix, en premier lieu, dans les débats qui envahissent de façon cyclique, ici et là, l’espace public sur le passé colonial de la France, car celle-ci partage avec notre pays un pan entier d’existence commune différemment apprécié. D’où l’intérêt. Quatre raisons, au moins, justifient dans cette tranche de l’histoire, le droit du peuple algérien d’exiger des excuses de l’ancienne puissance coloniale, pour les 132 années subies de domination et d’asservissement :
I- L’Algérie a été radiée de la vie internationale pendant 132 ans
L’Algérie a-t-elle existé, en tant qu’Etat indépendant, avant 1830 ? A cette question, nombre d’historiens de la colonisation répondent par la négative. Certains d’entre eux font partie d’une pléiade d’auteurs et de spécialistes qui, pour justifier la conquête militaire de notre pays, ont fouillé son histoire pour la faire remonter à l’époque romaine, en faisant l’impasse sur notre passé musulman qualifié de « siècles obscurs »(1). Conquis village par village en raison d’une résistance surhumaine, puis annexé, notre pays n’aura même pas droit au statut de colonie au sens de la Charte de l’ONU pour bénéficier, dans sa lutte de Libération nationale, des dispositions de cette Charte. « Département français », il sera inclus dans le système de sécurité collective de l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord).
Ce déni d’histoire contredit ce que fut l’Algérie dans les relations internationales. Certes, depuis l’arrivée en 1518 des Ottomans, sollicités par les Algérois pour les aider à repousser les agressions espagnoles, le champ d’application des capitulations franco-ottomanes englobait la Régence d’Alger. Celle-ci était dirigée par un Pacha nommé à Constantinople par le Sultan. Cette situation de suzeraineté prendra fin en 1711. A partir de cette date, « il fut décidé qu’il n’y aurait plus, à El-Djazaïr, de représentant du Sultan. »(2) La Régence, bien que dirigée par des hommes d’origine turque, deviendra alors, de droit et de fait, indépendante. « C’était, écrit Henri de Grammont, une nation qui soumettait à l’humiliation d’un tribut annuel, les 3/4 de l’Europe, et jusqu’aux USA. »
Tous les traités de paix et de commerce conclus avec les principales puissances de l’époque n’étaient pas soumis, pour leur exécution, à la ratification préalable de la Porte Sublime. Dès la moitié du XVIIIe siècle, les traités signés, avec la France, le sont entre les représentants du Roi, et du Diwan agissant au nom du Dey et de la Milice, puis carrément à partir de 1800, entre les représentants de la Régence d’Alger et la République française. A ce titre, écrit Louis de Baudicour, intendant civil en Algérie, « la République française fut reconnue solennellement par le Divan ; les traités furent renouvelés. Peu de temps après, le Dey prêtait cinq millions au Directoire qui avait besoin d’argent. »(3) On lit dans le préambule du traité de paix et de commerce du 28 décembre 1801 : « Le Gouvernement français et la Régence d’Alger reconnaissent qu’une guerre n’est pas naturelle entre les deux Etats…. ». L’article premier précise : « Les relations politiques et commerciales de la République française sont rétablies entre les deux Etats telles qu’elles existaient avant la rupture ».(4) L’article 9 qualifie la Régence de « Royaume ».
L’article 19 énonce : « Son excellence le Dey, nomme Salah Khodja pour se rendre à Paris en qualité d’ambassadeur ». En 1816, l’Angleterre « reconnût l’indépendance de la Régence pour que celle-ci n’objectât plus sa soumission à la Porte pour la question de l’esclavage ».(5) Cette réalité a conduit le ministre français de la Guerre, Clermont Tonnerre, à conclure dans un rapport daté du 14 Octobre 1827 : « En résumé, le Dey n’est aujourd’hui, à l’égard du Sultan, qu’une sorte d’un grand vassal tellement indépendant que nos traités avec la Porte stipulent, en notre faveur, le droit de lui faire la guerre, sans que la Porte puisse, en aucune manière, se regarder comme provoquée, et comme obligée de le secourir ».(6)
Des historiens contemporains ont abouti au même constat : « L’Algérie était un Etat indépendant en 1830. La suzeraineté ottomane, purement théorique, ne correspondait plus à la réalité ».(7) Mieux encore, « l’Algérie était un Etat bien délimité, souverain, ayant une vie nationale et internationale reconnue depuis longtemps par de nombreux pays ».(8) La conquête militaire de 1830 a donc été une agression armée, suivie d’occupation militaire, contre un Etat indépendant et reconnu. Son annexion, par une décision interne et unilatérale à la France, constitue une violation de sa souveraineté. Sous cet angle, parler, dans un discours officiel comme l’a fait le président Jacques Chirac à Alger le 2 mars 2003, de la « naissance d’un Etat » à l’indépendance, perpétue une contre-vérité historique dénoncée, cinquante ans plus tôt, par la Proclamation du Premier Novembre dont les auteurs se sont assignés comme but principal la restauration de l’Etat algérien souverain. Il eut été donc plus juste pour l’hôte de l’Algérie de parler de renaissance de l’Etat algérien à la vie internationale, à l’instar de la Pologne qui, morcelée entre ses voisins en 1795, a été rétablie dans sa souveraineté en 1918.
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