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Le Printemps 80, comme une sortie de tunnel:

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  • Le Printemps 80, comme une sortie de tunnel:

    Il intervenait après 18 ans de chape de plomb
    La parole libérée, la peur vaincue, la fierté retrouvée et tant d’espérances ressuscitées. Le Printemps 1980 a eu en Kabylie les mêmes effets que ceux du 5 Octobre 1988 dans le reste de l’Algérie.
    Ce printemps-là, l’Algé-rie s’apprêtait à célébrer le 18e anniversaire de l’indépendance. Dix-huit longues années de chape de plomb, faites de censure, de répression et de désinformation, le pouvoir qui croyait avoir définitivement mis la région “hors d’état de protester”, découvrit l’étendue du ressentiment provoqué en Kabylie par le déni opposé à la revendication identitaire. La colère et la contestation, circonscrites depuis début mars aux enceintes de l’université, de l’hôpital et de quelques lycées, allaient gagner, à compter du 20 avril, l’ensemble des villages de la région. Si bien que le lundi 22, des dizaines, voire des centaines de milliers d’hommes et de femmes, jeunes et moins jeunes, prirent d’assaut la ville de Tizi Ouzou… pour en découdre avec l’armada policière qui, dans la nuit du 19 au 20, avait investi l’enceinte universitaire, faisant des centaines de blessés et opérant des dizaines d’arrestations.
    À elle seule, cette réaction populaire, qui avait tout d’une véritable insurrection, suffisait déjà à démentir la thèse officielle qui présentait les revendications du Mouvement culturel comme des coquetteries d’étudiants au mieux et, pire quelquefois, comme prétexte à une œuvre de déstabilisation du pays commanditée de l’étranger.
    C’est également au lendemain du 20 avril que fut prise la décision de ne plus allumer les postes de télé et de les couvrir d’un tissu noir. Un geste hautement symbolique quant à l’idée que la population se faisait de la désinformation mise en branle par le pouvoir pour discréditer la contestation. Dans la foulée, on découvrit qu’une poignée de militants travaillant dans la clandestinité, sans la moindre tribune d’expression, et manquant cruellement de moyens, était capable de mobiliser les foules et de battre en brèche, d’un revers de la main, la propagande du parti unique.
    C’est que le fruit avait pris le temps de mûrir. Tout au long des années 1960 et 1970, il s’est trouvé des profs de collège ou de lycée qui, après avoir pris le soin de bien fermer portes et fenêtres de leurs salles de cours, s’employaient à entretenir leurs élèves de l’amazighité et de l’indispensable réhabilitation de leur langue menacée d’extinction. Dans les foyers, les élèves transmettaient leurs découvertes à leurs parents qui, pour la plupart, n’avaient jamais entendu parler d’amazighité. D’autres auront entendu scander “Imazighen”, pour la première fois, dans le stade Oukil-Ramdane, à l’occasion des matches de la JSK. La prise de conscience, certes un peu diffuse, était presque générale. Mais la peur était encore là. Prise de conscience. Les deux ingrédients d’une colère sourde. Le pouvoir ne l’ignorait pas. L’on raconte qu’en inaugurant l’université de Tizi Ouzou, Boumediene a eu ces mots : “Je viens d’ouvrir une poudrière.” Ce ne fut pas une poudrière, ce fut juste le tombeau de la peur.
    Car le Printemps 1980, ce fut comme une sortie de tunnel. Il a eu en Kabylie les mêmes effets que ceux du 5 Octobre 1988 dans le reste du pays. La parole libérée, la peur vaincue, la fierté retrouvée et tant d’espérances ressuscitées. Dans la vie de tous les jours, cela se voyait, cela s’entendait. Du coup, le maillot de la JSK se départit du bleu pâle de la Sonelec pour se mettre au jaune et vert qui habillent les montagnes et les forêts de Kabylie à chaque printemps venu. Les jeunes se remettent au burnous de laine blanche immaculée et à la robe kabyle aux couleurs écarlates. L’on sentait chez eux comme une immense fierté mêlée à un brin de défiance lorsqu’ils arpentaient, ainsi vêtus, les grands boulevards d’Alger. Mais cette résurrection ne se limitait pas aux actes symboliques. La revue Tafsut, que l’on se passait sous le manteau, se lisait désormais dans le bus ou au café. Dans les universités, des comités virent le jour, pas seulement à Alger et Tizi Ouzou, mais aussi à Oran, Blida et Annaba.
    L’identité amazighe venait de gagner son droit de cité. Et comme le mouvement qui l’avait portée à bras-le-corps revendiquait aussi la liberté d’expression et les droits citoyens, il aboutira à la création de la première Ligue algérienne des droits de l’Homme. Le pouvoir, toujours aussi tenté par le recours à la répression, voyait néanmoins sa marge de manœuvre se rétrécir à mesure que le mouvement marquait des points, engrangeait des acquis. En attendant octobre, la marche de l’Histoire gagnait en cadence. L’esprit d’avril 80 est passé par-là. Trente ans après, il continue d’être la matrice d’autres luttes politiques et sociales.



    Liberté

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