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Ghardaïa deux ans après la crue meurtrière

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  • Ghardaïa deux ans après la crue meurtrière

    Ghardaïa, deux années après la crue meurtrière enregistrée au niveau de l’oued M’zab et plusieurs siècles après les fondations de l’homme mozabite, les esprits sont en train de changer dans la région. Mais ce changement est à peine perceptible. Il est vrai que certaines barrières ont sauté, mais le bouleversement n’est pas total.

    C’est la période des amours à Ghardaïa. Du moins pour les palmiers. Les palmes des arbres femelles sont fermées sur elles-mêmes par une ficelle. On est en pleine période de fécondation et pour obtenir ses dattes, il est temps d’accoupler les espèces. Un rond de ficelle et le tour est joué. Il ne reste plus qu’à attendre les fruits de cet amour organisé. Ghardaïa, plongée au fond de la vallée du M’zab, n’a rien perdu de ses antiques traditions. Les femmes portent leur large haïk blanc, ne laissant paraître qu’un œil. L’une d’elles est tournée face contre mur, donnant le dos aux appels de la rue. D’autres sont assises dans l’abribus devant la porte principale de Beni Izguène, l’une des pentapoles de Ghardaïa. En apparence, les choses n’ont pas changé et les images semblent figées, sans égard pour le temps qui passe.

    La même porte, les mêmes femmes et leur haïk, la même architecture. On a bien tenté de cacher les citernes, témoins troublants de la sécheresse contemporaine, mais les meurtrières laissent deviner les masses métalliques. Ces petites ouvertures qui font office de fenêtres dans les habitations, rappellent que le M’zab et ses murs furent érigés dans le souci de se protéger de l’autre. L’aspect médiéval que l’on retrouve principalement à Beni Izguène ajoute à la poésie des lieux. Mais, aujourd’hui, deux années après la crue meurtrière de l’oued M’zab et plusieurs siècles après les premières fondations de l’homme mozabite, les esprits sont en train de changer. Mais c’est à peine perceptible. Mahfoud, Mozabite de cœur et de condition, se défend d’un quelconque bouleversement qui atteindrait l’identité profonde des siens, mais reconnaît que certaines barrières sautent. A côté, des édifications qui sont en cours pour empêcher l’oued M’zab de sortir de sont lit à la prochaine crue vont bon train. Mais, justement, ces nouvelles digues, ces nouvelles jetées, ces nouveaux édifices censés contraindre les crues démontrent encore du changement dans l’esprit mozabite. Tandis que les remparts de Ghardaïa la protégeaient des intrus, aujourd’hui ils la protègent de l’oued. Or, le Mozabite ne s’est jamais protégé de sa ressource première. Cette ressource qui verdit ses jardins et alimente ses cultures. Bizarrement, aujourd’hui, Ghardaïa tourne le dos au M’zab. Visite dans la ville aux cinq pôles.

    La démesure


    Les travaux vont bon train à Ghardaïa. La chaussée est complètement défoncée et l’automobiliste doit se contenter d’une voie à droite et une autre à gauche pour circuler. Il y a d’abord l’aménagement des berges de l’oued et puis l’édification d’un muret pour séparer les futures voies de droite de celles de gauche. Du béton partout. On ne comprend pas très bien l’utilité du muret, d’autant qu’il contraint les piétons à ne traverser qu’aux endroits aménagés à cet effet et qui n’ont pas l’air nombreux. C’est, schématiquement, ce que l’on retrouve sur les autoroutes. Rappelons-nous des barres métalliques qui servent à délimiter les voies sur les grands axes routiers  ; il était question de les remplacer par du béton. Etonnant, car l’accident automobile ne pardonne pas contre du béton. A Ghardaïa, on a remplacé le petit trottoir qui séparait les voies par ce fameux muret de béton. Du pur style citadin qui jure avec l’harmonie des lieux. L’autre mur qui est aux abords de l’oued et délimite son lit est dans le même esprit. Encore du béton. Très loin des proportions architecturales mozabites. Très loin des lignes douces et épurées de Ghardaïa. Les Mozabites ont appréhendé l’espace à la mesure de l’homme, sans grandeur ni fioriture mais dans de justes proportions. Ces murs en construction dans la ville jurent par leur citadinité. C’est bien simple, on ne voit plus l’oued ou son lit (selon les périodes). Comme si pour oublier la tragédie de 2008, il fallait monter un mur de protection. Etonnant quand on sait que le lit est exploité à des fins diverses comme marché, souk, parking d’autobus... On s’interroge sur l’utilité d’un mur et sur l’absence d’escaliers et de berges. Les anciens murs de pierre, pas plus hauts que la moitié d’un homme, ont cédé face à la tempête et sont remplacés par des structures plus hautes. Mais auraient-ils la prétention de protéger d’une autre crue  ? Assurément non. Le rendu est grossier et fait comme une tache sur un tableau de maître.

    Les digues


    Est-ce l’administration algérienne qui s’est incrustée à Ghardaïa pour y offrir confort et sécurité, sans égard pour le schéma architectural mozabite  ? Une architecture qui a inspiré de grands maîtres comme Pouillon. On a vociféré contre les paysannes et leurs gros sabots, mais là c’est la pin-up et ses hauts talons dans une oasis. Ces murets ne sont rien d’autre que cela. Car les mécanismes de protection ne sont pas à Ghardaïa-ville. Ils sont en amont. En amont de l’oued M’zab, elles sont au nombre de trois. Deux digues sont en cours de réalisation et l’une d’elles a déjà sauvé le M’zab et fait l’objet de travaux de réfection, quasiment en phase de finition. Elle avait retenu, voilà deux ans, lors des crues du M’zab, pas moins de 20 millions de mètres cubes d’eau. C’est énorme et l’ouvrage est à la mesure de ses prétentions. Perchées en hauteur, deux digues sont quasiment voisines. Elle sont à l’extrémité de la vallée, là où peuvent s’amonceler les nuages, là où peut se déverser l’eau. Ainsi, on peut découvrir la digue sur son flanc nord et son flanc sud abritant déjà ce qui ressemble à un petit lac asséché. Quelques canards y barbotent et si ce n’était la lumière qui mirait outrageusement dans l’eau, on jurerait qu’il s’y trouve aussi deux outardes. La digue coupe en deux une esplanade désertique et caillouteuse.

    On devine l’eau qui va s’y accumuler en son versant nord. On en comprend les mécanismes et les trajectoires. La digue, érigée en autel dans cette étendue aride, reste dans la logique originelle de la vallée  : se constituer des remparts. Sans se fermer aux autres, les Mozabites sont au contraire très accueillants. Mais ils s’ouvrent avec parcimonie, il faut mûrir une relation comme la datte aux rayons du soleil. La maîtrise du sol, la connaissance du climat, l’appréhension de l’eau ont créé Ghardaïa. Et ces digues vont dans le prolongement de leur culture, contrairement à la berge au centre-ville. Loin des regards de la pentapole, les digues promettent prospérité et sécurité dans l’alcôve de la vallée et ses palmeraies. D’ailleurs, c’est ce qu’affirme M. Aït Amara, responsable au ministère des Ressources en eau  : « Cela va sécuriser définitivement la vallée. La première digue, qui a sauvé le M’zab, est achevée. La seconde devrait être réceptionnée en juin et la troisième sera prête pour septembre. Pour rappel, l’oued s’écoulait à 1200 m3 par seconde lors de la catastrophe de 2008. » Un débit exceptionnel qu’il est difficile d’imaginer.

    La digue est bien là, imposante et structurée. Elle a empêché que la catastrophe ne soit plus grande. Quelques oiseaux battent des ailes, perturbés, dans l’immensité d’une terre stérile que l’homme a apprivoisée d’un barrage. Quelques chalets sont en contrebas, à quelque deux kilomètres de la digue. Les murs sont hauts. Seuls quelques enfants s’invitent sur les terrasses. Insouciants des caprices du soleil qui ponctuent la vie dans le Sud, les enfants ont nargué la sieste que les adultes s’autorisent. Des mobiles posés dans ces structures précaires invitent les chérubins aux plaisirs de la balançoire et des jeux de filet. Rabougris par la chaleur, ils attendent un soleil plus clément. Si les murs dont s’est encerclée la ville n’ont d’intérêt ni pour l’homme ni pour le paysage, on s’étonne que la ville aux cinq pôles ait laissé cette intrusion se faire sans souci pour le génie architectural du coin. Mahfoud assure que les choses changent et que les Mozabites se réconcilient avec des activités qu’ils fuyaient alors. « Le Mozabite fuit l’administration car il craint les postes où la corruption peut s’infiltrer. Mais aujourd’hui, il a pris conscience qu’il est dans son intérêt d’intégrer certains rouages de l’Etat. Sans déni pour ce qu’il est ou pour ses principes. » Les jeunes Mozabites intègrent ainsi certaines branches d’activité qu’il n’était pas pensable d’exercer voilà une décennie. Le retour vers la ville est chaotique. Quelques palmiers se dressent çà et là. Les jardins sont épars en cette extrémité de la vallée et rivalisent avec l’ardeur du climat. La roche est dure. On peine à croire que les Mozabites ont défié les lois de la matière pour en faire jaillir des jardins aux multiples parfums. Il faut être Dieu ou le diable. Ou il faut être Mozabite.

    N. B. :

    Il y a aussi des anges au M’zab : un grand merci à celui qui a retrouvé mon portable. A celui qui l’a déposé dans une mosquée. Et à celui qui l’a amené jusqu’à moi. Je ne sais pas s’il s’agit d’une seule et même personne ou si c’est l’œuvre de plusieurs maillons d’une chaîne, mais cet esprit communautaire fait encore rêver une jeune personne comme moi, endeuillée par le sacre du matérialisme qui sévit dans nos grandes villes du Nord.

    Que l’altruisme et la bienveillance puissent toujours régner dans vos vallées reculées.


    Par Zineb A. Maiche, El Watan
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