Ould Souilem: le coup de poker de Rabat
ENQUÊTE. Pourquoi Madrid rechigne-t-elle à agréer cet ex-dirigeant du Polisario comme ambassadeur du Maroc en Espagne?
Entre le Maroc et l’Espagne, les choses ne sont jamais simples. Les relations bilatérales n’ont cessé de s’inscrire sous le signe de la passion réciproque, de la frilosité et de la susceptibilité à fleur de peau. Mais aussi d’une raison politique commandée par les intérêts bien compris des deux pays. C’est cette dimension-là qui a, finalement, toujours prévalu. Fort heureusement. Un signe d’intelligence du voisinage.
Et pourtant, avec l’Espagne, nous avons souvent été au bord de l’incident diplomatique. Nous n’en sommes pas loin, actuellement. Pourquoi donc? En apparence, les faits sont d’une simplicité désarmante. Depuis que Omar Azziman a été appelé, le 3 janvier 2010, à présider la Commission nationale de mise en œuvre de la régionalisation, le poste d’ambassadeur à Madrid est resté vacant.
Le Maroc a comblé ce vide, qui ne pouvait durer, en proposant Ahmeddou Ould Souilem à la représentation diplomatique du Maroc auprès du gouvernement espagnol. Cela fait plus de deux mois que Rabat attend un signal affirmatif au sujet de sa proposition. Il est vrai que le délai d’agrément, universellement reconnu, peut aller jusqu’à trois mois.
Une régularisation qui traîne
On s’en approche, un peu dangereusement. L’impression à Rabat est que cette régularisation traîne en longueur. Du coup, toutes les lectures sont permises, comme souvent en diplomatie. On se demande si cette attente, qui commence à ressembler à un blocage, n’est pas en rapport avec le parcours et la personnalité du nouvel ambassadeur marocain. Ahmeddou Ould Souilem n’est effectivement pas un inconnu au bataillon. Il est membre fondateur du Polisario, dont il a été le délégué résident dans des pays d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie.
De même qu’il a assumé des responsabilités dites stratégiques au sein de la fantomatique République arabe sahraouie démocratique (RASD), notamment en tant que ministre conseiller du président Mohamed Abdelaziz.
À l’intérieur même de nos provinces sahariennes, Ould Souilem jouit d’une notoriété indéniable en tant que Cheikh incontesté de la grande tribu des Oulad Dlim. Avec un palmarès pareil, Ould Souilem aurait pu continuer à mener une vie de farniente entre les résidences cossues du quartier El Biar d’Alger, les beaux voyages et quelques escapades éclairs dans les camps de Tindouf. Il a quand même choisi de quitter les rangs du Polisario, qui n’offrait aucune perspective d’avenir recevable; et de rentrer au Maroc, le 29 juillet 2009, pour continuer le combat, cette fois-ci, au service du droit de son pays à l’intégrité de son territoire.
Ould Souilem connaît l’Espagne, et l’Espagne connaît Ould Souilem. L’ancien dirigeant du Polisario a eu plus d’une occasion de rencontrer les officiels espagnols, précisément au sujet de la question du Sahara.
C’est donc un homme clé dans l’affaire du Sahara marocain, où l’Espagne est historiquement partie prenante, jusqu’au jour d’aujourd’hui. Il est de ce fait tout indiqué pour cette fonction. À moins que Madrid ne prenne ombrage de son itinéraire et du choix judicieux de l’État marocain.
Cheikh incontesté
Rabat avait mesuré le risque d’un éventuel pinaillage de la part de Madrid. Le nom du futur ambassadeur du Maroc n’a pas été rendu public. Relevant exclusivement des prérogatives de SM le Roi, le choix de Ould Souilem devait rester dans les circuits de la diplomatie confidentielle. Madrid en a décidé autrement, en livrant à Ignacio Cembrero, journaliste à “El Pais”, l’identité du prochain locataire de l’ambassade du Maroc. Une fuite organisée que “El Pais”, journal proche du pouvoir, a livrée dans son édition du vendredi 9 avril 2010, en laissant entendre que Madrid serait disposée à agréer le nouvel ambassadeur. Une opération qui a tout l’air d’un ballon d’essai destiné à jauger la réaction d’Alger. Ce petit jeu espagnol est malsain. Pire, il devient répétitif chaque fois qu’il s’agit de territoires marocains où l’ancienne puissance colonisatrice a eu une présence ou continue d’être présente de manière totalement anachronique.
Un jeu espagnol malsain
Après tout, des situations de ce genre, le Maroc en a connu d’autres avec l’Espagne. Il faut juste se souvenir que Rabat a dû rappeler son ambassadeur à Madrid, en novembre 2007, en guise de protestation contre la visite du Roi Juan Carlos dans les enclaves espagnoles de Melilia et Sebta, dans le Nord du Maroc. C’était la première fois que le Roi d’Espagne visitait ces deux villes, depuis son accession au trône, en novembre 1975. Cette visite avait suscité la colère du gouvernement et du peuple marocains. Car le Maroc n’a jamais cessé de considérer Sebta et Melilia comme partie intégrante de son territoire national. Quelques années plus tôt, en juillet 2002, l’Espagne avait mobilisé une armada navale pour déloger une douzaine de soldats marocains de l’îlot Leila, un rocher désert situé à moins de 200 m des côtes maritimes du Maroc. Une opération spectaculaire, plus que tout autre chose. À cela il faut ajouter, à titre de rappel, la chasse aux immigrés marocains, à El Ejido, en mars 2000.
Intérêt mutuel
Rien que ces épisodes notoires démontrent que les relations entre le Maroc et l’Espagne ont été souvent mises à l’épreuve, pratiquement sur le fil du rasoir. Mais ces mêmes relations ont tout de même évolué vers un léger mieux qui s’est constamment confirmé et raffermi. Depuis mars 2004, on est passé de la droite irascible d’un José Maria Aznar, dernier avatar du franquisme; à la gauche socialiste d’un José Luis Rodriguez Zapatero, volontiers coopératif. L’actuel Premier ministre espagnol a d’emblée compris qu’entre l’Espagne et le Maroc, c’est un compagnonnage à vie, sans rupture possible, malgré les vicissitudes de l’histoire et les pesanteurs des temps présents. Les rapports économiques entre les deux pays sont dans une embellie faite pour durer.
Des deux côtés du détroit, les autorités réciproques y tiennent et travaillent dans ce sens. Ce n’est pas par hasard que l’Espagne est; bon an, mal an; premier ou second investisseur au Maroc, avant ou juste derrière la France. De grands groupes espagnols tels Fadesa, Endesa ou Altadis ont beaucoup investi dans le tourisme, l’immobilier, les centrales électriques, la prospection pétrolière ou le tabac.
Dans ce beau tableau de bons procédés sur la base d’intérêts mutuels, il y a un hic exogène qui nous vient d’un voisin d’un autre type. En effet, chaque fois qu’il s’agit du Maroc, en général, ou du Sahara marocain, en particulier, dans les relations internationales, Alger sort de ses gonds, toutes griffes dehors.
Chantage algérien
L’arme du gaz est brandie à la face de ses interlocuteurs d’Outre-Méditerranée, avec le chéquier de commande de tout et de rien, comme argument massue. L’objectif est d’une redondance affligeante. Il s’agit de casser tout ce que le Maroc entreprend en matière de partenariat économique avec l’étranger et de facilitation de la communication par la diplomatie.
Il y a fort à parier que les gouvernants d’Alger se sont déjà emparés de l’affaire Ould Souilem pour faire pression sur le gouvernement espagnol.
Reste à savoir si Madrid saura tenir bon face au chantage du pouvoir algérien, qui voit le Polisario s’effriter jour après jour. La défection, combien significative, de Ahmeddou Ould Souilem a été ressentie par Abdelaziz et ses acolytes comme «un coup de poignard dans le dos, au mauvais moment». Elle a été reçue comme une gifle par les parrains algériens du Polisario. Elle est, apparemment, d’une gêne certaine pour Madrid, qui n’a cessé de louvoyer, depuis trente-cinq ans sur le dossier du Sahara. Il faut espérer que, ce coup-ci, l’Espagne assume enfin ses responsabilités, dans la clarté et le respect du droit des peuples à défendre l’intégrité de leurs territoires.
maroc hebdo
ENQUÊTE. Pourquoi Madrid rechigne-t-elle à agréer cet ex-dirigeant du Polisario comme ambassadeur du Maroc en Espagne?
Entre le Maroc et l’Espagne, les choses ne sont jamais simples. Les relations bilatérales n’ont cessé de s’inscrire sous le signe de la passion réciproque, de la frilosité et de la susceptibilité à fleur de peau. Mais aussi d’une raison politique commandée par les intérêts bien compris des deux pays. C’est cette dimension-là qui a, finalement, toujours prévalu. Fort heureusement. Un signe d’intelligence du voisinage.
Et pourtant, avec l’Espagne, nous avons souvent été au bord de l’incident diplomatique. Nous n’en sommes pas loin, actuellement. Pourquoi donc? En apparence, les faits sont d’une simplicité désarmante. Depuis que Omar Azziman a été appelé, le 3 janvier 2010, à présider la Commission nationale de mise en œuvre de la régionalisation, le poste d’ambassadeur à Madrid est resté vacant.
Le Maroc a comblé ce vide, qui ne pouvait durer, en proposant Ahmeddou Ould Souilem à la représentation diplomatique du Maroc auprès du gouvernement espagnol. Cela fait plus de deux mois que Rabat attend un signal affirmatif au sujet de sa proposition. Il est vrai que le délai d’agrément, universellement reconnu, peut aller jusqu’à trois mois.
Une régularisation qui traîne
On s’en approche, un peu dangereusement. L’impression à Rabat est que cette régularisation traîne en longueur. Du coup, toutes les lectures sont permises, comme souvent en diplomatie. On se demande si cette attente, qui commence à ressembler à un blocage, n’est pas en rapport avec le parcours et la personnalité du nouvel ambassadeur marocain. Ahmeddou Ould Souilem n’est effectivement pas un inconnu au bataillon. Il est membre fondateur du Polisario, dont il a été le délégué résident dans des pays d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie.
De même qu’il a assumé des responsabilités dites stratégiques au sein de la fantomatique République arabe sahraouie démocratique (RASD), notamment en tant que ministre conseiller du président Mohamed Abdelaziz.
À l’intérieur même de nos provinces sahariennes, Ould Souilem jouit d’une notoriété indéniable en tant que Cheikh incontesté de la grande tribu des Oulad Dlim. Avec un palmarès pareil, Ould Souilem aurait pu continuer à mener une vie de farniente entre les résidences cossues du quartier El Biar d’Alger, les beaux voyages et quelques escapades éclairs dans les camps de Tindouf. Il a quand même choisi de quitter les rangs du Polisario, qui n’offrait aucune perspective d’avenir recevable; et de rentrer au Maroc, le 29 juillet 2009, pour continuer le combat, cette fois-ci, au service du droit de son pays à l’intégrité de son territoire.
Ould Souilem connaît l’Espagne, et l’Espagne connaît Ould Souilem. L’ancien dirigeant du Polisario a eu plus d’une occasion de rencontrer les officiels espagnols, précisément au sujet de la question du Sahara.
C’est donc un homme clé dans l’affaire du Sahara marocain, où l’Espagne est historiquement partie prenante, jusqu’au jour d’aujourd’hui. Il est de ce fait tout indiqué pour cette fonction. À moins que Madrid ne prenne ombrage de son itinéraire et du choix judicieux de l’État marocain.
Cheikh incontesté
Rabat avait mesuré le risque d’un éventuel pinaillage de la part de Madrid. Le nom du futur ambassadeur du Maroc n’a pas été rendu public. Relevant exclusivement des prérogatives de SM le Roi, le choix de Ould Souilem devait rester dans les circuits de la diplomatie confidentielle. Madrid en a décidé autrement, en livrant à Ignacio Cembrero, journaliste à “El Pais”, l’identité du prochain locataire de l’ambassade du Maroc. Une fuite organisée que “El Pais”, journal proche du pouvoir, a livrée dans son édition du vendredi 9 avril 2010, en laissant entendre que Madrid serait disposée à agréer le nouvel ambassadeur. Une opération qui a tout l’air d’un ballon d’essai destiné à jauger la réaction d’Alger. Ce petit jeu espagnol est malsain. Pire, il devient répétitif chaque fois qu’il s’agit de territoires marocains où l’ancienne puissance colonisatrice a eu une présence ou continue d’être présente de manière totalement anachronique.
Un jeu espagnol malsain
Après tout, des situations de ce genre, le Maroc en a connu d’autres avec l’Espagne. Il faut juste se souvenir que Rabat a dû rappeler son ambassadeur à Madrid, en novembre 2007, en guise de protestation contre la visite du Roi Juan Carlos dans les enclaves espagnoles de Melilia et Sebta, dans le Nord du Maroc. C’était la première fois que le Roi d’Espagne visitait ces deux villes, depuis son accession au trône, en novembre 1975. Cette visite avait suscité la colère du gouvernement et du peuple marocains. Car le Maroc n’a jamais cessé de considérer Sebta et Melilia comme partie intégrante de son territoire national. Quelques années plus tôt, en juillet 2002, l’Espagne avait mobilisé une armada navale pour déloger une douzaine de soldats marocains de l’îlot Leila, un rocher désert situé à moins de 200 m des côtes maritimes du Maroc. Une opération spectaculaire, plus que tout autre chose. À cela il faut ajouter, à titre de rappel, la chasse aux immigrés marocains, à El Ejido, en mars 2000.
Intérêt mutuel
Rien que ces épisodes notoires démontrent que les relations entre le Maroc et l’Espagne ont été souvent mises à l’épreuve, pratiquement sur le fil du rasoir. Mais ces mêmes relations ont tout de même évolué vers un léger mieux qui s’est constamment confirmé et raffermi. Depuis mars 2004, on est passé de la droite irascible d’un José Maria Aznar, dernier avatar du franquisme; à la gauche socialiste d’un José Luis Rodriguez Zapatero, volontiers coopératif. L’actuel Premier ministre espagnol a d’emblée compris qu’entre l’Espagne et le Maroc, c’est un compagnonnage à vie, sans rupture possible, malgré les vicissitudes de l’histoire et les pesanteurs des temps présents. Les rapports économiques entre les deux pays sont dans une embellie faite pour durer.
Des deux côtés du détroit, les autorités réciproques y tiennent et travaillent dans ce sens. Ce n’est pas par hasard que l’Espagne est; bon an, mal an; premier ou second investisseur au Maroc, avant ou juste derrière la France. De grands groupes espagnols tels Fadesa, Endesa ou Altadis ont beaucoup investi dans le tourisme, l’immobilier, les centrales électriques, la prospection pétrolière ou le tabac.
Dans ce beau tableau de bons procédés sur la base d’intérêts mutuels, il y a un hic exogène qui nous vient d’un voisin d’un autre type. En effet, chaque fois qu’il s’agit du Maroc, en général, ou du Sahara marocain, en particulier, dans les relations internationales, Alger sort de ses gonds, toutes griffes dehors.
Chantage algérien
L’arme du gaz est brandie à la face de ses interlocuteurs d’Outre-Méditerranée, avec le chéquier de commande de tout et de rien, comme argument massue. L’objectif est d’une redondance affligeante. Il s’agit de casser tout ce que le Maroc entreprend en matière de partenariat économique avec l’étranger et de facilitation de la communication par la diplomatie.
Il y a fort à parier que les gouvernants d’Alger se sont déjà emparés de l’affaire Ould Souilem pour faire pression sur le gouvernement espagnol.
Reste à savoir si Madrid saura tenir bon face au chantage du pouvoir algérien, qui voit le Polisario s’effriter jour après jour. La défection, combien significative, de Ahmeddou Ould Souilem a été ressentie par Abdelaziz et ses acolytes comme «un coup de poignard dans le dos, au mauvais moment». Elle a été reçue comme une gifle par les parrains algériens du Polisario. Elle est, apparemment, d’une gêne certaine pour Madrid, qui n’a cessé de louvoyer, depuis trente-cinq ans sur le dossier du Sahara. Il faut espérer que, ce coup-ci, l’Espagne assume enfin ses responsabilités, dans la clarté et le respect du droit des peuples à défendre l’intégrité de leurs territoires.
maroc hebdo
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