Par Laurent Sacco, Futura-Sciences
Il y a presque un mois, le LHC partait enfin à la recherche du boson de Higgs et de signatures d’une physique au-delà du modèle standard en étudiant les produits des collisions entre deux faisceaux de protons à des énergies de 7 TeV. Ce fut l’occasion pour Futura-Sciences de demander à deux des chercheurs alors présents au Cern, Jessica Leveque et Alexandre Zabi, quelles étaient selon eux les perspectives de découvertes pour l’année 2010 et au-delà.
C’est la troisième fois que je me retrouve au Cern en moins de deux ans. Il faut dire que les grands événements s’y multiplient... Il y eut d’abord la journée historique des premiers faisceaux du LHC, le 10 septembre 2008. A l’époque, beaucoup, sans doute, pensaient que les premières collisions se produiraient dans les semaines suivantes et que la machine la plus complexe du monde pourrait enfin explorer de nouveaux plans de la structure du Cosmos au cours de l’année 2009. On sait qu’il n’en fut rien en raison de l’accident dû à des connexions défectueuses entre des aimants supraconducteurs qui se produisit peu de temps après, contraignant les chercheurs à réexaminer le LHC et à revoir le calendrier des expériences.
Le début de décembre 2009 fut aussi un grand moment en raison de la présence au Cern de plusieurs des architectes du modèle standard des particules élémentaires. Pas moins de 12 prix Nobel de physique étaient en effet réunis pour les 50 ans du Proton Synchroton (PS). Les happy fews présents pouvaient alors côtoyer sans problème des expérimentateurs de la classe de Leon Lederman ou des théoriciens de génie comme Geradus ‘t Hooft.
Le 30 mars 2010 promettait lui aussi d’être un jour à marquer d’une pierre blanche. Le LHC allait produire des collisions à des énergies encore jamais atteintes et le Large Hadron Collider allait enfin servir à ce pour quoi il avait été conçu : faire de la physique des particules élémentaires.
Peut-être d’ailleurs ne se limitera-t-il pas à cela. Depuis 40 ans, les liens entre physique de l’infiniment petit et physique de l’infiniment grand ne cessent de se resserrer. A défaut de recréer le Big Bang, les collisions du LHC vont recréer certains des processus physiques entre particules élémentaires et champs quantiques s’étant produits moins d’un milliardième de seconde après le début de l’Univers observable, il y a presque 13,75 milliards d’années, comme nous l’a récemment appris WMap.
Etrange sensation que de se retrouver poussières d’étoiles et au bout du processus évolutif d'une biosphère, prêt à se pencher sur les forces et les énergies à l’œuvre au début du monde, avant que n’existent ni galaxies, ni étoiles et pas même des atomes. D’inévitables questions philosophiques traversent mon esprit qui me ramènent au colloque de Lyon pendant lequel des cosmologistes, des physiciens et des philosophes se sont rencontrés en octobre 2009.
Nous somme plusieurs à nous trouver sur place vers 6 heures du matin. Les choses se présentaient tellement bien que la veille au soir, les physiciens et ingénieurs du LHC nous avaient prévenu que les premières collisions pouvaient se produire dès 7 heures. A notre arrivée, on nous apprend qu’il faudra en fait patienter probablement deux heures.
J’ai suffisamment suivi, les jours précédents, l’état des faisceaux en direct sur le site du Cern pour savoir que ce genre d’incident est normal…mais pour deviner aussi que les collisions ne se produiront pas avant au moins le double du temps estimé.
Une visite à Atlas
Quoiqu'il arrive, des navettes sont à la disposition des invités pour se rendre dans les bâtiments abritant les quatre expériences principales du LHC. Ayant déjà visité Alice en 2008, je décide de me rendre dans le batiment surplombant la caverne d’Atlas. Sur place, il est possible de discuter avec plusieurs des chercheurs engagés dans les expériences. Je fais ainsi la connaissance de Jessica Leveque.
Cette physicienne du CNRS est en poste au Centre de physique des particules de Marseille (CPPM). Son sujet de thèse portait sur la détection du boson de Higgs avec le détecteur Atlas et elle a effectué un postdoc aux Etats-Unis, où elle a travaillé sur la physique du quark top au Tevatron.
Interrogée sur la perspective de découvrir rapidement le Higgs au LHC, elle me répond qu’il est difficile de donner une date précise, même si certains pensent que ce ne sera pas possible avant 2012. Cela peut sembler étrange étant donné que le LHC est en mesure de faire des collisions à des énergies qui sont non seulement supérieures à celle du Tevatron mais aussi à celles que l’on peut associer à l’ensemble des masses possibles du boson de Higgs… Mais il n’en est rien.
En effet, le taux de production d’un boson de Higgs, lors de collisions entre protons, est vraiment très faible. Il faut donc réaliser un très grand nombre de collisions par seconde pour avoir la chance d’en observer un en un temps plus court que celui d’une vie humaine.
Découvrir le boson de Higgs n’est donc pas simplement une question d’obtention d’une énergie suffisamment élevée pour des faisceaux de particules mais aussi de ce que les physiciens appellent dans leur jargon la luminosité des faisceaux.
Le concept de luminosité n’est pas difficile à saisir. On peut le voir comme l’intensité d’un courant, d’un flux de particules traversant une surface donnée. De la même façon qu’une pause pour obtenir une image nette doit être d’autant plus longue que la lumière et le flux de photons est plus faible, on comprend que découvrir de façon indubitable un signal net lié à l’existence du boson de Higgs nécessite une luminosité pour les faisceaux de protons la plus élevée possible.
Dans le cas du Tevatron, dont la luminosité est pourtant très grande, le temps de pause, le temps d’accumulation d’une statistique suffisante toujours dans le jargon du métier, n’a pas encore permis d'obtenir une image trahissant l’existence du boson de Higgs. A terme, le LHC sera capable de performances supérieures à celles du Tevatron. On peut même dire qu’il a été conçu précisément pour découvrir le boson de Higgs, mais, pour le moment, sa luminosité est encore bien faible.
Combien pèse un Higgs ?
Deux paramètres doivent être pris en compte pour estimer en combien de temps le boson de Higgs pourrait être découvert…et ils sont tous les deux inconnus !
Le premier est la masse du boson de Higgs. Selon sa valeur, certaines réactions de désintégrations sont plus probables que d’autres mais elles peuvent aussi être plus difficiles à observer car le bruit de fond de production d’autres particules connues peut noyer le signal. On sait ainsi que, paradoxalement, un Higgs léger, de l’ordre de 120 à 130 GeV, est plus difficile à découvrir qu’un Higgs de plus de 150 GeV. Le second est lié au LHC lui-même. Combien de temps faudra-t-il pour qu'il fonctionne avec une luminosité importante ? Si elle reste faible durant des mois, une possible découverte de la particule de Peter Higgs sera retardée d'autant.
Jessica Leveque m’explique aussi que pendant plusieurs mois encore, le LHC ne fera que redécouvrir les particules du modèle standard (MS).
C’est une étape nécessaire car, devant la complexité de détecteurs comme Atlas ou CMS, il faut s’assurer qu'ils fonctionnent bien et sont capables de mesurer, avec toute l’exactitude nécessaire, les masses et les charges des particules pour en permettre l’identification. Faute de quoi, des biais pourraient s’introduire, faisant croire, faussement, à la découverte de nouvelles particules. Ensuite seulement, les chercheurs pourront partir vraiment à la recherche d’une nouvelle physique au-delà du modèle standard.
L'hypothétique boson Z'
La physicienne elle-même se concentre depuis quelque temps sur une physique exotique bien particulière, celle des bosons Z’, des cousins du boson Z du modèle des interactions électrofaibles de Glashow-Salam-Weinberg.
En fait, l’existence d’une particule analogue au boson Z’ et même capable, dans certains cas, de se coupler au boson Z, émerge naturellement d’un très grand nombre de modèles faisant intervenir une physique au-delà du modèle standard. Jessica Leveque mentionne en particulier le cas des extensions supersymétriques du modèle standard. Elle ajoute même qu’il est tout à fait possible qu’Atlas découvre un boson Z’ dès 2010 !
C’est une possibilité vraiment fascinante car on ne trouve pas seulement des bosons de ce genre dans le cadre de simples extensions supersymétriques du modèle standard. Certains modèles de Grande Unification (GUT) faisant intervenir des groupes de symétries comme SO(10) ou E6, un cousin du très médiatique groupe de Lie E8, impliquent l’existence d’un boson Z ’ dont la masse est de l’ordre du TeV.
Or, dans le cadre des théories de type GUT, et même des supercordes, faisant intervenir ces groupes de symétrie, la majorité des prédictions au-delà du MS faisaient plutôt intervenir de nouvelles particules à des énergies de l’ordre de 1016 et même 1019 GeV, clairement hors de portée du LHC avec ses 7.000 GeV actuels. Pour prendre toute la mesure de la taille de l’accélérateur qu’il faudrait construire pour sonder de pareilles énergies, il suffit de dire qu’il devrait avoir le diamètre de la Voie lactée, 100.000 années-lumière.
Il y a presque un mois, le LHC partait enfin à la recherche du boson de Higgs et de signatures d’une physique au-delà du modèle standard en étudiant les produits des collisions entre deux faisceaux de protons à des énergies de 7 TeV. Ce fut l’occasion pour Futura-Sciences de demander à deux des chercheurs alors présents au Cern, Jessica Leveque et Alexandre Zabi, quelles étaient selon eux les perspectives de découvertes pour l’année 2010 et au-delà.
C’est la troisième fois que je me retrouve au Cern en moins de deux ans. Il faut dire que les grands événements s’y multiplient... Il y eut d’abord la journée historique des premiers faisceaux du LHC, le 10 septembre 2008. A l’époque, beaucoup, sans doute, pensaient que les premières collisions se produiraient dans les semaines suivantes et que la machine la plus complexe du monde pourrait enfin explorer de nouveaux plans de la structure du Cosmos au cours de l’année 2009. On sait qu’il n’en fut rien en raison de l’accident dû à des connexions défectueuses entre des aimants supraconducteurs qui se produisit peu de temps après, contraignant les chercheurs à réexaminer le LHC et à revoir le calendrier des expériences.
Le début de décembre 2009 fut aussi un grand moment en raison de la présence au Cern de plusieurs des architectes du modèle standard des particules élémentaires. Pas moins de 12 prix Nobel de physique étaient en effet réunis pour les 50 ans du Proton Synchroton (PS). Les happy fews présents pouvaient alors côtoyer sans problème des expérimentateurs de la classe de Leon Lederman ou des théoriciens de génie comme Geradus ‘t Hooft.
Le 30 mars 2010 promettait lui aussi d’être un jour à marquer d’une pierre blanche. Le LHC allait produire des collisions à des énergies encore jamais atteintes et le Large Hadron Collider allait enfin servir à ce pour quoi il avait été conçu : faire de la physique des particules élémentaires.
Peut-être d’ailleurs ne se limitera-t-il pas à cela. Depuis 40 ans, les liens entre physique de l’infiniment petit et physique de l’infiniment grand ne cessent de se resserrer. A défaut de recréer le Big Bang, les collisions du LHC vont recréer certains des processus physiques entre particules élémentaires et champs quantiques s’étant produits moins d’un milliardième de seconde après le début de l’Univers observable, il y a presque 13,75 milliards d’années, comme nous l’a récemment appris WMap.
Etrange sensation que de se retrouver poussières d’étoiles et au bout du processus évolutif d'une biosphère, prêt à se pencher sur les forces et les énergies à l’œuvre au début du monde, avant que n’existent ni galaxies, ni étoiles et pas même des atomes. D’inévitables questions philosophiques traversent mon esprit qui me ramènent au colloque de Lyon pendant lequel des cosmologistes, des physiciens et des philosophes se sont rencontrés en octobre 2009.
Nous somme plusieurs à nous trouver sur place vers 6 heures du matin. Les choses se présentaient tellement bien que la veille au soir, les physiciens et ingénieurs du LHC nous avaient prévenu que les premières collisions pouvaient se produire dès 7 heures. A notre arrivée, on nous apprend qu’il faudra en fait patienter probablement deux heures.
J’ai suffisamment suivi, les jours précédents, l’état des faisceaux en direct sur le site du Cern pour savoir que ce genre d’incident est normal…mais pour deviner aussi que les collisions ne se produiront pas avant au moins le double du temps estimé.
Une visite à Atlas
Quoiqu'il arrive, des navettes sont à la disposition des invités pour se rendre dans les bâtiments abritant les quatre expériences principales du LHC. Ayant déjà visité Alice en 2008, je décide de me rendre dans le batiment surplombant la caverne d’Atlas. Sur place, il est possible de discuter avec plusieurs des chercheurs engagés dans les expériences. Je fais ainsi la connaissance de Jessica Leveque.
Cette physicienne du CNRS est en poste au Centre de physique des particules de Marseille (CPPM). Son sujet de thèse portait sur la détection du boson de Higgs avec le détecteur Atlas et elle a effectué un postdoc aux Etats-Unis, où elle a travaillé sur la physique du quark top au Tevatron.
Interrogée sur la perspective de découvrir rapidement le Higgs au LHC, elle me répond qu’il est difficile de donner une date précise, même si certains pensent que ce ne sera pas possible avant 2012. Cela peut sembler étrange étant donné que le LHC est en mesure de faire des collisions à des énergies qui sont non seulement supérieures à celle du Tevatron mais aussi à celles que l’on peut associer à l’ensemble des masses possibles du boson de Higgs… Mais il n’en est rien.
En effet, le taux de production d’un boson de Higgs, lors de collisions entre protons, est vraiment très faible. Il faut donc réaliser un très grand nombre de collisions par seconde pour avoir la chance d’en observer un en un temps plus court que celui d’une vie humaine.
Découvrir le boson de Higgs n’est donc pas simplement une question d’obtention d’une énergie suffisamment élevée pour des faisceaux de particules mais aussi de ce que les physiciens appellent dans leur jargon la luminosité des faisceaux.
Le concept de luminosité n’est pas difficile à saisir. On peut le voir comme l’intensité d’un courant, d’un flux de particules traversant une surface donnée. De la même façon qu’une pause pour obtenir une image nette doit être d’autant plus longue que la lumière et le flux de photons est plus faible, on comprend que découvrir de façon indubitable un signal net lié à l’existence du boson de Higgs nécessite une luminosité pour les faisceaux de protons la plus élevée possible.
Dans le cas du Tevatron, dont la luminosité est pourtant très grande, le temps de pause, le temps d’accumulation d’une statistique suffisante toujours dans le jargon du métier, n’a pas encore permis d'obtenir une image trahissant l’existence du boson de Higgs. A terme, le LHC sera capable de performances supérieures à celles du Tevatron. On peut même dire qu’il a été conçu précisément pour découvrir le boson de Higgs, mais, pour le moment, sa luminosité est encore bien faible.
Combien pèse un Higgs ?
Deux paramètres doivent être pris en compte pour estimer en combien de temps le boson de Higgs pourrait être découvert…et ils sont tous les deux inconnus !
Le premier est la masse du boson de Higgs. Selon sa valeur, certaines réactions de désintégrations sont plus probables que d’autres mais elles peuvent aussi être plus difficiles à observer car le bruit de fond de production d’autres particules connues peut noyer le signal. On sait ainsi que, paradoxalement, un Higgs léger, de l’ordre de 120 à 130 GeV, est plus difficile à découvrir qu’un Higgs de plus de 150 GeV. Le second est lié au LHC lui-même. Combien de temps faudra-t-il pour qu'il fonctionne avec une luminosité importante ? Si elle reste faible durant des mois, une possible découverte de la particule de Peter Higgs sera retardée d'autant.
Jessica Leveque m’explique aussi que pendant plusieurs mois encore, le LHC ne fera que redécouvrir les particules du modèle standard (MS).
C’est une étape nécessaire car, devant la complexité de détecteurs comme Atlas ou CMS, il faut s’assurer qu'ils fonctionnent bien et sont capables de mesurer, avec toute l’exactitude nécessaire, les masses et les charges des particules pour en permettre l’identification. Faute de quoi, des biais pourraient s’introduire, faisant croire, faussement, à la découverte de nouvelles particules. Ensuite seulement, les chercheurs pourront partir vraiment à la recherche d’une nouvelle physique au-delà du modèle standard.
L'hypothétique boson Z'
La physicienne elle-même se concentre depuis quelque temps sur une physique exotique bien particulière, celle des bosons Z’, des cousins du boson Z du modèle des interactions électrofaibles de Glashow-Salam-Weinberg.
En fait, l’existence d’une particule analogue au boson Z’ et même capable, dans certains cas, de se coupler au boson Z, émerge naturellement d’un très grand nombre de modèles faisant intervenir une physique au-delà du modèle standard. Jessica Leveque mentionne en particulier le cas des extensions supersymétriques du modèle standard. Elle ajoute même qu’il est tout à fait possible qu’Atlas découvre un boson Z’ dès 2010 !
C’est une possibilité vraiment fascinante car on ne trouve pas seulement des bosons de ce genre dans le cadre de simples extensions supersymétriques du modèle standard. Certains modèles de Grande Unification (GUT) faisant intervenir des groupes de symétries comme SO(10) ou E6, un cousin du très médiatique groupe de Lie E8, impliquent l’existence d’un boson Z ’ dont la masse est de l’ordre du TeV.
Or, dans le cadre des théories de type GUT, et même des supercordes, faisant intervenir ces groupes de symétrie, la majorité des prédictions au-delà du MS faisaient plutôt intervenir de nouvelles particules à des énergies de l’ordre de 1016 et même 1019 GeV, clairement hors de portée du LHC avec ses 7.000 GeV actuels. Pour prendre toute la mesure de la taille de l’accélérateur qu’il faudrait construire pour sonder de pareilles énergies, il suffit de dire qu’il devrait avoir le diamètre de la Voie lactée, 100.000 années-lumière.
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