Crise. Maroc-Espagne, rien ne va plus
Les deux pays se tournent désormais le dos et démarrent un nouveau chapitre,
plus tendu que jamais, dans leurs relations bilatérales. Le point.
Il y a quelques semaines, le général Abdelaziz Bennani était en Espagne. Le haut gradé marocain y a rencontré ses homologues ibériques, mais leurs sujets de discussion sont évidemment restés secrets. Le général marocain aurait même assisté à des manœuvres militaires communes, confirmant ainsi la solidité des relations entre les états-majors des deux royaumes voisins. “A la limite, les liens qui existent entre les deux armées, marocaine et espagnole, sont plus forts que ceux qui unissent les deux gouvernements, voire les deux familles régnantes”, déclare l’universitaire espagnol Bernabe Lopez Garcia dans les colonnes de Akhbar Al Youm, le 15 avril dernier. Plutôt étrange pour deux armées, hier encore ennemies jurées et qui se sont livré tant de batailles. “Les armées des deux pays ne se sont en fait véritablement connues qu’à partir de 2004, date à laquelle le Maroc est devenu un allié stratégique de l’OTAN, précise Nabil Driouch, spécialiste des relations entre le Maroc et l’Espagne. Avant cette date, poursuit-il, l’armée espagnole était surtout connue, du côté marocain, pour son occupation de Sebta et de Melilia. Les Espagnols, quant à eux, n’avaient jamais oublié l’humiliation subie par leurs troupes en 1975, au moment de la Marche verte”. Mais cette entente militaire cache assez mal le froid des relations politiques entre Rabat et Madrid et ce, depuis quelques mois déjà. “Vu d’Espagne, explique Nabil Driouch, on se rend assez vite compte que la lune de miel entre les deux capitales est bel et bien finie. En proposant Ahmedou Ould Souilem comme ambassadeur à Madrid (voir encadré), le Maroc franchit un pas qu’il n’aurait pas osé en temps normal. D’ailleurs, des sources diplomatiques espagnoles ont récemment déclaré avoir accepté l’accréditation de l’ancien responsable du Polisario, mais sans enthousiasme. Ils considèrent cela comme une provocation”. Autant dire que nous sommes aujourd’hui à des années lumières de l’enthousiasme qui avait accompagné l’accession du socialiste José Luis Rodriguez Zapatero au palais de la Moncloa, siège du gouvernement espagnol.
Provocations espagnoles
Nous sommes en mars 2004 et le jeune dirigeant du PSOE (44 ans) succède à Jose Maria Aznar. Les officiels marocains respirent. “Le Maroc a depuis toujours eu de très bonnes relations avec les socialistes espagnols, contrairement à leurs collègues de droite. N’oublions qu’avec Aznar, les deux pays ont frôlé la confrontation militaire à cause de l’îlot Leïla”, rappelle ce journaliste ibérique. Dans la foulée, le Maroc nomme un nouvel ambassadeur à Madrid. Et là encore, le choix n’est pas anodin. Omar Azziman est en effet l’un des hommes de confiance de Mohammed VI, en plus d’être un fin connaisseur des relations maroco-espagnoles. “Sa nomination à Madrid était révélatrice d’une volonté marocaine d’aller de l’avant, de dépasser les erreurs du passé, d’un côté comme de l’autre. Et cela a plutôt bien fonctionné puisque les échanges entre les deux pays, tout comme les visites d’officiels ou d’hommes d’affaires, se sont multipliés”, analyse Nabil Driouch. Mais à l’automne 2007, des nuages, noirs et épais, planent de nouveau sur les relations maroco-espagnoles. Pour la première fois depuis 1975, le roi et la reine d’Espagne effectuent une visite officielle à Sebta et Melilia, enclaves marocaines occupées par l’Espagne. Mohammed VI est furieux. Il rappelle son ambassadeur à Madrid “pour une durée indéterminée”. La provocation espagnole ne passe décidément pas. “C’est à ce moment précis, commente un observateur, que le royaume s’est rendu compte que Zapatero l’utilisait comme une carte électorale. A partir de cet incident, le Maroc a compris qu’il était dangereux de signer un chèque en blanc aux socialistes espagnols. Que tous ne s’appelaient pas Felipe Gonzales, grand ami de Hassan II”. Finalement, Azziman restera deux mois à Rabat. A son retour en poste, il accorde une interview incendiaire à un quotidien catalan. Il y affirme (en substance) que “désormais, tous les dossiers devront être traités. Sinon, je n’aurai plus rien à faire ici”. Azziman faisait ainsi allusion à l’occupation de Sebta et de Melilia, dossier mis en veilleuse par le Maroc lors de l’élection de Zapatero. “A partir de 2007, tout le milieu diplomatique madrilène savait Azziman sur le départ. Le Maroc avait réalisé qu’il ne pouvait rien attendre du gouvernement de Zapatero, otage d’une opinion publique hostile au Maroc. Le royaume s’est en fait rendu compte qu’il a beaucoup donné sans rien recevoir en contrepartie, sinon une grosse provocation de la part du roi et de la reine espagnols”, souligne Nabil Driouch. Une crise de confiance s’installe entre les deux pays.
Guerre économique ?
Fin 2009, une nouvelle affaire envenime davantage les relations entre Rabat et Madrid. L’Espagne entière se mobilise pour le retour de la militante sahraouie Aminatou Haïdar chez elle, à Laâyoune. En coulisses, les responsables ibériques essayent même de porter l’affaire devant la Commission européenne mais la France fait barrage. Aux USA, Hilary Clinton (grande amie du Maroc) intervient discrètement. L’affaire est finalement réglée sans trop de dégâts. “L’incident Aminatou Haïdar a conforté les responsables marocains dans leurs positions. Ils ont compris que leurs vrais alliés étaient la France et les Etats-Unis. Et que l’Espagne, même socialiste, était au mieux imprévisible, au pire hostile aux intérêts du pays”, relève Nabil Driouch. Entre temps, le Maroc accède au statut avancé avec l’Union européenne. Bruxelles dame ainsi définitivement le pion à Madrid. Sur le terrain, le royaume chérifien gêne de plus en plus son voisin du Nord. Le port de Tanger Med concurrence sérieusement certains ports espagnols, en plus d’étouffer économiquement la ville de Sebta. Plus au sud, Mohammed VI lance la construction d’une grande base navale qui préoccupe sérieusement les officiels espagnols. Et pour ne rien arranger, le pays de Juan Carlos est terrassé par une grave crise économique qui met à mal le fameux modèle économique espagnol. “En fait, conclut Nabil Driouch, le Maroc a toujours eu des relations fluctuantes avec l’Espagne. Elles dépendaient souvent de la couleur du parti au pouvoir. Aujourd’hui, on a l’impression que le pays ambitionne de bâtir des relations d’Etat à Etat, ce qui est plus serein et plus logique”. Dans quelques semaines, Ould Souilem devrait rejoindre son poste à Madrid. Une page est décidément tournée dans la relation entre les deux pays.
Diplomatie. Un sahraoui à Madrid
L’Espagne a longtemps hésité avant d’accepter l’accréditation de Ahmeddou Ould Souilem en tant qu’ambassadeur du Maroc à Madrid. Il y a encore quelques mois, l’homme était l’un des conseillers les plus écoutés de Mohamed Abdelaziz, chef du Front Polisario. “En le proposant à Madrid, explique un observateur, le Maroc gêne fortement l’Espagne, plaque tournante du mouvement indépendantiste en Europe. Cette dernière aura ainsi affaire à un grand connaisseur du Polisario et de ses limites”. Lors d’une interview accordée à un journal espagnol, Taïeb Fassi Fihri avait expliqué que “le Sahara était le thermomètre des relations entre le Maroc et l’Espagne”. Cela n’a jamais été aussi vrai.
TEL QUEL
Les deux pays se tournent désormais le dos et démarrent un nouveau chapitre,
plus tendu que jamais, dans leurs relations bilatérales. Le point.
Il y a quelques semaines, le général Abdelaziz Bennani était en Espagne. Le haut gradé marocain y a rencontré ses homologues ibériques, mais leurs sujets de discussion sont évidemment restés secrets. Le général marocain aurait même assisté à des manœuvres militaires communes, confirmant ainsi la solidité des relations entre les états-majors des deux royaumes voisins. “A la limite, les liens qui existent entre les deux armées, marocaine et espagnole, sont plus forts que ceux qui unissent les deux gouvernements, voire les deux familles régnantes”, déclare l’universitaire espagnol Bernabe Lopez Garcia dans les colonnes de Akhbar Al Youm, le 15 avril dernier. Plutôt étrange pour deux armées, hier encore ennemies jurées et qui se sont livré tant de batailles. “Les armées des deux pays ne se sont en fait véritablement connues qu’à partir de 2004, date à laquelle le Maroc est devenu un allié stratégique de l’OTAN, précise Nabil Driouch, spécialiste des relations entre le Maroc et l’Espagne. Avant cette date, poursuit-il, l’armée espagnole était surtout connue, du côté marocain, pour son occupation de Sebta et de Melilia. Les Espagnols, quant à eux, n’avaient jamais oublié l’humiliation subie par leurs troupes en 1975, au moment de la Marche verte”. Mais cette entente militaire cache assez mal le froid des relations politiques entre Rabat et Madrid et ce, depuis quelques mois déjà. “Vu d’Espagne, explique Nabil Driouch, on se rend assez vite compte que la lune de miel entre les deux capitales est bel et bien finie. En proposant Ahmedou Ould Souilem comme ambassadeur à Madrid (voir encadré), le Maroc franchit un pas qu’il n’aurait pas osé en temps normal. D’ailleurs, des sources diplomatiques espagnoles ont récemment déclaré avoir accepté l’accréditation de l’ancien responsable du Polisario, mais sans enthousiasme. Ils considèrent cela comme une provocation”. Autant dire que nous sommes aujourd’hui à des années lumières de l’enthousiasme qui avait accompagné l’accession du socialiste José Luis Rodriguez Zapatero au palais de la Moncloa, siège du gouvernement espagnol.
Provocations espagnoles
Nous sommes en mars 2004 et le jeune dirigeant du PSOE (44 ans) succède à Jose Maria Aznar. Les officiels marocains respirent. “Le Maroc a depuis toujours eu de très bonnes relations avec les socialistes espagnols, contrairement à leurs collègues de droite. N’oublions qu’avec Aznar, les deux pays ont frôlé la confrontation militaire à cause de l’îlot Leïla”, rappelle ce journaliste ibérique. Dans la foulée, le Maroc nomme un nouvel ambassadeur à Madrid. Et là encore, le choix n’est pas anodin. Omar Azziman est en effet l’un des hommes de confiance de Mohammed VI, en plus d’être un fin connaisseur des relations maroco-espagnoles. “Sa nomination à Madrid était révélatrice d’une volonté marocaine d’aller de l’avant, de dépasser les erreurs du passé, d’un côté comme de l’autre. Et cela a plutôt bien fonctionné puisque les échanges entre les deux pays, tout comme les visites d’officiels ou d’hommes d’affaires, se sont multipliés”, analyse Nabil Driouch. Mais à l’automne 2007, des nuages, noirs et épais, planent de nouveau sur les relations maroco-espagnoles. Pour la première fois depuis 1975, le roi et la reine d’Espagne effectuent une visite officielle à Sebta et Melilia, enclaves marocaines occupées par l’Espagne. Mohammed VI est furieux. Il rappelle son ambassadeur à Madrid “pour une durée indéterminée”. La provocation espagnole ne passe décidément pas. “C’est à ce moment précis, commente un observateur, que le royaume s’est rendu compte que Zapatero l’utilisait comme une carte électorale. A partir de cet incident, le Maroc a compris qu’il était dangereux de signer un chèque en blanc aux socialistes espagnols. Que tous ne s’appelaient pas Felipe Gonzales, grand ami de Hassan II”. Finalement, Azziman restera deux mois à Rabat. A son retour en poste, il accorde une interview incendiaire à un quotidien catalan. Il y affirme (en substance) que “désormais, tous les dossiers devront être traités. Sinon, je n’aurai plus rien à faire ici”. Azziman faisait ainsi allusion à l’occupation de Sebta et de Melilia, dossier mis en veilleuse par le Maroc lors de l’élection de Zapatero. “A partir de 2007, tout le milieu diplomatique madrilène savait Azziman sur le départ. Le Maroc avait réalisé qu’il ne pouvait rien attendre du gouvernement de Zapatero, otage d’une opinion publique hostile au Maroc. Le royaume s’est en fait rendu compte qu’il a beaucoup donné sans rien recevoir en contrepartie, sinon une grosse provocation de la part du roi et de la reine espagnols”, souligne Nabil Driouch. Une crise de confiance s’installe entre les deux pays.
Guerre économique ?
Fin 2009, une nouvelle affaire envenime davantage les relations entre Rabat et Madrid. L’Espagne entière se mobilise pour le retour de la militante sahraouie Aminatou Haïdar chez elle, à Laâyoune. En coulisses, les responsables ibériques essayent même de porter l’affaire devant la Commission européenne mais la France fait barrage. Aux USA, Hilary Clinton (grande amie du Maroc) intervient discrètement. L’affaire est finalement réglée sans trop de dégâts. “L’incident Aminatou Haïdar a conforté les responsables marocains dans leurs positions. Ils ont compris que leurs vrais alliés étaient la France et les Etats-Unis. Et que l’Espagne, même socialiste, était au mieux imprévisible, au pire hostile aux intérêts du pays”, relève Nabil Driouch. Entre temps, le Maroc accède au statut avancé avec l’Union européenne. Bruxelles dame ainsi définitivement le pion à Madrid. Sur le terrain, le royaume chérifien gêne de plus en plus son voisin du Nord. Le port de Tanger Med concurrence sérieusement certains ports espagnols, en plus d’étouffer économiquement la ville de Sebta. Plus au sud, Mohammed VI lance la construction d’une grande base navale qui préoccupe sérieusement les officiels espagnols. Et pour ne rien arranger, le pays de Juan Carlos est terrassé par une grave crise économique qui met à mal le fameux modèle économique espagnol. “En fait, conclut Nabil Driouch, le Maroc a toujours eu des relations fluctuantes avec l’Espagne. Elles dépendaient souvent de la couleur du parti au pouvoir. Aujourd’hui, on a l’impression que le pays ambitionne de bâtir des relations d’Etat à Etat, ce qui est plus serein et plus logique”. Dans quelques semaines, Ould Souilem devrait rejoindre son poste à Madrid. Une page est décidément tournée dans la relation entre les deux pays.
Diplomatie. Un sahraoui à Madrid
L’Espagne a longtemps hésité avant d’accepter l’accréditation de Ahmeddou Ould Souilem en tant qu’ambassadeur du Maroc à Madrid. Il y a encore quelques mois, l’homme était l’un des conseillers les plus écoutés de Mohamed Abdelaziz, chef du Front Polisario. “En le proposant à Madrid, explique un observateur, le Maroc gêne fortement l’Espagne, plaque tournante du mouvement indépendantiste en Europe. Cette dernière aura ainsi affaire à un grand connaisseur du Polisario et de ses limites”. Lors d’une interview accordée à un journal espagnol, Taïeb Fassi Fihri avait expliqué que “le Sahara était le thermomètre des relations entre le Maroc et l’Espagne”. Cela n’a jamais été aussi vrai.
TEL QUEL
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