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Maroc : Le choc viendra de l'extérieur

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  • Maroc : Le choc viendra de l'extérieur

    Les premières atteintes étaient anciennes. Les Espagnols et Portugais débarquent au XVe siècle, s'emparent d'une dizaine de ports "Ceuta, Tanger, Larache, etc." qu'ils fortifient, canons tournés vers l'intérieur des terres. Même Marrakech est attaquée. Ces enclaves sont autant de têtes de pont pour le commerce européen, qui entasse dans ses navires les marchandises livrées par les caravanes : gommes, laines et cuirs locaux, or du Soudan, esclaves capturés sur les rives du fleuve Sénégal, plumes d'autruche, ivoire. Ainsi le fait colonial est-il, comme toujours, blessure intime pour la communauté violée (la religion jouant ici son rôle plus qu'ailleurs), et source de profit pour la caste autochtone qui compose avec lui. Les Sultans ne sont pas les derniers à prendre leur part de bénéfice. Le négoce étant peu compatible avec leur dignité, ils traitent par l'intermédiaire d'homme de paille, souvent des Juifs.

    La révolution industrielle du XIXe siècle change toutes les données. L'Europe explose. Il lui faut des matières premières et des marchés. La France débarque en Algérie. Le Sultan régnant, Moulay Abderrhman, appartient à la dynastie alaouite, au pouvoir depuis deux siècles. Son attitude illustre l'ambivalence du Makhzen. Il envoie l'armée marocaine au secours d'Abd el Kader, mais elle se fait écraser par Bugeaud à la bataille de l'Isly. Moulay Abderrhman tire la leçon de sa défaite et met en place le "système impérial", qui, par le jeu de monopoles et d'un système douanier adéquat, fait tomber dans ses caisses d'énormes profits. La pression européenne augmente. Son but est précisément de briser le barrage douanier. La France, la Grande-Bretagne, l'Espagne, imposent tour à tour des traités, pour elles avantageux.

    Comme au Proche-Orient, où l'Empire ottoman, décrépit, ne peut faire barrage aux envahissements de l'Europe, le système de la protection est appliqué au Maroc. Les étrangers (neuf mille dès 1894) sont exemptés d'impôts et de taxes. Ils échappent à la justice marocaine et ne rendent compte de leurs méfaits qu'à leur consul. Ces consuls eux-mêmes peuvent choisir parmi les Marocains des "protégés"... Parallèlement, les firmes européennes s'installent dans le pays et les colons commencent à acheter les meilleures terres. L'argent, avant les armes, conquiert le Maroc.

    Comme en Égypte, comme en Tunisie, c'est lui qui permettra son asservissement, par un processus ingénieux respectant les apparences de ce que le capitalisme appelle sa morale. Le sultan Abdelaziz, monté sur le trône en 1900, lui donne la main. Frivole, il ruine le makhzen par des dépenses extravagantes. Les caisses sont vides. Des banques françaises, anglaises, espagnoles, se proposent aimablement pour les remplir, à des taux usuraires. Le makhzen doit de nouveau emprunter pour le service des seuls intérêts. Son endettement est bientôt tel que les créanciers exigent des assurances. La France obtient le contrôle des douanes, dont une partie du produit servira aux remboursements. Ce produit étant fonction du trafic, il faut améliorer les installations portuaires de Casablanca.

    Le sultan accorde l'autorisation. Les ingénieurs font passer une voie ferrée au milieu d'un cimetière. L'émeute fait neuf morts européens. La flotte française bombarde Casablanca et débarque un corp expéditionnaire "pour rétablir l'ordre". Le pays se soulève. Abdelaziz, qui condamne la sédition, passe à la trappe, déposé par les oulémas. Son frère et successeur louvoie, puis se soumet. Il accepte de signer un appel à l'aide militaire française pour en finir avec la "rébellion". Au nord, une armée espagnole de quarante mille hommes défait, non sans mal, l'insurrection rifaine.
    Lyautey entre à Fès, à Meknès, à Rabat. Il tient les plaines, mais il lui reste à conquérir la montagne, fief traditionnel de la siba.

    La guerre commence.

    On vit alors ce qu'est le courage marocain.
    Ce fut une vraie guerre, une guerre de vingt-cinq ans, non une classique expédition coloniale, même si la France l'a occultée par orgueil (comment accepter que la nation victorieuse de la Grande guerre fût tenue en échec par des "indigènes" mal armés ?) et pour limiter les réactions de l'opinion publique internationale, si bien occultée qu'elle n'a aucune existence dans la mémoire collective française. Mais Hô Chi Minh et Mao Zedong y voyaient la matrice des guerres révolutionnaires modernes et un exemple pour tous les peuples colonisés.

    Le général Guillaume écrira : "Aucune tribu n'est venue à nous dans un mouvement spontané. Aucune ne s'est soumise sans combattre et certaines sans avoir épuisé jusqu'au dernier de leur moyens de résistance." Aviation, artillerie, tanks et automitrailleuses : tous les moyens furent utilisés pour réduire l'une après l'autre les poches de résistance. Appliquant à merveille les tactiques de la guérilla, les bandes rebelles étaient insaisissable. Lorsqu'on parvenait enfin à les cerner, les hommes, souvent, se faisaient tuer jusqu'au dernier dans leur trou individuel. Souvent, les femmes ramassaient les fusils tombés des mains des combattants et ouvraient le feu à leur tour.

    Un médecin-capitaine français écrira de la résistance dans le Moyen-Atlas qu'"elle atteint les limites de l'invraisemblance". Bien sûr, la terreur : représailles massives, femmes et enfant pris en otages, village rasés, et des ruses de guerre abominables, tels ces pains de sucre bourrés d'explosif distribués dans les zones rebelles. Le général Mangin, célèbre boucher de 14-18, se distingua pas sa cruauté. Il avait pour spécialité de contraindre les populations raflées à des marches d'extermination dont nul ne revenait vivant. La belle figure de Lyautey, officier de tradition tombé amoureux du Maroc, faisait écran à ces horreurs.

    L'épopée -le mot n'est pas trop fort- eut le Rif pour théâtre.

    Un petit homme rondouillard au regard doux mais bigle, fonctionnaire puis rédacteur en chef de la section en arabe d'un journal espagnol -le contraire en somme d'un guerrier rifain d'image d'Épinal-, soulève la montagne en 1921, écrase à Anoual une armée espagnole de vingt mille hommes, ramasse un butin de guerre considérable, bat derechef les troupes d'élite espagnoles envoyées en renfort, Franco à leur tête, et, dans la zone ainsi libérée -pratiquement le nord du Maroc-, fonde en 1923 la République du Rif. Il s'appelle Abd el Krim.

    Lyautey écrit l'année suivante : "Rien ne pourrait être pire pour notre régime que l'établissement si près de Fès d'un État musulman indépendant et modernisé." Tandis que les Espagnols s'efforcent de sauver Tetouan et Melilla, l'armée française attaque par le sud. Elle plie sous la contre-offensive rifaine. Lyautey, débordé, passe la main. La France appelle à la rescousse son plus prestigieux soldat, le maréchal Pétain, tout auréolé de sa victoire à Verdun, et le met à la tête d'une armée de sept-cent vingt-cinq mille hommes, appuyée par quarante-quatre escadrilles. Soixante généraux français sont sous ses ordres. Les Espagnols, de leur côté, débarquent cent mille hommes. En face, une armée rifaine forte d'un noyau permanent de trente mille combattants renforcés par des irréguliers.

    Ils tiennent plus d'un ans sous les tirs d'artillerie lourde et les assauts des blindés, contre lesquels leurs fusils ne peuvent rien. Pétain, qualifiant ses adversaires de "hordes barbares", avait interdit l'acheminement jusqu'au Rif d'une aide internationale humanitaire et médicale. Le 27 mai 1926, Abd el Krim fait sa reddition. Ses soldats ne s'éprouvent pas vaincus, et les volontaires continuent d'affluer, mais leur villages croulent l'un après l'autre sous les bombardements massifs de l'aviation française. Un Guernica par semaine, que nul Picasso n'immortalisera. Il faut arrêter le massacre.

    Abd el Krim, précurseur et modèle des leaders qui, un demi-siècle plus tard, conduiront leur peuple à l'indépendance par des méthodes apprises de lui, est déporté à la Réunion. Ils s'en évadera après vingt ans de détention et finira ses jours en Égypte. Pendant cinq ans, avec lui et grâce à la valeur de son peuple, le Rif a vécu indépendant. Ils s'est constitué en république, effaçant des siècles de sultanat et de makhzen. Un État a réellement fonctionné, avec ses finances, sa justice, son système d'éducation -cet État modernisé dont Lyautey redoutait tant l'exemple pour le reste du Maroc. Rien de chauvin ni d'étriqué dans cette tentative anéantie par le fer et le feu. Abd el Krim, habité par une vision mondialiste, profondément solidaire de toutes les luttes de libération nationale, souhaitait que le Rif montrât la voie à l'ensemble du peuple marocain.

    La conquête du Maroc s'acheva en 1934 par la soumission des tribus du Sud, leurs palmeraies écrasées sous les bombes. La France avait eu trente-sept mille morts. Vingt ans plus tard, la guerre d'Algérie (1954-1962) lui en coûtera trente-trois mille.

    La suite...
    Si vous ne trouvez pas une prière qui vous convienne, inventez-la.” Saint Augustin

  • #2
    Les sultans successifs s'étaient l'un après l'autre soumis. Abdelaziz avait vidé les caisses du makhzen -passant autour du cou du Maroc le lacet financier qui allait l'étrangler- et condamné la sédition de son peuple.
    Son frère, Moulay Hafid, pourtant d'une autre trempe, s'était lui aussi résigné à signer un texte demandant l'aide des troupes françaises pour rétablir l'ordre. Le 30 mars 1912, il accepte le traité de protectorat. Le Maroc est littéralement dépecé.

    A l'Espagne, le Nord et le Sud; le reste à la France. Un pays qui n'avait point connu la soumission à l'étranger depuis treize siècles entre dans la nuit coloniale. Si l'on oublie un seul instant l'humiliation profonde ressentie par le peuple, toutes tribus réunies, toutes classes confondues, si l'on minimise si peu que ce soit sa blessure jamais cicatrisée, impossible de rien comprendre à l'histoire du Maroc de 1912 à nos jours.

    Moulay Hafid ne se révélant pas aussi docile qu'on l'espérait, la France le licencia avec un chèque d'un million et une rente annuelle. Son frère Moulay Youssef, père du futur Mohammed V, monta sur le trône. Il accueillit Pétain, venu pour combattreee Abd el Krim, par ces mots restés célèbres : "Débarrassez-nous de ce rebelle." Pendant quinze ans, il allait donner toute satisfaction. On l'appelait "le sultan des Français".

    Le jeune sultan Sidi Mohammed s'ennuie dans son palais. Il a promu Chambellan le seul être qui lui ait jamais témoigné de l'affection. Si Mammeri, son vieux précepteur algérien. Les femmes sont sa distraction. Conformément à la tradition alaouite, il fait aux tribus l'honneur d'accueillir leurs plus belles filles dans son lit. Il est aussi très pieux, soumis à la volonté de Dieu. Il se tait et observe.

    Le pouvoir -tout le pouvoir- est à la résidence. Le résident général donne les lois (dahirs), nomme les ministres et règne sur un Maroc quadrillé par l'armée, administré par des fonctionnaires français. Au vrai, nul résident ne ferait long feu s'il ne travaillait main dans la main avec les trois puissance réelles du Maroc : le président de la fédération des chambres d'agricultures (les colons), le président de la chambre du commerce et de l'industrie de Casablanca (les affaires), le banquier Yves Mas, propriétaire de la quasi-totalité de la presse marocaine. Et derrière ces belles figures coloniales, la puissance occulte qui possède réellement le Maroc : la Banque de Paris et des Pays-Bas. Par sa filiale, l'Omnium nord-africain (ONA), elle contrôle l'activité économique. A ses côtés, deux seigneurs de moindre importance, mais tout de même colossaux pour le pays, le groupe Hersant et le groupe Mas.

    Le Maroc est une excellente affaire. Les colons prospèrent. A la veille de la Seconde Guerre mondiale, ils possèdent six cent mille hectares des meilleures terres, souvent acquises par simple décision administrative. Des dizaines de milliers de petits paysans marocains se retrouvent ouvriers agricoles sur la terre qui leur appartenait. Souvent, point de salaire : la subsistance contre la force de travail. Beaucoup doivent quitter la campagne et s'entasser dans les banlieues urbaines, en quête d'un improbable travail. C'est à Casablanca qu'est inventé un mot appelé à faire triste fortune : bidonville. La grande industrie démarre grâce aux considérables ressources minières. Le port de Casablanca explose. Le pays se couvre de voies ferrées et de routes. Elles sont nécessaires au maintien de l'ordre comme au développement économique.

    Le Maroc décolle.

    Mais pour le compte de qui ? A la veille de l'indépendance, sur quatre-vingt-onze mille voitures, treize mille appartiennent à des Marocains. Là où les salaires sont le moins injustes, un ouvrier européen est payé six fois plus que son "camarade" marocain. En 1944, les écoles primaires scolarisent un enfant sur soixante. De 1912 à 1954, la France fera en tout et pour tout cinq cent quatre-vingts bacheliers...

    Gilles Perrault
    Notre Ami le Roi
    Dernière modification par zek, 01 mai 2010, 16h06.
    Si vous ne trouvez pas une prière qui vous convienne, inventez-la.” Saint Augustin

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    • #3
      la suite
      des forfaitures des rois alaouites
      The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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