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Le problème grec

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  • Le problème grec

    Georges Papaconstantinou, ministre des Finances grec s’interrogeait depuis longtemps sur l’insolente prospérité du très chic et très cher quartier de Kolonaki. Un havre situé sur le flanc du mont Lycabette, en plein centre d’Athènes ; là où les boutiques de luxe le disputent aux 4 x 4 allemands ; là où l’expresso et les loyers atteignent des prix que l’on s’attend davantage à trouver sur les Champs-Elysées. Sommé par l’Union européenne et par le Fonds monétaire international de mettre de l’ordre dans ses comptes, il a donc voulu faire un exemple. Et demandé à ses services de lui fournir les revenus des médecins du quartier.

    Pourquoi eux ? Parce qu’ils ont la réputation de mener grand train. Le fisc n’a pas pu lui fournir de liste précise. Il a fallu passer par l’annuaire pour mettre la main sur les 150 médecins de Kolonaki. Papaconstantinou a ensuite envoyé ses contrôleurs visiter les cabinets. Surprise : les médecins ne déclaraient que 10 000 à 15 000 euros de revenus annuels. En réalité, ils gagnaient de trois à dix fois plus. Tout cet argent noir leur permettait d’acheter voitures, bateaux, résidences secondaires dans les îles huppées d’Hydra ou de Mykonos. Les médecins de Kolonaki ont été redressés.

    Mais c’est toute la Grèce qu’il faudrait redresser : «Désigner ces seuls médecins à la vindicte, c’est du populisme, tout le monde fait la même chose» , s’emporte Spyros, chef de clinique dans un hôpital public. Car la fraude fiscale tient du sport national. Pratiquée avec la complicité du fisc. «Les agents du fisc sont totalement corrompus, c’est la mafia», juge Electra, propriétaire de plusieurs magasins sur la très chic rue Ermou et qui, dit-elle, se fait racketter.

    «En Grèce, payer ses impôts, c’est être un con», confirme Pedros, patron d’une PME de cosmétiques. Rares sont ceux, en Grèce, qui croient donc en la capacité de l’Etat d’appliquer les mesures d’austérité (30 milliards d’euros d’économie sur trois ans) exigées par l’UE et le FMI et que le Parlement grec a votées hier. «Augmenter la TVA, c’est bien, mais il n’y a personne pour la récolter», s’amuse, un rien désespéré, Yannis Pretenteris, chroniqueur vedette. La Grèce ressemble à un «pays sans Etat», explique-t-il. Ou plutôt un pays dont l’Etat est au service de grandes familles (les Papandréou à gauche, les Karamenlis à droite) qui l’utilisent pour s’assurer une clientèle.

    «Un système féodal, dénonce le journaliste Athanase Papandropoulos, une magouillocratie». D’où le nombre de fonctionnaires qui seraient plus de 1,1 million - toutes catégories confondues et clergé inclus - pour 11 millions d’habitants ? «L’Etat n’a aucune idée précise de ses effectifs, raconte un diplomate européen, pour qui l’Etat ne sait pas non plus combien gagnent ses fonctionnaires.» Ce qui est certain, c’est qu’ils sont mal payés. D’où l’inefficacité. «Un vice-ministre raconte que seuls les jeunes et 15% du personnel travaillent» , rapporte Filios Stangos, journaliste à la télévision publique.

    Cela explique-t-il la corruption généralisée ? Ici, on ne dit pas «bakchich», mais fakelaki («enveloppe»).

    «Tous les secteurs de l’Etat sont touchés : santé, éducation, justice, police, urbanisme, fisc», assure Spyros au salaire de chef de clinique de 4 000 euros net (sur 14 mois). Dans son bureau, à l’hôpital, il a épinglé une affiche : «Je n’accepte pas de fakelaki.» Mais «la plupart des médecins acceptent ces enveloppes qui permettent aux patients d’avoir l’assurance d’être bien soignés. C’est le système. Les citoyens ne comprennent d’ailleurs pas qu’on ne se plie pas à cette corruption généralisée». Les médecins multiplient ainsi leur salaire officiel par quatre, cinq, dix

    Les inspecteurs du fisc n’échappent pas à la pratique, bien au contraire. Car le moteur de la fraude, ce sont eux.

    «Ici, on parle, comme au foot du 4-4-2 : l’inspecteur du fisc prend 4 pour lui, vous en laisse 4 et en donne 2 à l’Etat» , se désespère un patron. «L’inspecteur du fisc négocie directement avec le comptable de l’entreprise, raconte Electra. Il lui donne une enveloppe pour que le redressement soit minime voire inexistant. L’inspecteur du fisc multiplie son salaire par trois ou quatre au minimum.» Et pas question de le dénoncer. «Son supérieur est dans le système, tout comme le policier qui sera chargé de l’enquête, s’indigne Pedros. Donc on paye en silence sinon on sait qu’ils nous empêcheront de travailler. C’est comme la mafia.» Un diplomate l’avoue : «Evidemment, ce n’est pas avec les baisses de salaire que l’on va avoir des contrôleurs plus intègres.»

    C’est ce qui explique la colère des Grecs contre cet Etat corrompu et clientéliste. Ils craignent que les petits soient les seuls victimes du plan d’austérité, faute pour le gouvernement d’avoir les moyens humains - ou la volonté - de chercher l’argent des fraudeurs. Car il y a de l’argent en Grèce, dans l’économie noire qui représente entre 30 et 40% du PIB grec selon les chancelleries européennes.

    On évalue jusqu’à 30 milliards d’euros l’évasion fiscale.

    Ce ne sont pas les quelques exemples récents qui vont convaincre les Grecs que l’Etat a changé. Ainsi, le fisc vient d’utiliser Google Earth pour compter les piscines dans le nord huppé de la capitale (Kefalari, Kastri, etc.). Le chiffre final ? 16 974. Le nombre de bassins déclarés ? 324…

    Mais la corruption de l’administration n’a pas disparu comme par enchantement. «Il faut changer tout le personnel du fisc», estime Electra. Un avis partagé par la majorité des Grecs qui pensent même qu’il faut recréer un nouvel Etat. Pedros, lui, se veut optimiste : «Cette fois, on n’a plus le choix. Toutes nos magouilles sont sur la place publique. On est dévoilés.» Un optimisme guère partagé ces jours-ci à Athènes.

    Libération
    Dernière modification par Alain, 07 mai 2010, 22h03.

  • #2
    «Evidemment, ce n’est pas avec les baisses de salaire que l’on va avoir des contrôleurs plus intègres.»
    Si ça ce n'est pas ce qu'on appelle la quadrature du cercle, et bien ........ ça y ressemble
    Kindness is the only language that the deaf can hear and the blind can see - Mark Twain

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    • #3
      C'est vrai ... Un tel système va tenir bon, c'est sûr. Là il faut une évolution politique majeure, je ne sais pas trop comment. C'est un pays assez neuf dans son état actuel, les colonels ne sont pas loin, et le conflit avec la Turquie n'arrange rien.

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      • #4
        L'endettement à ce niveau est vivre bien au dessus de ses moyens. Les immenses dettes vont finir par rattraper les pays occidentaux..
        La confiance des créanciers a des limites.

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        • #5
          Oui, au dessus de ses moyens est le mot (c'est à dire non couverte par une croissance à venir).

          Les dettes sont intercroisées en UE. On voit sur ce schéma du NY time, de 5 pays de l'UE, que le Grèce est un problème somme toute modeste, par rapport à l'Espagne dont l'économie va mal (20% de chômage). La Grèce devra régler son déficit public, 8% du PIB (déficit primaire, c a d avant remboursement de la dette), qui reste trop élevé .

          On voit par exemple que l'Italie à une dette totale de 511 G$ envers les banques françaises, soit 20% du PIB français.



          Comment sortir de ça ? Voici ce qu'en dit Guillaume Duval de Alternative Economique :

          La situation grecque demeure incertaine parce que l'aide apportée au pays reste relativement coûteuse : 110 milliards d'euros prêtés à 5 % par an représente 5,5 milliards d'euros annuels d'intérêt, soit 2,3 % du PIB grec. Autrement dit, pour que l'Etat grec commence vraiment à se désendetter tout en remboursant les intérêts, l'équilibre budgétaire ne suffirait pas : il faudrait que ses finances publiques soient excédentaires… Or dans le même temps on peut douter de la capacité de la société grecque à accepter et mettre en œuvre de façon conséquente les mesures d'austérité annoncées

          Le problème grec en lui-même reste cependant limité : la Grèce pèse 2,7 % du PIB de la zone euro et sa dette publique ne représente que 3,5 % de celle de la zone. Ce qui aggrave les choses, c'est qu'aux doutes sur le sauvetage grec s'ajoutent désormais des inquiétudes croissantes concernant l'Espagne, qui, elle, représente un gros morceau : 11,6 % du PIB et 8 % de la dette publique de la zone euro (mais sa dette s'accroît très rapidement).

          Même si les rumeurs à l'origine des attaques spéculatives des jours derniers sont infondées, les « fondamentaux » de l'économie espagnole sont en effet catastrophiques : le pays vient de dépasser de nouveau la barre de 20 % de chômage et on ne voit pas comment, dans un contexte européen déprimé, il pourrait stopper la dérive de ses comptes publics (autrement qu'en créant une situation politiquement et socialement ingérable).

          On peut en discuter les formes et l'ampleur, mais il est légitime d'imposer l'austérité aux pays comme la Grèce, le Portugal, l'Espagne ou encore l'Irlande, dont les acteurs économiques, privés ou publics, ont profité de la période d'argent facile pour vivre au dessus de leurs moyens et s'endetter de façon excessive.

          Néanmoins, si l'on veut permettre à ces pays de rembourser effectivement leur dette et éviter d'entraîner l'ensemble de la zone euro dans la récession, il faudra compenser cette austérité par une relance dans les pays qui ne présentent pas des déséquilibres aussi importants : dans une certaine - faible - mesure la France, mais surtout l'Allemagne. Or ce n'est pas du tout le chemin que l'Allemagne veut prendre : ses dirigeants ont certes relâché, de façon significative, la discipline budgétaire en 2009 et 2010 mais ils entendent bien revenir à l'orthodoxie, et cela très rapidement. Cette volonté politique, qui risque d'avoir des conséquences catastrophiques pour l'économie européenne, fournit le fondement rationnel de la spéculation contre l'euro.

          Il reste à espérer que la pression de la spéculation réussisse là où des années de discussions ont échoué : nous sortir enfin du carcan du pacte de stabilité imposé en 1997 et nous obliger à adopter des formes de coordination budgétaire moins « stupides », pour reprendre le terme employé en 2002 par Romano Prodi, alors président de la Commission européenne. Voire autoriser l'Union elle-même à s'endetter pour soutenir l'activité en son sein…

          La speculation va certes nous pousser en ce sens mais il n'est pas sûr que cette pression suffise à surmonter à temps les énormes obstacles, qui ne sont pas seulement d'ordre idéologique.

          Ce qui est nécessaire, c'est ni plus ni moins en effet que les Etats membres de la zone euro renoncent à une part significative de leur souveraineté budgétaire au profit d'un « machin » européen dont les contours restent entièrement à définir, mais qui doit être suffisamment légitime pour imposer ses décisions aux Etats

          Certes, l'expérience difficile de la négociation sur la Grèce augure mal de la capacité des Européens à faire face, de façon pragmatique et innovante, aux situations d'urgence… Mais a contrario, cet épisode peut aussi avoir servi de leçon… En tout cas le temps presse.

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